8- Pinocchio
— Je t'ai laissé cette armoire pour ranger tes affaires, cette étagère pour tes livres et ce bureau. Bunbun n'a pas d'allergies alimentaires ? J'ai essayé d'en discuter avec lui, mais il est plus muet qu'un rocher. Tu penses qu'il ne m'aime pas ?
La chambre, ou plutôt le côté de Myrtille, brillait d'une propreté hallucinante. Roxanne n'en revenait pas. Comment une personne possédant autant de vêtements et d'ouvrages avait réussi à tout ranger en si peu de temps ? Comment des armoires aussi hautes étaient-elles passées par la porte ?
— Euh...Tu sais parler avec les animaux ?
Ce n'était pas la première fois que Roxanne croisait une détentrice de ce don. Sherwood, son village d'enfance, accueillait régulièrement des diseuses de bonnes aventures capables de communiquer avec des rats ou des lézards. Toutefois, il s'agissait toujours de vieilles femmes que Rory soupçonnait d'escroquerie pour impressionner les passants. Selon lui, il fallait des années pour comprendre ne serait-ce que le ronronnement d'un chat. Même une fée avait besoin de temps pour s'y initier.
— Très peu, ma dernière préceptrice me l'a appris. Je pense qu'elle a voulu me faire plaisir; puisque je baillais durant ses cours, elle a dû penser que l'histoire du pays des fées ne m'intéressait pas. Ce qui est faux, bien sûr ! Qui n'aimerait pas connaitre en détail comment le premier roi des fées est monté sur le trône, ou encore la date du fameux festin qui a suivi et empoisonné tous ses enfants, un par un ? Ha Ha, vraiment, il n'y a rien de plus passionnant.
Roxanne la dévisagea, perplexe avant de comprendre deux choses : primo, Myrtille ne savait pas mentir, secondo, quand elle essayait, c'était pire.
— Tu n'as pas appris la zoologie avec une préceptrice, pas vrai ?
— Si...répondit-elle en étirant le i.
— Non. Et tu te sens obligée de noyer d'informations tes interlocuteurs.
A ces mots, la jeune fée blêmit.
— Ça ne faisait pas naturel, c'est ça ? Mon grand frère affirmait que c'était le meilleur moyen de mentir. Mais j'imagine que...je m'y prends mal.
Roxanne supposa un instant que son frère s'était simplement payé sa tête, or elle refusa d'enfoncer sa camarade de chambre. Elle paraissait suffisamment déçue comme ça. Soudain, elle releva le menton, un éclat de génie dans les yeux.
— Mais toi, tu pourrais m'apprendre ?
— T'apprendre ?
— A mentir. J'ai besoin d'y arriver !affirma-t-elle !
Comme Roxanne ne répondit pas face à sa proposition, elle se permit de préciser.
—Ma famille fait partie de la haute noblesse féerique. Ce n'est secret pour personne, personne n'est rose dans ce milieu. Pas même les Rose-Liege. Ils n'ont pas mauvais fond, je t'assure, et j'ai envie de les protéger.
Cette fois, Myrtille ne mentait pas. Comme beaucoup d'élèves de l'académie, sa lignée expliquait les nombreux vêtements qui s'entassaient dans sa penderie.
— C'est assez difficile d'apprendre à mentir. Mais, tu n'as qu'à t'entrainer avec moi. On va faire un jeu : deux vérités, un mensonge. Si je devine le mensonge alors il faudra que tu t'entraines.
Un sourire rayonna sur le visage de sa colocataire qui se prit immédiatement au jeu. Un élan de fierté gonfla dans la poitrine de Roxanne. Après son entrevue avec Clarisse et la directrice, elle avait besoin de se sentir utile, à sa place. Sans le savoir, sa colocataire lui en donnait l'opportunité.
— Hum...Je sais coudre sans les mains, j'ai eu une mygale de compagnie, une énorme et toute poilue, et euh...j'ai déjà vu le palais royal.
— La mygale, n'hésita pas Roxanne, tu ajoutes trop de détails dans tes mensonges, ça te rend suspecte.
— Oh, maintenant que tu le dis...
Tout en rangeant ses blouses, ses chemisiers et ses robes pourpres, Roxanne attendit de Myrtille un nouveau mensonge. Or le jeu s'arrêta bien vite. Après avoir prétendu être une danseuse hors pair, n'avoir jamais mis un pied dans le pays des sorcières, ou encore être déjà tombée amoureuse d'un homme dragon, la jeune fée s'était concentrée sur son animal domestique. Et Roxanne sur ses valises.
— Donc, tu sais coudre sans les mains ?
— Oui, ma préceptrice—pour de vrai cette fois— me donnait des cours de lévitation. J'ai même recousu ton uniforme, fit-elle en pointant du doigt le vêtement. Un morceau de verre l'avait déchiré.
Ce fait arracha à la jeune sorcière une grimace. Lorsque le prince avait renversé son chariot, ses lotions de beauté avaient explosé sur ses cours et ses uniformes. Par chance, le liquide carmin qui les remplissaient s'en allait à l'eau de lune, un détergeant qu'Alissa avait glissé dans son baluchon juste avant qu'elle ne s'en aille.
— Au fait, qu'est-ce que tu penses du prince ? s'enquit Roxanne, se rappelant du ton cinglant qu'il avait pris face à elle. Je veux dire ça ne te fait pas bizarre de suivre les mêmes cours qu'une altesse ?
— Je ne sais pas trop. On dit qu'il est gentil et c'est un prince. Qui ne rêverait pas de côtoyer un prince ?
Elle se mit à fixer ses doigts, pour camoufler le rougeoiement de ses joues. Décidément, Myrtille n'excellait pas en mensonge.
— Moi non plus, je ne l'apprécie pas beaucoup, avoua la jeune rousse à mi-voix.
Elle s'empressa d'expliquer la raison, tandis que les mots du prince "les sorcières n'ont pas leur place ici" résonnaient encore le long de ses souvenirs. Quand elle eut terminée, Myrtille sembla sincèrement désolée pour elle.
— Il n'a rien fait pour gagner ton estime. Bien au contraire.
Cependant, il détenait d'un ordre le pouvoir de la renvoyer. Il pouvait briser la famille de fées bienveillantes comme Myrtille, ou faire construire une statue d'or à son effigie en plein milieu du hall d'entrée. Pensive, et une fois ses affaires rangées, Roxanne se jeta sur son lit, un carnet de notes à la main. Elle y entreposait ses poèmes.
Myrtille la rejoignit, portant dans ses bras Bunbun qui s'était enfin décidé à se montrer moins hostile envers elle—et ce même sans friandises. Sous le poids de ses ailes immenses, le matelas blanc s'affaissa.
— Tu crois qu'il mettra ses menaces à exécution ?
— Je suis certaine que non, la rassura la fée en attrapant à son tour le carnet.
Elle le déplia et en lut quelques pages, amusée. Dans son ancienne école, Roxanne avait l'habitude de lire à haute voix ses créations et son auditoire le lui rendait bien.
— Joli. Il y a un club d'écriture dans l'école : tu devrais t'y inscrire.
Pas pour le moment. Roxanne était déjà bien inquiétée par la charge de travail que lui avait promise madame Woodry. Myrtille reposa le carnet et se retourna vers elle :
— Ne t'en fais pas pour le prince. Si jamais il s'en prend à toi, tu as une alliée maintenant, lui sourit –elle.
Et Roxanne s'aperçut qu'elle ne mentait pas.
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