27-De la sorcellerie ?(2/2)
Fly semblait mille fois plus sérieux en tant qu'instructeur qu'en tant qu'élève. Roxanne, qui le voyait si peu réviser, n'aurait jamais cru qu'il puisse lui prodiguer de si bons conseils. Il ne la rabaissa pas, ou très peu, commença par lui apprendre quelques exercices de respiration, appris aux côtés d'elfes aguerris puis introduisit sa première leçon de magie.
— Tu sais pourquoi les sorcières ont besoin de baguette ?
Roxanne s'était tant posé la question et avait tant fouillé dans de lourdes encyclopédies, que la réponse apparut d'elle-même. Pourquoi les sorcières sont-elles si mauvaises pour lancer des sorts ? Parce qu'elles avaient besoin d'une passerelle pour relier la magie qui circulait dans l'air à leur âme, une passerelle que possédaient naturellement les fées, bien entendu.
— Parce que sans baguettes, on ne vaut pas mieux que des humains.
— Faux ! contredit le professeur improvisé en imitant le bourdonnement d'un clairon. Vous avez besoin de baguettes parce que votre magie est différente. Chez les fées, toute notre magie vient de notre corps, nos ailes, nos cheveux et le pollen qui germe dans les fleurs. Elle est visible et malléable. La vôtre vient juste ici.
Elle crut qu'il allait pointer son cœur, mais sa main s'aventura plus haut, longeant la courbure de ses joues et les boucles de ses cheveux roux.
—Mes tempes ?
Il secoua la tête.
— Tes souvenirs. On va essayer quelque chose, lâche cette baguette et ferme les yeux. Maintenant, pense à un souvenir d'enfance, quelque chose de vraiment fort. Quelque chose qui t'a mise en colère.
Elle se remémora d'abord leur première rencontre : l'arrogance du prince, ses mallettes renversées, et ce pauvre Bunbun à demi sonné qui sautillait en zigzag, le museau en alerte. Puis, un autre plus profond, chamboula sa mémoire. La première grosse dispute entre ses parents, les assiettes qui volaient au-dessus de la table à manger, l'inquiétude de Rory qui serrait sa petite sœur dans ses bras pour la protéger du monde adulte. Au fil des années, la peur avait laissé place à la colère. Pourquoi ne sont-ils pas capables de s'aimer ? avait-elle songé. Les reproches s'était reportés sur leur mère, qui avait plié bagage sans leur dire au revoir. Depuis, leur père s'était excusé, pas elle.
— Maintenant, imagine la scène autrement, imagine ce que tu aurais pu faire pour l'améliorer.
Tout en suivant ses instructions, elle visualisa la scène du mieux que son esprit d'enfant lui avait permis. Elle aurait aimé que les assiettes s'arrêtent, qu'elles s'alignent sur la table, comme si le souper approchait. Elle aurait souhaité crier, se défaire des bras solides de Rory et convaincre ses parents de se calmer, de discuter auprès d'un feu chaleureux. Elle aurait voulu qu'ils la serrent dans ses bras, à la place de Rory, qu'ils lui promettent d'au moins essayer de s'entendre, de rester cordiaux l'un envers l'autre.
Une douce chaleur jaillit de ses paumes et surprise, elle ouvrit les yeux chassant les bribes de son imagination. En rang d'oignon, ses plumes d'oies et crayons à dessins avaient quitté leur pot, étalés de long en large sur le bureau.
— Qu'est-ce que tu as souhaité ?
— Un repas en famille...souffla-t-elle, émerveillée d'une prouesse pourtant si banale. Tu me jures que tu ne les as pas mis en place pendant que je fermais les yeux ?
Il leva la main droite.
— Parole de fée.
En s'approchant de son bureau, Roxanne remarqua que le bois de quelques crayons avait brûlé. Juste un peu, de quoi obscurcir la mine. Là encore en était-elle responsable, elle qui peinait toujours à attiser le moindre élément ?
— Un sorcier m'a appris cette astuce, avec de l'entrainement tu arriveras sans doute à te hisser vers le milieu de la classe. Quand je reprendrais ma place de premier et que ma chère sœur me suppliera de lui enseigner tout ce que je sais.
Malgré elle, la jeune fille gloussa. Aucun risque. Myrtille disposait d'une avance que Fly ne pourrait jamais rattraper. Aussi fainéant qu'un paresseux, le prince n'écoutait que la moitié des cours, sans trop s'attarder sur les exercices. A l'inverse, sa sœur devait être la fée la plus studieuse que la sorcière connaissait, toujours le nez dans un ouvrage—bien que, de son point de vue, elle n'ait pas besoin de se fatiguer autant .
— Pourquoi t'a-t-il appris tout ça ? Ça ne devait pas beaucoup t'intéresser, si ?
— Au contraire, réfuta-t-il d'un air outré. Le monde ombrumien est passionnant. Je parie que tu n'es jamais allée dans sur les dunes des dragons, d'immenses désert où fleurissent parfois des volcans. Petit, je voulais savoir comment fonctionne la magie dans les autres royaumes entre autres, et comme j'avais d'énormes facilités pour les cours...J'ai demandé aux mages de ma mère de m'enseigner la sorcellerie— c'est le nom qu'on donne à la magie que tu as expérimentée. Ça marche aussi sur les fées...mais crois-le ou non, on est dix fois plus mauvais avec cette méthode. Ce que tu as fait, j'ai mis des mois avant d'y parvenir.
Bouche bée, Roxanne peina à lui répondre. Elle n'en revenait pas : isolé dans un palais luxueux, Fly avait découvert une nouvelle façon d'utiliser la magie qui lui était inconnue, même de nom.
— Pourquoi...Pourquoi ce n'est pas plus répandu ? Nous n'aurions plus besoin de baguettes, les fées et les sorcières seraient sur le même pied d'égalité, enfin. C'est ce que les fées veulent, c'est que ta mère veut.
Gêné, le fae se pinça les lèvres.
— La sorcellerie a très mauvaise réputation, même dans le royaume des sorcières. Quand j'étais petit, j'espionnais parfois les réunions de mère. Je ne sais comment le sujet est arrivé sur la table mais bien avant ma naissance, mes grands-parents ont réussi à limiter son utilisation...En commençant par faire interdire tous les manuels qui la concernent. En magie, tout est simple : on manipule son flux comme de la pâte à sucre, on apprend des gestes, des sorts, on se concentre et Pouf elle s'exécute selon nos ordres. La sorcellerie se base sur les émotions. La contrôler revient à puiser dans sa colère, sa peur, sa tristesse, sa rancune...mais elle est aussi magnifique.
— Ou dangereuse. Si tous les sorciers se mettaient à s'exercer sans contrôle, les plus déséquilibrés causeraient un désastre.
— C'est aussi le cas pour la magie, objecta-t-il. Si une ombrume voulait causer du tort à autrui, elle le ferait. La seule différence, c'est que tout le monde connait la magie...ce qui signifie qu'on sait aussi la contrer. Pas la sorcellerie.
— Je ne comprends pas: j'ai déjà été en colère, triste, amoureuse... —il sourcilla à cette confession mais n'émit pas une remarque — Les sorcières auraient dû se douter que la sorcellerie existe depuis longtemps ?
—Ça ne fonctionne pas comme ça.
Puis il précisa son objection. En sorcellerie, la magie vibrait dans les souvenirs des sorcières. Sans souvenirs, pas de sortilèges. Les émotions n'étaient qu'un moyen de transport, un carrosse tiré par des neurones flasques —comme le décrivit Fly. De plus, il fallait garder en tête assez longtemps la même réminiscence pour permettre le voyage; et quand bien même une étincelle surgirait, les sorcières trop superstitieuses songeraient avant tout à une intervention divine.
— C'est pour ça que tu me l'as apprise ? Tu aimerais rétablir la sorcellerie dans ce monde.
Il réfuta d'un signe de tête.
— Je voulais t'aider à mon tour. Je t'ai fait vivre un enfer et ...Tu as été adorable avec moi. En plus, tu es très douée pour contenir tes émotions, j'étais certain que ta magie serait puissante, sourit-il.
Il mentait, bien sûr que ce n'était pas la seule raison. Or puisqu'il s'était soudain mis à fixer avec insistance le matelas nuage qu'il n'utiliserait plus, Roxanne n'insista pas.
— J'ai quelques affaires à récupérer, fit –il soudain pour remplir le silence entre eux. Maintenant que Daphné est revenue, je ne suis plus seul dans ma chambre.
Il esquissa un sourire mais il semblait trop faux, trop forcé.
— Myrtille m'a prévenue pour...votre petite comédie avec Daphné, son retour doit t'enlever un poids maintenant qu'elle est là pour te défendre.
Puisqu'il ne répondit rien, le regard toujours perdu sur son fichu lit douillet —comme s'il l'évitait—, elle ajouta :
— Elle est vraiment très gentille. Tu...l'aimes bien ?
Elle méritait un zéro pointé en cours de subtilité mais son cœur avait parlé pour elle : il fallait qu'elle sache. Pour assouvir une très mauvaise curiosité ?
— Je l'aime bien, oui.
Mais encore ?
— Mais je ne suis pas amoureux d'elle, révéla-t-il ensuite l'agrippant de ses yeux mauves étincelant de malice.
Il se leva de la chaise sur laquelle il s'était assis et avança d'un pas.
— Être prince, c'est accepter de ne pas avoir beaucoup d'amis, de vrais amis. Les gens qui nous entourent sont soit trop prudes pour nous approcher, soit...intéressés.
Sa voix craqua à ce mot, toutefois, Roxanne n'osa s'y immiscer.
— Lorsqu'elle a été embauchée, je pensais que Daphné ne serait pas différente des autres mais elle a tenu à ce que je la vois comme une amie...et non comme ma protectrice. C'est d'ailleurs elle qui a eu l'idée de notre « couple ». Mais non, mon cœur est encore à prendre, du moins pour le moment. Attention, je suis très prisé...et en unique exemplaire.
Quoi qu'il fasse, son arrogance ne le quittait jamais or pour la première fois la sorcière y trouva un certain charme.
— Je ne suis pas du tout intéressée par toi, si c'est ce que tu insinues, lui rétorqua-t-elle le défiant de déceler son petit mensonge.
Pourtant lorsqu'il avança encore vers elle, elle buta contre son bureau de bois.
— Vraiment ?
Il la détailla de haut en bas et appuya ses mains sur le rebord du meuble, pour l'enfermer entre ses deux bras tendus.
— Je dirais même l'inverse : tu as un petit faible pour moi et que tu espères que ce soit réciproque, déclara-t-elle, davantage pour cacher son trouble que par foi en ses propres mots.
Elle ne le laisserait pas gagner cette curieuse joute verbale dans laquelle ils s'étaient lancés.
— Tu divagues...
— Tu rougis !
En réalité, les joues du prince n'étaient pas moins clairs que de coutume mais cela suffit à le déstabiliser. Il secoua la tête et s'approcha davantage d'elle.
— Même une gorgone ne tomberait pas dans tes bras, articula-t-il , moqueur.
— Tu es plus agaçant qu'une harpie !
— Et toi ennuyeuse comme un troll.
— Prétentieux !
— Fausse rousse !
Elle tiqua.
— C'est une insulte ça ?
— De mon point de vue, oui.
— Sang de vipère !
—Limace !
— Hibou grincheux.
— Je... je te déteste !
Leurs souffles s'arrêtèrent à l'unisson. Roxanne baissa le menton vers sa poitrine au creux de laquelle son cœur rata un battement. Elle avait joué, elle avait perdu, et ils devaient paraitre bien stupides. Ses boucles rousses s'agitèrent légèrement, tandis que Fly se détacha du bureau d'un geste lent.
— Non, en fait ! Je...je ne suis plus certain de te...de te détester.
Son ton s'était fait plus sérieux, plus sincère. Il ancra son regard dans le sien, la figeant sur place. Pourtant il avait retiré ses bras, la laissant libre de s'enfuir, libre de le repousser. Ses mots n'étaient en rien une déclaration d'amour mais ils sonnaient tout comme. Elle se pencha en avant, il attrapa ses mains et...le claquement d'une paire de bottines les interrompit. Dans une robe de soie améthyste, Myrtille se tenait sur le pas de la porte.
— Oh j'arrive au pire moment ! Pardon ! Pardon ! Pardon ! Faites comme si je n'étais jamais venue.
Elle s'éclipsa avant que Roxanne n'ait pu la retenir. Son arrivée avait quelque peu calmé la tension entre eux et déjà la rouquine réapprit comment respirer.
— Je vais lui dire qu'elle peut revenir, commença Fly, comme si rien ne s'était produit. Je dois partir de toute façon. Daphné m'attend, je lui ai promis de lui raconter en détails ce qu'il s'est passé durant son absence.
Sa camarade acquiesça; toutefois, avant de mettre à exécution ses propos, il s'élança vers elle, posa une main contre sa taille et planta un baiser sur sa joue.
— Je ne veux pas que tu partes non plus de cette école. Alors, je ferais tout pour que tu réussisses ces examens idiots.
Lorsqu'il partit enfin, le cœur de Roxanne se mit à battre si vite qu'elle ne put renier ses sentiments plus longtemps
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