14- La méchante reine
Le cadeau de Rory était une boite à musique. Elle sifflait la même comptine que leur chantait leur mère avant qu'ils ne s'endorment. Aujourd'hui, cette dernière ne chanterait plus rien d'autres que les textes de lois des sorcières, et les notes que récitaient la manivelle ne surent apaiser la colère de Roxanne.
— Il est venu ici !
— Qui ça ? marmonna Myrtille en émergeant de son tendre sommeil.
— Fly, il est venu ici !
A ses mots, sa colocataire se leva d'un bond, sidéré.
— Je...Je te jure que j'avais fermé la porte quand je suis sortie pour...voir quelqu'un.
Son visage s'empourpra. Roxanne aurait pu croire que ce quelqu'un ressemblait à un fae féru de littérature...si Austin n'avait pas été à la fête, à discuter avec elle.
—Mais je ne l'aurais jamais laissé entrer dans la chambre. Il a dû demander les clefs à un gardien ou ...forcer la porte avec un sort.
Roxanne la croyait et le lui fit savoir. D'après le règlement intérieur, aucun élève n'était autorisé à visiter la chambre d'un autre. Encore moins sans son accord. Mais Fly était un prince, il avait amadoué plus d'une fée par son titre et de nombreux membres du personnel conservaient un double des clefs de chaque chambre.
De plus, il aurait pu se glisser dans l'ombre de la pièce, dès que Myrtille avait fermé les yeux. Cherchait-il un moyen de les renvoyer de l'école ? Ou pire, une façon plus cruelle de leur nuire ?
— On ira lui parler dès la fin du prochain cours, assura Myrtille en se faufilant derrière un paravent pour se changer.
Lui parler ? Roxanne songeait plutôt à dénoncer son intrusion auprès de la directrice. Après tout, elle détenait une preuve. Elle n'eut cependant pas le temps de partager son idée avec son amie, puisque déjà le carillon sonna, les rendant toutes deux cruellement en retard.
***
— Aujourd'hui est un jour particulier. Je vous demanderai de bien vouloir vous comporter comme les futures et respectueuses grandes fées que vous serez...
Roxanne et Myrtille parvinrent dans la classe mademoiselle Elira sans se faire remarquer. Plus tendue que de coutume, la professeure agrippait le rebord du bureau de bois sur lequel reposait tout un tas de copies blanches et d'argenterie.
— Une prestigieuse invitée viendra assister au cours, ce matin. J'espère que vous saurez vous montrer à la hauteur. Puisque...
Elle essuya ses doigts moites sur le jupon orange de sa robe, et inspira.
—...Nous accueillons Sa Majesté la reine Evangeline Blueheart.
A ces mots, toutes les têtes se retournèrent pour dévisager le dernier rang et le prince Fly se contenta d'hausser les épaules.
—Quoi ? Je suis comme vous, moi aussi je déteste voir mes parents me couvrir de honte en venant en classe.
Puis, quelqu'un toqua à la porte. Mademoiselle Elira sursauta.
— Levez-vous ! intima la professeure en lissant ses manches et tout le monde obéit.
Plus élégante encore que la dernière fois, Sa majesté des fées ressemblait à un ange. Ses ailes blanches se déployèrent au moment où elle passa le pas de la porte de ses fins escarpins dorées. Sa robe, cousue de pétales de lys et de fil d'argent, tombait jusqu'à ses chevilles que des bracelets silencieux enlaçaient. Elle portait sa couronne au-dessus d'une sculpture de tresses, de pinces et de joyaux, et souriait à la classe. Pendant un instant, Roxanne eut l'impression qu'elle la dévisageait tout en se demandant si la reine avait conservé un souvenir d'elle.
— Rasseyez-vous ! ordonna-t-elle sans élever la voix. Nous n'allons pas passer le cours debout comme des piquets ?
Un siège—Un trône devrait-on dire— l'attendait au premier rang, mais la reine le refusa d'abord.
— Bien, vous vous demandez peut-être ce que je fais ici. Rassurez-vous, je ne suis pas là pour vous embêtez ou pour rendre visite à mon fils adoré, bien que je sois ravie de revoir mon cher Peterfly.
— Mère ! grommela le concerné.
Bien qu'amusée par la réaction de son fils, la reine enchaina :
— Vous le savez peut-être, votre école est la meilleure du pays des fées et les plus studieux d'entre vous y resteront pendant une douzaine d'années. A l'issue de ces longues études, deux d'entre vous pourront alors, s'ils le souhaitent, travailler pour moi au palais.
Des bouches s'entrouvrirent sans dire un mot et quelques regards se posèrent sur Myrtille que beaucoup imaginaient déjà à ce poste. Rien d'étonnant, elle excellait dans toutes les matières. Travailler au palais, non pas en tant domestique mais dans la peau d'une véritable mage. Qui pourrait rêver mieux ?
— Je parie que la reine et ses enfants possèdent une ménagerie phénoménale, glissa Roxanne à l'oreille de son amie dont les lèvres s'arrondirent.
La sorcière avait entendu de belles rumeurs au sujet des employés de la reine : aucun ne comptait ses heures, mais le salaire, le confort, les expériences que Sa majesté leur offrait valait bien de rester une nuit entière à pratiquer la magie. Avant de s'exiler, Alissa rêvait de visiter ne serait-ce qu'une fois le palais royal, d'un luxe et d'une beauté éternels.
Dire que Fly vivait là-bas. Il ne devait sans doute pas prêter attention au millier d'ombrumes qui l'enviaient.
— Votre Majesté, osa Lilas en levant la main, quelle spécialité devrions-nous choisir ?
— Oh, la spécialité n'a pas d'importance. Mes mages travaillent dans tous les domaines. Aussi bien en élémentaires qu'en magie de l'esprit, en météorologie, en illusions...
— Sauf en zoologie, souffla Myrtille.
— ...Sauf en zoologie et en littérature féérique, précisa la reine et la fée violette plongea sa tête dans ses bras, soudain mélancolique.
La reine Evangeline se tourna vers elle et plissa les yeux. Il fallait dire que Myrtille faisait soudain tache face à tous ces élèves qui se tenaient raides comme des balais pour impressionner leur souveraine. Roxanne donna un petit coup de coude à la jeune fée pour la pousser à se ressaisir. Elle paraissait plus fatiguée que de coutume. Plus morose aussi. Où diable avait-elle voyagé cette nuit ?
— Il y a un souci ? s'enquit la reine de sa voix douce, presque maternelle en s'approchant de la table.
Myrtille sursauta.
— N...Non, Votre Majesté. Je manque simplement de sommeil. Je vous prie de m'excuser.
Elle se redressa et imita alors tous les autres élèves.
— Il y a eu une fête hier, mère, intervint soudain Fly toujours aussi insolent. Myrtille s'y est rendue et a dû s'embrumer l'esprit plus que de raison. Si vous voulez mon avis, nous devrions en toucher deux mots à Lady Rose-Liège. Elle apprécierait de savoir que sa bien aimée fille manque à ce point de tenue.
Menteur ! s'insurgea Roxanne en son for intérieur.
— Espèce de ...siffla Myrtille d'une voix si basse que son amie n'entendit pas l'insulte.
La reine non plus, puisqu'elle passa son chemin sans s'arrêter et s'amusa à regarder les cahiers ouverts de certains élèves. Arrivée à la table de son fils, elle inspecta ses notes—ou les graffitis qui devaient pulluler dans ses cahiers— et proposa qu'un élève « essaye un sort ou deux pour s'amuser ».
— Hum...Oui, répondit la professeure, Si tu veux essayer, Fly...
— Peterfly, rectifia la monarque calmement. Et ça ne sera pas nécessaire. Je pensais designer moi-même une élève. Mademoiselle Pumkin, levez-vous je vous prie.
Le cœur de Roxanne s'emballa. Elle ? Tandis qu'elle quittait son sa chaise d'un pas timide, des œillades inquiètes fondirent sur elle et des murmures se faufilèrent, lui donnant la désagréable impression d'être devenue une souris qu'on jetait aux lions.
Ses doigts se raidirent sur sa baguette. Fly esquissa un rictus. Il savait pertinemment qu'elle allait se planter, peu importe le sort qu'on lui demanderait de lancer. Et il jubilait, cet abruti ! La reine, quant à elle, s'était déjà déplacée au fond de la salle, le dos droit, l'air avenant.
— Montrez moi l'attaque la plus puissante que vous connaissez, la défia-t-elle en déployant ses longues ailes blanches.
Et Roxanne fut prise d'un vertige.
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