Attraction (Partie 2)

Assis dans la salle de pause réservée aux lieutenants, Liam était en train de finir le programme prévu pour l'entraînement des apprentis la semaine suivante. Même si c'était son jour de repos, il prenait son rôle de formateur très au sérieux. Il avait vraiment envie que son équipe soit la meilleure.

Son ambition était de monter les échelons au sein de la Garde et de consacrer sa vie à la défense de la population du royaume d'Hériale. Il ressentait dans tout son corps, dans tout son être qu'il était né pour ça. Si on lui avait un jour demandé de se définir, il aurait répondu sans le moindre doute : je suis un soldat.

Il savait que son royaume n'était pas à proprement parler en guerre, mais la menace représentée par les Sang-Purs extrémistes était bien réelle. Ces gens-là n'hésitaient pas à tuer pour leurs idées et Liam en était bien conscient.

Voilà pourquoi, depuis plusieurs mois, il enquêtait sans relâche pour essayer de démanteler une cellule apparentée aux extrémistes qui sévissait au cœur même de la Garde. C'était le général Brewal lui-même qui lui avait confié cette mission et cela le remplissait de fierté.

Alors oui, il savait qu'il passait parfois pour un connard prétentieux aux yeux de certaines personnes qui ne le connaissaient pas. Mais – à vrai dire – il s'en fichait pas mal. Il était peut-être – trop – sûr de lui, mais il y avait une bonne raison à cela. Toutes les louanges qu'il avait reçues, il les méritait. Il pouvait bien s'en vanter un peu !

Il avait bossé comme un malade pour en arriver là. Il avait appris avec acharnement toutes les techniques possibles et imaginables sur la stratégie militaire et le renseignement. Et tous les jours, depuis qu'il était enfant, il s'entraînait comme un forcené pour être le meilleur guerrier qui soit.

Alors, que tous ses sacrifices aient enfin porté leurs fruits et que le général en personne s'en aperçoive... Eh bien, tout ça n'était pas dû au hasard ! Il le méritait amplement ! Et il n'avait pas à s'en vouloir parce qu'il savait ce qu'il voulait et qu'il était prêt à tout pour l'obtenir.

Oui ! Il méritait la confiance que lui avait témoignée le général.

Enfin ça, c'était le mantra qu'il se rabâchait sans cesse depuis plusieurs jours. Parce qu'à vrai dire, depuis qu'elle était réapparue dans sa vie, il n'était plus sûr d'en être toujours digne. Et l'explication de cette remise en question était toute bête : Lihanna le rendait dingue et il avait du mal à se concentrer sur sa mission.

Oh bon sang ! Cette petite peste avait toujours eu le don de le mettre en colère, mais là, c'était légèrement différent. Pour être honnête, s'il pensait autant à elle en ce moment, ce n'était pas seulement parce qu'elle venait d'envahir son cadre de vie. Non.Le problème venait aussi du fait qu'il n'arrivait tout simplement pas à l'ignorer complètement. Il ressentait une sorte d'attirance qui...

Oh bordel ! Il se trouvait pathétique.

Surtout que le plus grave dans tout ça n'était pas cet attrait purement physique – même si ça le mettait plutôt mal à l'aise et en colère vis-à-vis du traître qui se trouvait dans son pantalon – mais plutôt ces espèces d'émotions contradictoires qu'il éprouvait pour elle.

La première, c'était la peur panique qu'il avait ressentie en la voyant allongée sur le sol, inconsciente, après son agression. Il ne comprenait toujours pas le torrent d'émotions qui l'avait assailli à ce moment-là et franchement, il n'en avait pas vraiment envie. Ni l'immense soulagement qui l'avait submergé lorsqu'il avait compris qu'elle ne risquait plus rien.

Il savait bien que, malgré le nombre incalculable de fois où il l'avait menacée de la tuer ces dernières années, il ne souhaitait pas véritablement sa mort. D'une, parce qu'il n'était pas un sociopathe cinglé et de deux, parce qu'il pensait aussi qu'elle était l'une des Trois qui sauverait son monde. Il avait besoin d'elle en vie. Sa réaction était donc logique et pragmatique, ce qui aurait dû le réjouir ou au moins le rassurer. Mais... comment expliquer ce qu'il avait ressenti en la voyant dans les bras de Connor l'autre nuit ?

Il se souvenait parfaitement qu'à ce moment-là il avait clairement et simplement eu envie de tuer son frère. Et ça, ce n'était pas du tout logique. Tout comme le fait que sa colère était bien plus forte que celle de Duncan, l'amoureux transi de Liha.

Oh bordel ! C'était tout... ça – toutes ces pensées parasites – qui l'empêchait de se concentrer sur sa mission. Et tout ça, justement... C'était de sa faute à elle et ce foutu lien magique qui allait finir par le rendre complètement cinglé !

Liam secoua la tête, frustré. Depuis quand avait-il des conversations si niaises avec lui-même, d'ailleurs ?

— Ben alors, Ruadhan, tu t'es enfin décidé à refaire la déco de cette salle de pause ? De la gravure sur bois... c'est un choix audacieux, tu ne trouves pas ?

Surpris, Liam releva brusquement la tête en arrêtant de creuser machinalement de profonds sillons sur sa table de travail avec son stylet en métal. Agacé de s'être laissé distraire par des pensées complètement inutiles, dignes d'un adolescent fleur bleue, il leva vers son interlocuteur un regard hargneux.

— Va te faire foutre, Jack, maugréa-t-il. Qu'est-ce que tu veux ?

Jack éclata de rire avant de lever les mains en signe de reddition.

— Te faire un petit coucou ?

Liam leva les yeux au ciel.

— Ha, ha, ha... Il n'empêche, même si tu me fais mourir de rire, je réitère : qu'est-ce que tu fous réellement ici ?

Jack soupira, mais conserva son air amusé.

— Sérieusement Liam, ça va ? Ça fait un bail que je ne t'ai pas vu d'humeur aussi massacrante.

Pour toute réponse, Liam lui adressa un magnifique doigt d'honneur. Jack ricana.

— Cela aurait-il quelque chose à voir avec une certaine Faë aussi charmante qu'insupportable ?

Que... Quoi ?! Mais pas du tout !

Son ami commençait à l'emmerder.

— Je ne vais tout même pas parler d'une autre fille avec toi alors que je sors avec ta sœur, répliqua-t-il avec un petit sourire arrogant.

Pour le coup, Jack éclata franchement de rire.

— Mouais... approuva-t-il avec une moue dégoutée. Et puis, je n'ai pas franchement envie de parler filles avec toi. Je trouve ça bizarre quand tu laisses ressortir ton côté sentimental.

Liam secoua la tête et se détendit.

— Bon alors, reprit-il au bout de quelques instants, qu'est-ce que tu fiches ici, Jack ?

Redevenu sérieux lui aussi, son ami regarda rapidement autour de lui pour s'assurer que personne ne les écoutait.

— Je venais juste voir si tu avais avancé dans notre enquête ?

En plus d'être son meilleur ami, Jack était aussi son coéquipier sur la mission que le général Brewal lui avait confiée. N'étant pas à proprement parler un guerrier – bien qu'il soit un combattant redoutable – Jack enquêtait plus précisément auprès de ses collègues professeurs de magie. En tant qu'assistant du Sorcier qui enseignait la maîtrise du Feu, il avait pu intégrer le cercle fermé des intellectuels de la Garde. Chose pas forcément aisée puisque ces derniers méprisaient un peu les personnes qui préféraient faire usage de l'acier plutôt que de leurs pouvoirs. Liam aurait eu beaucoup de mal à gagner leur confiance. Et puis, Jack avait également une certaine aura auprès de ces intellos prétentieux. Étant le plus doué des Sorciers de sa génération, ils le respectaient.

Soulagé de revenir sur un sujet qu'il maîtrisait mieux que les histoires de cœur, Liam secoua la tête.

— Pas vraiment, admit-il en soupirant. Je n'ai pas encore eu le temps de m'en occuper cette semaine, avec les cours à mettre en place, la gestion de la protection des Kerid'El'Wen et...

Il allait ajouter « et Lihanna », mais il se reprit à temps.

— Et toi ?

— Pareil de mon côté, répondit Jack en haussant les épaules. Après... Nous venons juste de commencer les investigations et je doute que repérer directement des extrémistes soit si facile que ça. Quelque chose me dit qu'ils sont bien plus malins que ces espèces d'abrutis qui claironnent sur tous les toits que le métissage est une chose contre-nature et qui prônent la suprématie des races nobles.

Jack avait craché ces derniers mots avec mépris. Pourtant, en tant que Sorcier, son ami faisait partie de ces races nobles dont parlaient les Sang-Purs modérés.

Ces derniers étaient de plus en plus nombreux dans la société hérialienne. Il s'agissait souvent de haut-dignitaires richissimes et hautains qui ne se gênaient pas pour mettre en avant la suprématie de leur race. Mais leurs discours restaient dans la limite du politiquement correct et ils n'appelaient pas non plus aux meurtres. Néanmoins, Liam ne pouvait ignorer que leurs discours démagogiques avaient souvent tendance à exacerber la haine des plus crédules.

Rien à voir toutefois avec les groupuscules extrémistes que Jack et lui devaient débusquer et qui cachaient soigneusement leur identité pour pouvoir agir en toute discrétion, là où on les attendait le moins.

Quoi qu'il en soit, Jack et Brianna Laserian venaient d'une de ces vieilles familles hérialiennes qui adhéraient plus ou moins à l'idéologie Sang-Pur. Mais contre toute attente, les amis de Liam avaient totalement pris le contre-pied de l'éducation un peu rigide de leurs parents. Et Jack ne se gênait pas pour leur faire savoir.

Liam se souvenait très bien de la fois où Jack avait présenté à ses parents ses deux petites amies Métisses. Il avait bien cru que le père de son ami allait faire une crise cardiaque et que sa mère allait tourner de l'œil.

— Je suis d'accord avec toi, répondit-il à Jack au bout de quelques minutes. Je pense qu'il ne faudra pas compter sur une erreur de leur part. Comme toi, je pars du principe que tous les Faës, tous les Sorciers et tous les Métaïrs de la Garde sont potentiellement coupables.

— Mouais... soupira son ami. Cette année s'annonce comme une partie de plaisir...

Liam discuta encore quelques instants avec Jack de ce qu'ils comptaient mettre en place pour démasquer ces extrémistes, puis son ami finit par se lever pour prendre congé et Liam se replongea dans ses cours pour apprentis.

— Au fait, lui lança Jack avant de franchir la porte de la salle de pause, j'espère que tu n'as pas oublié que le pot de bienvenue avait lieu ce soir ?

Hein ?

Et merde... Il avait effectivement zappé le pince-fesse de ce soir.

Comme hurler ou pleurer était totalement exclu, il se contenta de hocher la tête et de se remettre au travail. 

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