28- Philtre de Jalousie

— Alors raconte, que s'est -t-il passé entre vous ?

Myrtille était d'une curiosité éreintante, bien que son amie ne soit pas la mieux placée pour lui en tenir rigueur : elle s'était elle-même mêlée de ses histoires de cœur pas plus tôt qu'hier, alors elle essaya de la comprendre. Un exercice de pensée bien difficile lorsque la princesse planifiait déjà le mariage, les enfants —pardon, les plus mignons bébés mages du monde— et la vie qui attendait Roxanne au palais. Comme d'habitude, elle parlait aussi vive qu'un moulin.

— Il ne se passe rien entre eux nous. Il est seulement venu chercher ses affaires...et me donner quelques cours de magie.

— Oh, fit-elle un peu déçue. La prochaine fois sera la bonne ! ou celle d'après ou...

—Myrtille !

— Ou je ferais mieux de ne pas m'en mêler davantage et de vous laisser vous acoquiner tranquillement...ou pas d'ailleurs, une belle amitié peut très bien vous attendre. Des cookies ?

En plus de préparer d'excellentes limonades, Austin réalisait les meilleurs biscuits de l'école, de quoi détrôner toutes les pâtissières de l'école, ayant malheureusement trop de bouches à nourrir pour l'égaler en qualité. Peu rancunier, le bibliothécaire avait remis à son amie trois boites de gâteaux : l'une pour Roxanne et les deux autres pour elle (ou pour Fly, mais dans ce cas, la jeune fée s'était bien gardée de le prévenir).

Myrtille n'eut pas à répéter car déjà Roxanne se servit un cookie, puis deux, puis trois. Un remède efficace contre l'anxiété pré-examen.

****

Ferme les yeux.

Respire, tu peux le faire. Personne ne te renverra.

D'après le règlement intérieur, rien n'interdisait l'utilisation de la sorcellerie pendant un examen. Mais rien n'interdisait non plus d'apporter des fusils chargés ou des bombes malodorantes, ce qui mit quelque peu en doute les paroles de Fly.

— On a qu'à en parler à Robyne, avait-il proposé. Elle supervisera ton épreuve aux côtés de la directrice. Si c'est interdit, elle te le dira tout de suite.

Ou elle préviendra le conseil des sorcières qui me mettra en prison...

Non, la sorcellerie était réglementée dans le pays des fées, pas proscrite. Pour les sorcières, il fallait un mandat spécial pour s'en servir, mandat que le prince pouvait délivrer sans trop de soucis. Le soir suivant, il avait bravé le couvre-feu pour lui apporter une copie de l'arrêté officiel de sorcellerie, incluant les sortilèges que même un enfant aurait le droit de manier. Roxanne y découvrit,  entre autres, des sorts de lévitation et protection qui continuaient de lui poser problème. Soulagée, elle avait toutefois décidé d'en informer Clarisse, sa tutrice, qui s'était montrée plus dubitative.

— Si tu veux mon avis, lui avait-elle conseillé en se grattant le front, tu devrais en parler avec la directrice. Ta théorie est excellente, ça serait dommage de tout gâcher en trichant sur la pratique Même si à mes yeux, ce n'est pas vraiment de la triche. Enfin, tu vois ce que je veux dire.

Cela faisait écho à la première suggestion de Fly. Alors, un peu après le déjeuner, Roxanne prit son courage à deux mains...et toqua dans la salle des potions.

— Entrez ! répondit une voix emprise de sa bonne humeur habituelle.

Affublée de gants, Robyne déplaçait le contenu d'une fiole dans une autre d'un geste délicat. A partir de la couleur de leurs robes et de la fumée verdâtre qui s'en dégageait, la sorcière devina qu'il s'agissait d'un mélange bave de crapaud des marais (rependus à Sherwood) et sève de bouleau dormeur, un arbre à l'écorce soporifique. Le mélange des deux était très utile pour pallier aux nuits blanches, de la caféine chimique en quelques sorte.

— Si je dérange, je peux repasser plus ta...

— Oh mais tu ne me déranges jamais. Ça tombe bien, je vais avoir besoin d'aide. En même temps, on pourra discuter.

Elle boucha sa mixture, la secoua et la déposa dans un bac où une vingtaine de potions similaires s'entassaient.

— Je prévois une seconde sortie à Sherwood au prochain semestre, si...tu es toujours des nôtres, ça te dirait de venir ?

Jamais Robyne n'avait envisagé que son élève préférée puisse échouer, ou du moins elle ne lui avait jamais avoué en face. En réalité, elle était bien la seule, sachant son excellence dans sa propre matière. Cependant, le corps enseignant avait dû échanger à son sujet et les premiers examens éliminatoires approchaient à grands pas. Personne ne pouvait se voiler la face : sans sorcellerie, Roxanne perdrait sa place dans l'école. Et cela la blessait plus qu'elle ne l'imaginait.

— Avec plaisir, répondit-elle toutefois pour donner le change.

— Merveilleux ! J'ai déjà demandé à Neige de me fournir une liste des inscrits, comme la dernière fois. Sa liste changera en fonction des élèves renvoyés bien sûr.

— Bien sûr, répéta Roxanne qui afficha une grimace, se classant déjà parmi les « renvoyés ». Je vais l'aider.

— Oh non, concentre-toi sur tes examens, je ne veux pas t'embêter avec ça. Neige et toi vous connaissiez bien : je suis certaine qu'il n'y a pas un nom que tu n'approuveras pas sur sa liste.

Un peu vexée d'être mise de côté, la jeune sorcière essaya toutefois de se rassurer : son amie n'avait pas à batailler avec ses cours, elle. En tant que première de la classe, elle méritait bien plus qu'elle ce privilège qui lui avait été auparavant accordée parce que du sang sorcier coulait dans ses veines.

— Peux-tu venir avec moi pour chercher quelques cartons que j'ai laissés dans mon bureau, je fais un peu de décoration dans cette pièce. L'ancienne commence à me donner la migraine.

Cela n'étonnait pas Roxanne. La salle de potions actuelle ne manquait pas d'élégance mais ne correspondait pas au style de l'enjouée professeure. Trop sobre, trop épuré. L'ancien maitre des potions n'aimait pas les fioritures, il radotait que les meilleures idées naissaient dans des espaces rangés et que les affiches risquaient de déconcentrer les élèves, ou pire de leur souffler les réponses lors d'examens mineurs.

— J'ai essayé mille fois de le faire changer d'avis mais ce vieux grincheux n'a rien voulu savoir ! Maintenant que la place est libre, j'en profite. Tu préfères ces rubans rouges ou ces rubans violets ?

Pour quelqu'un qui disait vouloir la laisser réviser, Robyne lui rognait beaucoup de temps avec des futilités. Toutefois, Roxanne refusa de le lui signaler : elle aimait passer du temps avec sa professeure. Et surtout, elle avait besoin de s'évader de ses oppressantes révisions.

— Les violets, répondit-elle, un peu au hasard.

— Alors je te les offre ! Si ne les veux pas pour toi, donne-les à Neige, je suis sûre que ça lui fera plaisir.

Tout à coup, la jeune fille se figea avant même d'avoir attrapé le ruban.

— Neige ? Vous...vous saviez pour elle ?

Le sourire de Robyne s'élargit de malice.

— Ah, tu réagis enfin ! Ça doit être la quatrième fois que je prononce son nom, je commençais à me dire que tu devais vraiment être préoccupée par quelque chose pour ne pas avoir tiqué.

— Comment vous avez su ? Est-ce la directrice qui...

Étant donné la manière dont Madame Gorgias avait traité Myrtille à son premier cours, Roxanne était pourtant convaincue que le reste du corps professoral ignorait tout de la situation.

— Oh non, la directrice est d'une loyauté exemplaire envers la reine. Si cette dernière lui confiait un secret, soit sûre qu'elle l'emporterait dans sa tombe. Mais on ne peut rien me cacher, et puis vous n'étiez pas très discrets tous les trois, surtout Peterfly.

Roxanne s'en voulut. Elle avait pourtant fait très attention à ne jamais appelé Myrtille par son véritable nom, pas même en privé. Toutefois, il ne pouvait pas vraiment en dire autant de Fly : il aurait pu être assez étourdi pour révéler au détour d'une conversation l'identité de sa sœur. Ce ne serait pas la première fois. Étrange toutefois que la sorcière ne s'en souvienne pas...Aurait-il gaffé en classe ou dans le couloir adjacent, en plein milieu de son groupe d'amis ?

— Vous allez garder le secret ?

Elle fit mine d'hésiter, les yeux brillants.

— Ça dépend, tu serais prête à acheter mon silence ?

Un ange passa, et la maitresse des potions éclata de rire.

— Je plaisante, bien sûr que je ne dirais rien. Il faudrait être sot pour vouloir s'attirer le courroux de la reine. Et puis cette brave Myrtille ne mérite pas d'ennuis, alors compte sur moi, personne n'en saura rien...Si Peterfly et toi essayez d'être un tout petit peu plus discret, bien entendu.

Pour montrer la bonne foi, l'élève acquiesça d'un hochement de tête.

— Merci Robyne.

Elles retournèrent dans la salle de classe afin de déballer plusieurs cartons, dont un rempli de babioles, de sculptures d'elfe et d'animaux en bois. De tous, Robyne semblait vouer une passion pour les renards, puisqu'elle en disposa une bonne dizaine autour de son espace de travail. Elle accrocha dans les airs à l'aide des fameux rubans rouges, des oiseaux de laiton que les rayons du soleil aggripèrent. Cependant, si elle avait recouvert avec joie les murs de croquis et tableaux forestiers, elle dut se résoudre à conserver la couleur des rideaux. Maintenus fermés la plupart du temps, ils ne pouvaient porter de couleurs trop vives, au risque de fausser les résultats de quelques travaux pratiques.

— Au fait, tu n'es surement pas venu ici pour refaire la décoration ?Je t'écoute, que puis-je faire pour toi.

— J'avais une question à propos des examens.

Elle lui parla de la sorcellerie, dévoila le document que Fly lui avait gentiment offert et énuméra ses craintes. Ensuite, elle lui fit quelques démonstrations, déplaça un scalpel d'un chaudron à un autre et fit ruisseler un mince filet d'eau autour. Quand elle eut terminé, Robyne la dévisagea, songeuse.

— Vous pensez que je pourrais passer les examens avec...ce type de magie ?

— Ce n'est pas à moi de décider mais tant que tu réponds à l'exercice demandé...je n'ai aucune raison de te retirer des points. Je vais me renseigner mais promets-moi de te tenir à cette liste. La sorcellerie est dangereuse, Roxanne.

— Vous l'avez déjà utilisé ?

Elle secoua la tête, mais son expression s'était ternie comme ravivée par de douloureux souvenirs.

— Moi non, mais Coryn, ma sœur ainée a failli perdre la vie par sa faute. Elle a voulu sauver une fée trop imprudente de la noyade...et elle lui a brulé les ailes. L'incendie s'est propagé.

Elle marqua une pause et dirigea son regard vers le sol, troublée.

 — Trop courageuse pour prendre la fuite, elle a voulu lutter contre son propre sortilège : la fumée a fini par l'asphyxier. Elle n'a jamais réussi à l'éteindre, laissant ce travail pour les fées. Écoute, la sorcellerie n'est pas enseignée dans toutes les écoles pour une bonne raison. Elle est dangereuse. Sers-t-en pour les examens, le temps de passer au semestre supérieur mais ensuite essaie de t'en passer. 

Son ton s'était fait sec, assez pour dissuader Roxanne d'insister. L'horloge résonna, lui indiquant que les entrées allaient être servies et affamée, la jeune sorcière regagna le couloir. La dernière remarque de Robyne l'avait interpellée : convaincue par les arguments de Fly, elle n'avait pas songé que la sorcellerie puisse causer autant de dégâts. Pourtant, lorsqu'elle s'entrainait, elle se rappelait que Fly se tenait toujours à ses côtés prêt à annuler ses sorts au moindre dérapage. Une magie basée sur les émotions . Combien de sorcières s'étaient laissées, comme Coryn, emporter par leurs souvenirs ? Combien d'entre elles avaient causé sans le vouloir des accidents ?

Faisait-elle bien de s'entrainer ?

Soucieuse, elle s'engagea dans les escaliers menant au réfectoire...avant qu'une onde de choc ne la propulse tout en bas. Son dos cogna contre la dernière marche, la pliant de douleur. Elle roula sur plusieurs mètres finalement arrêtée par le coin d'un mur. Meurtris, ses muscles lui interdirent de bouger. Elle rouvrit les yeux sur une silhouette féminine à la longue chevelure sombre.

— Sorcière ! cracha cette dernière comme s'il s'agissait d'une insulte. Tu n'es rien pour lui, rien !

Elle dénoua un bâton de sa ceinture et porta le premier coup. Roxanne l'esquiva de justesse. Mais pas le deuxième, ni le troisième, qui embrouillèrent sa vision de larmes. Une chaleur liquide glissa le long de sa tempe, l'arme ayant griffé sa peau. Ses joues brûlaient, ses poumons sifflaient, comprimés par une magie redoutable. Elle essaya de tendre la main, implorant de l'aide, mais sa tortionnaire qui avait replié ses longues ailes brunes la lui écrasa sans merci.

— Fly est à moi ! scanda-t-elle alors que la sorcière arrêta de se débattre, vaincue.

La fée partit sans dévoiler son visage, pourtant Roxanne avait cru reconnaitre son allure et sa voix.

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