30-Examens(2/2)
Grâce à ses excellents résultats scolaires, et grâce à Mademoiselle Élira qui s'engagea à le surveiller, la proposition de Fly ne reçut aucune objection. Dès que Roxanne fut invitée à s'asseoir sur un fauteuil aussi sombre que la cendre, elle posa ses mains sur ses genoux pour éviter de les triturer.
— Bien, débuta la directrice, qu'est ce qui relie le royaume des dragons à la forêt des elfes ? Plusieurs réponses sont possibles.
— L'hiver ne vient jamais dans ces royaumes.
— Excellent !
La forêt de Sherwood traversait le pays des sorcières d'est en ouest et continuait son chemin dans la forêt des elfes. C'est pourquoi, durant son enfance, Roxanne observait souvent ce peuple aux oreilles pointues courir sur leurs terres verdoyantes. Curieux, Rory s'y aventurait parfois : les elfes ne s'éloignaient jamais de leur logis mais ils n'étaient pas fermés aux visiteurs pour autant.
— Quel est le nom de la première ombrume ?
Le silence flotta. Roxanne sécha. Elle se rappelait du livre, du chapitre, de la page qui contenait cette information mais la réponse, elle l'avait oubliée. Perdue entre les plantes ensorceleuses, les us et coutumes des loups garous, ceux des gorgones et les dates du premier règne féerique. Des tas d'images, de paragraphes remontaient dans son esprit sournois qui floutait ce mot, ce prénom qu'elle avait pourtant lu des dizaines de fois.
— Je ne sais pas.
— Et comment se nomme la reine des fées ?
La mère de Fly et de Myrtille. Là encore, la réponse lui échappait. Ses amis avaient utilisé son nom si peu de fois que la sorcière fut tentée de répondre « maman ».
Quitte à rappeler si souvent son statut royal, Fly n'aurait pas pu réciter le nom complet de sa chère mère par la même occasion. Puis un souvenir lui revint. Sur les cahiers de cours du prince, son matronyme—Blueheart —était inscrit. Il y ajoutait souvent les armoiries de sa famille, un cœur bleu sur lequel s'entrelaçaient un E et un J autour d'un griffon et d'une licorne. J pour le prince Jay, le père des jumeaux, E pour...
— Evangeline Leya Blueheart.
— Et donc, pour la première ombrume ? compléta la directrice.
— Leya !
— C'est exact, sourit Robyne en battant des mains comme si elle avait gagné un prix d'alchimie.
L'interrogation suivante tétanisa Roxanne : elle répondit à côté, submergée par l'angoisse. Cette fois ci, le jury ne lui laissa pas de seconde chance et enchaina avec l'ultime question :
— Quelle est la différence entre la magie et la sorcellerie ?
Aussitôt, Roxanne sentit sa bouche s'assécher. Il ne s'agissait pas d'un vieux cours qu'elle aurait oublié de réviser, ni l'une de ces banalités que le stress avait effacé de son esprit. Non, cette fois, elle était certaine que personne ne lui avait enseigné cette leçon. Justement parce qu'on la lui avait interdite.
— Mademoiselle Clair-de-bois m'a prévenue de votre intérêt pour cette pratique. Je me suis donc permise d'ajouter cette question à votre examen.
— Je...crois que...la magie utilise la pratique, la raison, l'entrainement alors que la sorcellerie est basée sur...les sentiments.
— Bonne réponse. De manière plus générale, la magie nait grâce à la poussière de fée, des milliers de grains parsemés dans l'air qui s'illuminent sur nos ailes. Elle est tangible et manipulable comme un outil. La sorcellerie prend racine à partir de rien de physique. C'est pourquoi elle est si simple à créer mais aussi si difficile à contrôler. C'est pourquoi je l'ai exclue de cet examen. Vous comprenez ?
— Oui, confirma Roxanne plus par politesse que par conviction, ce qui ravit la doyenne.
— Merveilleux. Nous allons maintenant te demander d'exécuter trois sortilèges. Un autour de la terre, un autre lié au vent et enfin à l'eau. Tends les bras droits devant toi et dès que tu te sens prête, fais-nous signe.
— Je le suis.
Nulle parole ne fut prononcée. Du bout des doigts, Robyne fit émerger du sol un pied de haricot blanc, aussi haut et robuste que du bambou. Roxanne sentit une boule se former dans sa gorge, elle se rappelait de cet exercice, de sa difficulté et des jérémiades que Myrtille avait poussées en sortant de ce cours.
— Ton but, expliqua la directrice sans la quitter du regard, arrêter la croissance de cet audacieux végétal. S'il croise le plafond, tu auras échoué.
L'épreuve se révélait être en réalité un bras de fer magique contre l'une de ses professeures. Une chance pour elle qu'il s'agisse ici de Robyne, une sorcière tout comme elle, et non de la directrice elle-même. Encouragée, la jeune élève tendit sa baguette et prononça ses premiers sortilèges.
— Prohibere. Arrête-toi !
Malheureusement, la plante s'entortilla une fois de plus sur elle-même, comme si elle lui tournait le dos, et grandit de presque un mètre. Roxanne fulmina et fusilla du regard sa pauvre professeure de potions. Elle s'en voudrait sans doute plus tard, or à cet instant, elle ne décolérait pas. Sa rancune se retourna envers elle—incapable de maitriser ses cours—, envers Robyne qui avait refusé qu'elle use de sorcellerie—, envers la directrice qui n'avait jamais fait le moindre geste pour l'aider. La tige acheva sa route et une mauvaise note couronna la sorcière de honte.
Elle échoua aussi bien à l'épreuve de l'eau qu'à celle de l'air. Elle ne brilla pas non plus en défense, puisqu'aucun bouclier de cristal ne se matérialisa devant elle. A l'aube de la dernière épreuve, la directrice se leva.
— Roxanne, il te reste l'épreuve de potions. Mais je préfère te prévenir : à moins que tu ne révolutionnes la spécialité de mademoiselle Clair-de-bois, tu n'obtiendras pas la moyenne. On pourrait en rester là, si tu le souhaites.
Prise d'un vertige, l'élève se maintint tant bien que mal au dossier de sa chaise. Elle fixa le plafond pour retenir ses larmes, la respiration coupée. Je vais être renvoyée. Je vais être renvoyée, réalisa-t-elle, ébranlée.
— On devrait faire une pause, proposa mademoiselle Elira qui avait échangé de place avec Robyne pour évaluer l'épreuve de défense. Nous pourrions faire passer Peterfly, puis la laisser repasser quelques épreuves.
— Et la favoriser par rapport aux autres élèves, tu n'y penses pas.
— Tante Marelle, s'il vous plait. Elle ne se sent pas bien.
La vieille femme soupira mais céda d'un geste de la main—du moins pour la pause. Le lien entre les deux femmes n'était un secret pour personne, encore moins pour les jumeaux royaux qui connaissaient mieux que quiconque la vie de leur respectée directrice.
— Remonte te reposer, Roxanne, et dis à Peterfly de se préparer. Tu passeras l'épreuve de potions ce soir.
Sans un regard pour la directrice, Roxanne s'échappa de la pièce. Robyne la recueillit, lui promit de revoir son barème à la hausse ce qui n'arrangea pas la peine qui hantait son cœur. Elle n'était pas à la hauteur, voilà tout. A vrai dire, elle n'avait pas envie non plus de repasser ces maudits examens pour mieux tomber au trimestre suivant. En refoulant ses larmes, elle chercha du regard Fly, qui avait disparu du couloir.
— Où es Fly ? demanda –t-elle à Robyne qui la jaugeait d'un regard inquiet.
— Fly ? Il devrait revenir d'une minute à l'autre. Daphné est venue le chercher. Apparemment, il y a un souci avec sa famille. Tu peux l'attendre ici, si tu veux...Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?
Sans lui expliquer, elle se lança à toute hâte dans les escaliers centraux. Au second étage, là où se trouvait la chambre du prince—qu'il n'habitait plus plusieurs jours. Elle scanda son nom, y entra sans toquer, la trouva vide, ressortit et gagna les jardins royaux. Elle se faufila dans le réfectoire, la bibliothèque, le petit salon de thé, puis l'Aquarium où ses angoisses contaminèrent un à un tous ses camarades. Myrtille la rejoignit, au bord de la crise d'angoisse. Elles se répartirent les étages à fouiller, alertèrent la directrice, Robyne, mademoiselle Elira et même la terrible madame Gorgias qui les couvrit de reproches.
Or il était trop tard. Daphné et le prince avaient disparu.
Ou plutôt Daphné avait enlevé le prince.
Au milieu de cette course effrénée, une lettre fut transmise au palais royal : oubliant toutes ses obligations, la reine des fées vint elle-même retirer Myrtille de l'école. Daphné avait menti, bien sûr. Tous les élèves reçurent l'ordre de regagner leurs chambres, et les examens furent remis à plus tard.
Le soir, lorsque Roxanne s'écroula dans son lit, vidée, son logement lui parut bien vide. Elle retrouva dans les armoires désertes de Myrtille une plume, un crayon, le tableau griffonné par leurs hypothèses et ...elle s'effondra en pleurs.
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