32 - Accusations
— Robyne est une fée !
— Bonjour à toi aussi Roxanne.
Madame Wooddry était en train de petit-déjeuner lorsque l'élève fit irruption dans son salon privé. La porte ne se verrouillait jamais. La doyenne de l'établissement avait pour habitude de ne pas rejeter ses élèves, que ce soit afin de les aider dans leur apprentissage ou les aiguiller dans leurs projets personnels. Or aujourd'hui, elle devait sans doute songer à réviser ses premiers principes. Tant pis pour mes manières grossières ! songea la jeune sorcière. C'est important.
— Robyne Clair-de-bois est une fée. Elle n'a jamais été une sorcière. Si elle a caché sa véritable nature, peut-être a-t-elle caché d'autres choses ?
Tout en reposant sa tasse de thé aux motifs printaniers, la directrice la dévisagea pareil à si elle s'adressait à une démente.
— Tu fais référence à son Altesse ? Roxanne, sa disparation m'attriste aussi beaucoup, et je sais que perdre l'un de ses camarades peut nous pousser à imaginer les pires inepties. Mais...tu devrais profiter de tes vacances et laisser...les adultes faire.
Cette remarque la blessa. Elle avait une piste, plausible, que personne n'envisageait. Elle ne sortait pourtant pas de nulle part : elle avait cogité toute la nuit, reprenant ligne après ligne les indices gravés dans son petit carnet orange.
—Vous ne comprenez pas. Robyne a enlevé Fly, j'en suis presque sûre. Regardez, elle coche toutes les cases, pointa-elle en plaçant ses notes sous le nez de la doyenne...qui l'ignora à moitié.
✔️Le ballon de Cercène, excluant toutes sorcières de la liste. Robyne pouvait entrer en jeu maintenant puisqu'elle n'en était pas une.
✔️La pâtisserie empoisonnée : qui de mieux placé qu'une experte en potion pour préparer un discret mais offensif poison.
✔️L'arc et les flèches : aucune preuve pour celle-ci, mais son physique athlétique et son intérêt pour les bois l'inculpaient bien plus qu'une enseignante droite et douillette comme madame Gorgias.
✔️Prendre Daphné comme appât : dès le premier jour, en plaçant les élèves, elle avait voulu séparer le prince de sa protectrice, une information qu'elle avait sans doute récoltée en laissant ses oreilles trainer un peu partout.
Après l'étrange spectacle dont Roxanne avait été témoin la veille, elle ne doutait plus : sa professeure mijotait quelque chose de terrible et prévenir les autorités était devenu une urgence, à commencer par la directrice, plus bouchée qu'un baril d'ambroisie !
Puisque cette dernière ne semblait pas réagir, plus intriguée par l'aspect de sa gelée de coings, la jeune fille crut bon d'ajouter :
— Elle vous a trompée. Hier, nous...je l'ai aperçue : elle préparait une affreuse mixture anti-fée.
Madame Woodry plissa le front.
— Viens-tu d'avouer que tu as rompu le couvre-feu ?
— Non ! Enfin si mais ça n'a pas d'importance. Il faut que vous m'écoutiez, elle n'est pas ce qu'elle prétend être. Elle prépare des potions qui...
Elle n'alla pas plus loin, puisque la fée lui coupa la parole, faisant cliqueter son couteau contre sa tasse de porcelaine.
— La mixture anti-fée comme tu dis s'appelle de la liqueur de papillon, j'ai chargé Mademoiselle Clair-de-Bois d'en préparer pour nous défendre. La fée qui en avait après Peterfly n'était pas une magicienne comme les autres : pour s'être aventurée dans l'établissement, avoir enlevée notre prince et s'être volatilisé sans un bruit, elle doit rivaliser avec les meilleurs espions de Sa majesté. Nous essayons de le rendre le plus discret possible mais sache que toutes les entrées de l'académie sont surveillées par des sentinelles, ou des trolls.
Si elle avait voulu convaincre Roxanne de renoncer à ses accusations, la directrice échouait avec brio.
— Vous admettez donc qu'il s'agit d'une fée de l'école. Une fée qui se ferait passer pour une sorcière par exemple !
— Non ! s'insurgea Madame Wooddry dont les lèvres tressautèrent. D'abord, mademoiselle Clair-de-bois ne s'est jamais faite passer pour ce qu'elle n'est pas. J'ai toujours su qu'elle était une fée. Crois-tu sincèrement que j'irais m'embêter à engager d'incompétentes sorcières quand des dizaines de préceptrices se bousculent devant mes portes ?
Roxanne recula, encaissant le coup avec surprise. Incompétente. Etait-ce vraiment ce qu'elle pensait d'elle ?La directrice dut le saisir car ses traits s'adoucirent.
— Ce...ce n'est pas ce que je voulais dire, tenta-t-elle de se rattraper.
— C'est ce que vous avez dit.
— Je ne te visais pas.
Si ! Dès les premiers jours, elle n'attendait que son échec, sonnant ainsi la fin de ce stupide programme d'insertion.
— Mais... si tu veux mon avis, poursuivit-elle comme si ses préjugés glaçants ne suffisaient pas, tu serais bien plus heureuse et brillante dans une école pour sorcières.
Elle tira l'un des tiroirs de sa commode et en sortit un papier décoré du sceau de l'école. Roxanne s'abstint de le parcourir du regard, la première ligne lui suffisait amplement : Bulletin de notes —Elève recalée. Blessée, elle serra les poings.
— J'appellerai l'académie de Clair-de-Lune. Ils accepteront de te reprendre en cours d'année, sois en rassurée. Je... suis navrée que tu aies perdu ton temps ici.
Roxanne ne connaissait l'académie Clair-de-Lune que de nom , et uniquement parce qu'elle se situait à dix minutes du logis de sa famille. Or elle était persuadée d'une chose : cette école ne possédait pas une miette du prestige qu'offrait l'académie des Brumes.
Mais pouvait elle encore parler de prestige pour qualifier son école ?
C'est injuste ! Le document avait été calligraphié avant même qu'elle n'achève ses examens. On l'avait privée de ses atouts, de la sorcellerie qu'elle avait appris à manier , de son épreuve de potions —bien qu'elle n'ait aucune envie de confronter à nouveau le regard de sa professeure de potions. Elle n'avait pas manqué un cours de soutien, qu'il vente, qu'il pleuve ou que la fatigue l'assène. Que recevait –elle en retours ? Rien du tout.
— C'était à la reine des fées qu'il fallait en parler...siffla-t-elle. Et bien avant de m'accepter dans votre école.
Elle froissa la feuille entre ses doigts et quitta le bureau dans un silence de tombe. Recalée. Renvoyée. Elle avait échoué. Échoué aux examens, bien sûr. Échoué face à Myrtille, face à la reine qui lui avait fait promettre de lui écrire.
Qu'allait-elle dire à son père, à Rory, à Alissa qui l'avait maintes fois mise en garde ? Sur le sol, des pictogrammes scintillants la saluèrent. Ils esquissèrent flèches et visages joyeux sous ses pieds, qu'elle tacha d'écraser en vain. Les paillettes se déplacèrent, s'éparpillèrent sur le marbre et se regroupèrent pour former le plus beau mais aussi le plus douloureux des visages. Celui de Fly.
A cran, la sorcière balaya d'un coup de bottines le portrait et courut dans sa chambre, là où elle n'avait plus qu'une hâte : préparer ses affaires et quitter cette maudite école !
***
— -20% sur les bougies, profitez-en ! Le solstice d'hiver commence cette nuit ! Ne laissez pas de vilains démons frapper à votre porte.
Une fois n'est pas coutume, la boutique fourmillait de clients, prêts à dévaliser la moindre étagère. Cela n'arrangeait pas les affaires de Roxanne qui se fraya tant bien que mal, un chemin jusqu'aux caisses. Un jeune fae s'y tenait, occupé au dessus d'un boulier, à calculer le montant des achats de —si on en croyait la pile gigantesque de sacs et de babioles—leur meilleure cliente. Sage, bien qu'un peu angoissée, la jeune fille patienta. Elle avait attrapé au passage, une bougie senteur cannelle (la moins chère) et un hochet à bulle pour ses frères. Lors du solstice d'hiver, il était courant que les membres d'une même fratrie s'offrent des cadeaux...or à cause des récents évènements, cette tradition était complétement sortie de l'esprit de la jeune étudiante.
— Bonjour, lui adressa le garçon que son badge nommait Fan.
Roxanne s'approcha de la caisse, présenta ses articles, grimaça un peu devant le prix du hochet puis se lança.
— Savez-vous où je pourrais trouver Coryn Clair-de-bois ? Je l'ai cherché dans tout le magasin mais impossible de...
— Elle est dans la réserve. En ce moment, je lui épargne les bains de foule parce que...nous attendons un enfant. —Il sourit à cette annonce, tout mielleux— Mais je peux servir de messager : une plainte à lui transmettre ?
— Oui ! Enfin, non, je dois lui parler de sa sœur, Robyne, précisa-t-elle dans l'hypothèse où la gérante serait l'ainée d'une fratrie aussi gargantuesque que la famille de Fly.
— Oh, sa sœur adoptive ? Je crains que Coryn soit occupée mais si vous repassez dans quelques jours, après les fêtes, je ...
— Je peux vous payer pour une courte entrevue !
Elle avait préparé une bourse de pièces d'or et la présenta au caissier qui la dévisagea, mal à l'aise. L'argent appartenait à Myrtille. Dans sa fuite, la fée avait oublié d'emporter avec elle le sac à imprévus : une petite fortune qu'elle gardait dans un coin de la chambre au cas où quelques achats nocturnes —et bien entendus secrets —s'imposaient. Par là, la princesse imaginait plutôt financer un refuge pour animaux, refaire toute sa garde-robe en vue de croiser le grand amour à un bal costumé, ou encore partir en croisière sur un bateau pirate —hypothèse d'une probabilité bien basse, les pirates n'existant que dans les contes au sein du monde des ombrumes.
Roxanne n'en était pas fière mais elle se promit de rembourser son amie... le jour où elle pourrait se permettre de toucher une telle somme
— S'il vous plait, c'est important...
— Je vais voir ce que je peux faire. Attendez-moi là.
Il défit son tablier-uniforme, récupéra la bourse et abandonna la caisse quelques minutes. Lorsqu'il revint, Coryn lui tenait le bras et scrutait d'un œil curieux sa boutique pleine, comme si elle n'y était pas revenue depuis des années. Son ventre n'avait pas encore eu le temps de s'arrondir, mais Roxanne aurait été bien malpolie de remettre en doute les paroles d'un heureux futur papa.
Laissant des clients impatients régler leurs achats, elle s'écarta du comptoir et salua d'un signe discret de la main la gérante.
— Félicitations pour votre enfant ! embraya-t-elle ne sachant pas quoi dire.
Coryn balaya ses paroles en secouant son bras, peu encline à faire la conversation. Ses mains étaient couvertes de gants mauves, comme si elle craignait désormais pour la propreté des clients, surtout envers son futur enfant. Elle attrapa Roxanne par le bras et la conduisit rapidement dans un petit bureau à l'écart.
— Qu'est qu'elle a encore fait ?
Roxanne n'omit aucun détail : les premiers assauts contre le prince, la balade à Sherwood, leur stratagème pour garantir sa sécurité, le comportement étrange de Daphné, et la scène étrange dont ses camarades et elle avaient été témoins.
— Oh je vois. Robyne et moi, on est censé se réunir en famille dans trois jours, je lui demanderai d'arrêter immédiatement.
Roxanne ouvrit grand les yeux, hébétée. Avait-elle écouté un traitre mot de ce qu'elle venait de raconter ?
— Non, surtout pas ! Si elle sait que je la soupçonne, elle s'en prendra au prince. Je veux juste savoir si elle a...un repaire secret. Un endroit dans le pays où elle aurait pu cacher Fly ?
Coryn secoua la tête.
— Et tu penses qu'elle me l'aurait dit ? Ma puce, ma sœur est très secrète. Si comme tu le dis, elle a enlevé ton ami, elle n'aurait confié sa cachette à personne.
— Oui, mais vous la connaissez bien. Il y a peut-être un endroit où...elle aimait se rendre ? Une maison familiale ? Vous avez son adresse ?
Pensive, la gérante se gratta la tête. Roxanne lut sur son visage comme dans un livre ouvert.
— Il y en a un, n'est-ce pas ? devina-t-elle.
Or l'adulte sembla hésiter.
—Oui, mais n'y va pas seule. C'est un lieu dangereux. Robyne et moi y allons l'été pour déterrer des pierres précieuses et remplir nos étalages de bijoux.
Dangereux. Bijoux. La rouquine n'avait jamais mis les pieds dans l'un de ces deux royaumes, mais elle devinait sans mal qu'il s'agissait des terres où vivaient dragons et phénix. Des contrées où feu et sorcières ne faisaient pas bon ménage.
— Je préviendrais la reine des fées.
Et s'il le faut, si on refuse encore de m'écouter, j'irais par moi même.
—Dans ce cas, acquiesça Coryn, tu devras lui dire d'aller dans la forêt d'épines, à la frontière du royaume Phénix et Dragons. Il y a une cabane isolée et une cave plus en dessous. Le prince devrait se trouver là-bas, j'espère.
Roxanne l'espérait également. Puisqu'en rentrant chez elle, elle découvrit Bunbun tenant contre son cou une lettre que Myrtille lui avait adressée :
Chère Roxanne,
Je crains de ne plus pouvoir te répondre. Mère tient à ce que nous restions dans nos chambres, coupées de tout contact extérieur. Elle est sur les nerfs, et je la comprends. Ainsi, je préfère ne répondre qu'à toi (ne montre pas cette lettre aux autres s'il te plait) et t'informer de la situation.
Fly n'a toujours pas été retrouvé, mais son tortionnaire a envoyé une lettre au palais. Il demande une lourde rançon, ensuite il prétend qu'il le libérera.
J'ai assez entendu d'histoires pour savoir que cette dernière partie est un mensonge. Mère refuse de m'écouter, de nous écouter.
Roxy, s'il te plait, si tu es encore à l'école, ne lâche pas l'enquête et transmets au château tout ce que tu as pu découvrir.
Si on ne le retrouve pas d'ici demain soir, Fly va mourir...
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