Chapitre 15 : Sombre vision

Il faisait sombre. Très sombre. Trop sombre.

Et il faisait froid aussi. Humide. On entendait d'ailleurs le clapotis régulier et reconnaissable de l'eau qui s'écoulait non loin de là.

La jeune fille qui était enchaînée à une paroi de pierre semblait inconsciente. Ses longs cheveux blonds retombaient sur son visage et ses yeux étaient clos. La belle robe noire qu'elle portait encore était toute froissée et il lui manquait sa chaussure gauche. Pourtant, même ainsi, sa beauté et la douceur de son visage étaient frappantes. Elle ressemblait à un ange endormi.

Peu à peu, la belle jeune fille reprit conscience. Ses paupières frémirent, son souffle s'accéléra. Elle poussa un petit gémissement plaintif, puis ouvrit les yeux. Ils étaient gris-bleu.

Lentement, elle se redressa, désorientée.

Elle porta sa main droite à l'arrière de sa tête, palpa son crâne et grimaça de douleur. Quand elle inspecta ses doigts, elle vit qu'un peu de sang les rougissait.

Elle tourna la tête de droite à gauche, puis essaya de se lever. Elle découvrit ses poignets entravés.

Elle fronça les sourcils et inspecta ses liens.

Ils n'étaient pas en acier, mais fait de cet étrange matériau noir qui ressemblait beaucoup aux bracelets inhibiteurs de magie que les apprentis portaient pendant les entraînements.

Elle tenta de les retirer, tira dessus de toutes ses forces, mais ils étaient solidement fixés.

Soudain, des pas raisonnèrent à l'autre bout de cette... grotte ? Une lumière vacillante apparut, révélant peu à peu une sorte de couloir qui menait à cette pièce où elle était retenue prisonnière.

Quelqu'un venait vers elle, les pas se rapprochaient.

La jeune fille se mit à tirer frénétiquement sur ses liens, une nouvelle fois en vain.

Quand elle releva la tête, son visiteur était arrivé.

Tout de noir vêtu, le visage dissimulé par une capuche, il tenait une vieille chandelle à la main. Ou plutôt elle. Car à la vue de la stature de l'intrus, il s'agissait d'une femme.

— Qui êtes-vous ? Et que me voulez-vous ? lança courageusement la belle jeune fille.

La silhouette noire se rapprocha sans répondre. Elle déposa la chandelle sur une petite table, croisa les bras sur sa poitrine et vint se poster face à la prisonnière.

La jolie blonde écarquilla les yeux de surprise.

— Vous ! s'exclama-t-elle abasourdie. Mais... pourquoi ? Qu'allez-vous me faire ?

Soudain, l'incompréhension que l'on pouvait lire sur son beau visage céda la place à la panique.

— Non ! s'écria-t-elle affolée. Non, pas ça, je vous en prie ! S'il vous plaît... arrêtez !

Puis son visage se crispa et elle tomba à genoux.

— NOOOOON ! hurla-t-elle encore avant que tout ne devienne noir...

Dans son lit, Lihanna se réveilla en sursaut, paniquée et en sueur, mais le cœur glacé d'effroi.

— Eriiiiiiin ! hurla-t-elle en écho au dernier cri poussé par sa sœur.

****

Faire le vide. Inspirer. Se concentrer. Visualiser. Expirer. Lancer.

Inspirer. Se concentrer. Visualiser. Expirer. Lancer.

Se concentrer. Visualiser. Expirer. Lancer.

Visualiser. Expirer. Lancer.

Expirer. Lancer.

Lancer.

Lancer.

Lancer...

Cela faisait plus d'une heure maintenant que Liam répétait inlassablement les mêmes gestes.

Faire le vide. Inspirer. Se concentrer. Visualiser. Expirer. Lancer.

Un énième couteau alla se planter au milieu de la cible, à plusieurs mètres de là.

Il n'avait pas manqué un seul lancé depuis qu'il avait commencé. Pourtant, il n'était toujours pas satisfait.

Faire le vide. Inspirer. Se concentrer. Visualiser. Expirer. Lancer.

En plein dans le mille. Encore...

Il se dirigea vers la cible pour récupérer ses couteaux. Il avait répété cette opération des dizaines de fois depuis qu'il était là. Mais il allait recommencer. Encore et encore. Jusqu'à ce que son cerveau se déconnecte complètement et lui permette d'oublier tout ce qui s'était passé la veille au soir.

Pour l'instant, c'était peine perdue.

Alors il allait recommencer.

Faire le vide. Inspirer. Se concentrer. Visualiser. Expirer. Lancer.

Il n'avait pas réussi à fermer l'œil de la nuit.

Après avoir tourné le dos à Lihanna, il était sorti prendre l'air, pour tenter de se remettre les idées en place. Cela n'avait pas fonctionné, mais quand il était retourné dans sa chambre, au moins, elle n'était plus là. Pourquoi l'aurait-elle attendu, d'ailleurs ? L'avait-il espéré ?

Quoi qu'il en soit, il n'avait pas réussi à trouver le sommeil.

Faire le vide. Inspirer. Se concentrer. Visualiser. Expirer. Lancer.

Qu'est-ce qui lui avait pris, bon sang ?!

Il voulait juste lui donner une leçon. Mais dès qu'il l'avait embrassée, il avait tout oublié. Il avait oublié pourquoi il lui en voulait tant depuis des années. Il avait oublié le mal qu'elle lui avait fait le matin même. Il avait oublié à quel point elle le méprisait.

Elle avait répondu si intensément à ses baisers, de manière si inattendue qu'une barrière avait explosé en lui. Et il lui avait pardonné.

Faire le vide. Inspirer. Se concentrer. Visualiser. Expirer. Lancer.

Mais le pire, c'était qu'il le lui avait dit.

Alors, peut-être pas dans ces termes exacts, mais il savait qu'elle avait compris.

Non mais quel idiot ! Je vous jure...

Faire le vide. Inspirer. Se concentrer. Visualiser. Expirer. Lancer.

Heureusement, il s'était ressaisi à temps.

Enfin... Heureusement qu'elle l'avait ramené froidement dans la réalité avant qu'il ne lui dise de grosses conneries.

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Mais que lui arrivait-il bordel de merde ?!

Putain... Avait-il réellement des sentiments pour elle ?

Faire le vide. Inspirer. Se concentrer. Visualiser. Expirer. Lancer.

Non... Ce n'était pas possible.

Faire le vide. Inspirer. Se concentrer. Visualiser. Expirer. Lancer.

C'était forcément la faute de ce foutu lien magique ! Il exacerbait son sentiment de possessivité envers la jeune fille et créait l'illusion de véritables sentiments. Comme cette putain de sensation de manque quand elle n'était pas là ou cette pseudo-impression de bien-être qu'il ressentait en sa présence. À cause de ce foutu lien, tous ses sentiments étaient faussés.

Ça ne pouvait être que ça putain de bordel de merde !

Faire le vide. Inspirer. Se concentrer. Visualiser. Expirer. Lancer.

Pour la première fois ce matin, son couteau n'atteignit pas la cible. Il poursuivit sa course bien au-delà, allant se planter avec force dans le tronc d'un arbre qui n'avait rien demandé.

Visiblement, la paix intérieure que lui procuraient toujours ses entraînements avait atteint ses limites. Il regarda le couteau osciller avant de se figer dans le tronc.

Liam poussa un soupir de frustration. Il allait être d'une humeur massacrante aujourd'hui.

Heureusement pour lui, c'était les vacances du solstice d'hiver et il ne serait donc pas obligé de donner le change devant les apprentis. D'ailleurs, durant ces deux semaines de tranquillité, il allait éviter de croiser les autres au maximum. Il allait se concentrer sur sa mission pour démanteler le réseau de Sang-Purs extrémistes qui sévissait au sein de la Garde.

Il fallait aussi qu'il trouve une personne de confiance pour entraîner Lihanna. Parce qu'il ne pouvait plus le faire lui-même pour le moment. Pas tout de suite. Or, elle en avait terriblement besoin. Et ce serait encore pire quand il lui révèlerait ce qu'il avait découvert dans le livre des MacEwen...

Oh bordel ! Tout allait de travers !

Pour se défouler un peu, il planta rageusement un couteau dans la table qui se trouvait à côté de lui.

— Tu sais que détériorer sciemment le matériel de la Garde est formellement interdit par le règlement ?

Surpris, Liam releva vivement la tête pour croiser le regard noisette pétillant de malice qu'il aimait tant. Mais contrairement à d'habitude, la présence de Morgane ne parvint pas à adoucir son humeur.

Se détournant délibérément de son amie, il retira le couteau planté dans la table et entreprit de tous les nettoyer, faisant comme si elle n'était pas là.

— Liam ? demanda-t-elle étonnée par son comportement. Que se passe-t-il ? Tu vas bien ?

— Ça va, répliqua-t-il sèchement.

Voyant sur son visage qu'il l'avait blessée, il ferma les yeux et poussa un profond soupir.

— Écoute, Morgane, reprit-il radouci, je n'ai vraiment pas envie d'en parler pour l'instant. Tu comprends ?

— Je... oui. Ok, répondit-elle légèrement perturbée par le comportement de son ami. C'est au sujet d'hier soir ?

— Morgane... gronda-t-il agacé.

— Ok, ok, c'est bon, rétorqua-t-elle aussitôt en levant les mains en signe de reddition. Je te laisse tranquille, monsieur le grognon.

Elle fit mine de s'en aller et il se replongea dans le nettoyage de ses couteaux. Elle n'avait pas fait plus de dix pas qu'elle se retourna subitement et lança :

— Elle est amoureuse de toi.

Hein ?

Surpris, Liam s'entailla le doigt avec la lame qu'il était en train d'astiquer. Mais la douleur de la blessure n'était rien comparée à la sensation étrange qui lui contracta l'estomac.

— Bordel, Morgane ! s'exclama-t-il en s'emparant rapidement d'un bout de tissu pour arrêter le saignement. De quoi est-ce que tu parles ?

— De Lihanna, répondit-elle en venant se planter en face de lui. Elle est amoureuse de toi.

À nouveau, il ressentit cette sensation étrange au creux de son ventre mais l'ignora.

Non. Ce qu'était en train de lui dire son amie ne l'atteignait absolument pas.

— Morgane... soupira-t-il en la regardant comme si elle était folle. Même en admettant que j'en ai quelque chose à foutre, tu sais que t'es en plein délire là, non ?

Il n'était absolument pas d'humeur à écouter ce genre de conneries. Surtout quand son putain de cœur semblait vouloir réagir comme celui d'un ado de quinze ans et qu'il commençait à comprendre ce que ces mêmes ado débiles voulaient dire en utilisant cette putain d'expression stupide, à savoir : avoir des papillons dans le ventre.

Non mais, je vous jure...

— Non Liam, répliqua-t-elle en levant les yeux au ciel. Je ne suis pas en plein délire. Elle est amoureuse de toi et...

— Morgane... la coupa-t-il en commençant franchement à s'énerver.

— ... et toi aussi, tu l'aimes ! continua-t-elle comme si elle ne l'avait pas entendu.

Que... quoi ?!

Estomaqué, Liam écarquilla les yeux.

— Non mais t'as un problème...

Comment allait-il s'en sortir si tous ses proches commençaient à péter les plombs ? C'était lui qui était en pleine crise existentielle, putain ! Il ne pouvait pas gérer en même temps les délires passagers de ses potes.

— Arrête ! s'exclama son amie. S'il te plaît Liam, arrête de te voiler la face... Vous êtes amoureux, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Tous vos amis le savent ! Il est temps que vous arrêtiez de vous chamailler et que vous grandissiez un peu.

Oh merde... Morgane croyait vraiment à ce qu'elle disait.

— Je m'inquiète pour toi, Liam, reprit-elle radoucie en se méprenant sur le silence du jeune homme. Arrête de te torturer. Au bout de toutes ces années, vous avez parfaitement le droit de vous pardonner tout le mal que vous vous êtes fait, tu ne crois pas ?

Et merde... Pourquoi les paroles de Morgane commençaient-elle à trouver un putain d'écho avec ses propres pensées ?

Et ça y est... Il était énervé ! Enfin... il était vraiment énervé !

Parce que même en admettant que son amie ait raison – ce qui, soit dit en passant n'était absolument pas le cas. Donc, même si elle avait raison, il n'en avait strictement rien à foutre ! Il voulait simplement qu'on lui fiche la paix et que tout redevienne comme avant.

Avant cette putain de nuit dernière où il s'était pris une claque magistrale.

L'image de Jack en train d'embrasser Lihanna se réimprima dans son esprit et avec elle toutes les émotions qui l'avaient submergé refirent surface. Le choc, la peine, les bouffées de haine incontrôlables, la jalousie qui lui avait lacéré le bide, la colère...

Toutes ces foutues émotions qui bouillonnaient encore en lui et qui le rendaient dingue !

— Encore une fois – en admettant que j'en ai quelque chose à foutre de ces conneries – tous nos amis le savent, dis-tu ? demanda-t-il soudain avec véhémence, incapable de se retenir.

— Euh... oui, Liam...

— Alors dans ce cas, cracha-t-il hargneux, tu peux me dire pourquoi mon meilleur pote lui fait des avances ?

Surprise par le ton autant que par la question, Morgane sursauta.

— Je... Jack ? De quoi est-ce que tu parles ?

Morgane n'était donc pas au courant. Ça le rassurait un peu. Malheureusement, sa meilleure amie allait vite déchanter et revoir à la baisse le potentiel romantique de l'histoire qu'elle avait inventée.

Il était sur le point d'égratigner son éternel optimisme quand le son strident d'une corne de brume déchira l'air, l'empêchant de continuer.

C'était le signal d'alarme de la Garde.

Morgane et Liam se tournèrent comme un seul homme vers le bâtiment de pierres blanches d'où provenait la sonnerie. Deux silhouettes venaient en courant dans leur direction.

— Liam... Morgane... s'exclama Eiline en reprenant son souffle. Vous êtes là. On vous cherchait partout...

— Que se passe-t-il ? demanda Liam, la poitrine oppressée par un mauvais pressentiment.

— C'est Erin, répondit Connor d'un air lugubre. Elle a disparu.

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