Son Altesse parti, plusieurs élèves s'attroupèrent autour de Roxanne pour lui porter secours. Sa tumultueuse rencontre avec le prince avait fait grand bruit et ses vêtements roulant dans les escaliers avaient retenu l'attention de quelques fées. Majoritairement des étudiants en troisième et quatrième année parmi lesquels elle reconnut Austin qui referma d'un sort la plus ample des mallettes.

- Je suis désolée, commença la sorcière alors qu'il l'accompagnait jusqu'à sa chambre. Tu as dû arrêter l'enregistrement des élèves à cause de moi.

- Ne dis pas ça, c'est un plaisir de t'aider, rétorqua -t-il sans trahir une grimace. On avait presque fini. En plus, c'est l'occasion pour moi de me dégourdir les ailes. Tu n'imagines pas depuis combien de temps j'étais assis sur cette chaise à parcourir la liste des nouveaux inscrits !

Roxanne pouffa de rire, et ils arrivèrent à destination. Chambre 101. Austin n'avait pas menti, la porte vitrée de la bibliothèque et l'un des murs de sa chambre se côtoyaient. Si elle le souhaitait, elle pourrait emprunter en pyjama un roman avant de descendre au réfectoire pour le petit déjeuner.

Le chariot s'arrêta et buta contre la porte de bois. Une gravure indiquait qu'elle partageait sa chambre avec une certaine Myrtille Rose-liège.

- Je dois te laisser, s'excusa Austin. Mais surtout, n'écoute pas ce prétentieux : tu vas briller dans cette école.

Il reprit le chemin inverse, tandis que Roxanne laissa flotter son poing par-dessus la poignée. Elle inspira. Quelqu'un de gentil, pria-a-t-elle en silence, gentil...comme Austin.

Or la porte s'ouvrit avant qu'elle ne le décide.

- La sorcière ! s'écria la fée, les yeux pétillants de paillettes.

Si les vampires rougissaient du regard pour exprimer leurs émotions, que les loups garous voyaient d'épaisses griffes jaillir de leurs mains, les fées, elles, étincelaient des pupilles. Le jour du second mariage de son père, Alissa était tellement aux anges, que ses larmes s'étaient colorées d'argent.

- Elle-même, répondit Roxanne, un peu mal à l'aise.

Sans crier garde, sa nouvelle colocataire l'attrapa par les avant-bras et l'emporta dans leur habitation. La sorcière hoqueta de surprise. Elle ignorait si toutes les chambres se ressemblaient dans ce château, mais la sienne lui parut d'un luxe incomparable. La pièce brillait grâce à sa peinture nacrée qui recevait de rayons éclatants depuis une immense fenêtre. Derrière elle, Myrtille avait déjà déroulé une échelle de cordes, aussi utile pour suspendre ses linges que pour prendre la poudre d'escampette.

- Combien de chances avais-je de partager la même chambre que toi ? s'enjoua-t-elle en tournant sur elle même. Je veux tout savoir sur toi. Qu'est-ce que tu manges le matin ? Est-ce que tu aimes les grasse-matinée ? Moi j'adore ! Même si d'après ce qu'on m'a dit, les cours commencent toujours très tôt. Je n'ai pas encore eu le temps de consulter mon emploi mais peut-être que toi, oui ! Oh mais suis-je bête ? Toi aussi tu viens d'arriver.

Myrtille... A choisir, Roxanne l'aurait plutôt nommée lavande ou prune puisque chez elle tout était mauve. Ses cheveux qu'elle avait noués en nattes, ses ailes qu'elle gardait repliées, sa robe faite des plus délicats pétales d'orchidées. Les dizaines de rubans qui l'habillaient de la taille aux couettes, et enfin ses paupières qu'elle avait teinté de fard violacée. Tout sauf ses yeux qui reflétaient l'océan.

- Si ça te convient, je prends le lit côté fenêtre, et je te laisse celui côté couloirs. Les deux sont de la même taille, mais Ragoût préfère avoir un moyen de sortir de temps en temps. Il est un peu claustrophobe.

Roxanne sourcilla.

- Ragoût ?

- Oui, sourit la fée, enthousiaste, mon Evanesse.

Les Evanesses avaient longtemps été surnommés mini-dragons, avant que le peuple des hommes-dragons ne s'offusque d'être associés à une bête aussi barbare. Evanesse le remplaça, en référence à l'ancienne reine des fées Evanessa, qui avait étouffé avec force une émeute de la part de ces irascibles créatures.

- Ragoût, viens dire bonjour à notre nouvelle amie !

Timide, le reptile sortit en trainant des pattes. Assorti à sa propriétaire, ses écailles luisaient de rose, d'orange et de violet. De la fumée noiraude éructa de ses narines, et ses pupilles noires se dilatèrent en apercevant Roxanne. Ou plutôt le lapin qu'elle tenait toujours dans ses bras. Il bondit, tout crocs dehors et... Myrtille s'interposa.

- Non, Ragoût ! Méchant Evanesse ! le gronda-t-elle en le tirant par ses ailes osseuses. On ne mange pas ses amis.

Confuse, elle se retourna vers Roxanne :

- Je suis désolée, avec l'inscription de ce matin, j'ai oublié de le nourrir. Il ne s'attaque pas aux animaux d'habitude. Au contraire, il est très câlin avec les autres bêtes à poils. La preuve, chez moi, nous avons un chaton de sable, des serpents, et des perroquets. Il n'en a jamais blessé un seul.

Elle s'était justifiée, comme si elle craignait que Roxanne ne s'enfuie à toutes jambes.

- Je crois que Bunbun n'acceptera pas beaucoup ses câlins.

Elle fit apparaitre dans ses doigts magiques de larges tranches de bacon et les tendit à son animal vorace.

- Je lui fabriquerai un dôme pour la nuit, expliqua-t-elle en pointant du menton l'adorable lapin. Ragoût a horreur de l'odeur de la menthe, ça le tiendra à distance, le temps qu'ils...apprennent à se connaitre.

Plutôt manger du bois que d'apprendre à connaitre ce barbare, semblait penser Bunbun en remuant les moustaches. Or dès que Myrtille lui tendit les bras pour le nourrir de dragées aux fruits, il changea aussitôt d'avis et accepta de se blottir contre elle.

Glouton !

- Tu as l'air de bien t'y connaître en animaux, lui sourit Roxanne, soulagée du poids qui lui ankylosait le bras gauche.

Elle s'assit sur son lit attribué et vérifia le confort du matelas en sautillant dessus.

- Je les adore. Plus tard, j'aimerais ouvrir ma propre animalerie. Si je me spécialisais en terre, peut-être que je pourrais...

- Pourquoi tu ne te spécialiserais pas en zoologie, tout simplement ?

Aussitôt, le sourire de Myrtille s'effaça.

- Chez moi, soupira-t-elle le nez dans son armoire, on est élémentariste ou rien. La zoologie pour les fées, c'est le signe d'un échec. Tu verras sur la brochure de l'école, il n'y a même pas de branches pour cette filière ici.

Roxanne n'osa pas insister. Alissa s'était elle-même spécialisée dans la zoologie. Mais pas par choix. Sans ses ailes, elle avait perdu foi en sa magie et ses notes avaient chuté. Même les arts culinaires, la voie qu'elle rêvait d'atteindre- et qu'elle n'avait pu effleurer qu'en quittant son pays natal-lui avait été refusée.

- Oh mais peut-être que tu te projetais dans cette spécialité ? s'alarma la douce fée. Je ne voulais pas paraître présomptueuse. C'est très noble de s'intéresser à l'étude des animaux, qu'on soit une sorcière, fée ou même un gentil crapaud...

En réalité, Roxanne n'avait jamais réfléchi à son avenir. Toutefois, elle savait que s'occuper d'un autre compagnon à poils que Bunbun ne lui plaisait pas. Il suffisait de croiser Rondin et ses débris de poils pour s'en convaincre. Beurk.

Depuis son plus jeune âge, elle s'était toujours concentrée sur une école prestigieuse, des résultats impeccables, sa réussite évidente...Mais après ? Elle voulait apprendre la magie, émerveiller le pays des sorcières, obtenir un poste au centre de recherche magique. Collaborer avec des ombrumes du monde entier, et...enfin changer le monde. Il ne lui restait plus qu'à comprendre comment y parvenir cette année.

« Mademoiselle Pumkin est attendue dans le bureau de la directrice, mademoiselle Pumkin est attendue dans le bureau de la directrice » tonna soudain une voix depuis les clairons vivants.

L'interpellée se raidit. Qu'avait-elle fait ? Naturellement, les paroles de l'odieux prince lui revinrent en mémoire. Aurait-il mis sa menace à exécution ?

Se pouvait-il qu'on la renvoie sur le champ ?

Les mains moites, le cœur battant, elle sortit de la chambre et s'aventura dans les couloirs vernis. Avec un peu de chance, elle parviendrait à se perdre encore un peu avant de trouver le bureau.