10- Fée blanche
— Bien, cette année, vous apprendrez avec moi à vous défendre. Le monde des ombrumes est dangereux, vous pourriez vous promener dans les bois et tomber nez à nez avec un vampire...Ou un sorcier des plus abjects. Sans vouloir t'offenser, Roxanne.
Pas le moins vexée du monde, la jeune élève secoua la tête. La plupart des attaques contre les fées venaient de son espèce, et vice versa.
Si madame Gorgias avait donné une mauvaise impression à l'ensemble des premières années, mademoiselle Elira avait rassuré les plus émotifs, prêts à écrire une lettre à leurs parents pour s'envoler d'ici.
Leur nouvelle professeure était une fée aux boucles dorées si épaisses qu'elles camouflaient parfois ses yeux, et ces deux espèces de loupes qui les recouvraient. Mademoiselle Elira— ou Constance de son prénom— prétendait que les humains (des étranges et lointaines créatures que la sorcière espérait ne jamais rencontrer) surnommaient cette invention « lunettes » et Roxanne fut tentée de la croire.
— L'année prochaine, vous serez amenés à trouver votre spécialité. Eau, vent, foudre, zoologie, orfèvrerie, givre...Les possibilités sont nombreuses et je suis certaine que beaucoup d'entre vous ont déjà choisi. Les autres, pas d'inquiétude ! Mes collègues et moi sommes là pour vous aiguiller tout au long de l'année. En attendant, vous apprendrez les sorts que toute fée ou sorcière doit savoir invoquer, et ce peu importe votre avenir. Avec moi, vous saurez vous protéger, distraire un ennemi et, uniquement lorsque cela est nécessaire, le blesser. Comme il s'agit de notre premier cours, vous allez un par un me montrer de quoi vous êtes capables. Fly, veux-tu bien commencer ?
Le garçon acquiesça et monta au tableau blanc où l'enseignante avait noté les consignes. Protégez ce rongeur. Roxanne plissa les yeux. Sur le grand bureau, un écureuil aussi roux que sa propre chevelure, grignotait ses friandises sans se douter une seconde du sort que les vingt élèves de la classe lui réserveraient. D'un geste de la main, mademoiselle Elira éleva des ombres de loups autour du petit animal.
Fly les repoussa avec aisance. Il enveloppa d'un dôme de verre le petit rongeur puis lui offrit une poignée de noisettes grillées. Toutefois, il ne s'arrêta pas là : la protection évolua en boule à neige qui grossit pour permettre à l'écureuil de visiter un somptueux parc hivernal. Des vêtements d'hiver l'habillèrent. Ainsi vêtus, il ne s'inquiétait ni du froid des flocons, ni des regards curieux qui s'étaient approchés de lui.
Pour parfaire sa démonstration, le prince claqua des doigts : des feux follets hantèrent la prison du rongeur, l'effrayant quelque peu. Myrtille fronça les sourcils mais avant qu'elle ne puisse révéler le fond de sa pensée, Fly avait déjà libéré l'écureuil.
De concert avec les autres élèves, la prpfesseure ne put s'empêcher d'applaudir, et bien qu'il s'agisse du prince, Roxanne dissimula mal son émerveillement.
— Merci Fly. Sa Majesté ne mentait pas : ton niveau est impressionnant. Tu peux retourner t'asseoir. Qui veut essayer ?
Un long silence balaya la pièce. Difficile de rivaliser.
— Personne ? couina la professeure, gênée à l'idée de désigner le suivant.
Rassasié, l'écureuil s'était allongé sur le dos, posant ses petites pattes sur son ventre rond.
— J'attends qu'il termine de digérer et je me lance, lui murmura Myrtille, toujours aussi préoccupée par le bien être de la boule de poils.
— Et ça digère en combien de temps ? rétorqua Roxanne, un peu trop fort puisque mademoiselle Elira la remarqua.
— Roxanne ! s'écria-t-elle, toute souriante. Tu veux essayer ?
La studieuse sorcière n'avait jamais contredit un professeur. Et Constance Elira ne serait sans doute pas la première. Alors Roxanne obéit et quitta sa chaise, sa baguette en main. Quelques rires ricochèrent, avant même qu'elle ne commence.
— Un peu de silence, gronda la professeure de sa voix douce. A toi, Roxanne.
Les moqueries l'avaient déjà atteinte. Elles concernaient sa baguette. De tous les élèves, elle était la seule à en utiliser. En général, les fées s'en débarrassait à l'adolescence ou s'en passaient tout au long de leur vie .
Heureusement, Myrtille sut la rassurer lorsqu'elle leva ses pouces en l'air, et lui cria « Vas-y Roxy ! » à la manière d'un supporter de course sur balais volants.
Oublie les ! lui souffla sa conscience.
La sorcière se concentra en fermant les yeux. Elle inspira et imagina un abri de lierre, de roche et de lichen où la lumière du soleil ne brusquerait pas le petit rongeur. C'est un vampire ou un écureuil ? ricana une voix perfide dans son esprit.
Elle l'ignora.
— Dominaris !
Sa prononciation lui sembla parfaite et le coin forestier qu'elle avait imaginé apparut. Il se maintint quelques secondes avant de s'envoler au milieu des craies.
Roxanne sourit de fierté, son sort ne présentait aucun défaut. Mais les dix-neuf regards interrogateurs qui fondirent sur elle la firent tout à coup douter.
— C'est tout ? s'insurgea Jasmine, perplexe.
— Mademoiselle, cela suffisait pour répondre à l'exercice ? Une petite illusion de rien du tout ?
Roxanne sentit ses cheveux se dresser sur sa tête. Une petite illusion ? Elle avait mis des mois pour parfaire ce sort. Et il était solide, aussi solide que cette table sur laquelle l'écureuil roulait paisiblement.
— Pourquoi ne l'a-t-elle pas tenu plus longtemps ?
— Du calme, jeune gens, du calme, intervint la professeure. Roxanne, c'est ma faute, je ne l'avais pas précisé mais un sort de protection doit être matériel...Et durer le temps que tes camarades puisent en profiter. Tu pourrais recommencer ?
Un vertige saisit la jeune sorcière.
— Je regrette...Je ne peux pas faire mieux. Je pensais que vous nous apprendriez à tenir nos sorts au cours de l'année et...
Un mélange de pitié et de compassion se refléta derrière les « lunettes » de l'enseignante.
— Bien sûr, retourne t'asseoir. La protection, ce n'est qu'un domaine parmi tant d'autres. La directrice m'a informée que tu avais une tutrice, je pourrais lui transmettre quelques exercices pour...rattraper ton léger retard.
Roxanne fit de son mieux pour ne pas laisser couler les larmes qui affluaient vers ses yeux d'azur, tandis que Myrtille lui tapotait sur l'épaule pour la réconforter.
— Hé, moi aussi, j'ai mis du temps à maitriser un tel sort.
Elle mentait, enfonçant un peu plus son moral. Durant le reste du cours, Roxanne se sentit comparable à un fantôme au milieu de tous ces élèves qui, bien sûr, réussirent l'exercice avec brio. Ils n'échouèrent pas non plus aux suivants, sans se soucier de leur camarade sorcière qui braillait des incantations de plus en plus fausses.
La cloche retentit et libérée, elle se traina au cours suivant. Myrtille la talonna, tout en prenant soin de ne pas brusquer Squeeky, le petit écureuil que mademoiselle Élira lui avait confié. Avant le déjeuner, elles iraient toutes les deux le ramener à l'orée de sa forêt natale.
Soudain, une fée les dépassa :
— Roxanne ! Le prochain cours, c'est celui de potions. D'après ce qu'on dit, c'est le plus difficile...Alors si tu veux, tu peux faire semblant d'être malade. Je ne dirai rien à la prof.
Roxanne ignorait si Daphné avait voulu se montrer gentille ou simplement sournoise mais l'évocation des potions la réveilla. Le cours de Robyne, se rappela-t-elle, convaincue qu'elle ne serait pas aussi lamentable qu'en défense magique.
— Quelle bonne idée, ricana le prince dans son dos. Et elle pourrait prétendre avoir attrapé la rainite pendant les autres cours. Ou mieux, quitter l'école et ne plus jamais remettre les pieds dans une salle de classe.
Myrtille plissa le front et avant que Roxanne ne puisse répliquer quoi que ce soit , elle s'interposa.
— Laisse-la tranquille !
— Oh, la petite sorcière a besoin de son amie pour la défendre. Aurait-elle perdu sa langue en jetant le mauvais sort ?
Fly avait beau exceller en magie, il restait une plaie que Roxanne ne supportait pas. Une plaie, qui pouvait exiger ce qu'il souhaitait, y compris rendre la vie de Myrtille infernale. Elle essaya d'entrainer son amie par le bras et d'entrer dans le laboratoire où se tiendrait le prochain cours. Mais la gentille fée ne bougea pas.
— Non mais pour qui tu te prends ? A croire que tu es le centre du monde ?
Pitié Myrtille, ne lui tends pas de perche, pensa très fort la sorcière.
— Je me prends pour ce que je suis, rétorqua-t-il de son éternelle arrogance. Un prince. Moi qui pensais que les Rose-Liège était assez proche de la famille royale pour le savoir. Pas étonnant qu'il t'ait cachée toutes ces années, si tu ne sais même pas où est ta place, Myrtille.
Il avait parlé assez fort pour que ses camarades l'entendent et que les ragots se fusent.
— Les Rose-Liège avaient honte d'elle ?
— Qu'a-t-elle fait ?
— Je me disais aussi : j'ignorais que la famille Rose-Liège avait une fille.
— Elle est peut-être adoptée. Ou pire, née d'une liaison interdite. On raconte que monsieur Rose-Liège était infidèle.
Profitant de son coup d'éclat, Fly se pencha en avant, aussi discret qu' un flocon de neige, afin de laisser flotter quelques mots à l'oreille de Roxanne.
— Tu sais quelle est la différence entre toi et les autres élèves ? Eux sont quelqu'un. Ils ont un nom, un titre. Toi, Pumkin, tu n'es personne. Raison de plus pour que tu t'en ailles.
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