22- Dans la tête d'un prince

— Mère est au courant que tu es ici ?

Tout en resserrant ses petits bras autour du corps de Framboise pour ne pas la laisser chuter, Lizzie fit non de la tête. Fly aurait dû s'en douter. Depuis quelques années, sa petite sœur enfreignait pour un oui ou pour un non les limites que lui imposait leur mère. 

Lizzie était leur petite sœur, la dernière de leur immense fratrie et surtout la préférée de leur mère. Au fond, Fly savait à quoi était dû ce traitement de faveur : la petite fée était surprotégée, fragile, incapable de quitter les murs du vaste palais. Alors, s'il devait devenir sa prison éternelle, autant qu'elle s'y amuse un peu.

A peine Neige eut-elle déverrouillée la serrure d'or de sa chambre que le museau de Framboise se redressa et l'insupportable lapin de Roxanne bondit jusqu'à elle. Comme pris de démence, il se mit à balancer ses longues oreilles en direction de son panier personnel —alors qu'il s'était offusqué lorsque Fly avait eu l'audace d'y poser son sac à dos. Favoritisme, grommela le prince en le fusillant du regard.

Lizzie déposa son animal avec douceur, la laissant aux bons soins de Neige, sous l'œil inquiet de la boule de poils griffeuse. A l'image de sa propriétaire, la petite lapine souffrait d'une santé fragile et de surprotection. Elle passait régulièrement voir Neige, qui battait des records en guérison animalières. Dommage que mère n'ait pas le temps d'admirer son don...

— Et voilà, déclara-t-elle au bout de quelques minutes. Je vais la garder en observation jusqu'à demain...puis je la ramènerai au palais. Quant à toi, Rosette, retourne immédiatement à la maison avant que mère ne se fasse un sang d'encre.

Lizzie grimaça à l'entente de ce surnom. Chacun de ses frères et sœurs avait pris l'habitude de lui en confier un, et celui de Neige...gagnait sans le moindre doute le trophée du plus mauvais. Cependant, la benjamine ne discuta pas, glissant à son amie à longues oreilles quelques mots.

— On se revoit vite, en attendant, tu as un ami pour te tenir compagnie...Mais tu ne m'oublies pas, hein ?

Les oreilles en guise de polochons, Framboise releva une paupière, et hocha la tête. Bunbun —quel nom stupide— lui indiqua la sortie du bout des pattes, semblant dire « allez ouste, Framboise a besoin de repos ». Ensuite, elle quitta la pièce.  Neige la raccompagna à la passerelle magique la plus proche,  pour s'assurer qu'elle ne s'accorderait pas une visite clandestine de l'académie et revint quelques minutes plus tard.

— On va devoir se contenter de barres de céréales et de fruits séchés, feignit de se plaindre le prince en ouvrant déjà un sachet d'oranges confites, trouvé dans les armoires de sa propre sœur.

— Pourquoi tu n'es pas redescendu manger ? le questionna –t-elle.

— Pourquoi tu as tant insisté pour raccompagner Lizzie alors qu'un beau Fae t'attendait en bas pour te déclarer son amour ? Oh Myrtille, puis-je m'asseoir sur l'une des quatre chaises vides que tu as laissée à côté de toi ?

Pour parfaire son imitation, il battit des cils et joignit ses mains, la bouche en cœur. Les joues de Neige s'empourprèrent et il ricana de plus belle.

— Eh ! Moi aussi, je pourrais dire que tu en pinces pour quelqu'un.

Ses rires se turent. Il haussa un sourcil, perplexe. Que racontait-elle ? Il ne ressentait pourtant rien pour aucune fée de la classe.

— Qui donc ?

— Une très jolie sorcière que tu ne peux pas quitter des yeux.

A ces mots, il manqua de s'étouffer. C'était l'idée la plus absurde qu'il n'ait jamais entendu. Non, c'était tout juste s'il supportait Roxanne et encore, il le faisait par...nécessité.

— Je sais que tu l'aimes bien, ajouta sa sœur avec un sourire malicieux.

— Pas du tout ! Elle est insupportable et mal habillée et ...

— Mignonne ! Ne dis pas le contraire, tu as toujours eu un faible pour les rousses.

— Absolument pas !

Ce n'était pas parce qu'il avait longtemps voué un culte à la plus grande troubadour du pays—une fée à la chevelure de feu aussi talentueuse que magnifique— qu'il tombait automatiquement amoureux de la première rouquine qu'il croisait. Balivernes. Il compta argumenter davantage, répondre à chacune des insinuations que sa sœur lui aurait lancées... mais la princesse avait abandonné le débat.

Elle s'empara d'un sac vide, caressa la tête écailleuses de Ragoût sans se retourner vers lui. Elle paraissait préoccupée.

— Je te laisse ici cinq minutes, annonça-t-elle après un long silence, j'ai quelques livres à récupérer à la bibliothèque. Je...J'ai quelque chose à faire.

Sans lui laisser le temps de la questioner, elle passa le pas de la porte. Fly sentit sa poitrine se serrer. Il devinait sans mal quelle idée avait traversé l'esprit de sa jumelle et elle risquait d'en sortir le cœur brisé. Peut-être par sa faute.

Sa moquerie avait-elle accéléré sa décision, ou Neige y pensait-elle bien avant l'arrivée de Lizzie dans l'école ? Sans réponse, il attrapa des lentilles bleues, une copie que sa sœur gardait dans un tiroir pour masquer la teinte violette de ses prunelles et les superposa à  ses yeux. Il saisit un chapeau, récita dans sa tête un sort...puis s'engagea à son tour dans la bibliothèque.

A cette heure-ci, le gardien des lieux était déjà remonté et Roxanne avait déjà filé voir Clarisse.

Les hautes fenêtres donnaient sur la cour de l'école, où assise dans l'herbe haute entre les feuilles mortes et les lucioles, la sorcière suivait ses cours de soutien. Parfois, le prince s'amusait à la regarder du haut de la tour d'exploration ou de sa chambre—lorsqu'il l'habitait encore. Il avait d'abord voulu s'assurer qu'elle ne réalise aucun progrès. Après tout, il était plus simple pour lui qu'elle échoue par elle-même.

Puis, il s'était amusé à observer ses gestes, sa technique, la façon grotesque dont elle tenait sa baguette.

Il n'entendait pas ses sorts, sans doute écorchés, mais visualisait sans mal la faiblesse de sa magie. Pourtant, elle ne se décourageait jamais. Elle continuait, parfois seule, parfois avec sa tutrice. Neige devait souvent aller la chercher pour lui rappeler qu'un repas chaud les attendait au réfectoire. A ce moment-là, Fly se rendait compte que des heures s'étaient déjà écoulées.

Le regard visé sur la jeune fille, le prince secoua la tête. Neige ! Il devait se concentrer sur Neige. Cette dernière ne s'était pas rendue compte de sa présence, les doigts entortillés, se balançant d'un pied sur l'autre. Austin lui tournait le dos sans se douter de l'annonce qu'elle lui réservait.

Elle se racla la gorge, il se retourna, manquant de faire tomber la pile de livres qu'il tenait dans un équilibre incertain.

— Myrtille ! s'exclama-t-il, sincèrement heureux de la voir.

Fly se logea au bord d'une étagère qu'il frôlait de son épaule pour s'approcher d'eux et mieux les espionner. Mais d'ici, il n'entendait rien. Alors il s'assit près d'une table d'un bois si usé que le vernis s'écaillait. Du bout du pied, il écarta la chaise qui le gênait et se faufila sous le meuble.

— Désolée pour tout à l'heure, je voulais revenir mais la petite sœur du prince est...bavarde.

— Ça ne fait rien, répondit le fae en balayant l'air de sa main. On ne peut rien refuser à un membre de la famille royale. Au fait... J'ai remarqué que la petite princesse t'aimait bien.. Le prince et toi...vous êtes amis ?

— Oh on se supporte tout juste, mentit-elle, prise d'un léger rire nerveux.

Soudain, Austin approcha sa main de la joue de Neige. Elle rosit sans  l'empêcher de replacer une mèche de ses cheveux teints derrière son oreille. Fly hésita. Il devrait intervenir, permettre à sa sœur de s'enfuir avant qu'elle ne commette une erreur. Or il resta tétanisé.

Le prince connaissait peu le bibliothécaire, mais il avait l'air de ceux qui ne pardonnaient pas les secrets. Même si Neige se taisait, il finirait par apprendre sa nature, et il la rejetterait.

Pire encore, il pourrait être l'assassin ? Il enfermerait la princesse dans une grotte miteuse, demanderait une rançon... Ou la tuerait de sang froid.
Pourquoi ne réagis-tu pas, Peterfly ?
Pour sortir de ce scénario cauchemardesque, il secoua la tête.

— Je vois mal comment il est possible de ne pas t'aimer, avoua Austin. Tu es adorable et...magnifique.

Fly se crispa. Lorsqu'Austin se pencha vers la jeune fée et frôla ses mains des siennes, il se releva d'un bond et se cogna le front.

— Attends ! l'arrêta Neige en s'écartant de lui.

Sans prêter garde au choc sourd et aux légers gémissements du prince, Austin ne quitta pas des yeux la princesse, bouleversé.

— Je...Excuse-moi bredouilla-t-il, je ne sais pas ce qu'il m'a pris. Je pensais que...C'était stupide.

Elle ne relâcha pas ses mains, comme si elle craignait qu'il ne s'enfuie. Son regard se balada un instant à sa droite, là où Fly tenait sa tempe sur laquelle une bosse fleurirait. Puis, elle revint vers l'étudiant.

— Non, non, ce n'était pas stupide... Mais, avant tout, je dois te dire quelque chose. Mais... pas ici, tu crois que tu peux laisser la bibliothèque sans surveillance quelques minutes ?

Il acquiesça, et ils sortirent tous les deux. Fly se hâta de les suivre, or avant qu'il n'ait pu entrer à son tour dans la chambre, sa sœur lui referma la porte au nez.

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