21 - L'enfant perdue

— Elle vous a demandé quoi ?

Depuis presque deux semaines, Fly dormait dans la chambre de Myrtille et Roxanne, sur un matelas-nuage qu'il avait expressément fait livrer de son palais. Il tachait d'être discret, passant le plus clair de son temps entre les allées de la bibliothèque pour ne pas attirer les soupçons, à tel point qu'il commençait à exaspérer Austin. Il vient, il se promène. Il vient, il se promène, il m'ignore. Il dérange un ou deux livres, sans même le lire puis le repose. Et il m'ignore à nouveau. Je n'en peux plus, avait-il un jour confié à la jolie fée avec qui il s'entendait de mieux en mieux.

— Une liste des bons et des sérieux élèves, répondit la princesse. Et arrête de grogner ! Mademoiselle Clair-de-bois a eu raison de ne pas te le proposer, tu te comportais comme un rustre avec elle.

Fly renifla, peu enclin à écouter sa sœur lui rabâcher les mêmes remontrances. Maintenant que son masque était tombé, elle ne se retenait plus.

— Il n'empêche qu'elle fait du favoritisme. Et c'est contraire au règlement, grommela-t-il.

—Oh pitié, quand l'ensemble du professorat est à tes pieds, ça n'a pas l'air de te poser problème.

Tout en sirotant un verre de limonade, Roxanne les regardait se chamailler sans rien dire. Depuis trois jours, ils enchainaient les disputes : Fly devenait de plus en plus bougon, renonçant parfois à se rendre en cours, ce que Myrtille ne supportait pas.

Au fond Roxanne comprenait les raisons des deux camps, elle avait ainsi pris la décision de ne pas interférer. Daphné n'était toujours pas revenue. Pire encore, son allergie avait muté en quelque chose de plus malin. Lorsque Fly s'était rendue à son chevet, la semaine dernière, une guérisseuse lui avait confié qu'une ombre s'était introduite en douce dans le centre de soins, peu avant la rechute de la pauvre malade.

En ce moment, même s'il essayait de ne pas le montrer, il paraissait pris dans un étau.

—Bien sûr, je suis leur prince. Comment veux-tu qu'ils me traitent ?

Un étau qui ne l'empêche pas de se montrer prétentieux, se corrigea la sorcière en aspirant une gorgée de sucre dans sa paille de bois.

Excédée, Myrtille roula des yeux et s'en alla nourrir Ragout de friandises à la viande et aux tiges de charbon.

— Je savais qu'on n'aurait pas dû mettre son nom sur la liste, soupira-t-elle en échangeant un regard à sa colocataire, qui lui répondit en haussant les épaules.

Les iris améthystes de Fly se mirent à briller.

— C'est vrai alors je suis sur la liste ? s'exclama-t-il.

— Seulement parce que ni Roxanne, ni moi ne voulons rater la sortie en ayant à te surveiller.

L'excuse était minable ; Myrtille avait insisté pour inscrire le nom de son frère bien avant les tentatives de meurtre-et l'annonce de sa royale identité. Elle avait prétexté craindre les représailles de la reine des fées et pour la première fois, la sorcière avait gobé son mensonge. Au moins, elle s'améliorait dans la matière.

Aux anges, il sauta dans les bras de sa sœur, muni d'un sourire aussi éclatant que ses cheveux. Dernièrement, il était si rare de voir le prince exprimer sa joie que Myrtille accepta son étreinte avec tendresse.

— Je ne savais pas que la botanique te passionnait à ce point, se moqua toutefois Roxanne, adossée à son bureau massif.

— Oh ce n'est pas pour les champignons que je me réjouis.

Laissant flotter un sourire énigmatique, il empoigna le cordon de son sac et rejoignit la bibliothèque, comme toujours aux alentours de dix-huit heures. Cette combine laissait le temps à Myrtille et Roxanne de se rendre seules au réfectoire.

— Je crois que son altesse royale a faim, déclara Myrtille en saisissant les clefs de leur chambre.

Fly n'attendait pas cinq minutes avant de suivre leur pas, pourtant la jeune fée redoutait toujours ce moment : si l'assassin agissait, elle n'était pas certaine d'entendre les cris du jeune prince, et d'accourir assez vite.

Heureusement, alors que les cuisinières installaient les couverts sur la longue table d'or et que les deux amies proposèrent de les aider, Fly arriva, indemne. Lilas le tira par le bras pour le presser de les rejoindre. Apparemment, il avait énoncé la meilleure blague du monde puisqu'une fois à table, elle poussa des cris de poules, bientôt imitée par Jasmine et Harold.

—Je peux m'asseoir à côté de vous ?

— Oui ! Viens ! s'exclama Neige en désignant le siège à côté du sien.

Avant de l'apercevoir, Roxanne comprit qu'il s'agissait d'Austin. Le jeune fae arrivait difficilement à manger au réfectoire, pris soit par la tenue de la bibliothèque, soit par ses études.Or, lorsqu'il y parvenait, il s'arrangeait toujours pour partager son diner avec la fée dont il semblait avoir le béguin.

Un jour, ces deux-là s'avoueraient leur amour. A leur rythme, le moment venu .Roxanne n'osa pas les presser. Elle se posait seulement une question : comment réagirait Austin en apprenant que Myrtille était de sang royal ?

Les entrées arrivèrent en lévitant jusque dans les assiettes blanches aux lisérés d'argent. Des petits chaussons aux légumes, que la cuisinière recyclait un diner sur deux. Roxanne ne s'en plaignait pas, elle en raffolait contrairement à Myrtille qui grimaçait parce qu'il y avait toujours trop de courgettes à son goût.

— Au fait, commença Austin en se penchant vers elle, je voulais te dire ...

— Framboise est malade !

Une fillette s'était adressée à eux. Rose de la tête aux ailes, elle serrait dans ses bras une lapine qu'elle avait décidée d'assortir à sa tenue, un épais nœud rose lui masquant les oreilles. Myrtille tressaillit, en se pinçant les lèvres. Fly de son côté se leva à toute hâte.

— Lizzie, qu'est-ce que tu fais là ? lui demanda-t-il en s'agenouillant à sa hauteur.

— Framboise a de la fièvre...alors je me disais que Nei...que tu pourrais m'aider.

Avec sa robe de soie, et sa petite couronne rose, Roxanne se doutait qu'elle venait de la famille royale. Les visites étaient interdites et la directrice ne tolérait pas le moindre intrus dans son établissement mais Myrtille lui avait confié que de nombreuses passerelles magiques reliaient l'école au palais des fées. L'enfant avait dû en emprunter sans se poser plus de questions.

Sans remarquer le trouble de sa voisine de table, Austin s'immisça dans la conversation.

— Je connais quelqu'un qui fera des merveilles avec ton amie Framboise, glissa-t-il avant de se tourner vers Myrtille. Enfin si tu veux bien l'aider ?

Cette dernière soupira, soulagée de la perche qu'il lui avait tendue. Elle attrapa la lapine par la taille, Fly empoigna la main de sa petite sœur et ils retournèrent tous les trois à l'étage. En attendant son plat, Roxanne eut une pensée amusée pour Bunbun: la petite Framboise semblait tout à fait son genre.

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