37- L'hirondelle Bleue(1/2)

Sherwood inspirait de la terreur à beaucoup de monde. On racontait que des bandits y trainaient, enlevaient des enfants, pillaient les riches et alimentaient les contes les plus terrifiants. Or ce n'était que des sornettes :  à part en son centre, la forêt profitait des éclats d'argent de la lune pour guider ses visiteurs...et aucun monstre n'y habitait. Hormis le grand –père d'Austin, s'était un jour moqué Fly, ce qui n'avait pas du tout plu à sa sœur.

Soudain, un piaillement fendit les airs : le groupe sursauta et  tous durent se baisser pour éviter l'oiseau aux longues ailes bleues qui planait vers eux. Des plumes se déposèrent sur leurs cheveux, et, dans la confusion ambiante, la longue-vue glissa des mains de Nolwenn avant de rouler sur le sol.

Le chemin s'estompa comme effacé d'un trait de gomme. La sorcière de l'ouest eut beau ramasser son bien et taper contre le rebord métallique, le mécanisme ne repartait pas.

— Fichue babiole !

La longue-vue les avait amenés jusqu'au cœur des bois de Sherwood, là où Roxanne s'était enfoncée une semaine plus tôt, soucieuse qu'un malheur ne soit arrivé au prince Fly. Aujourd'hui, elle y revenait, le souffle court, ses yeux fouillant chaque arbre dans l'espoir—ou la crainte— de reconnaitre celui qu'elle avait escaladé en sa compagnie.

Elle se rappela des prouesses de ce dernier et se mit à espérer qu'il soit parvenu à s'enfuir. Peut-être s'était-il caché ici, affamé, affaibli et dépourvu de magie, rassuré par ses souvenirs d'enfance qui l'avait tant conduit dans les bois.

Peut-être que Roxanne se fourvoyait.

Peut-être qu'ils n'étaient qu'au début de leur chemin,  que Fly se trouvait à des dizaines de lieues de là dans une tour construite par des dragons. Peut-être que la longue-vue avait voulu les mener à une passerelle enchantée qui les guiderait jusqu'au terrible royaume des vampires. Peut-être que ces barbares vidaient le pauvre fae de son sang, ou que des loups lui dévoraient les ailes. Peut-être était-ce déjà trop tard pour le secourir !

A cette pensée, la jeune sorcière secoua la tête, luttant contre les larmes qui menaçaient de quitter ses yeux turquoises épuisés. Percevant son trouble, Rory s'approcha d'elle et posa une main réconfortante sur son épaule :

— Il a de la chance d'avoir une amie comme toi. Et je suis sûre que lorsque nous le retrouverons, il te le dira.

Il l'embrassa sur la tempe et trottina à pas lents jusqu'à leur mère qui se battait si fort contre la longue vue que Roxanne craignit qu'elle ne la brise en mille morceaux.

— Je peux voir ? s'enquit-il.

— Je vais m'en sortir, soutint-elle. Une poussière a dû se faufiler dans le mécanisme ou bien elle doit être à cours de magie ou...

— Vous ne savez pas comment l'utiliser correctement ?

Nolwenn leva les yeux au ciel. Roxanne reconnaissait qu'elle et sa mère partageaient quelque chose : Rayman les irritait aussi bien l'une que l'autre. A se demander comment Rory avait pu sympathiser avec lui.

— Bien sûr que si ! grommela la cheffe d'état.

— Alors pourquoi l'avez-vous éteinte ? nota le nain, malicieux.

Il pointa du doigt l'anneau extérieur qui scintillait sous l'éclat de la lanterne que Rory tenait. Confuse, Nolwenn le déplaça d'un quart de tour et le sol se couvrit à nouveau de pavés d'or. En revanche, aucun chemin ne s'effila devant eux, ne laissant qu'une minuscule place ronde et tremblotante..

— Un quart de tour supplémentaire ? proposa Rory.

Encore une fois, sa mère refusa d'un signe de tête.

— Je ne l'ai pas éteinte —comme m'accuse ton ami—le dispositif de sécurité s'est enclenché.

— Ils l'ont vraiment fait ? s'étonna Rayman, toujours trop enthousiaste sur la situation. Quand je pense à l'argent que cette petite escapade va me rapporter !

— Si un article doit être fait, il sera écrit par Rory ! houspilla la dirigeante, et Roxanne devait bien avouer que son nouveau rôle lui seyait à merveille.

Toutefois, le nain-sorcier  ne se laissa pas intimider. Peu décidé à abandonner, il agita ses mains.

— Oui, oui bien sûr, écrit par Rory qui ne serait pas contre une petite collaboration avec son meilleur ami de toujours, sourit-il en se tournant vers le concerné.

Ce dernier haussa les épaules, laissant deviner que leurs ententes ne se limitaient pas à cette soirée.

— De toute façon, je ne préfère pas écrire quelque chose qui soit lié de près ou de loin à toi, nota -t-il, faisant briller un millier d'étoiles dans les yeux du second journaliste.

Et pour ne pas s'attarder sur le débat, il changea de sujet :

— A quoi sert le dispositif de sécurité ?

— La longue-vue est censée s'éteindre si une ombrume autre qu'une sorcière pose ses mains dessus.

Tout en se penchant vers ladite longue-vue que sa mère agrippait comme s'il s'agissait d'une bourse pleine d'or, Roxanne sourcilla :

— C'est possible ça ?

— Visiblement non, il n'est pas au point.

— A moins que Rorynounet et mini-citrouille n'aient du sang d'elfe et qu'ils ne nous l'aient caché, s'amusa le trublion du groupe, ce qui valut un nouveau lever de regard de la part de Nolwenn.

— Je suis sorcière pure sur au moins quatre générations. C'était...un peu l'argument phare de ma campagne.

Bien que Roxanne se demanda brièvement à quel point les habitants de l'Ouest pouvaient être stupides pour se laisser convaincre par un point aussi superficiel, elle préféra garder pour elle ses opinions politiques.

– Mais peu importe, il va falloir retourner au village et prendre un balai pour rejoindre Candy-Valley.

Situé à l'Est, Candy-Valley abritait les ingénieurs, inventeurs et architectes les plus doués du pays des sorcières. En lisant la gravure au pied de la longue-vue, Roxanne ne doutait pas que son inventrice ait installé son atelier là-bas. Cependant...

– C'est à deux heures d'ici ! s'étouffa-t-elle.

– Raison de plus pour partir maintenant.

– Ouuu nous pouvons la faire fonctionner ici, intervint Rayman d'une voix de maitre de cérémonie, grâce à la charmante et spectaculaire ...Roxaanne !

– Quoi ? hoqueta l'interpelée.

– Tu t'y connais en longue-vue ensorcelée, sourcilla sa mère en pivotant vers elle.

– Non, non, non, pas en longue-vue mais en magie de l'âme, oui. Elle est même très douée.

Les yeux de Nolwenn s'arrondirent comme des ballons, comme si pour la première fois, sa fille valait un peu plus qu'une rencontre trimestrielle et un chocolat chaud payé de quelques pièces de bronze.

– Qui te l'a apprise ?

Roxanne se sentit rougir. Une boule se noua soudain dans sa gorge. Sa mère risquait-elle de la dénoncer ? Le pays des sorcières n'avait pas interdit la sorcellerie...mais elle devait être surveillée, et on  ne pouvait pas vraiment dire que la jeune élève avait été encadrée lors de ses derniers essais...

– Le prince Fly...Peterfly.

– Un fae ?

– Il ne s'en servait pas...mais il était un excellent instructeur. Il voulait que je...réussisse.

Soudain, un flot de larmes plut sur ses joues. Pourquoi maintenant ? Personne ne lui avait annoncé le décès du prince et ils étaient sur le point de le retrouver. L'académie des brumes allaient la reprendre —grâce à l'intervention de Fly— et une fois la longue-vue remise en marche, ils n'auraient qu'à expédier une enveloppe magique au palais royal. Tout ira mieux, tout ira mieux, tout ira mieux...

Alors pourquoi ses pleurs ne se tarissaient pas ?

Rory fut le premier à la prendre dans ses bras, suivi de Rayman qui lui tapota sur l'épaule et de sa propre mère, qui bien qu'un peu maladroite se joignit à l'étreinte collective.

Lorsqu'ils se détachèrent tous, Roxanne allait un peu mieux. Fly, tu dois agir vite pour Fly. Elle sécha ses larmes et posa une main fébrile sur la longue-vue, que sa mère ne lâcha cependant pas. Elle se tourna ensuite vers Rayman :

— Tu penses que la sorcellerie pourrait la faire fonctionner de nouveau ?

— J'en suis même sûre. Il te suffit de la tenir droit devant toi comme une baguette magique et de fermer les yeux.

Si Nolwenn avait hésité à lui céder, le regard lourd de sens que lui adressa son fils parvint finalement à la convaincre. Elle sembla toutefois ne pas quitter l'artefact de ses yeux perçants.

— Il ne vaudrait mieux pas que tu t'en charges, nota Roxanne, la longue-vue en main et les yeux enfin secs. Tu es sans doute plus expérimenté que moi.

— Tatatata, rétorqua Rayman en levant les mains, si je le pouvais, je l'aurais déjà fait. Mais mon côté nain semble s'opposer à sa magie. Fais-moi confiance...et surtout fais-toi confiance.

Quand il faut y aller...Essayant de soustraire de ses pensées son dernier échec pour le moins explosif, elle ferma les yeux et écouta les instructions de son nouveau mentor. Si Fly l'apprenait, il en pâlirait d'horreur ; lui qui se targuait d'être un excellent professeur, le voilà surclassé par le sorcier qu'il haïssait.

Rayman connaissait la sorcellerie mieux que quiconque. Il ne se contentait pas d'évoquer des souvenirs—comme le prince faisait avec brio—, il creusait dans le dédale de son esprit et en extirpait une image précise, survenue grâce à d'habiles questions.

— De quel couleur est le ciel ?

— Tu te moques de moi ? s'était insurgée Roxanne sans relever les paupières.

— Pas du tout, de quelle couleur est le ciel ?

— Bleu.

— Faux ! Il est gris. Rose à la rigueur lorsque l'aurore pointe le bout de son nez. Blanc, lorsque les nuages sont d'humeur clémente. Orange avant que la lune ne le rejoigne. Et actuellement noir, car yeux clos tu n'es pas censé percevoir autre chose. Surtout sous les feuillages épais des arbres.

Elle s'était alors imaginé tour à tour l'aurore, la fumée grise qui s'envole au-dessus du feu de camp, et les ciels d'hivers où le soleil si bas se camouflait entre les nuages blancs.

— On dirait de....

— La poésie. D'après ton frère, tu t'y connais. C'est peut-être pour cela que tu es si douée...pour une gamine.

Si Roxanne maudit un instant son frère d'avoir narré sa vie entière à cet indiscret, elle se reconcentra vite. Pour se donner du courage, elle se remémora les beaux yeux mauves de Fly qui la guidèrent dans ses sortilèges. S'ensuivit une suite d'exercices similaires, où Roxanne évitait les réponses courtes et déballait tout ce que son esprit imaginait. Rayman lui demanda de décrire Sherwood, l'académie des brumes, l'odeur du petit déjeuner qu'on lui servait dans le grand réfectoire— et Roxanne le soupçonnait parfois de prendre des notes en vue d'un prochain article—ou encore le flux magique qui serpentait dans les salles de classe et qu'elle avait toujours peiné à toucher.

Au bout de quelques minutes, Rory se racla la gorge, la déconcentrant quelque peu, puis il ajouta :

— Tu peux ouvrir les yeux.

Dans ses mains glissait une magie chaude et dorée qui s'accrochait à la longue vue comme une ficelle. Un cliquetis se fit entendre et en-dessous de leurs pieds, le chemin se dessina de nouveau. Fière, Roxanne s'y avança la première, rapidement doublée par Rayman qui se vanta d'être le plus talentueux des professeurs.

Après avoir félicité sa petite sœur, Rory le remercia tandis que Nolwenn s'abstint de tout commentaire, n'osant avouer que le spectacle l'avait impressionnée.

Ils cheminèrent sans bruit — le badinage incessant de Rayman ne comptant pas— jusqu'à ce qu'à ce que le paysage ne leur paraisse familier. Le chalet en bois, où Myrtille et Roxanne avaient commandé des marrons succulents. Le chêne qu'elle avait escaladé aux côtés de Fly, puis plus loin, le lac gelé que la classe avait évité à cause du mauvais temps.

— On t'emmenait ici lorsque tu étais petite. Rory boudait toujours car il ne voulait pas enfiler de moufles, lança subitement Nolwenn d'une voix si douce que Roxanne crut l'avoir inventée. Ton père et moi avions déjà des différends mais ces jours là, nous parvenions à les oublier.

Elle se mit à fixer le lac qui se revêtait d'une fine couche de givre blanche, pensive, prenant du retard sur Rory et Rayman. Copains comme cochons, ils discutaient quelques mètres plus loin.

— Roxanne, je suis désolée si je me suis montrée distante envers toi...ou si tu as pu croire que je t'aimais moins. J'ai tant voulu que ton frère revienne vers moi que...je t'ai considérée comme acquise.

Elle balaya les airs de ses mains comme pour chasser de mauvaises pensées.

— Enfin, je sais que je ne suis pas toujours facile, et peut-être que j'ai été un temps irresponsable...mais vous comptez tous les deux à mes yeux : toi, comme Rory.

Elle resta muette, n'ayant ni les mots ni le temps de répondre, car une main se plaqua sur sa bouche et une autre saisit son poignet. Réactive, Nolwenn sortit alors une baguette magique de son long manteau et la braqua en direction de sa fille.

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