dernier orage

🌩

          Au soir, les deux jeunes adultes parvinrent enfin au pas de leur porte, de justesse puisque les nuages noirs les menaçant depuis leur entrée au village éclatèrent à cet instant-là. Soobin, malade et affaibli, tenait à peine debout. Taehyun le traina jusqu'au salon, où il l'aida à s'allonger sur le canapé, sous un plaid.

― Hyung, tu veux prendre ta douche en premier ?

― Pas sûr d'en avoir la force...

― Tu sais quoi ? Je vais te faire couler un bain, c'est mieux.

Taehyun récupéra les chaussures que son ainé venait de retirer et disparut dans la salle de bain avant que Soobin ne dise quoi que ce soit. Il n'avait pas envie de prendre un bain, surtout pour ne pas déranger Taehyun qui devrait alors prendre une douche froide. Mais il n'avait pas non plus le courage de se lever pour stopper son camarade, et sa voix faisait déjà des siennes. Ce rhume était plutôt violent. Le violet se cacha un peu plus sous la couverture le temps que l'autre revienne. Le tonnerre ne lui laissait pas de répit, pas même quand il était épuisé.

Il entendit Taehyun farfouiller dans les placards, puis l'eau coula dans la baignoire. Elle coula, coula, coula, et Soobin s'endormit sur le canapé, concentré sur ce son. Le tonnerre grondait toujours dehors mais le bruit de l'eau et la perspective d'un bon bain chaud l'avaient annulé. Il ne se réveilla seulement quand le noiraud secoua son épaule, l'esprit embrumé.

― Allez mon grand, il va falloir que tu te lèves parce que je peux pas te porter.

Soobin ouvrit un peu plus les yeux, il comprenait un peu mieux la situation. Il épargna à Taehyun de trainer son mètre quatre-vingt-cinq jusqu'à la salle de bain et le remercia en refermant la porte de celle-ci. A travers le battant, le noiraud lui demanda de l'appeler si jamais il avait besoin de quelque chose et le violet lui répondit à travers une quinte de toux. Il avait attrapé plus qu'un rhume, c'était sûr.

L'artiste s'enfonça dans l'eau délicieusement chaude aussitôt ses vêtements jetés dans la machine à laver. Il s'y plongea jusqu'au menton, arrosa son crâne pour finir de se réchauffer, et laissa ses muscles se détendre. Le son du tonnerre s'était éloigné, et Soobin remarqua bientôt la douce musique Lo-Fi que Taehyun avait laissé en fond sonore pour lui. Décidément, il aimait cet homme.

Quand il quitta la salle de bain, quelque peu requinqué et noyé dans l'un de ses hoodies les plus chauds, Taehyun l'attendait sur le canapé, un plaid dans les mains et deux grands bols de soupe de légumes posés sur la table basse. Soobin haussa un sourcil, l'autre aurait tout simplement pu lui apporter dans sa chambre. A la place, il leur avait préparé un nid douillet dans le salon et lancé un film d'animation japonais sur la télé. Le noiraud lui sourit, tapota la place à côté de lui et le violet s'y installa. Il se trouva vite submergé par le plaid aux poils doux et Taehyun lui tendit sa soupe.

― J'ai pensé qu'un peu de calme comme ça pour le diner te ferait du bien... A moins que tu veuilles te coucher, bien sûr.

― Non, c'est bon. Merci.

Décidément, quelque chose d'étrange naissait entre Taehyun et lui... Soobin ne s'en formalisa pas. Il était malade, fatigué et un peu trop détendu par le bain chaud pour penser et réfléchir correctement. Peut-être était-ce seulement lui qui interprétait de travers les gestes de son nouvel ami. Il prenait ses rêves pour la réalité.

― Le bain t'a fait du bien ?

Le violet hocha la tête, le nez dans son bol. Le met préparé par Taehyun avec les quelques légumes qu'ils avaient acheté au marché ce jour-ci était tout bonnement délicieux. Le projet de kimchi avait été remplacé au vu des circonstances, mais Soobin ne le regrettait en rien. Une bonne soupe chaude et onctueuse finit de réchauffer sa gorge. Quand il releva la tête, son regard croisa celui du plus jeune, un regard attentionné, un regard qui le couvait depuis quelques secondes déjà, il en était sûr. Taehyun détourna les yeux aussitôt pour lancer le film. Et Soobin sombra peu de temps après dans les méandres d'un sommeil fiévreux.

+

          Son oreiller était dur et résonnait d'un bruit étrange. Il avait chaud, terriblement chaud. Ses paupières laissaient passer de la lumière par intermittence et Soobin trouvait cela très désagréable. Sans compter le vacarme que Taehyun faisait en tapant sur les murs et en faisant trembler son lit. Il bougea, tenta de comprendre la position de son corps sur son matelas, avant de remarquer que ses jambes étaient repliées contre son torse. Mais il ne sentait pas le matelas sous elles, seulement sous ses pieds. Soobin étira un bras envahi par les fourmis pour passer une main sur son visage. Il était trop déboussolé pour se rendormir maintenant. Alors il ouvrit les yeux.

Et une avalanche de sensations le submergea.

Son oreiller était en réalité la tête de Taehyun, qui ronflait comme un camionneur. Il avait chaud à cause du plaid épais et de son pull. Les lumières à travers ses paupières n'étaient autres que des éclairs illuminant le salon par les fenêtres, accompagnés de leur éternel compagnon le tonnerre. Il s'était endormi sur le canapé, devant la télé qui diffusait maintenant un documentaire sur la faune coréenne, avec Taehyun. Et les orages crachaient leur haine juste au-dessus de leur toit.

Soobin cria. Un éclair avait frappé un arbre dans la forêt voisine. Et son éclat fulgurant s'imprima sur sa rétine. Taehyun sursauta, il cligna des paupières, lui aussi déboussolé de ne pas se réveiller dans sa chambre. Leur regard se croisèrent. L'un terrifié, l'autre perdu. Et tous deux s'éloignèrent d'un bond l'un de l'autre.

Kessispasse bordel ?

Soobin le regarda d'un air béat. Il ne voyait donc pas ? Un autre coup de tonnerre violent le fit bondir de nouveau dans les bras de Taehyun, et c'est à ce moment-là que le noiraud sembla enfin réaliser la situation. Il tira sur le plaid pour les libérer tous les deux et attrapa la main de Soobin. Il faisait noir, terriblement noir dans la maison quand les éclairs n'illuminaient pas leurs visages terrifiés comme en plein jour l'espace d'une ou deux secondes. Le courant avait sauté, les cerfs vampires à la télé laissaient leur place à un écran noir comme la nuit. Taehyun cogna un mur avant de trouver l'entrée du couloir. Il guida Soobin jusqu'à sa chambre, dont les volets étaient fermés, et tous les deux se ruèrent sous la couette du lit. Le noiraud veilla à cacher le visage de son camarade sous le drap, contre son torse, et couvrit une oreille de sa main.

― Je dois aller remettre le courant, expliqua-t-il entre deux coups de tonnerre.

― NON ! N'y va pas !

Il était prêt à se relever mais Soobin tira son bras. Taehyun tomba, sur l'autre, et le violet l'emprisonna de ses bras.

― J'veux pas qu'il s'passe la même chose que la dernière fois !

Il éclata en sanglots, à la fois terrifié par l'orage et inquiet pour le garçon qu'il aimait. Alors Taehyun resta. Il resta dormir avec Soobin, comme il avait accepté de le faire dans l'après-midi. Et cette nuit-là, sous les orages successifs, Taehyun trouva un réconfort nouveau dans les bras de Soobin.

+.°•

          Le lendemain, le rhume de Soobin ne s'était pas arrangé. Sa fièvre avait augmenté en température au cours de la nuit, il toussait et se mouchait à s'en décrocher la paroi des poumons, et les poches sous ses yeux pouvaient facilement accueillir des bébés kangourous. La nuit n'avait pas été reposante, après tout. Taehyun s'était levé avant lui, en veillant à ne pas le réveiller, pour lui préparer un petit-déjeuner qu'il déposa sur sa table de chevet. Il y laissa un petit mot, le prévenant qu'il descendait au village chercher des médicaments à la pharmacie pour le soigner.

Soobin émergea de son sommeil en fin de matinée, alors que le noiraud n'était pas encore revenu. Il piocha un peu de ramen dans le bol encore chaud, bût une gorgée de café, et se leva pour tituber jusqu'à la salle de bain. Il se sentait sale, poisseux, transpirant mais gelé, et ses idées formaient une purée de pois dans son esprit. Il avait bien besoin d'une bonne douche chaude, ou fraiche – il ne savait pas trop. Quand il quitta la salle d'eau, toujours aussi mal, Taehyun l'attendait, un pochon dans une main et une boite de paracétamol dans l'autre. Il venait tout juste de franchir la porte, les pieds et les jambes pleines de boue.

Le noiraud le poussa à retourner au lit quand il remarqua le contraste flagrant entre les joues rouges et le teint pâle de Soobin. Il n'avait jamais vu deux couleurs aussi différentes sur un même visage, et cela l'inquiétait grandement. Le violet ne se fit pas prier, il se sentait de plus en plus mal à rester debout au milieu de la pièce à vivre.

La semaine se passa ainsi. L'état de Soobin ne s'arrangea qu'au bout de cinq jours, malgré les recommandations du médecin et les soins de Taehyun. La nuit, les orages l'empêchaient de dormir, il réclamait toujours la compagnie de Taehyun. Et le jour, la fièvre le maintenait éveillé bien malgré lui. Le plus jeune restait à la maison quand il ne partait pas faire les courses ou dévaliser la pharmacie.

Le matin du sixième jour, le noiraud avait ouvert les yeux sur un Soobin souriant, déjà réveillé, à la mine moins pâle et au front moins chaud. Il l'obligea à rester se reposer malgré ses yeux de chien battu, alors que son ainé tentait de le convaincre de sortir se promener. Il était encore faible, quelques gouttes de pluie le feraient sûrement rechuter. Et Taehyun n'aimait pas être aux petits soins de Soobin. Il s'inquiétait à chaque quinte de toux, s'attendrissait quand l'autre parvenait à s'endormir, appréciait un peu trop entendre la sonnerie de notification de son téléphone au milieu de la nuit, qui signifiait que Soobin réclamait sa présence. Il se passait des choses étranges en lui, à être aussi proche de son hyung.

Il se le refusait toujours, de croire à une certaine attirance, voire pire, qu'il développait pour Soobin. C'était stupide, contre-productif et immoral. Il lui ferait du mal, comme il l'avait fait pendant la première partie des vacances. Et chacun reprendrait sa petite vie au sein de la grande Séoul, loin l'un de l'autre, dans à peine plus d'une semaine. Il ne voulait pas d'une relation à distance, Soobin vivait à l'opposé de son école et de son logement, à l'autre bout de la ville. Il refusait surtout de s'offrir une chance avec un homme, après tous les propos qu'il avait pensé et exprimé contre les garçons qui aimaient des garçons. Ce serait de l'hypocrisie.

Il ne méritait pas Soobin. Et Soobin n'avait rien à faire avec un gars comme lui.

×

          En ce mardi ensoleillé, le dernier qu'ils passaient dans les environs de ce charmant petit village qui les avait accueillis pendant deux moins – peut-être le dernier qu'ils passaient ensemble dans cette location, également – Taehyun autorisa Soobin à sortir de la maison. Il faisait beau, il faisait chaud, les orages ne reviendraient pas avant la fin de la semaine. Et le violet avait bien besoin d'un bon bol d'air naturel. Rien de mieux, pour cela, que de lui faire la surprise d'avoir préparé un pique-nique pendant qu'il rattrapait son sommeil, ce matin. Le plus jeune tendit son sac à son ainé, qui lui fit un immense sourire en retour. Et son cœur eut du mal à s'accrocher.

Taehyun ignora royalement le sursaut de son organe vital, comme il le faisait si bien depuis quelques jours, et s'affaira à sortir les vélos du garage. Pour le déjeuner et l'après-midi, ils s'installeraient sous le chêne, dans le champ aux vaches. Lorsqu'il était malade, les caprices de sorties de Soobin s'articulaient presque exclusivement autour de cet arbre qu'il aimait beaucoup. Il lui avait même reproché, entre deux toux, de l'empêcher de voir son « meilleur ami ». Taehyun se demandait bien comment Beomgyu, son véritable meilleur ami – s'il s'en souvenait bien – accueillerait cette nouvelle d'avoir été remplacé par un arbre, et comment il pouvait le supporter, plus généralement. En réalité, il le comprenait plutôt bien. Soobin était agréable, adorable, et le voir aussi proche de la nature en étant un citadin lui réchauffait le cœur.

― Allez ! Dépêche-toi, un peu !

― J'arrive, j'arrive...

Et voilà. Soobin distinguait à peine la canopée de son très cher chêne qu'il sautillait déjà dans tous les sens sur son vélo. Taehyun avait du mal à suivre le rythme, il fallait dire qu'il ne s'était pas reposé les jours précédents, à jouer les infirmiers pour le plus irritable des patients. Quand il arriva au niveau de la barrière du champ, le vélo du violet l'y attendait, jeté sans grande attention dans les herbes hautes du bord du chemin. Il le redressa, l'appuya avec sa propre bicyclette contre un poteau et sauta la barrière. Soobin lui faisait de grands gestes plus bas dans le pré, comme pour l'inviter à se presser. Il débordait d'énergie, trop, et Taehyun avait presque envie de l'assommer avec une poêle pour avoir un peu de calme cet après-midi.

Heureusement pour lui, la chaleur eu raison du plus grand. Après avoir englouti ses sandwiches en déclamant solennellement aux pauvres vaches qui n'avaient rien demandé à quel point celles-ci lui avaient manqué, Soobin c'était tout bonnement endormi sur la nappe de pique-nique. Taehyun soupira, enfin un peu de calme lui était offert aujourd'hui. Mais le sommeil de son ami l'inquiétait un peu. Soobin sortait d'un vilain rhume, le noiraud n'avait pas envie qu'il attrape un coup de chaud aussitôt. Alors il s'affaira à lui faire de l'ombre du mieux qu'il put avec son k-way et quelques bâtons. Les bovins observaient son remue-ménage d'un air intéressé, ce qui l'effraya légèrement. Pourtant elles s'éloignèrent quand il s'allongea à son tour. L'air était bon, cet après-midi. Il faisait chaud mais le ciel dégagé assurait une chaleur sèche. C'était mieux que le climat presque tropical créé par les orages des semaines précédentes.

Les orages...

Le noiraud ne cacha pas son petit sourire niais à cette pensée. Soobin dormait derrière son vêtement de pluie, et les vaches étaient de bonnes confidentes. Rien ne pouvait le surprendre à penser à ces orages, ces orages qui les avaient rapprochés, tous les deux. Les orages du ciel comme les orages de leurs cœurs. Il y avait le premier orage, celui à son arrivée ici qui avait rendu la route presque impraticable, puis l'orage qui aurait bien pu lui arracher la vie. Il y avait eu cet orage à la villa, qui avait déchiré le ciel comme son âme, et cet orage qui l'avaient finalement réconcilié avec son colocataire. L'orage qui les avait surpris quelques jours auparavant, qui avait rendu Soobin malade.

Et l'orage qui grondait en ce moment dans son esprit.

Taehyun se redressa. Pourquoi pensait-il soudain à tout cela ? Oui, son amitié avec Soobin était assez particulière, elle partait sur des bases fragiles, toxiques, mais fonctionnait tout de même. Il n'aurait jamais cru devenir ami avec ce type-là. Mais s'en étonner autant n'était pas justifié. Le noiraud avait chaud aux joues, et le soleil n'y était pour rien, cette fois-ci. Ni la haine, ni la peur, ni la culpabilité.

Tous ces orages, ils n'étaient là que pour les unir, quand bien même il les avait d'abord cru présent pour les séparer. Et ils ne les unissaient pas amicalement, loin de là. Taehyun plongea son visage dans ces mains. Il enfonçait cette vérité au plus profond de son cœur depuis longtemps, il ne savait pas trop si cette durée se quantifiait en jours ou en mois, mais le fait était que ces orages, ces éclairs, mettaient en lumière cette vérité maintenant.

Il aimait Soobin...

― Pour... pourquoi j'ai un k-way sur la tête... ?

Taehyun sursauta violement. Soobin était réveillé. Il détourna le regard pour cacher ses joues rouges. L'autre n'avait pas besoin de voir ça. A ses yeux, il n'était qu'un récent ami, le garçon qu'il aimait, mais il n'y avait rien dans l'autre sens. Pour Soobin, les sentiments qu'il éprouvait n'étaient pas réciproques.

Le violet retira le blouson qui lui cachait le soleil et se redressa. Il n'avait pas dormi longtemps, une vingtaine de minutes, mais il se sentait reposé. Soobin récupéra la bouteille d'eau dans son sac pour se réhydrater et éviter l'insolation, puis il sortit son carnet à dessin, sous le regard intéressé de Taehyun. L'artiste ne lui avait encore jamais montré son contenu, tout en lui détaillant passionnément tous ses concept arts de vaisseaux spatiaux que l'ingénieur en lui rêvait de voir. Son ainé se munit de son criterium sans un regard pour lui. Mais Soobin sentait bien les yeux curieux de l'autre sur sa page blanche. Il eut alors une idée.

― Taehyun, tu veux bien poser pour moi ?

Le noiraud, prit au dépourvu, lui offrit ces grands yeux pleins d'étoiles pour lesquels il fondait à chaque instant. Il lui proposa de s'asseoir sur l'une des branches basses du chêne, avec une expression émerveillée – la même que son visage montrait – et réalisa une esquisse de cette forêt magique qui constituait son univers artistique favori.

Pourtant, alors que cette proposition représentait une perche plus qu'évidente pour inviter le plus jeune à le draguer ouvertement, Taehyun n'en fit rien, et c'est exactement ce que Soobin souhaitait vérifier. Depuis la matinée – depuis quelques jours, à vrai dire – Taehyun ne réagissait pas à ses actes ou ses remarques comme il le faisait auparavant. Il ne le draguait plus, alors même qu'il prenait un malin plaisir à le faire d'ordinaire. Et le violet avait une petite idée de ce que cela signifiait. Il ne voulait cependant pas forcer Taehyun à ouvrir les yeux sur ses sentiments, peut-être que le motard le savait déjà et prenait le temps d'y réfléchir. Dans tous les cas, il attendrait que l'autre vienne vers lui, comme il le faisait si bien depuis le début du mois.

Quand le soir tomba, Soobin leva son crayon et montra le résultat à son camarade. Il omit toutefois de préciser que cet univers dans lequel il l'avait dessiné existait déjà dans son esprit depuis longtemps, et que le noiraud en faisait déjà partie intégrante. Taehyun n'avait pas besoin de savoir tout cela, encore moins dans ces circonstances. Ce n'était pas le moment d'influencer ses sentiments. Ils ne restèrent pas bien plus longtemps dans le champ aux vaches et rentrèrent pour la nuit après une belle après-midi passée sous le soleil.

+.°•

          Deux jours plus tard, Taehyun le surpris en lui proposant d'aller se baigner à l'étang, alors même que l'endroit était le repère de Gangjae et ses associés. Soobin tenta de l'en dissuader, il ne voulait pas confronter le noiraud à la personne qui lui avait fait du mal. Mais celui-ci insistait, lui assurant qu'ils ne les croiseraient pas ce jour-ci. Le violet ne chercha pas à savoir d'où lui venait cette information et prépara son maillot de bain en grommelant dans sa barbe que, s'il avait été lui, il aurait déjà quitté le pays pour espérer ne plus jamais croiser un tel homme.

― Allez, viens ! L'eau est bonne ! héla le plus petit.

Les pieds dans l'herbe humide bordant l'étang, Soobin ressassait encore son opposition à cette idée. Taehyun semblait tout à fait décontracté avec ses cheveux plaqués sur son crâne, son immense sourire et ce masque de plongée qui lui donnait un air ridicule. Lui, plutôt que d'admirer le cadre de l'étang, préférait admirer le cadre du chemin y menant, de peur que le loup y apparaisse sans crier gare. La dernière fois, la rencontre entre lui et cette ordure s'était faite par l'intermédiaire de son poing dans sa face, il ne souhaitait pas vraiment que l'autre ne lui rende la pareille.

― Hyung, détends-toi ! Je suis même sûr qu'il a déjà quitté la région.

― C'est vrai qu'il n'y a que deux idiots comme nous pour rester jusqu'à la toute fin des vacances...

Sur ces mots, Soobin se jeta à l'eau. Il rejoignit Taehyun là où la surface dépassait leur short de bain, les orteils chatouillés par la faible couche de vase déposée au fond de l'étang, et entreprit de se protéger des immenses gerbes d'eau dont le noiraud l'aspergeait. Bien vite, son inquiétude se dissipa pour ne laisser place qu'à l'amusement, la joie.

+

          Le soleil tapait fort au milieu de l'après-midi tandis que les deux jeunes hommes se laissaient flotter en étoile de mer sur l'eau, bercés par la mélodie des oiseaux perchés dans les arbres alentours, des cigales sautant curieusement dans l'herbe voisine, des vaches paissant de l'autre côté des barrières du terrain. Tout était calme et paisible. Reposant.

Taehyun se redressa dans l'eau. Il avait envie d'un encas. Un peu plus loin, Soobin flottait toujours paisiblement, les yeux fermés pour apprécier un peu plus ce moment. Il n'avait pas remarqué le mouvement de son ami, perdu dans ses pensées, un petit sourire aux lèvres. Il était beau ainsi. Alors le noiraud décida de rester un peu plus à ses côtés, assis là où l'eau couvrait simplement son abdomen.

Admirer le violet ainsi avait quelque d'inspirant, de ressourçant. Et Taehyun ne tentait même plus de réfréner ces pensées qu'il exprimait envers ce garçon. Il le trouvait beau, autant d'apparence que de personnalité, et même s'il ne comprenait pas encore bien ces nouveaux sentiments, il n'avait plus envie de leur fermer la porte. Si c'était de l'amour, il voulait se donner une chance. Parce que ce garçon était une personne bien. Peut-être pas son genre, mais Taehyun n'était même pas sûr d'avoir un genre d'homme.

Soobin n'avait pas grand-chose en commun avec toutes ces ordures qui avaient voulu profiter de lui pour une nuit, pour se tester, pour assouvir leur curiosité ou leur soif d'adrénaline, si ce n'était que sa carrure plutôt imposante et rassurante. Soobin était doux, calme la plupart du temps, il était aimable, poli, respectueux. Il avait cette étincelle dans les yeux, d'espoir et de passion, et cet amour pour la nature, pour les animaux, les plantes, les insectes, les paysages, qu'on ne trouvait que trop rarement chez un citadin. Il était un artiste hors pair, dont l'inspiration l'inspirait lui-même, et son esprit créatif, son imagination débordante, ses idées souvent absurdes, l'impressionnaient. Soobin était adorable, Soobin était magnifique, autant de corps que d'âme.

Soobin l'aimait. Vraiment.

Et c'était peut-être ce que Taehyun préférait chez lui.

Toutes ces années passées à rechercher un amour qui n'avait rien de sain, un amour toxique, factice... Tout n'avait été qu'illusion, manipulation, déception. Et aujourd'hui, un homme l'aimait réellement. Ce n'était pas pour se tester, pour tenter l'expérience de sortir avec un gars, l'adrénaline de « faire le gay ». C'était l'Amour, le grand, le vrai.

Taehyun se sentait aimé, et c'était tout ce qui lui fallait, tout ce dont il avait besoin.

Lui aussi, il avait envie d'aimer.

Peut-être le faisait-il déjà...

― Oh, Kang Taehyun !

Le noiraud sursauta violement, de même que Soobin, arraché à son moment de paix. L'eau éclaboussa alors que ce dernier se levait d'un bond, sur la défensive. Car c'était cette attitude qu'il fallait adopter face aux nouveaux venus. Il attrapa le bras de son camarade, figé par le choc, sans pour autant quitter du regard ce type qu'il ne pouvait plus voir en peinture.

― Taehyun. On s'en va.

Le plus jeune se laissa faire lorsque Soobin mit un peu plus de force dans ses bras pour le relever proprement. Il n'en revenait pas que Gangjae soit ici, alors même qu'il avait annoncé son départ sur le groupchat rassemblant les quelques touristes de la région – discussion qu'il avait préféré ne pas supprimer pour, justement, être mis au courant de cette information – le matin même. L'enfoiré l'avait piégé, exactement comme il avait procédé la première fois.

― Tu peux passer à la villa ce soir, si tu veux. Tu sais, pour récupérer ta veste.

― Merci, le coupa Soobin, mais je vais lui en racheter une autre.

― Je ne t'ai jamais invité, toi.

― Par contre, moi je peux t'inviter à aller te faire foutre.

Soobin tenait encore Taehyun, un Taehyun qui tremblait dans ses bras. Il n'avait pas pu s'empêcher de lâcher cette pique – et sans bafouiller ! – son sang n'avait fait qu'un tour. Pourtant, à l'entrée du terrain, Gangjae restait campé sur ses appuis, ses trois compagnons alignés derrière lui comme une armée de bons petits soldats. S'il croyait leur faire peur ainsi, il se fourrait le doigt dans l'œil. Taehyun était peut-être paralysé de terreur derrière lui, mais ce sale type pouvait être sûr que Soobin, seul, lui tiendrait tête pour eux deux.

― Une veste à cent euros, on l'abandonne pas pour une broutille comme ça, voyons.

Il avait envie de lui faire ravaler son sourire mesquin.

― Une broutille ? Tu parles d'une tentative de viol, mon garçon.

― Il n'a jamais dit non...

― Il n'a jamais dit oui.

Soobin enroula Taehyun dans sa serviette, lui tendit ses chaussures, et balança sur son dos leurs deux sacs avant de le tirer, tentant de le presser en restant délicat, jusqu'à la barrière du champ, à l'opposé du groupe. Leurs vélos étaient plus loin vers l'entrée, il attendait que Gangjae se décide à enfin investir son repère pour pouvoir y accéder. Mais celui-ci n'en avait pas fini.

― Alors, cette veste, je la jette ?

Une pression sur son épaule fit se retourner le violet. Taehyun voulait lui dire quelque chose.

― J'aimerais... j'aimerais bien la récupérer.

Il était toutefois hors de question que le noiraud remette les pieds près ou loin de cet enfer. Alors Soobin s'en chargea. Il prévint Gangjae, sans manquer de l'insulter pour la forme, et enfin ils purent retrouver leurs bicyclettes.

Sur le chemin du retour, Taehyun ne décrocha pas un mot, et Soobin se sentait coupable de cette situation. S'il avait été plus attentif, plus sur ses gardes, il aurait pu anticiper l'arrivée des trouble-fêtes et ainsi éviter la confrontation. S'il avait été plus insistant le matin, ils auraient pu passer l'après-midi à la piscine de la ville voisine, ou organiser une autre activité. S'il avait été moins étourdi, il aurait pu sentir le piège de Gangjae pour croiser le chemin de sa victime.

Il n'avait pas été intelligent sur ce coup, et Taehyun en subissait les conséquences. Mais l'idiot dans cette histoire restait ce sale type, qui ne méritait pas même d'exister.

― Soobin ?

Le violet, la main sur la poignée de porte de la salle de bain pour se rincer de l'eau de l'étang, se retourna vers la pièce à vivre, d'où Taehyun l'avait appelé. Il se tenait debout à l'entrée du couloir, encore enveloppé de sa serviette, le regard inquiet.

― Tu vas vraiment y aller ?

― Oui, et je vais en profiter pour lui refaire le portrait.

― C'est moi qui t'ai rendu agressif comme ça ?

Le plus vieux sourit à la remarque. Taehyun retrouvait un peu de son humour, même si ses lèvres étaient toujours crispées en une expression anxieuse.

― Fais attention, s'il te plait...

Il hocha la tête, lui offrant un sourire rassurant, et s'effaça pour se laver.

Soobin ne tarda pas à quitter la location ensuite, pressé de mettre fin à cette histoire. Il récupérait la veste de Taehyun puis lui ou son ami n'auraient plus jamais à croiser cet enfoiré. Du moins, il l'espérait bien... Ils ne savaient pas grand-chose de Gangjae, tout bien réfléchi. Ni où il habitait, ni où il travaillait, ni où il avait l'habitude de passer ses vacances, autrement qu'ici. Taehyun connaissait seulement son domaine d'études, le même que le sien, et ce fait gonflait déjà la probabilité de le recroiser tôt ou tard. Cette ordure ne disparaitrait peut-être jamais vraiment de sa vie ou de celle de son ami... Mais si le destin le remettait sur son chemin ou celui de Taehyun, Soobin se promettait de l'y dégager sans aucune pitié.

×

          Le soir tombait sur la campagne quand Taehyun détacha enfin son regard du paysage à l'arrière de la maison. Depuis le départ du violet, il n'avait pu se concentrer sur rien. Sur l'écran de la télévision, un vieux k-drama se jouait sans son, et sans spectateur. Son téléphone, posé sur la table en attente d'un potentiel appel de Soobin n'avait même pas eu la joie de voir un jeu vidéo être ouvert. Un livre de la bibliothèque du salon était resté ouvert à la huitième page, sur le canapé, intouché. Taehyun s'était également mis en tête de préparer le diner, il avait sorti un saladier et une pâte qu'il avait posés sur le plan de travail, avant de tout bonnement laisser tomber cette idée pour perdre son regard sur les champs et les bois au Sud de la location.

Soobin prenait son temps, et Taehyun ne pouvait s'empêcher d'imaginer mille et un scénario. Il s'inquiétait, il s'inquiétait pour un type qu'il détestait le mois auparavant. Il rongeait son frein pour un homme qu'il apprenait à connaitre et apprécier depuis quelques semaines seulement. Pour un ami qui le faisait douter de son cœur, pour un garçon qui l'aimait.

Le noiraud avait franchi une étape, il ne questionnait même plus ce sentiment, qu'il aurait questionné une semaine plus tôt. Les émotions qu'il éprouvait pour Soobin, l'inquiétude comme maintenant, ou l'attendrissement, l'émerveillement, l'amusement, simplement la paix que ce personnage lui apportait, il les acceptait. Qu'il le trouve adorable lorsque l'artiste lui expliquait ses œuvres, beau quand il préparait le petit déjeuner, intéressant alors qu'il apprenait ses habitudes de vie, ne l'étonnait même plus. A vrai dire, Taehyun n'était même plus surpris que son cœur rate un battement à chaque instant où ses yeux croisaient ceux de son camarade.

Il était amoureux.

Ce n'était pas comme cette attirance qu'il avait éprouvée pour quelques garçons auparavant, cette attirance qui lui avait créé tant de problèmes. C'était plus, bien plus. Il n'y avait rien de physique, du moins son sentiment dépassait cela. Il avait envie de voir son sourire, d'en être l'instigateur, il voulait le rendre heureux, lui tenir la main, le câliner, lui cuisiner de bons plats. Il souhaitait l'avoir à ses côtés en admirant le lever de soleil, ainsi que son coucher, le frémissements des feuilles du grand chêne dans l'après-midi, il voulait voir les gouttes perler sur son beau visage le matin, à l'étang. Il avait envie de sentir sa chaleur et son contact la nuit...

Il avait envie d'aimer. Comme le violet le faisait déjà pour lui.

Il avait envie de l'aimer.

Un bruit de clé dans la serrure de la porte le fit bondir sur ses pieds.

Ses jambes, engourdies d'être restées en tailleur tout ce temps, mirent un instant à retrouver leur force, un instant que Taehyun haït. Il devait retrouver Soobin, vite. Il devait s'assurer qu'il allait bien, que Gangjae ne lui avait pas fait de mal, ni qu'il s'était défoulé par les mots sur lui. La porte s'ouvrit, Taehyun se précipita dans l'entrée.

Et Soobin lui adressa un grand sourire, sa veste dans la main.

― Je t'ai manqué ?

Le noiraud ne se retint pas de se jeter dans ses bras, sans aucune considération pour sa veste qui finit sa course au sol. Le violet le réceptionna, surpris de ce soudain élan d'affection. Il ne fit cependant aucun commentaire, refusant de brusquer Taehyun. La situation n'était pas facile pour lui, il se doutait bien que le plus jeune s'était inquiété de sa longue absence. Celui-ci releva enfin la tête de son épaule, les yeux humides.

― Tu en as mis du temps.

― Je suis désolé...

Il fallait qu'il lui explique, avant que les larmes ne franchissent sa paupière.

― Gangjae est parti. J'ai rencontré le propriétaire.

C'était un vieil homme qui lui avait ouvert la porte, surpris d'avoir de la visite pendant son ménage. Il avait posé des questions, beaucoup, sur ce qu'il s'était passé dans sa location, à la vision des déchets douteux encore éparpillés ici et là, vestiges des nombreuses fêtes organisées par la bande. Soobin n'avait pas pu lui cacher tous les détails, et l'histoire de l'agression de Taehyun était remontée à la surface. Le propriétaire avait lui aussi entendu des histoires circulant dans le villages, des histoires que le jeune homme ne doutait pas de l'origine véridique. Son ami n'avait pas été sa seule victime. Et si Taehyun ne voulait pas porter plainte par peur d'être rejeté par les autorités, il ne doutait pas que l'une d'elles oserait et que cette ordure aurait une punition. Il savait bien que la sentence de la justice coréenne ne serait pas à la hauteur de ses crimes, mais c'était déjà ça.

Lorsqu'il mit fin à son récit, Taehyun replongea son visage dans son épaule. Toute cette angoisse pour lui s'était avérée inutile. Soobin allait bien, il n'avait pas même fait face à l'autre. Un sentiment d'immense soulagement le prit des pieds à la tête, il remonta sa colonne vertébrale, apaisa son cœur, calma sa respiration, détendit sa mâchoire.

Il n'était rien arrivé.

Ils restèrent encore un instant ainsi, dans l'entrée, la porte grande ouverte dans le dos de Soobin, la veste de Taehyun laissée sur le carrelage, et le soleil noyant le pas de la location d'un rayon doré. Le violet ne put s'empêcher de repenser à cette étreinte qu'ils avaient eue, le mois précédent, lors de l'orage qui avait menacé la vie de son ami. Les rôles étaient inversés, maintenant.

Ensuite, maintenant que son esprit était apaisé, Taehyun s'attela enfin à la préparation du diner.

+.°•

          Le vendredi était arrivé bien vite, puis enfin le samedi soir pointait le bout de son nez. Le lendemain, Choi Soobin et Kang Taehyun reprendraient leurs vies dans la grande Séoul. L'artiste retournerait à ses planches, le futur ingénieur reprendrait ses études. Et tous les deux redoutaient ce moment. Ils avaient envie de rester, rester encore un peu dans cette parenthèse de paix, de repos, rester un peu plus dans cette bulle de calme, de nature. Rester juste quelques jours, ou quelques semaines, rien qu'à deux dans la campagne coréenne, loin de la cohue citadine, loin de la pollution, du bruit, de l'insécurité... Mais les vacances étaient finies, la société les appelait.

Taehyun renifla, le visage dans l'évier alors qu'il faisait la vaisselle.

― Allez... on pourra revenir l'année prochaine, tous les deux, ici ! tenta Soobin.

Mais le violet ne pouvait pas comprendre ce qu'il ressentait. Il avait envie de rester pour une raison supplémentaire. Le jeune souhaitait encore un peu plus de temps avec Soobin, suffisamment pour lui dire ce qu'il avait sur le cœur. Rien qu'un jour ou deux, juste quelques instants de plus, pour lui annoncer ce à quoi il pensait depuis le début de la semaine. Il n'était encore sûr de rien, ce sentiment n'avait peut-être rien d'amoureux, mais le temps pressait. S'il ne lui disait pas maintenant, qui sait ce que leur relation deviendrait ? Il l'imaginait bien : d'abord des messages réguliers pour rêver de leurs prochaines vacances, puis de simples discussions pour prendre des nouvelles, se dire qu'ils devaient sortir un soir si leurs emplois du temps leur permettait, et ne jamais le faire. Puis l'absence de nouvelles, le silence des notifications. Sans doute un « salut, ça va ? » une fois de temps en temps... Et Taehyun aurait ainsi perdu son premier vrai, grand, Amour.

Il devait lui annoncer, et vite. Se jeter à l'eau, tenter le tout pour le tout. Si ses sentiments n'étaient finalement pas romantiques, Soobin comprendrait. Il était comme ça, il ne lui en voudrait pas. Et s'ils l'étaient vraiment, une grande et belle aventure les attendaient, Taehyun l'espérait.

Pourtant, il n'était pas encore prêt.

Comment apprendre au garçon qu'on avait détesté le mois précédent, avec les sentiments duquel on avait joué quelques semaines, comment lui dire qu'on était tombé à son propre jeu ? Le noiraud se sentait ridicule. Il en avait fait, des conneries, tout ce temps passé avec Soobin. Les erreurs de son passé le rattrapaient à grandes enjambées pour lui remémorer ses propos homophobes.

« Des hommes qui aiment d'autres hommes, ça me dégoute. »

« C'est contre-nature, c'est dégoutant. »

« Ou tu te contrôles, ou je te dénonce au village pour qu'ils te chassent d'ici. »

Il avait été une belle ordure. Il ne méritait pas d'aimer Soobin après tout ça. Mais surtout, Taehyun savait pertinemment que, même malgré tous ces mots blessants, Soobin l'accueillerait à bras ouverts. Le violet lui avait déjà tout pardonné, il le voyait dans ses yeux, et Taehyun n'aimait pas l'impression que ce fait lui donnait, l'impression de profiter de lui. De la même sorte que tous ces hommes qu'il avait fréquenté dans le passé. Il posa la dernière assiette brusquement dans le placard à cette pensée. Il se détestait.

― J'vais dormir.

Il avait juste envie de pleurer. Demain, demain marquait la fin des vacances, demain marquait le jour où il devrait faire sa première véritable déclaration. Et Taehyun ne se sentait pas, mais pas du tout prêt. Il n'était même plus sûr de vouloir le faire. Soobin ne le méritait pas. Mais s'il ne le faisait pas, il perdrait un homme formidable. Il perdrait peut-être sa seule chance de vivre une relation saine, stable, une vraie relation amoureuse.

Et demain vint, après une nuit passée à tourner et se retourner. Il se demandait si Soobin l'avait entendu et décidé de venir tard dans la nuit, sans oser franchir la porte, puisqu'elle était entrouverte à son réveil. Il se leva, croisa le violet qui ne dit pas un mot à propos de cette nuit, et partit se doucher. Dans deux heures, ils devaient avoir quitté la location, selon le contrat imposé par le site internet. Dans deux heures, il aurait déclaré sa flamme à Soobin.

Du moins, si la boule dans sa gorge voulait bien le laisser parler.

Taehyun s'habilla de sa tenue de moto, prépara son sac du mieux qu'il put avec ses affaires supplémentaires, passa dans le garage pour vérifier que sa moto était opérationnelle pour la route. Il annonçait des orages dans la journée, le noiraud espérait être parti avant. Ou que la pluie le surprenne et le bloque pour toujours ici, avec Soobin.

Dans la pièce à vivre, le violet leur avait préparé un petit déjeuner rapide et s'attelait maintenant à la confection de sandwiches pour lui et Taehyun. Il n'avait seulement pas pensé à ce détail : le motard n'avait pas la place d'emmener un déjeuner, il s'arrêtait sur une aire d'autoroute pour le midi. Il l'en remercia avec un petit sourire alors que Soobin abandonnait son dernier sandwich pour tartiner la tranche de pain de mie avec de la pâte à la noisette, pour ne pas gâcher. Le noiraud s'attabla devant un bol de ramen préparé avec soin.

Ils avalèrent tous deux leur plat par petites bouchées, l'estomac noué par la perspective de bientôt faire leurs adieux à cette location, puis l'un à l'autre. Rien n'était certain à propos de l'avenir de leur amitié, le destin les séparerait peut-être avant qu'ils n'aient le temps d'organiser leurs prochaines vacances ici. Soobin l'avait déjà accepté. De toute manière, Taehyun ne l'aimait pas. Ses sentiments étaient une voie à sens unique, et il s'en contentait. Les souvenirs qu'ils avaient créés à deux lui suffisaient amplement. Il était heureux d'avoir connu ce garçon, d'avoir eu le béguin pour lui, de l'avoir aidé à évoluer, à ouvrir les yeux. Et il tirait quelque chose de cette amitié assez chaotique, quelque chose de précieux : ses conversations étaient plus aisées, autant avec Taehyun par le fait qu'il avait appris à le connaitre, qu'avec des inconnus. Lorsqu'il était allé récupérer la veste du noiraud à la villa, la discussion avec le propriétaire s'était faite presque naturellement. Il avait gagné en confiance à l'oral, il se sentait plus à l'aise, plus sûr de lui, et Soobin devait tout cela à Taehyun.

Le petit déjeuner finit et débarrassé, Taehyun aida Soobin à charger sa voiture. Le jeune artiste s'était muni de beaucoup, beaucoup d'affaires pour vivre confortablement pendant ces deux mois, et il en payait maintenant le prix. Son coffre ne fermait pas, faute d'un rangement bien rodé, et une caisse restait sur le bitume de la cour. Taehyun se moqua gentiment de lui. Soobin releva un léger tremblement de voix et surenchérit avec une blague pour tenter d'alléger l'atmosphère. Sa boutade ne changea rien. Il plaça la caisse sur le siège avant passager, bloquée avec la ceinture de sécurité pour s'éviter un bête accident, le cœur lourd. La location était maintenant vide de toute présence de lui et Taehyun. Ils avaient fait un brin de ménage la veille, sans même que ce fut une ligne du contrat de location. Il ne leur restait donc plus rien à faire ici.

Soobin souffla, s'apprêtant à avancer vers la porte pour la fermer à clé le temps que Taehyun sorte sa moto du garage. Et c'est à cet instant qu'un orage éclata plus loin, au-dessus du bois. Aucun d'eux deux n'avait fait attention à l'énorme nuage noir qui se frayait un chemin dans le ciel bleu jusqu'à eux. Ils étaient trop concentrés sur la fatalité de leur départ. Taehyun jura, à moitié sorti du garage, et la pluie s'abattit sur eux à cette instant, en grands seaux d'une eau glaciale.

Soobin se précipita sous la porte du garage pour aider Taehyun à rentrer son véhicule, alors que la pluie se transformait en grêle, et que le tonnerre grondait de plus en plus près.

― J'imagine que la propriétaire ne nous fera pas un procès si on dépasse l'heure de départ pour ça... tenta de dédramatiser Soobin.

Et Taehyun éclata de rire, alors que la remarque de son camarade n'avait rien de drôle. L'univers l'avait écouté. C'était bien la première fois. Le destin lui accordait du temps supplémentaire, alors même qu'il s'était décidé à quitter Soobin sans rien dire. La vie le poussait à déclarer sa flamme, alors même qu'elle se jouait de lui, habituellement.

Le violet agrippa ses épaules, inquiet de son hilarité, et le noiraud se calma rapidement. Il ne devait pas gâcher cette opportunité. Il devait mettre toutes les chances de son côté, toutes les chances de ne pas se défiler au dernier moment. Cet instant devait être parfait.

L'idéal aurait été d'aller au champ à l'arbre, c'était un lieu plein de bons souvenirs, un lieu symbolique pour eux, mais le temps ne le permettait pas. Ils devaient rester dans la maison. Peut-être pourrait-il l'inviter dans sa chambre, là où ils s'étaient réconciliés et avaient dormi ensemble pour la première fois. Mais cette demande était cocasse, et Soobin pouvait mal l'interpréter. Ou il pouvait proposer de regarder un film romantique et rebondir sur la déclaration des personnages. Lui cuisiner un bon plat, alors qu'ils venaient de manger ? Seulement aller droit au but ? Non, il voulait rendre ce moment magique, on ne faisait pas ça en déblatérant son texte d'une traite. Il pouvait passer par les gestes plutôt que par les mots, après tout Soobin était plus à l'aise avec le contact physique que l'oral. Le film ferait l'affaire. Mais avaient-ils le temps ? Il leur faudrait également refaire le canapé ensuite, canapé qu'ils avaient mis du temps à replacer.

― Taehyun...

Le noiraud réfléchissait à en faire fumer son cerveau par les oreilles, et Soobin le remarquait bien. Il ne savait pas ce qui le tracassait ainsi. Pourtant, lui avait une idée d'activité pour passer leur derniers instants ici de la manière la plus symbolique possible.

― Tu vas me prendre pour un fou mais... j'ai envie de regarder le spectacle de cet orage.

― Toi ? C'est toi qui me dis ça ?

― Oui, je sais, c'est stupide...

― Monsieur, qu'avez-vous fait de mon Soobin ?

« Mon » ? Le violet rougit dans la pénombre du garage, sans pour autant relever le mot de Taehyun. Il n'avait pas envie, pas envie que l'autre se justifie par l'excuse qu'il le draguait. Il voulait seulement vivre un dernier bon moment ici avec lui, par la symbolique de l'orage. Car c'étaient les orages qui les avaient réunis. Les épreuves de la vie avaient facilité les choses, bien entendu, mais les orages les avaient mis dans les bras l'un de l'autre, plusieurs fois. Il leur devait beaucoup. Et quoi de mieux que d'observer ce spectacle pour rendre hommage à mère nature ?

Ils laissèrent leurs chaussures dans le garage, Taehyun se précipita dans la cuisine pour placer des chaises devant la baie vitrée, Soobin sursauta plusieurs fois sur le chemin, au fil des éclairs, mais il n'avait pas envie d'être effrayé, cette fois-ci. L'orage n'était pas au-dessus de la maison, les risques étaient relativement faibles. Et Taehyun était avec lui.

Ils s'assirent. L'orage s'abattait au Sud sur les champs et les bois. Quelques éclairs frappaient haut dans le ciel, parfois atteignaient un arbre ou un pylône électrique, et le tonnerre, mélodieux, grondait de sa grosse voix. D'ici, Soobin trouva qu'il n'avait pas grand-chose d'effrayant. Il avait même une capacité berçante, à résonner doucement dans ses tripes. Un petit sourire naquit à la commissure de ses lèvres.

Ce léger sourire n'échappa pas à Taehyun. Il ne s'intéressait pas à l'orage. La nature avait créé une œuvre d'art beaucoup plus agréable à regarder, qui se tenait juste à côté de lui. Soobin était magnifique ainsi, avec la petite fossette qui se creusait un peu plus à chaque éclair sur sa joue. Son visage émerveillé le rassurait, il n'était pas si effrayé par cet orage. Il eut envie de dégager une mèche de ses doux cheveux qui chatouillait son oreille, mais Taehyun se retint. Il se reconcentra sur l'orage, une boule dans la gorge. Sa déclaration ne sortait pas. Il savait exactement quoi dire, mais les mots restaient bloqués sur le bout de sa langue. Il n'y arrivait pas. Il ne parvenait pas à annoncer la réciprocité des sentiments de Soobin.

Taehyun soupira.

Le tonnerre gronda.

Et une caresse frôla son petit doigt. Puis une deuxième, et il sentit bientôt une main se glisser dans la sienne. Taehyun n'osa pas tourner la tête. Il devinait le regard de Soobin sur lui, évaluant sa réaction. Il en eut bientôt une, lorsque le visage de Taehyun passa de blanc à rouge pivoine. Il avait visé juste. Taehyun n'aurait jamais eu cette réaction seulement pour le draguer, on ne pouvait pas commander de tels signes biologiques. Le noiraud l'appréciait lui aussi.

― Tu as quelque chose à me dire, je crois, souffla-t-il sous le murmure du tonnerre.

Le noiraud daigna enfin croiser son regard. La prise dans sa main s'affermit, sa poitrine se gonfla, son cœur se serra. Il avait attendu ce moment si longtemps, sans vraiment espoir qu'il se réalise vraiment. Il aurait dû ouvrir les yeux. Le jeune homme lui envoyait des signes plus qu'évident ces derniers jours. Et il avait deviné que le noiraud hésitait, qu'il avait seulement besoin d'un petit coup de main.

― En effet...

Une foule de pensées se mélangea soudain dans l'esprit du plus jeune. Il avait tellement de choses sur le cœur : des excuses, des plaintes quant à leur départ, des remerciements, des souvenirs, des plans futurs, et une déclaration. Il ne savait pas par où commencer.

Un éclair accrocha ses yeux à travers la fenêtre, brisant leur contact visuel. Taehyun ne s'en plaint pas, il devait organiser son esprit. Et le regard brun doux de Soobin ne l'aidait en rien.

― Je te dois des excuses. J'ai été horrible avec toi. Et toi... toi, tu m'aimes malgré tout. Je suis désolé.

A ses côtés, Soobin resta silencieux. Il le laissait parler, il l'écoutait. Il le laissait s'exprimer librement, sans remarques, sans intervention. Alors qu'il en avait tous les droits.

― J'ai vraiment l'impression de profiter de toi, de ta gentillesse, après tout ce que je t'ai fait.

Taehyun déglutit.

― Je te demande pardon. Et si tu ne me l'accordes pas, je comprendrais.

― Je ne te pardonne pas. Mais, Taehyun, je suis fier de la personne que tu es devenue malgré tout.

D'une caresse sur sa main, Soobin l'invita à le regarder de nouveau. Ses yeux étaient doux, son regard le couvait d'un amour véritable et d'une grande fierté. Il était vrai que Taehyun avait changé, pour le mieux, et le violet l'en félicitait.

― Je ne t'aime pas parce que tu es beau, ou pour ton choix de carrière avantageux. Je t'aime parce que j'ai vu la personne que tu étais au fond. Taehyun, tu n'es pas un monstre, tu avais juste besoin qu'on te montre que certaines choses sont possibles, naturelles et belles. Je t'aime parce que, dès que j'ai posé le regard sur toi, j'ai su qui tu étais vraiment. Alors, non, je ne te pardonne pas tes mots et tes actes. Mais je sais que tu as ouvert les yeux, maintenant.

― Soobin...

Les larmes aux yeux, Taehyun s'éclaircit la gorge. Soobin était une personne absolument merveilleuse, d'apparence comme d'âme.

― Je t'aime.

― Et mes sentiments n'ont pas changé pour toi, lui assura son aîné.

Le noiraud sourit, les larmes dévalant ses joues. Le violet l'attira contre lui, dans une étreinte chaleureuse, une étreinte apaisante.

Sous les orages d'été, Taehyun et Soobin s'étaient trouvés.

Sous les orages d'été, deux âmes réunies malgré les épreuves s'embrassaient avec douceur.

fin —





+.°•

HEY PRENEZ CE CHAPITRE DONT LA DERNIERE PARTIE A ÉTÉ ECRITE SUR LA ROUTE POUR ALLER AU SKI j'crois sur les vidéos surveillance du péage on peut me voir ugly crying

A @jsplustonpseudorip qui m'avait dit "tu finis pas avec le bisou hein ??" Eh bien si, je finis avec le bisou 😔 mais j'suis en train de réfléchir à faire une petite suite, pour un prochain été peut-être, donc sois sans crainte

Breeeeeef c'est la fin d'une aventure qui sonne ici, et c'est marrant de la publier alors que je suis dans les montagnes à profiter de l'hiver ?? Anyways j'vais pas trop m'étaler, mais quelques commentaires : j'ai bien aimé écrire orages d'été, c'était l'occasion d'écouter Opening Séquence à fond en boucle et de passer des heures sur ma playlist "summer 2010 vibes" (qui est supérieure.) donc c'était plaisant. Après... disons que Freyr reste mon bébé suprême

Je vous laisse à vos larmes, mais sachez que Taehyun et Soobin vont peut-être revenir dans le futur (après... vous me connaissez lol). ET MOI JE RETOURNE SKIER HEHE

On se dit à mardi prochain pour une petite surprise, et sinon, je vous fais des bisous :3

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