Chapitre 1 : Les Retrouvailles
Le soleil était en train de se coucher quand elle arriva au sommet de l'arbre. Un peu essoufflée par l'ascension du vieux chêne, elle s'assit sur l'une des branches avec bonheur.
Au loin, le soleil venait de disparaître derrière l'horizon et au-dessus d'elle, la lune et les étoiles brillaient, sans aucun nuage pour venir gâcher le spectacle.
Lihanna aimait venir dans cet arbre pour réfléchir. Ici, au moins, elle était tranquille. Personne pour venir interrompre le fil de ses pensées et lui rappeler qu'elle avait autre chose à faire que rêvasser.
Se retrouver seule, ici, était donc un vrai luxe et elle comptait bien en profiter. Bien sûr, elle aimait sa famille plus que tout, mais elle avait parfois besoin d'être loin d'eux, besoin de se sentir comme quelqu'un d'unique et pas seulement comme l'une des triplés.
Calant son dos contre le tronc, Lihanna fouilla dans son sac à la recherche de la pomme qu'elle avait subtilisée à la cuisine quelques heures plus tôt. L'exercice lui avait donné faim. Mais elle ne parvint même pas à terminer le fruit tant l'anxiété lui nouait l'estomac. Elle n'arrêtait pas de penser à tout ce qui l'attendait demain. Car demain était un grand jour pour Hériale. Le royaume allait élire son nouveau roi.
Tous les dix ans, les dirigeants des cinq principautés qui constituaient le royaume d'Hériale se réunissaient à Hériali – la capitale – pour désigner l'un d'eux comme étant leur futur souverain. Et en tant que prince de la principauté d'Aëlia, le père de Lihanna était l'un des prétendants au trône. Elle savait que, s'il avait pu choisir, son père aurait sans doute laissé sa place à n'importe qui d'autre. Le pouvoir, ce n'était vraiment pas son truc.
Mais voilà, c'était un Kerid'El'Wen, l'héritier de la dynastie régnante des Faës et un homme droit qui avait le sens des responsabilités.
Enfin, qui sait ? Sur un coup de bol, peut-être ne serait-il pas élu ? Même si, au final, Lihanna ne voyait pas meilleur candidat.
Quoi qu'il en soit, demain, Aedan devrait donc quitter sa résidence d'Eliëval – capitale de la principauté Faë – accompagné de sa suite et de sa famille pour rejoindre Hériali.
Lihanna soupira.
Le problème, c'était qu'elle ne voulait pas quitter Eliëval. Elle avait déjà eu tant de mal à s'habituer à cet endroit. Mais elle était ici chez elle désormais et malheureusement, elle savait que si elle partait, elle ne reviendrait pas avant longtemps. Parce que pour couronner le tout, demain était un grand jour pour elle aussi. C'était l'anniversaire de ses dix-sept ans.
Alors, certes, il n'y avait pas de quoi en faire un plat – ni aucune raison valable pour alimenter l'ulcère qu'elle était sûre d'avoir si elle atteignait l'âge de, disons, quarante ans – mais cela l'angoissait quand même.
Bon, pour être honnête, ce n'était pas le fait d'avoir dix-sept ans qui la rendait aussi nerveuse qu'une personne souffrant de vertige et s'apprêtant à sauter dans le vide. Non...Ce qui l'angoissait, c'était plutôt les conséquences que cet âge pour le moins anecdotique allait avoir sur sa vie et sur ses petites habitudes qu'elle avait appris à chérir.
Parce que – pour être plus claire – dans le royaume d'Hériale, avoir dix-sept ans était loin d'être anodin.
Cela signifiait qu'on avait atteint l'âge de commencer son apprentissage dans la Garde, à Hériali. Apprentissage qui durait un an et où on vous apprenait à maîtriser les rudiments du combat et à développer vos dons. Au terme de cette année, la personne avait le choix entre retourner dans sa famille et trouver un travail ou s'engager dans la Garde et choisir l'une des différentes carrières proposées par cette dernière.
Enfin bref.Tout ça pour dire que, cette année, il était tout à fait légitime que son anniversaire l'angoisse un peu. Après tout, elle allait faire son entrée dans la Garde, déménager dans la capitale du royaume, assister à une élection royale au terme de laquelle son père allait sans doute être élu roi et avoir dix-sept ans.
Lihanna était donc venue sur son arbre pour réfléchir au nouveau tournant qu'allait prendre sa vie.
Elle n'avait pas peur de l'année d'apprentissage. Elle était une guerrière redoutable et elle maîtrisait plutôt bien les dons qu'elle avait reçus en héritage. Non, elle n'avait pas peur de cela. Ce qu'elle redoutait en revanche, c'était plutôt l'accueil qui lui serait fait.
Après tout, elle n'était qu'une Sang-Mêlée et une partie de ses futurs compagnons pensaient que son frère, sa sœur et elle-même allaient causer la perte de leur monde, Orcam.
Même si la majorité des Hérialiens jugeaient que les triplés pouvaient être des sauveurs, depuis qu'ils avaient rejoint ce monde, la malédiction avait continué de s'étendre et – suite à ce détailquelque peu dommageable pour leur cote de popularité – la bonne image qu'ils avaient, avait – justement – tendance à s'effriter auprès de certains de leurs concitoyens. Ce qui – quand on avait dix-sept ans et qu'on s'apprêtait à passer une année complète en compagnie d'autres jeunes du même âge pas forcément très sympas entre eux – était une source d'angoisse supplémentaire.
Bon, stop ! Arrête maintenant !
Agacée par la tournure que prenaient ses pensées, Lihanna se donna une bonne paire de gifles mentales.
Elle n'avait pas envie de gâcher sa dernière soirée à Aëlia en ressassant ses craintes et ses idées noires. Finalement, c'était stupide d'être venue là toute seule. Elle aurait mieux fait de rester avec sa famille et de se concentrer sur le positif de la journée de demain. L'avantage d'avoir une fratrie comme la sienne, c'était que l'on ne se retrouvait pas seule au moment de rejoindre la Garde. Et si son père devenait roi... eh bien, honnêtement, il y avait sans doute pire dans la vie. Surtout qu'il faudrait faire la fête pour célébrer cela.
Elle était en train de faire une étude comparative mentale entre le vin Faë et la bière des Sorciers pour savoir laquelle des deux boissons serait la plus adéquate pour trinquer à la santé de son père, quand elle fut tirée de ses pensées par des éclats de voix provenant de la forêt derrière elle. Elle rassembla rapidement ses affaires, prête à descendre de son perchoir sans être vue. Elle ne savait pas qui étaient ces gens, mais elle préférait rentrer tranquillement au palais pour rejoindre sa famille plutôt que de tomber nez à nez avec des inconnus.
En prêtant l'oreille plus attentivement, elle comprit qu'ils n'étaient que deux, un homme et une femme. Les deux inconnus s'étaient arrêtés à quelques mètres à peine du chêne sur lequel elle se trouvait. Elle comprit bien vite – en entendant la femme glousser – que le couple s'était retrouvé dans les bois pour... eh bien, pour s'amuser un peu à l'abri des regards indiscrets.
Bon... Finalement, c'était une chance. Ces deux-là seraient sans doute trop occupés pour faire attention à elle et elle pourrait rentrer sans se faire remarquer. Mais, piquée par un soudain excès de curiosité – curiosité qu'elle considérait comme l'une de ses qualités principales – elle décida néanmoins de jeter un rapide coup d'œil pour voir de qui il s'agissait.
Ben quoi ?Si elle avait bien appris une chose ces dernières années, c'était que connaître quelques secrets pouvait parfois s'avérer bien utile dans son nouveau monde.
Elle se pencha le plus délicatement possible sur sa branche et jeta un coup d'œil dans leur direction.
Et merde...
Lihanna reconnut tout de suite le jeune homme qui provoquait les gloussements de la fille. Et – nom de nom ! – c'était vraiment la dernière personne qu'elle voulait voir ! Se maudissant intérieurement pour sa stupide curiosité – oui, c'était aussi une caractéristique qu'elle considérait à l'occasion comme son principal défaut – elle réfléchit à toute vitesse pour savoir comment se tirer de là. Après avoir hésité quelques minutes, elle prit la décision de descendre de l'arbre en essayant de faire le moins de bruit possible. Les sons de la forêt pourraient peut-être masquer ses déplacements ?
Oui. On pouvait toujours rêver.
Mais en posant ses pieds au sol, elle sentit immédiatement sa présence. Elle eut à peine le temps de crier « Non ! » qu'une main puissante la saisissait à la gorge.
Dès que leurs peaux entrèrent en contact, la même vision les frappa. Main dans la main, ils étaient entourés d'une brume blanche irradiant une lumière irréelle.
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