La suite de la cérémonie se déroula comme dans un rêve – ou plutôt un cauchemar – pour Lihanna. Elle ne faisait plus vraiment attention à ce qui se passait autour d'elle depuis qu'elle avait rejoint l'estrade et l'équipe de Liam. Elle ne pouvait s'empêcher de fixer le jeune homme qui lui tournait le dos et elle avait ainsi pu remarquer qu'il était particulièrement tendu. Il n'arrêtait pas de serrer et desserrer ses poings et quand il tournait un peu la tête, elle pouvait voir sa mâchoire se crisper.

Quoi qu'il en soit, il y eut tout de même une bonne nouvelle pour elle au cours de cette interminable matinée. Connor avait été choisi comme représentant des Fils de la Terre pour intégrer son équipe. Même s'il n'était pas forcément ravi d'avoir son propre frère pour lieutenant.

Quand toutes les équipes furent constituées, le général prit congé. Avant cela, il leur précisa que les lieutenants allaient les conduire dans leurs dortoirs pour qu'ils y déposent leurs affaires.

— Une fois que cela sera fait, dit-il pour terminer, vous vous rendrez directement au réfectoire pour prendre votre repas.

Après son départ, les différentes équipes commencèrent à se diriger vers la sortie. Lihanna suivait le mouvement, perdue dans ses pensées, quand quelqu'un la retint par le bras. Aussitôt, une légère décharge électrique lui traversa le corps à l'endroit où Liam venait de poser ses doigts.

— C'était quoi ça ? demanda-t-il en retirant vivement sa main.

Et comment veux-tu que je le sache ? Après tout, c'était la première fois pour elle aussi.

— Je... je ne sais pas, se contenta-t-elle de répondre en fixant son bras. Peut-être la manifestation du lien quand nos peaux n'entrent pas directement en contact ?

Ah ben oui, après tout ! Cela pouvait sembler logique. Comme ils ne se touchaient jamais en règle générale, ils n'avaient pas encore eu l'occasion d'expérimenter toutes les facettes de leur stupide lien.

Pour étayer sa théorie, elle décida de poser sa paume contre son torse. Aussitôt, elle sentit Liam tressaillir et perçut dans sa main le picotement de la décharge.

Super... manquait plus que ça !

Pour être honnête, cela ne faisait pas mal et c'était même plutôt... agréable. Un peu comme si on vous caressait légèrement le bras, tout doucement comme une plume ou des ailes de papillons et que cela provoque en vous des frissons bien sympathiques. C'était... vraiment... bizarre. Mais elle avait toujours beaucoup aimé cette sensation. Bien sûr, c'était un peu troublant – et énervant – que cela se produise quand elle le touchait lui. Toutefois – au risque de se répéter – c'était vraiment plaisant et... et il ne l'avait toujours pas repoussée.

Elle leva aussitôt les yeux vers lui en prenant conscience de cet état de fait et quelle ne fut pas sa surprise de voir que – par les Quatre ! – il la fixait avec une expression qui... on aurait presque dit qu'il...

Ah non, non, non ! Arrête ça tout de suite !

Non, le regard de Liam ne signifiait pas qu'il avait une furieuse envie de l'embrasser là, maintenant, tout de suite. Non, il n'avait sans doute pas envie de lui arracher tous ses vêtements, de la plaquer contre un mur et de lui faire l'amour dans un élan de passion incontrôlable et débridé. Et elle non plus d'ailleurs ! Elle n'avait pas et n'aurait jamais envie de s'envoyer en l'air avec cette espèce de...

Mais, bon sang ! STOP !  Que lui arrivait-il ?Comment des idées pareilles avaient bien pu lui traverser – même pour une nano seconde – l'esprit ? Le coup qu'elle avait reçu hier avait quand même dû laisser quelques séquelles parce que, franchement, elle commençait à sérieusement délirer. Il fallait absolument qu'elle se reprenne. Ou qu'elle aille consulter un psy.

Mais – même si sa santé mentale était en train de sérieusement dérailler – elle n'avait pas envie de retirer sa main. D'autant moins quand elle sentit sous ses doigts les muscles du jeune homme se contracter, les battements de son cœur s'accélérer et sa respiration se faire hachée et irrégulière.

Par les Quatre... Elle...

Se souvenant brusquement qu'ils se trouvaient toujours dans l'amphithéâtre, elle retira vivement sa main et sa petite bulle d'illusion explosa aussitôt.

Secouée par cette expérience perturbante, elle eut au moins la satisfaction de voir que Liam semblait légèrement perturbé, lui aussi. Son visage semblait un peu moins crispé qu'habituellement. Cela ne dura pas longtemps. Il reprit rapidement contenance et se racla la gorge.

— Putain... qu'est-ce que t'as encore foutu ?

Euh... Et vlan ?

Elle prit sa remarque comme une gifle. Elle qui venait de vivre une expérience agréable – quoique légèrement perturbante – se retrouva directement propulsée dans la réalité. Une réalité où l'homme qui se tenait en face d'elle pensait qu'elle n'était qu'un petit moustique agaçant qui avait choisi de venir sur cette planète pour tourner sans arrêt autour de sa tête et lui pourrir la vie.

Mais bordel ! Qu'est-ce qu'il croyait ? Que ça l'éclatait de se prendre constamment la tête avec lui ? Qu'il était le seul à être la victime dans cette histoire ? Que c'était elle qui contrôlait toutes les choses merdiques auxquelles ils étaient confrontés ?

Eh bien, elle avait un scoop. Non, pourrir la vie de Liam n'était absolument pas le but ultime de la sienne. Elle avait d'autres ambitions.

Blessée, elle tourna les talons pour rejoindre les autres. Liam la rattrapa.

— Attends, fit-il un peu surpris. Qu'est-ce qui te prend de t'en aller comme ça ?

Non mais sérieux ? Il se foutait d'elle ?

Elle chercha quelque chose d'intelligent à répliquer – après tout, elle était bien plus qu'un simple petit moustique agaçant – mais sans attendre sa réponse, il enchaîna.

— Je voulais simplement te dire, au cas où tu te poserais la question, j'ai déjà fait tout ce qui était en mon pouvoir pour te changer de groupe.

Et re-vlan... Était-il réellement obligé d'insister sur le fait que le seul but de sa vie à lui était de se débarrasser d'elle ? Mortifiée et furieuse contre elle-même d'avoir imaginé une relation plus radoucie avec lui, elle sentit ses bonnes résolutions concernant la politesse fondre comme neige au soleil.

— Sans déconner, répliqua-t-elle cinglante.

Oui, oui... Pour la réplique intelligente, il faudrait repasser. Mais, à vrai dire, la boule qui s'était formée dans sa gorge l'empêchait de lui exposer plus précisément le fond de ses pensées.

Au moins, Liam ne semblait pas avoir compris qu'il avait réussi à vraiment la blesser pour une fois. C'était peut-être mieux ainsi. Elle n'aurait pas supporté de voir son sourire triomphant l'enfoncer davantage et finalement – le fait qu'il la regarde comme si elle sortait d'un hôpital psy – était beaucoup plus gérable pour son égo meurtri.

— Mais bon sang, Mac, lâcha-t-il incrédule, qu'est-ce qui te prend à la fin ?

Ne sachant pas elle-même – soyons honnêtes – ce qui lui prenait vraiment, elle se contenta de le foudroyer du regard. Puis, devant son air abasourdi, elle tourna les talons et partit rejoindre les autres membres de l'équipe.

— Eh bien, s'amusa Connor quand elle vint se placer à ses côtés, je sens que cette année va être bien plus intéressante que je ne le pensais...

Heureusement pour elle, la suite de la journée lui réserva tout de même de bonnes surprises. L'une d'entre elle – et pas la moindre – étant qu'elle partagerait son dortoir avec sa sœur et Eiline. Folle de joie, cette dernière avait aussi eu la chance de se retrouver affectée dans la même équipe que Iain.

Lihanna commençait d'ailleurs à se dire que sa famille avait bénéficié de pas mal de coups de bol depuis le début de la journée. Peut-être l'élection de son père y était-elle pour quelque chose ? Les enfants Kerid'El'Wen avaient-ils eu droit à un traitement de faveur ? En plus, la quatrième fille de la chambre était l'une de ses coéquipières. Elle s'appelait Dilys Pal'Comgal et était originaire de Pa'Auro. Avec ses grands yeux noirs plein de douceur et son sourire communicatif, Lihanna l'avait tout de suite trouvée sympathique.

Toutefois... autant de chance, cela commençait à devenir louche.

Quoique... Elle se rappela subitement que – quand même – son lieutenant, c'était Liam. Et que pour le coup, ça, ce n'était vraiment pas de bol.

Bref.

Leur chambre était immense et d'un blanc immaculé. Composée de deux lits superposés, les filles disposaient également d'une armoire et d'un bureau pour chacune et une petite salle d'eau attenante leur était réservée.

Et heureusement ! Parce que les couloirs dans lesquels se trouvaient les dortoirs étaient mixtes et Lihanna comprit rapidement que chaque étage abritait les équipes de cinq lieutenants. Dans le sien se trouvaient donc réunis les groupes de Liam et Kenneth, mais aussi ceux de Morgane Niven et de deux autres lieutenants dont elle n'avait pas retenu les noms. Chacun de ces officiers bénéficiaient d'ailleurs de sa propre chambre avec là aussi une salle de bain privée.

Bon... L'architecte de la Garde était peut-être un bourrin dénué de tout sens artistique, mais au moins il avait eu le sens pratique, c'était déjà ça. Partager sa douche et ses toilettes avec trente autres personnes aurait été un peu compliqué à gérer.

Quoi qu'il en soit, une fois tout le monde installé, ils furent invités à se rendre au réfectoire. L'immense salle était à l'image du reste de la Garde – triste et froide – mais au moins, la nourriture n'était pas si mauvaise. On pouvait s'installer où l'on voulait autour de grandes tables en bois blanc qui pouvaient accueillir une dizaine de personnes. Apprentis et officiers déjeunaient au même endroit. On leur avait vaguement expliqué que c'était pour renforcer la cohésion et la solidarité au sein de la Garde. Lihanna ne comprenait pas vraiment en quoi cela pouvait aider, d'autant plus que les gradés ne se mélangeaient pas vraiment avec les jeunes élèves. Le général et les colonels disposaient quant à eux, de leur propre salle à manger.

Le reste de la journée se déroula sans aucun fait notable. On leur fit visiter les bâtiments où se trouvaient les salles de cours et d'entrainement, on leur distribua leur emploi du temps. Lihanna nota avec satisfaction que les classes étaient constituées en fonction de l'étage où se trouvait votre chambre. Elle suivrait donc ses cours avec sa famille et ses amis. On leur présenta également leurs différents professeurs. Au cours de ces présentations, elle eut la surprise de reconnaître deux personnes qu'elle avait vues lors du bal du couronnement. Il s'agissait de Brianna et Jack Laserian qui – a priori – étaient les assistants de leur professeur de magie du Feu. Brianna sembla la reconnaître et lui adressa un petit signe de tête. Lihanna ne sut pas trop comment l'interpréter. Elle nota également – et elle était loin d'être la seule – que Jack Laserian était vraiment agréable à regarder. Leurs regards se croisèrent plusieurs fois au cours de la présentation et elle en eut à chaque fois des frissons.

Mouais... Passer du temps avec ce beau Sorcier pourrait s'avérer fort agréable. Bon, surtout si on faisait abstraction du fait qu'il fronçait les sourcils à chaque fois qu'il la regardait. Cela devait être un tic nerveux. Quoi d'autre ?

À la fin de la journée, Lihanna était épuisée. Elle n'avait qu'une envie, se glisser dans ses draps et sombrer dans l'inconscience. Sa tête lui faisait toujours un mal de chien.

Les autres avaient décidé de passer un peu de temps dans la salle commune de leur étage pour faire plus ample connaissance, mais c'était tout simplement au-dessus de ses forces. Elle s'excusa auprès de ses amis et s'empressa de regagner sa chambre où elle s'effondra sur son lit telle la loque humaine qu'elle était et sombra dans un profond sommeil.

Elle ne remarqua même pas que quelqu'un l'avait suivie et que cette personne était restée là quelques minutes, à la regarder dormir, tapie dans l'ombre.

****

Assis derrière son bureau quelque part dans les bâtiments de la Garde, l'homme en rouge était plutôt satisfait de sa journée. Les trois enfants Kerid'El'Wen se trouvaient sous le même toit que lui et la sécurité qu'on avait déployée autour d'eux n'était pas aussi drastique qu'il ne l'avait craint. Ils avaient certes été tous regroupés au même endroit et ils étaient entourés de personnes de confiance, mais il n'aurait aucun mal à les approcher lui-même.

Ici, il était un membre respecté de la Garde d'Hériale et personne, à part ses alliés, ne soupçonnait son appartenance à une faction extrémiste des Sang-Purs.

Un petit sourire s'épanouit aux coins de ses lèvres et c'est avec une confiance renouvelée qu'il trempa sa plume dans l'encrier pour écrire à son chef une lettre dans laquelle il lui indiquait que sa mission allait bientôt être couronnée de succès.