Aedan (Prologue)
La Terre sept ans plus tôt, jour de l'équinoxe d'automne.
— Je respecterai ma promesse, capitula-t-elle à la fin de la conversation. Mais je te préviens Aedan, ajouta-t-elle en agitant un index menaçant sous son nez, je pars avec vous.
****
Six paires d'yeux le fixaient avec curiosité. Bien qu'il ait passé ces dix dernières années à s'imaginer la façon dont cette journée se déroulerait, Aedan n'avait pas le souvenir d'avoir envisagé pareil scénario. Et puis – pour être honnête – quand il disait curiosité pour décrire la façon dont ses interlocuteurs le dévisageaient, c'était surtout pour minimiser l'impact que ces yeux scrutateurs avaient sur son inébranlable confiance en lui. Parce qu'en vérité, les seuls à le regarder avec curiosité étaient Iain, Erin et Lihanna, ses trois enfants. Et même si trois sur six était un bon score, il devait bien avouer que c'était surtout le regard que les trois adultes restants portaient sur lui qui le mettait – légèrement – mal à l'aise. Et malheureusement, pour ce qui était de ces derniers, on pouvait plus vraisemblablement parler de froids regards suspicieux, plutôt que d'avides prunelles empreintes de curiosité bienveillante.
Alors oui, oui... C'était un peu pitoyable comme description, mais il avait toujours eu beaucoup de mal à trouver les mots justes quand il était nerveux et ce, même quand il se parlait à lui-même.
Enfin bref. Tout ça pour dire que ce n'était absolument pas de cette façon qu'il avait imaginé ses retrouvailles avec sa famille.
Encore une fois, il n'était pas certain que le vocabulaire qu'il venait d'employer soit le bon. À vrai dire, en ce qui concernait ses enfants, il s'agissait plus exactement de rencontre, plutôt que de retrouvailles à proprement parler. En effet, la dernière fois qu'il les avait vus, les triplés commençaient tout juste à grandir dans le ventre de leur mère. Et aujourd'hui, ils fêtaient leurs dix ans.
En pensant à cela et à toutes ces années perdues, Aedan ressentit la chape de tristesse désormais familière se répandre – comme à chaque fois – dans tout son être. Il secoua la tête pour tenter de chasser ces pensées déplaisantes et reporta son attention sur la jeune femme aux cheveux roux et aux yeux verts qu'il avait aimée – et qu'il aimait encore – comme un fou. Il eut à nouveau un pincement au cœur quand il comprit qu'elle ne lui faisait pas encore complètement confiance malgré la conversation – plutôt houleuse au départ, il fallait bien l'avouer – qu'ils avaient eue quelques heures plus tôt, quand il était réapparu dans sa vie.
Néanmoins, au terme de cette dispute où tous deux avaient compris qu'ils venaient de gâcher dix ans de leur vie à cause d'une foutue fierté mal placée et d'un stupide malentendu, Eana avait fini par accepter d'honorer la promesse qu'elle lui avait faite des années plus tôt. Et l'état émotionnel d'Aedan était encore en train d'osciller entre le soulagement, la joie, la colère ou la dépression nerveuse. Après tout, il avait toujours été d'un naturel plutôt intense en ce qui concernait ses sentiments.
Quoi qu'il en soit – pour en revenir à ce qui l'intéressait avant de partir dans ses satanées digressions – il n'avait jamais envisagé que ces retrouvailles ressembleraient autant à cette espèce d'interrogatoire ridicule. Non. Lui, il avait plutôt imaginé se retrouver seul avec ses enfants – avec éventuellement une Eana faisant les cent pas dans la pièce d'à côté – pour pouvoir leur expliquer qui il était et ce qu'il faisait ici. Il n'avait donc jamais pensé qu'il lui faudrait en plus passer par l'approbation de « granny Enora » et « tonton Allan » – puisque c'était ainsi que ses enfants appelaient la vieille femme aux cheveux argentés et aux yeux bleu marine, ainsi que le type aux cheveux et aux prunelles noires. Pourtant, Aedan savait qu'Enora n'était pas réellement la grand-mère des triplés, pas plus qu'Allan n'était leur oncle. Mais Eana lui avait bien spécifié qu'ils étaient sa famille – même s'ils ignoraient tout de l'identité du père des triplés – et qu'ils étaient donc en droit aujourd'hui, de tout savoir eux aussi. Que de toute façon, il avait plutôt intérêt à lui promettre que ces derniers feraient toujours partie de sa vie et de celle des enfants, parce que sinon, il pouvait tout de suite oublier et « se mettre où je pense » la promesse qu'elle lui avait faite. Alors, même s'il n'était pas certain d'avoir saisi toute la subtilité de l'expression qu'elle avait employée, il pensait tout de même en avoir compris la teneur essentielle et il avait accepté de tout leur expliquer. Malheureusement, vu la réaction d'Allan et Enora – alors qu'il était seulement parvenu à décliner son identité – il n'était pas sûr de parvenir à la fin de son récit dans le peu de temps qui lui était imparti.
Bon, à vrai dire, il aurait peut-être pu éviter de commencer son histoire en se présentantde façon si peu diplomate. Parce que face à ces six paires d'yeux qui le fixaient avec curiosité, il regrettait un peu son très protocolaire : « Aedan Kerid'El'Wen, père des triplés. Enchanté de vous rencontrer. »
C'était peut-être un tantinet trop direct comme entrée en matière. Bien sûr, cela lui avait fait une belle jambe de le constater au moment où Allan avait bondi de sa chaise en le traitant de tous les noms et en le menaçant de le foutre dehors s'il ne s'en allait pas de lui-même. Voilà pourquoi il avait un peu de mal à reprendre son récit. Il préférait tourner plusieurs fois sa langue dans sa bouche avant de continuer. Parce que là, le bonhomme aux cheveux noirs s'était peut-être calmé grâce à l'intervention d'Eana, mais Aedan savait bien qu'il était toujours tendu comme un ressort, prêt à lui sauter dessus. Et il n'avait absolument plus le temps d'être interrompu. Malheureusement, il n'était pas non plus certain que la mère de ses enfants apprécie particulièrement qu'il assomme son ami pour pouvoir continuer son récit. Or, c'était précisément ce qu'il ferait si Allan avait la fâcheuse idée de lui sauter dessus la prochaine fois qu'il dirait quelque chose qui lui déplairait. Et vu ce qu'il s'apprêtait à leur révéler, Aedan avait l'intuition que le tonton de ses enfants n'allait pas tarder à se retrouver bientôt dans le coma...
****
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top