3- Robyne des bois (1/2)

Robyne ! s'étrangla la gérante, mais qu'est ce qui t'a pris ?

La surnommée ne parut pas s'en soucier. Elle avait sorti de son manteau un mouchoir de soie, et astiquait une à une chaque pièce. Roxanne était habituée à cette précaution.

Sa grand-mère passait son temps à nettoyer au chiffon les affaires que sa belle –fille effleurait du bout de ses doigts graciles. Pour cause, la poussière d'étoile que les fées répandaient constituait la base des sorts de localisation. Si un malheur arrivait à Alissa, il serait fâcheux que je m'y retrouve mêlée. Les sorcières portent trop facilement le chapeau dans ces affaires –là, avait un jour expliqué Syrane tandis que dans un coin, la concernée déglutissait.

J'ai rendu heureuse quelqu'un. Il n'y a rien de mal à ça, se défendit-elle en haussant les épaules.

Sa sœur - qui répondait au nom de Coryn si le badge accroché à son gilet ne mentait pas - vit rouge.

Et si elle s'était mise en colère ? Si elle m'avait transformée en crapaud pour avoir trahi sa confiance ? Ou pire, si elle s'en prenait à Fan ?

— Tu dramatises...La reine des fées n'est pas cruelle pour un sou.

Voilà une personne que ne devait jamais rencontrer mamy Syrane mais qui s'entendrait à merveille avec Alissa. Elle aussi prétendait que sa Majesté incarnait autorité et compassion, bien qu'il soit difficile de se fier à l'avis de quelqu'un qui... pensait que tout le monde cachait de la bonté en soi. Y compris les plus vilaines sorcières.

Qu'en sais-tu ?

Une fois la poussière dorée dissoute, l'audacieuse sorcière attrapa la moitié des pièces et les glissa dans sa poche, l'air satisfaite. Et malgré ses remontrances, sa sœur ne rechigna pas à s'emparer des autres pour les verser dans la caisse.

— Regarde tout ce qu'elle nous a offert. Sans un pourquoi, ni une remarque.

— Elle est riche et elle voulait fuir au plus vite. Je n'appelle pas ça de l'altruisme.

Si Roxanne n'avait pas à mendier une seconde baguette pour son frère, elle se serait déjà écartée de la boutique. En général, elle ne s'obstinait pas à écouter une conversation qui ne la concernait pas. Encore moins, lorsqu'il s'agissait d'une dispute. Or, aucune des deux sorcières ne semblait s'inquiéter de sa présence et Robyne avait mentionné l'académie des brumes face à la reine, de quoi piquer son intérêt.

— D'accord, tu veux des preuves ? enchérit Robyne en agitant ses longues tresses blondes. Je l'ai déjà rencontré une fois, à l'académie. La directrice et elle s'entendent à merveille. Elle ne prend personne de haut, au contraire, elle demande à ce que son fils soit traité comme tous les autres élèves. Il devra même séjourner à l'internat. Imagine la tête de l'élève avec qui il partagera sa chambre.

Roxanne ignorait qu'un prince étudierait avec elle, mais dans le fond, cela ne l'étonnait pas. L'académie abritait entre ses murs les enfants issus de la haute bourgeoisie ou  noblesse féerique, alors pourquoi pas la royauté ? 

Dubitative, la vendeuse plissa le nez.

Ne me dis pas que tu l'as espionnée ?

—  Peut-être...

Furibonde, l'ainée frappa du poing sur le comptoir.

—  Robyne ! Quand cesseras-tu de prendre des risques ?

— Cette fois-ci c'était par inadvertance, je te le jure, je passais dans le couloir et ...

Exaspérée, Coryn leva ses grands yeux boisés vers le plafond, un enchevêtrement de poutres et de lattes brunes. Cela ne faisait aucun doute qu'un lien fort unissait les deux sorcières. Toutefois, au vu des pattes d'oies qui tiraient les yeux de la seconde et de l'impulsivité juvénile de la première, Roxanne supposa qu'une dizaine d'années les séparaient.

— Mais oui ! Et aujourd'hui aussi tu ne faisais que passer, tu t'es perdue dans ma boutique, j'imagine ?

Devant les traits sévères de sa sœur, la jolie blonde se mordit les lèvres, piégée dans son mensonge.

— On a besoin de cet argent, se défendit-elle avec hargne. Pour toi, pour la boutique. Et...j'espérais voir ce qu'elle t'avait achetée.

C'est confidentiel.

— Mais tu ferais bien une exception pour ta petite sœur, quémanda-t-elle en joignant les mains.

— Ma petite sœur, qui est incapable de garder un secret.

En signe de foi, la plus jeune des deux leva la main droite.

Sur l'honneur de Sherwood, je te promets que je garderai le secret jusque dans ma tombe.

Sherwood, ce nom rappelait à Roxanne des souvenirs d'enfance. C'était ici que son grand frère et elle passaient leurs étés juvéniles à courir dans la plus spacieuse forêt du pays. Des plantations de citrouilles bordaient le village comme une couronne de lauriers. Roxanne se souvenait de l'odeur de terre humide et des lanternes qui brillait chaque nuit au milieu des branches d'arbre. Hélas, elle n'y était plus retournée depuis le divorce de ses parents.

Tu le garderais encore mieux si je ne te le dis pas, rétorqua Coryn, un rictus sur le coin des lèvres.

Elle se détacha un instant du comptoir et plongea dans la réserve de la boutique où un panneau« interdit », aux tons rouges délavés par le temps, dissuada Roxanne d'avancer. Cependant pas Robyne qui s'engagea à sa suite en ânonnant des« s'il te plait » à tout va.

Alors, l'écolière elle se mit à sérieusement douter d'avoir rencontré une adulte.

Une adulte qui avait pourtant séjourné à l'académie des brumes.

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