18- l'épée au dessus de la tête (1/2)

— D'accord, souffla Roxanne en ramassant ses affaires, heureusement loin d'être fragiles.

Elle voulait dire non, elle voulait dire « sors de ma chambre tout de suite », elle voulait que Bunbun se jette sur lui, qu'il le griffe pour le chasser d'ici.

Mais Fly éclata en sanglot et se couvrit les bras de ses ailes blanches, de la même manière qu'avec une couverture. Face à un tel désarroi, la jeune fille ne put se résoudre à l'enfoncer.

Pourquoi était-il venu la voir elle et pas une autre fée qui serait folle de joie à l'idée de l'accueillir ? Pourquoi ne se pressait-il pas devant Robyne ou madame Wooddry qui s'évertuerait à effacer tous ses ennuis ?

Ragout s'approcha de lui et éructa deux volutes de fumée noires en logeant son museau sous son cou. Fly le chassa, sans violence, et sa main se perdit sur la tête de l'animal. Bunbun se joignit à lui et Roxanne s'assit sur le rebord du lit. Elle attendit que les pleurs cessent pour lui parler.

— Tu as le droit de rester ici...mais je dois au moins savoir pourquoi.

Elle n'avait pas élevé la voix, taisant ses rancœurs et contre toutes attentes, le prince acquiesça. Après avoir essuyé ses yeux avec un mouchoir de soie, qui devait bien valoir plusieurs pièces d'argent, il entrouvrit les lèvres.

— Quelqu'un veut me tuer, blêmit-il.

— Comment ça ?

Elle regretta la bêtise de sa question. Le prince avait mille raisons d'être la cible d'un mercenaire. Pas seulement parce qu'il s'était comporté comme un rustre et qu'il rabattait à tout le monde son statut : non, il aurait pu être éliminé pour nuire à sa mère qui, d'après les rumeurs, plaçait sa descendance devant le bien-être de son peuple, et ce depuis toujours. Un vampire rancunier, une sorcière aigrie ou encore une fée jalouse avait déjà tenté de s'infiltrer au palais, une lame dans la main. D'après, le Haricot parlant, le journal où travaillait Rory, la reine les avait tués sans procès.

— On a essayé de me tuer. La première fois, c'était stupide et tellement grotesque que j'ai d'abord pensé à une mauvaise blague. Une fée avait accroché un ballon de Cercène derrière le lustre de ma chambre. Daphné l'a repéré avant moi et l'a décroché. Elle me disait de me méfier, mais je...je  ne l'ai pas prise au sérieux.

Roxanne ne connaissait les ballons de Cercène que grâce aux revues qu'elle avait pu lire, puisque dans le pays des sorcières, personne ne s'en offrait. En effet, le contact avec la baudruche engendrait chez elles de terribles démangeaisons.  D'origine festive, il était censé exploser de mille confettis. Or avec le temps, cette bombe avait pris le triste surnom de ballon empoisonné. Des mages noires s'en étaient servis pour répandre poison et enchantement sur leurs ennemis, profanant des centaines de ballons dans le monde. Désormais, le produit était contrôlé mais personne ne savait où se trouvaient les ballons d'antan.

 — La seconde fois, c'était avec des biscuits au miel que quelqu'un avait déposé sur ma table de chevet...

Sa voix craqua, serrant le cœur de Roxanne.

— Daphné les a mangés à ma place. Ce n'était pas une allergie, contrairement à ce qu'affirme le centre de soin...C'était un poison.

— Mais tu n'étais pas près de Daphné lors de...son évanouissement ?

— Parce qu'elle m'a conseillé de fuir avant de perdre connaissance.

Encore une fois, il ne l'avait pas écoutée :  il était parti chercher de l'aide auprès du personnel de l'école sans mentionner ce qu'elle avait dévoré une heure plus tôt. Roxanne trouva sa décision stupide : s'il craignait tant d'être assassiné, il aurait déjà dû prévenir la directrice, ses professeurs...ou au moins sa mère, pas une jeune sorcière qui jusqu'ici l'insupportait.

— La dernière tentative remonte à hier soir. De façon plus directe, une ombre, une fée déguisée m'a visé avec une flèche.

Il frissonna.

— Je...je ne suis en sécurité nulle part. Et je ne peux en parler à personne.

Si, tu peux ! pensa très fort sa camarade de classe.

— Pourquoi pas ? Mademoiselle Clair-de-bois t'a proposé de te confier à elle. Ou mademoiselle Elira, elle t'adore.

Dans une grimace, il se mit à fixer ses ongles.

— Non, le tueur peut être n'importe qui...Et je ne veux pas qu'il sache que j'ai parlé. Il n'aurait plus rien à perdre. En plus, la rumeur remonterait jusqu'au conseil des fées...Et à ma mère.

—Et ? Ça serait une bonne chose ? Ne me dis pas que la reine des fées pourrait te vouloir du mal ? Tu sais, celle qui ne peut rien te refuser.

L'heure n'était pas à la plaisanterie, Roxanne  se trouva d'ailleurs puérile de le sermonner alors qu'il croulait sous la peur. Mais c'était plus fort qu'elle : elle  tenait à lui rappeler ses mesquineries.

— Écoute, je...suis désolé.

— Tu m'as déjà présenté tes excuses, nota la sorcière.

— Je sais...mais je ne le pensais pas—ou je n'en donnais pas l'impression, et aujourd'hui, je...J'ai besoin de toi.

Il laissa échapper un rire nerveux.

— Je me suis comporté comme un abruti.

Son honnêteté toucha Roxanne, qui renonça à poursuivre ses remontrances. Elle s'appuya sur son matelas sans remarquer que sa main s'approchait dangereusement de celle du prince. Elles se frôlèrent, il tressaillit.

— Au fait, pourquoi tu es venue ici ? demanda-t-elle, d'un ton posé. Si tu as si peur de croiser l'assassin. Qu'est-ce qui te fait croire que ce n'est pas moi ?

Il pencha la tête sur le côté et la dévisagea, surpris. Et Roxanne pressentit qu'il allait répondre une bêtise.

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