33 - Oiseaux de papier

- Hors de question !

Roxanne n'avait pas hésité une seule seconde avant d'envoyer une missive au palais royal. Le parchemin, scellé avec soin, arborait un « Urgent » tracé en lettres rouges capitales. Par chance, la reine avait confié à la famille Pumkin une série de timbres magiques pour la contacter. Il avait donc suffi de coller l'un d'entre eux sur l'enveloppe pour qu'elle s'envole en direction du palais.

- La forêt d'épine est dangereuse. Ta professeure est dangereuse. Et je refuse que tu te mettes en route sur un balai volant - et inflammable à des dizaines de lieues d'ici !

Alissa brodait en silence, assise sur l'un des fauteuils du grand salon sans soutenir sa belle-fille du regard. Arthus jouait à ses pieds avec des cubes en mousse et Rory rédigeait dans sa chambre un nouvel article. En résumé, Roxanne se retrouvait seule pour digérer les remontrances de son père, regrettant déjà de lui avoir parlé de sa petite escapade dans la boutique de magie.

- Ma chérie, s'adoucit-il tandis qu'elle le fusillait du regard, tu en as déjà fait beaucoup.

Ce n'était pas suffisant.

- Tu es en vacances, ton école t'en accorde très peu. Tu devrais te reposer et prendre un peu de temps pour toi...

la mention de l'académie la fit grincer des dents. Alertée par la lettre de Myrtille, elle n'avait même pas pris le temps d'annoncer son renvoi...Et elle n'avait guère envie de s'y lancer.

- Il va mourir ! rabroua-t-elle, la voix tremblante de rage. Si je ne fais rien pour le sauver, il...

- Mais si tu confrontes sa tortionnaire...nous te perdrons toi aussi.

Elle grimaça, refusant de laisser l'argument de son père résonner dans sa conscience. Pourtant, il disait vrai. Seule, Roxanne ne ferait pas long feu face à la reine des potions... si elle ne brûlait pas avant, pourchassée par un dragon ou un phénix.

- La garde royale va le retrouver. Et ce sera grâce à toi, conclut-il en s'accroupissant pour attraper son fils dans ses bras.

Arthus lui accorda un sourire, et un cube échappa à ses petites mains potelées se figeant en plein milieu des pieds de son père. Ce dernier sourit, amusé par la maladresse de son enfant. Il tendit les bras pour le soulever haut dans les airs et tournoya sur lui-même en prétendant que son fils pouvait voler, voler comme un oiseau.

Cela donna une idée à Roxanne qui s'éclipsa dans sa chambre. Elle ne pouvait peut-être pas secourir Fly mais elle pouvait peut-être lui envoyer du courage.

***

- Je peux entrer malgré le panneau « défense d'entrer » ?

Roxanne avait mis en place cet écriteau pour être certaine que sa famille ne la surprenne pas en plein essai de sorcellerie. Pas parce qu'elle en avait honte, loin de là, mais elle souhaitait se concentrer, atteindre un niveau convenable avant de présenter ses nouveaux dons. Et sans Fly pour la guider, la tâche s'avérait d'autant plus ardue.

- Qu'est-ce que tu fais ? s'enquit Rory sans avoir attendu l'aval de sa petite sœur.

Des origamis d'oiseaux flottaient un peu partout autour de la jeune sorcière en un essaim désordonné. Surprise, elle rouvrit les yeux et ses créations plurent sur le parquet de sa chambre.

- Je ...voulais les envoyer vers Fly. Ce sont mes poèmes. J'imagine qu'ils disaient cela pour m'encourager mais les jumeaux prétendaient les adorer...Et puis, comme ça, si mademoiselle Clair-de-bois les attrape, elle ne les comprendra pas.

Lorsqu'ils partageaient la même chambre, Fly s'amusait à lui voler son carnet de notes dès qu'il le pouvait, sans doute plus pour l'embarrasser que par intérêt pour ses écrits. Il traçait quelques enjolivures sur le coin des pages, illustrait les pages vierges de décors boisés et titrait les textes dépourvus de noms. Au fond, Roxanne aimait croire qu'il semait déjà quelques marques d'affection pour elle, prises entre deux vers en alexandrins. Elle espérait pouvoir lui demander un jour, elle espérait le revoir.

Elle ne possédait rien qui lui appartienne, mais elle l'avait côtoyé si longtemps qu'un peu de sa poussière de fée s'était sans doute répandu sur ses affaires. La sienne...ou celle de Myrtille. A moins que les deux nuages de paillettes ne se soient déjà évanouis dans les airs.

- Je ne veux pas passer pour un rabat joie...mais le localiser sera très difficile. Son agresseur a dû penser à tout, y compris à brouiller la localisation par poussière de fée. Comment ?Là, je sèche. Si tu veux lui envoyer tes poèmes...il va falloir attendre qu'il rentre.

Elle y avait songé. Lors d'un cours, Robyne leur avait appris comment pister la trace d'une fée avec une potion très simple...contrer ce sortilège devait être pour elle tout aussi aisée. Toutefois, l'enseignante avait aussi redouté l'utilisation de la sorcellerie...Etait-ce parce qu'elle ignorait comment s'en protéger ?

- Par contre, tu devrais te préparer, on part dans moins d'une heure !

Roxanne bondit de son siège ! Nom d'une citrouille ! Le manoir hanté !

Elle avait oublié son propre cadeau d'anniversaire et les billets qui trainaient sur l'une de ses étagères-Encore fallait-il qu'elle se souvienne de laquelle. Elle laissa un dernier regard planer sur ses volatiles de papier : pouvait-elle se permettre de se détendre ? Fly aurait protesté : il aurait argué que sa noble personne devait l'accaparer des heures entières. Elle secoua la tête. Non, le vrai Fly, celui qu'elle avait appris à connaitre, à apprécier, l'aurait poussé à prendre une pause. Il l'aurait convaincue de ne pas se soucier de lui. Il aurait feint de ne pas avoir besoin d'aide, ni de soutien. Il lui aurait promis que sa famille l'aimait et le retrouverait quoi qu'il arrive. Elle inspira. Oui, la garde féérique allait le secourir, elle devait leur accorder sa confiance.

- Je dois terminer quelque chose, et je te rejoins dans une heure.

D'ici une heure, tous ses oiseaux se seraient envolés vers Fly.

***

L'auberge était conviviale; décorée de runes elfiques sur les murs aux tons chauds et de sculptures en terre cuite, elle respirait la nature et les bois d'automne. Des bruyères avaient séché aux cotés de quelques fleurs que Roxanne n'aurait pu nommer. Elle avait beau avoir côtoyé peu d'elfes dans sa vie, tous partageaient la même minutie...et la même austèrité.

- Voici les clefs de vos chambres, lui expliqua leur hôte d'un ton monocorde. Le souper se tiendra aux alentours de vingt-heures.

Rory et Roxanne hochèrent la tête à l'unisson, bien qu'aucun des deux n'aient prévu de gouter aux bouillies difformes que servait cette maison. Ils s'étaient mis d'accord pour se balader dans les bois de Sherwood et repérer le chemin jusqu'au manoir hanté.

Les oiseaux de Roxanne avaient fini par s'envoler. Et même si elle ne pouvait plus rien faire pour l'aider, le prince n'avait pas quitté une seconde ses pensées. Malgré ses efforts, mille questions la tourmentaient toujours. Où en était la garde féérique ? Se battait-elle en ce moment ? Fly était-il en train de les aider ou avait-il perdu conscience avant de recevoir son cadeau...S'il l'avait bien reçu.

- Essaie de ne plus y penser, citrouille. Il est vivant ton prince et une fois la rançon payée, il sera libéré. Au cours de mes études, j'ai étudié beaucoup de d'enlèvements mais la plupart se finissent bien...ou à peu près bien. Ton amie était inquiète, néanmoins il faudrait être fou pour oser assassiner un prince.

Il faudrait être fou pour oser enlever un prince, manqua-t-elle de rétorquer, bien qu'en règle générale, les paroles de Rory engendraient toujours une part de vérité.

Alors que les bois de Sherwood nageaient dans la pénombre et que la lune montait dans un ciel noir, Roxanne aperçut enfin le manoir. Un chemin encadré par deux rangées de pierres les y menait, tout comme la douzaine de panneaux qu'ils avaient croisés en cours de route. Cependant, ils n'allèrent pas plus loin, persuadés que la fatigue du voyage ternirait leur expérience. Rory fut le premier à faire demi-tour, l'estomac déjà grondeur.

- On dirait que notre balade termine plus vite que prévu. Tu te rappelles de ce restaurant de tourtes qu'on adorait lorsqu'on était petits...Il serait temps de voir ce qu'il est devenu ?

Il existait encore, bien qu'il ait changé deux fois de propriétaire. Roxanne l'avait lu dans le haricot parlant, dans un article qu'avait rédigé Rory lui-même. Toutefois, elle n'allait pas se priver de tourtes. Le goût de la volaille lui avait manqué.

Elle suivit de bon cœur son ainé quand une feuille étrangement épaisse craqua sous ses pieds. Elle l'observa de plus près et plissa les yeux pour contrer l'obscurité. Ce n'était pas une feuille mais un oiseau de papier. Son oiseau de papier.

- Roxanne ?

Elle ne lui répondit pas, et relâcha son poème qu'elle écrasa sous son pied.

Pourquoi n'était-elle pas capable de réussir le moindre sort ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top