36- La sorcière de l'ouest (1/2)

Il arrive parfois que la chance sourit aux malheureux.

C'est exactement ce que ressentait Roxanne qui savait non seulement comment retrouver Fly, mais aussi qu'elle y parviendrait avant le lever du jour.

— C'est hors de question ! protesta Rory, figeant sa petite sœur sur place.

Si Roxanne planifiait encore quelques visites par an auprès de sa mère, malheureusement trop courtes pour être considérées comme telles, Rory, lui, n'avait plus vu son visage depuis des années...Depuis le divorce en réalité.

— Je peux l'accompagner à ta place, souligna Rayman, un grand sourire aux lèvres. Si tu as peur que mini-citrouille se fasse dévorer par les loups.

— Mère n'habite pas dans les bois à ce que je sache.

Vexé, le nain esquissa une moue. De toute manière, Roxanne préférait encore être accompagnée d'un serpent que de supporter cet imbécile aux cheveux clairs. Elle devait suffisamment lutter contre l'envie de l'étouffer avec sa propre tasse de thé pour risquer de le côtoyer plus longtemps.

— C'est la pleine lune, se rattrapa-t-il. Les loup-garous sont partout.

Pas dans le pays des sorcières. Les plaines lycanthropiques étaient si vastes que les loups assez fous pour les quitter se comptaient sur les doigts d'une main, et par chance le pays des sorcières ne partageait aucune frontière avec celui du grand Alpha, ce dont ne pouvaient se targuer les fées.

— Ça t'éviterait de revoir ta môman chérie, insista le nain, toujours peu habile.

Roxanne n'était pas dupe. Il ne s'intéressait qu'à la perspective d'une entrevue ou d'un article facile qui remplirait ses poches d'argent et de ragots croustillants. Heureusement, elle pouvait compter sur son frère pour l'empêcher de s'immiscer davantage dans leur tumultueuse vie privée. Bon débarras, Rayman...

— C'est d'accord ! abdiqua-t-il.

— Quoi ?? s'étrangla Roxanne, persuadée d'avoir mal entendu.

— Il est hors de question que je revoie mère...et Rayman est l'ombrume la plus persuasive que je connaisse.

— Merci du compliment, sourit ce dernier, flatté.

La jeune sorcière grinça des dents. Pas seulement parce que son frère suggérait que ce malotru l'accompagne mais surtout parce qu'il réduisait en miettes ses espoirs. Si Roxanne s'accrochait encore aux maigres rendez-vous qu'elle daignait lui accorder, sa mère, elle, ne jurait plus que par son fils qui lui avait tourné le dos.

— Pas maman. Tu penses vraiment qu'elle ouvrira la porte à quelqu'un d'autre que toi ?

— Roxy...

— Il est temps que tu la confrontes. C'est ta mère, notre mère. Elle n'est pas parfaite, détestable même mais j'en ai plus qu'assez de devoir trouver des excuses pour expliquer tes absences et...tu peux bien faire ça pour moi. C'est la vie d'un fae qui est en jeu.

Elle inspira pour retenir les larmes qui perlaient dans ses yeux, pour tarir le rougeoiement de ses joues et calmer sa colère.

— Elle marque un point, approuva Rayman. Tu ne vas pas la fuir toute ta vie.

Rory sembla hésiter : il fixa le sol, les murs, Rayman puis enfin sa petite sœur avant d'acquiescer d'un signe de tête et de pousser un profond soupir.

— Mais ça n'empêche pas l'ombrume la plus persuasive du monde de vous accompagner ? suggéra toutefois Rayman, tout souriant, alors que Roxanne enfilait son manteau, déjà prête à repartir.

— Oh si ! protesta-t-elle, mais il l'ignora avec désinvolture.

Avant que Rory ne puisse donner son avis, son ami prit la tête de la petite troupe et se dirigea vers la sortie en sifflotant comme un vagabond. Super... Merci, Rory ! Vive la fraternité.

— Rappelle-moi de le dénoncer aux autorités, susurra-t-elle à son ainé

— Encore deux ou trois heures, et tu finiras par t'attacher à lui, plaisanta-t-il en la dépassant.

Jamais ! Si elle supportait sa présence pour un trajet jusqu'au centre de Sherwood, elle se promit de l'abandonner dès qu'ils auraient récupéré la longue-vue. Hors de question de confronter Fly à ce rustre une seconde fois !

***

— Et donc, tu es une amie de Fly ? Je suis étonné qu'il ait voulu se lier d'amitié avec une roturière, lui qui ne jure que par la noblesse, les accessoires hors de prix, la nourriture délicate et son petit statut de prince. Tu savais qu'il avait mis un mois avant de retenir mon prénom et je ne te parle pas de sa chambre. Un vrai capharnaüm ! Je crois qu'il n'a jamais rien rangé de sa vie...

Ignore-le, ignore-le, ignore-le....

Cela devenait compliqué lorsque ce satané nain critiquait ouvertement celui qu'elle aimait...et qui risquait sa vie à chaque instant.

Parfois, Roxanne hésitait à renoncer. Elle possédait déjà une piste, après tout. Elle pourrait enfourcher un balai, s'envoler jusqu'à la muraille d'épines et traquer elle-même la cabane que Coryn lui avait indiquée, mais sa conscience la retenait.

La vendeuse n'avait aucune certitude. Pire encore, elle aurait pu mentir, inventer on ne sait quel lieu pour protéger sa dégénérée de petite sœur —ou retrouver un peu de tranquillité. Elle aurait aussi pu se tromper sur les intentions de Robyne : le royaume des dragons se situait à quelques lieues d'ici, et transporter un fae inconscient au-dessus des toits ne semblait pas être l'idée la plus avisée qui soit.

D'ailleurs, Roxanne avait déjà informé la reine des fées. Si Fly sommeillait bien au cœur de cette prison de ronces, de roche volcaniques et de cendres, sa famille l'aurait déjà retrouvée. Myrtille se serait alors empressée de lui envoyer une lettre -une invitation au château peut-être- et elle aurait retrouvé Fly, sain et sauf dans un matelas nuage, choyé par les soins et les douces attentions.

Mais Fly était toujours porté disparu et elle ne pouvait s'empêcher de se ronger les sangs pour lui.

— En toute honnêteté, j'ai hésité à écrire un article sur son grand frère ou sa charmante grande sœur, poursuivit Rayman porté par son éternelle impertinence.

Laquelle ? Lequel ? Il a dix grand frères et sœurs, manqua-t-elle de rétorquer, acerbe. Or à la place, une autre question franchit ses lèvres :

— Qu'est-ce que Fly t'a fait pour que tu l'humilies ainsi ?

— Plait-il ?

Elle serra les poings. Son sourire narquois indiquait qu'il l'avait parfaitement entendue.

— Pourquoi avoir écrit cet article ?

— Parce que le directeur du Lys blanc me l'a demandé, répondit-il sans détour. C'est le rôle d'un journaliste, écrire.

Ordure, se répéta Roxanne, il se paie ma tête en plus. Une ordure qui l'avait toutefois aidée sans se poser de questions.

— Tu aurais pu éviter de mentir.

— Oh, c'est ce qu'il t'a dit ? Que j'ai menti ?

Bien sûr. Derrière eux, Rory , nerveux, tenta de les distraire en pointant du doigt une hirondelle qui voletait de branche en branche. Il précisa son étonnement — car, à cette période, tous les oiseaux de la ville étaient censé avoir migré vers le sud — or ni sa sœur, ni son ami ne lui témoignèrent le moindre intérêt.

— Je n'ai pas menti, corrigea Rayman, d'un air suffisant. J'ai écrit qu'il était égoïste, capricieux, feignant et arrogant, que le royaume avait bien de la chance d'avoir dix héritiers avant lui car il ferait un tyran des plus détestables. Mais ça, tu le sais déjà, puisque tu as lu l'article, n'est-ce pas ?

Elle hocha la tête, bien que les jumeaux s'étaient gardés de le lui montrer, elle n'allait certainement pas donner raison au journaliste. Elle leur faisait confiance : Fly et Myrtille ne se seraient jamais permis de lui mentir. Pourtant...le doute s'immisça en elle. Le portrait qu'avait dépeint Rayman reflétait ses propres pensées des premiers jours d'école. A cette période, Fly s'était montré si puéril et méprisant qu'elle n'aurait pas versé une seule larme s'il avait quitté sa classe. Tandis que maintenant, elle remuait ciel et terre pour espérer le revoir.

— Myrtille...La princesse Neige, je veux dire...

— Bien sûr que Neige pense qu'il s'agit de mensonges. Ses meilleurs amis sont des animaux, c'est à peine si elle ne commence pas la journée en fredonnant de chœur avec les moineaux. Elle invente de la douceur en chacun de nous .Fly est son frère jumeau, elle ne l'aurait jamais vu comme moi je l'ai vu...Comme tu as certainement dû le voir.

— Il a changé.

Progressé serait plus adéquat, nota-t-il. Les gens ne changent jamais réellement.

— Encore deux rues et on y est, intervint Rory, plus transparent qu'une méduse.

— Il ne mérite pas qu'on s'en prenne à lui, objecta Roxanne qui fulminait, agacée que son interlocuteur reste si calme.

Il haussa les épaules.

— Je n'ai jamais prétendu le contraire. Regarde, je vous aide même à le retrouver. Si ça ne fait pas de moi quelqu'un d'a-do-rable !

Adorable, mon œil ! Il répare le drame qu'il a causé.

— Attention, devant vous !

En effet, une charrette pleine de citrouilles leur coupa la route, semant sur son passage deux ou trois légumes. Rayman ramassa la plus petite, la rétrécit d'un sort et la fourra dans sa poche.

— Tu sais, mini-courge. Je n'ai pas seulement écrit cet article pour empocher un sac plein d'or ou me moquer de Fly, je l'ai fait...pour lui donner une leçon. Et ta véhémence pour le défendre me prouve que j'ai eu raison. Il essaie d'être quelqu'un de meilleur. Je suis navré que mon intervention ait pu le mener là où il est aujourd'hui...

Cette fois, Roxanne ne sut quoi répondre. Derrière son impolitesse, se pourrait –il que Rayman cache ...une forme de sagesse ou de  bienveillance ?

— Mais entre nous, tu penses sincèrement qu'il aurait pu garder son identité secrète plus d'une semaine ?

Roxanne rectifia ses pensées. C'était un imbécile qui ne jaugeait pas la gravité de ses actes.

– On y est ! déclara Rory, qui dissimulait mal sa gêne devant la demeure en pierre blanche.

Si leur mère avait déménagé plusieurs fois depuis le divorce, son jardin conservait à peu près le même aspect. Un grand pommier saluait les visiteurs, près duquel un potager ensommeillé s'étalait derrière une minuscule clôture rouge. Au printemps, des fleurs aux mille éclats embaumaient l'herbe verte et attiraient les abeilles, mais ce soir-là, le ciel donnait plutôt à l'arbre mort des airs de romans d'horreur.

Rory déglutit, suspendant son poing à quelques centimètres de la porte, contre laquelle une lanterne scintillait. Il prit une grande inspiration puis toqua à trois reprises.

— Oh j'oubliais, ajouta Rayman à l'attention de la jeune rousse. Pour que tu me détestes un peu moins...J'avais le choix entre les treize princes et princesses pendant ma mission. Si tu savais ce que j'ai découvert sur les douze autres, tu trouverais mon article bien gentillet.

Même si la curiosité de Roxanne fut éveillée, elle ne put le questionner davantage car la porte grinça et l'ombre de leur mère s'étira sur les marches de l'entrée.

***

Note de l'auteure :

Un chapitre qui se nomme "sorcière de l'ouest "pour au final ne pas voir la sorcière de l'ouest... J'ai été un peu bavarde, et quelques passages sauteront sans doute à la réécriture (si réécriture il y a). J'espère que ce n'était pas trop lourd tout de même, et que le personnage de Rayman est un peu moins détestable.

J'en profite pour faire un petit point sur la longueur des chapitres : celui-ci  fait 1800 mots : ça vous semble trop long ? Trop court ? Bien ?

Lulu : Vous vous en fichez :)?

Le prochain chapitre (la deuxième partie en fait) arrivera dans deux semaines car mercredi prochain sera dédié à Sophie la girafe ( au jeu que je vous ai promis ^^). Si vous avez des hypothèses sur ce jeu, je serais curieuse de les entendre ^^

Des bisous et à la semaine prochaine !

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