15- grandir un peu ?
— Votre Majesté, intervint madame Elira d'un ton hésitant, je ne suis pas certaine que Roxanne soit prête à...
Or la reine balaya ses paroles d'un geste de la main.
— Ne vous inquiétez pas. Je ne suis pas là pour juger l'efficacité de vos cours. Je suis simplement curieuse du niveau des camarades de mon fils.
Son ton n'avait rien de méprisant, mais ses paroles rappelaient son rang. Comme dans la boutique de magie, la reine ne se laissait ni contredire, ni rabaisser. Ses gestes, ses mots, sa magie, tout était contrôlé. Elle ne bafouillait pas, ne tremblait pas et par-dessus tout, elle fixait toujours son interlocuteur qui blêmissait un peu plus à chacune de ses paroles. Lorsqu'elle se retourna vers Roxanne, elle ajouta :
— Quand vous vous sentez prête, allez-y.
Si ça ne tenait qu'à Roxanne, le sortilège ne jaillirait jamais de son morceau de bois enchanté. Cependant, elle ne pouvait désobéir à une reine, ni s'abstenir éternellement. Dans son dos, des murmures grouillaient. Des « va-t-elle y arriver ? », « Pourquoi la reine a-t-elle choisi la pire élève de la classe ? » ou encore « Fly devrait intervenir. Pauvre Roxanne, elle va se faire humilier » et ce malgré les tentatives vaines de la professeure pour ramener le silence.
D'autres remarques suivirent, plus ou moins habiles. Certains lui soufflèrent le nom des sorts à utiliser, d'autres lui recommandèrent d'attiser le feu —ce dont Roxanne était bien évidemment incapable. Les moqueries ne s'éteignirent pas, mais le brouhaha constant les dissimula un peu. Enfin, la reine profita de l'agitation pour se pencher en avant et lui susurrer :
— Tenez votre baguette droite, et visez le plafond. Beaucoup l'ignorent mais les sorcières sont plus douées pour les sorts d'illusions que les fées.
Roxanne vit tout de suite où elle voulait en venir et des étincelles s'envolèrent de sa baguette, accompagnées d'un éclat de lumière bleue. Dans son ancienne école, un cours de magie illusoire avait été mis en place et soucieuse d'obtenir les meilleurs résultats, la sorcière s'y était inscrite. Elle ignorait si la reine s'était renseignée ou s'il ne s'agissait que d'une heureuse coïncidence mais elle appréciait son idée.
— Ignis ! s'époumona-t-elle avant d'ajouter plus bas... Illusio.
De la fumée blanche rampa sur le parquet ciré, assez dense pour dissuader les élèves de trop s'avancer. Fly bailla, s'attendant sans doute à un échec. Or cette fois ci, Roxanne était bien décidée à lui prouver le contraire—ou du moins à lui en donner l'illusion.
Des disques de cristal rayonnèrent à travers la brume et lévitèrent à un mètre du sol, suivis par de majestueux filets d'eau claire. Mademoiselle Elira tressauta devant l'exploit de son élève alors que la reine la pria d'un geste de la main de ne pas s'interposer. Elle claqua des doigts et le sortilège—factice s'évanouit. Le spectacle n'avait pas duré longtemps, mais il fut assez fou pour figer les élèves de stupéfaction.
— Impressionnant ! mentit la reine.
« C'est mieux que l'élève de l'an dernier »se permit-elle d'ajouter par pensée, en lui adressant un sourire. « Continuez comme ça, et vous serez la seconde sorcière à obtenir un diplôme. Je crois en vous».
Bien qu'optimistes, ces mots parvinrent à gonfler le cœur de Roxanne de fierté : pour la première fois depuis son arrivée ici, quelqu'un croyait en elle. Elle regagna son siège tandis que d'autres élèves se pressèrent pour exhiber à leur tour leur magie.
***
— Tu as été incroyable ! se réjouit Myrtille. Si tu avais vu la tête de Fly : il était blanc de stupeur. Après ça, crois-moi, il n'osera plus jamais t'embêter. Dis moi comment tu as fait ? Tu t'entraines en cachette, avoue ! Ou c'est ta baguette, elle avait une fonctionnalité secrète.
Roxanne lui promit de tout lui raconter une fois que la foule d'élèves se serait un peu éloignée. Elle jeta un œil vers l'avant pour guetter les actions du prince, soucieuse. A la fin du cours, il l'avait agrippée par le bras pour la retenir. Elle avait dégainé sa baguette en guise de défense sans savoir si elle aurait eu le cran de lui jeter un sort. À quelques pas de sa Majesté, qui plus est. Elle n'en avait rien fait, il avait simplement haussé les épaules. Ma mère recherche des illusionnistes. Si j'étais toi, je me méfierais d'elle. Le palais est loin d'être aussi beau qu'on ne le pense.
Il l'avait lâchée puis avait disparu, rattrapant sans doute Daphné et son groupe d'amis.
Par décret de la reine, l'après-midi avait été offert aux élèves. Roxanne imaginait déjà que son amie se précipiterait à la bibliothèque prétextant devoir finir l'exiguë devoir de potion. De son côté, la sorcière envisageait de se promener en compagnie de Bunbun dans les jardins verdoyants, qu'elle n'avait pas encore visités.
— Très bien, abdiqua Myrtille tandis qu'elles regagnaient le couloir qui menait à leur chambre, mais dans ce cas tu ne devras omettre aucun détail. Ma patience a un prix et ...
— Tu es irresponsable ! Mais qu'avais-tu en tête ?
Alors que Roxanne reconnut tout juste ces éclats de voix, Myrtille la poussa dans un coin du mur en la priant de se taire.
— Mais mère, je ....
— Il n'y a pas de mais ! J'exige que tu lui présentes des excuses, demain dès la première heure. Par la lune, je ne t'ai vraiment pas élevé comme ça.
Pour mieux y voir, les deux amis allongèrent leur cou, manquant tout juste de perdre l'équilibre. Soudain, le parquet grinça sous leurs chaussons.
— Mademoiselle Rose-liège, je sais que vous êtes là, s'interrompit la reine dans sa réprimande envers son fils. C'est hautement impoli d'espionner une conversation. Votre famille vous l'a certainement appris.
Loin de s'enfuir en courant, comme en rêverait Roxanne, Myrtille avança d'un pas hésitant. Dans le dos de sa mère, Fly mimait un étranglement sans qu'elles ne sachent s'il souhaitait les voir mortes, ou s'il ne faisait que le prédire.
— Excusez –moi votre Majesté, bredouilla la fée mauve en s'inclinant.
Sa majesté accepta ses excuses, ce qui ne manqua pas d'offusquer son fils.
Les voir mortes, donc.
— Mère, vous me grondez pour une toute petite histoire de rien de tout...Et elles, elles n'ont rien. Pas même un blâme ?
— Justement Fly, puisque tu en parles...
Ce dernier esquissa un sourire, fier de son influence.
— ...Tu vas immédiatement présenter tes excuses à cette demoiselle et devant mes yeux.
Et son sourire s'effaça aussi vite qu'il était apparu. Le visage du prince se decomposa. Celui de Roxanne aussi. Contrairement à ce qu'elle pensait « la demoiselle » en question n'était pas Myrtille...mais bien elle.
— Sachez, mademoiselle Pumkin, que je ne cautionne pas du tout l'attitude de mon fils. Jamais je ne l'aurais laissé vous traiter de la sorte. Je vous présente mes excuses pour son attitude. Tu vois Fly, ce n'est pas sorcier. Maintenant, c'est à ton tour.
Comme si elle lui avait demandé de s'arracher les ailes, le prince tira la langue de dégout.
— Je suis désolé...Roxanne. Pour mes remarques blessantes, pour avoir renversé tes affaires, et manqué de tuer ton stupide lapin de compagnie...Aie, Myrtille !
La gentille fée avait récompensé son insolence d'un coup d'éventail sur le bras.
— Son merveilleux lapin de compagnie, rectifia-t-elle en levant le menton bien haut. Et il s'appelle Bunbun. Allez répète : Bunbun, le merveilleux lapin de compagnie de Roxanne.
— Non, je maintiens qu'il est stupide. Méchant et stupide.
Aux traces qui rayaient son avant-bras, Roxanne comprit que son intrusion de la veille n'était sans doute pas passée inaperçue auprès de son ami à poils. Bravo, Bunbun, le félicita t-elle en son for intérieur. Elle nota de lui distribuer deux fois plus de friandises ce soir.
— Ça suffit, trancha la reine mettant fin à leur querelle. Mademoiselle Rose-liège, je vous prie de rester à votre place en ma présence. Mademoiselle Pumkin, si mon fils recommence ses offenses, envoyez-moi une missive. Je viendrai moi-même le chercher pour le ramener au palais. Quant à toi, Peter, sache que tu m'as énormément déçue.
Tandis qu'elle les dépassa, pressée par ses obligations royales, le prince serra les poings.
— Je vous déteste !
Sa voix tremblait. Avant que les larmes ne coulent sous ses yeux lavande, il quitta le couloir, monta les escaliers et sembla regagner sa chambre. Daphné disait qu'elle était spacieuse, et qu'il n'autorisait personne à y entrer.
Pourtant, Myrtille se lança à sa poursuite sans donner la moindre explication.
Sans revenir de toute l'après midi.
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