1- Cendrillon

« Mademoiselle Pumkin, nous avons le grand honneur de vous attribuer une place au sein de notre établissement. Veuillez trouver dans cette enveloppe la liste des fournitures scolaires, indispensables pour votre année.

La rentrée se tiendra le premier jour d'automne, ne soyez pas en retard.

Toutes nos félicitations,

Madame Wooddry, Directrice de l'académie des brumes »

Roxanne eut du mal à retenir le cri de joie qui lui brulait les lèvres.  A cette heure-ci, sa grand-mère dormait à l'étage et elle ne prendrait pas le risque de la réveiller. Ça non. Il ne manquerait plus qu'elle passe la soirée à nourrir les semiales, ces rongeurs avides de pelures de fruits et d'écorce, punie d'avoir troublé le repos de la matriarche. A pas lents, elle se faufila dans la cuisine et apparut dans le dos de sa belle-mère, sa précieuse lettre en main.

— Oh ma chérie, ils t'ont refusée  ? Je suis sincèrement désolée. Ton père et moi t'avions prévenue que...

— J'ai été prise ! coupa la jeune sorcière dans un sourire gêné.

Aussitôt, le visage d'Alissa Pumkin se décomposa. Roxanne savait ce qu'elle pensait de son admission, mais trop effrayée par l'idée de commettre un impair auprès de sa belle-fille, elle avait fait mine de la soutenir. Avec un jeu d'acteur discutable.

— Tu...tu en es certaine ?

Pour toute réponse, la jeune fille présenta sous son nez la missive, et les yeux de la jeune maman s'arrondirent comme des pleines lunes au fur et à mesure de sa lecture.

— Nom d'une citrouille !

Ainsi était l'expression favorite d'Alissa, et l'un des nombreux tics de langage ou de geste qui faisaient fondre le cœur de son mari bien-aimé. Il avait bien choisi, Roxanne le concédait sans mal. A l'opposé de sa génitrice, la trentenaire était élancée, brune au teint mate et à la chevelure si épaisse, qu'il lui arrivait régulièrement de rugir et d'arracher des nœuds en se coiffant le matin. Elle aimait sa famille — un peu trop parfois — , préparait les meilleurs sablés au citron du quartier et savait recoudre n'importe quelle blessure. Petite, l'adolescente la comparait à Cendrillon, toujours à courir derrière les tâches ménagères et à encaisser les ordres avec un sourire charmant. Cela bien avant de découvrir que sa maman de cœur subissait effectivement le courroux d'une marâtre.

Syrane Pumkin. Deux jours par semaine, la grand-mère de Roxanne venait habiter chez eux et régissait la maison d'une poigne de fer. Elle détestait sa belle-fille et priait chaque jour la lune pour que son fils adoré la remplace par une sorcière de haut rang. Évidemment, elle n'hésitait jamais à chanter les louanges de toutes les ex qu'il avait côtoyées, y compris son ancienne épouse divorcée quelques années plus tôt. 

Roxanne ne voyait pas sa mère plus de trois fois par an et avait appris à s'en contenter. C'était une femme occupée qui vivait dans la capitale. Elle n'avait ni le temps de s'occuper de ses enfants, ni de prendre de leurs nouvelles en envoyant une lettre. En revanche, illustrer la première page du magazine politique de la nation entrait sans mal dans son emploi du temps.

Elle rêvait de devenir cheffe d'état. Dans le pays : pas de reine, pas de roi. Renversés deux siècles auparavant, les sorcières s'étaient inspirées d'une vieille tradition humaine et les avaient couic en au haut d'un échafaud.

Depuis, un conseil était élu chaque année pour présider le pays. A leur tête quatre membres, issus des quatre régions du pays, sombrement nommées : La vallée du Nord, du Sud, de l'ouest et de l'Est. Devinez qui convoite justement le siège de l'ouest ?

— Roxy, quand nous avons accepté que tu candidates, ton père et moi, nous ne pensions pas que ...

— Je serais prise, je sais, mais maintenant c'est le cas, alors... Je peux aller aux galeries de verre pour acheter quelques babioles ?

Par babioles, elle voulait dire baguette magique, cahiers vierges, manuels de sorts, chaudrons et ...pourquoi pas quelques friandises à grignoter dans sa chambre ?

Alissa sembla hésiter, le regard vissé sur le porte-monnaie qui reposait au dessus du buffet. D'habitude, elle ne refusait rien à sa belle-fille, or aujourd'hui elle donnait l'impression de marcher sur des œufs.

— Tu es sûre que c'est ce que tu veux ?

Roxanne ne pouvait en être plus certaine. Ses dernières années avaient été rythmées par le frottement des pages de vieux grimoires, et la mélodie des incantations qu'elle prononçait. Pour obtenir cette place, la jeune sorcière n'avait pas compter ses heures, amputant souvent les précieux moments de sommeil qu'Alissa lui enviait. Elle avait même appris à surmonter son vertige pour s'asseoir sur un balai, et impressionner les membres du jury lors de l'évaluation. Non, rien, ni personne ne pourrait la détourner de son rêve. Sauf peut-être...

— Alissa, mon thé !

La susnommée sursauta. D'un pas bringuebalant, Syrane surgit dans sa robe de chambre et ses bigoudis desserrés. Roxane n'avait jamais compris pourquoi elle s'acharnait à les porter au cours de ses siestes, alors qu'il marquait son visage, déjà ridé, de formes rondes. Avant que l'ogresse n'entre dans la cuisine, Alissa enfourna le porte-monnaie dans les mains de sa belle-fille et écrasa la lettre contre sa paume.

— File acheter tes fournitures scolaires, et surtout cache cette lettre, lui intima-t-elle d'une voix douce.

La sorcière opina du chef. Il existait un dernier au obstacle à son admission dans l'école : sa grand-mère. L'académie des brumes était une école peuplée de fées, et Syrane les haïssait. Roxanne avait bien essayé d'en connaitre la raison, mais la vieille dame modifiait son récit à chaque tentative. Une fée m'a volé mon travail dans la boutique de potion la plus prisée de la ville. Une fée a voulu faire du mal à Rondin – un chat graisseux qui portait son nom à merveille. Les fées sont irrespectueuses, méprisantes et colériques. Elles veulent détruire nos champs de citrouilles et nous transformer en serpents. Ou encore, c'est à cause de toutes ces fées que, nous, sorcières ne sommes pas respectées à notre juste valeur .

Ensuite, Syrane reniflait avec dégout et sa petite fille n'osait plus insister. Pourtant, elle ne croyait pas aux élucubrations de sa grand-mère. Aucune fée ne semblait si mauvaise.

Pressée par le temps, elle enfouit le porte-monnaie dans la poche de sa robe et suivit la flèche en poussière d'or qu'Alissa avait fait apparaitre dans son dos pour lui indiquer la sortie.

— Alissa, serais-tu devenue sourde en perdant tes ailes ?

En effet, Alissa était une fée. Une fée serviable que la vie n'avait pas épargnée. Elle était tombée, enfant , sur une meute de loups affamés qui l'avaient privée de ses ailes.

Depuis, elle cachait sa cicatrice sous des pulls en laine et ses longues boucles brunes. Comme tirée de sa rêverie, elle secoua la tête et sortit une tasse du petit placard de bois, surplombant l'évier. Puis elle alluma, d'une friction d'allumette, un feu sous la bouilloire. Quand la vieille dame ne la surveillait pas, elle préparait le thé à l'aide de délicieux sortilèges, mais Syrane avait été catégorique à ce sujet.

La magie des fées équivaut à du poison ! La jeune femme ne l'avait pas contredite, et s'acharnait encore une fois à lui faire plaisir tout en tachant de ne pas se bruler les doigts sur le métal bouillant.

Soudain, Rondin fit son apparition dans la cuisine,  pressé de se coller aux jambes de sa maîtresse. Alissa et Roxanne se dévisagèrent en réprimant une grimace. Ce chat risquait encore  de faire des siennes et de venir planter ses griffes –ou ses crocs- sur la robe du premier venu.

Hormis sa propriétaire, tout le monde dans la maisonnée – ce qui incluait les meubles – haïssait ce félin : il méritait d'être jeté dans la nature, ou mieux à des trolls. En particulier depuis qu'il avait violemment griffé Artus, le petit dernier de la famille.

Oh, Rondin a dû sentir son sang de fée. Il le méritait ce satané garnement. Pas vrai, mon gentil compagnon à poils ? avait réagi Syrane en dorlotant son chouchou.

Et, pour la première fois, Elliot Pumkin s'était énervé contre sa mère.

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