1- Dylani Bornesmica
─ Bienvenue à tous, pour cette nouvelle année scolaire, nous allons innover dans notre lycée Saint Saëns. Je suis heureux de vous présenter une innovation, que je vous ai ramenée de mon stage à Osaka. Au passage je vous recommande le voyage ! Le japon, c'est merveilleux...
Le proviseur nous abreuve d'un discours de rentrée qui se transforme en panégyrique de la beauté du pays du soleil levant.
Nous sommes dans le gymnase refait à neuf. Ils ont fait les peintures et changé les vitrages pendant l'été. Les gradins sur plusieurs étages sont remplis d'élèves rêvant déjà de repartir en vacances. Par les fenêtres, on aperçoit le bâtiment principal réservé à l'administration et aux classes privilégiées, il est en pierre blanche de la région Bordelaise, qui se détache en contraste par rapport aux grandes grilles noires de l'entrée. Ce que l'on ne voit pas d'ici, ce sont les préfabriqués, dans lesquels ont lieu la plupart des cours.
La trouvaille du proviseur, c'est un tableau géant sur un mur, qui a vocation à nous permettre d'échanger des messages papiers, dans le hall d'entrée.
─ ...Donc pour en revenir à ce tableau des post-its, il nous permettra de dialoguer entre nous tous, dans le but de débattre. Ce sera amusant et cela peut entrainer des belles aventures humaines. Vous verrez qu'il y a une vie en dehors des écrans. Revenez au concret et quittez-moi vos Smartphones ! Vous êtes près de mille cinq cents élèves tous niveaux confondus, donc il va y en avoir des messages. Le panneau d'affichage sera ce que vous y mettrez et il sera possible d'y mettre à peu près tout.
Le chahut grandit dans la salle, tandis qu'il poursuit son discours inébranlable.
Clairement, ce n'est pas l'idée du siècle, on va devoir s'embêter à essayer de reproduire ce que l'on peut parfaitement faire avec nos tel sur des papiers !
Un copain me bouscule alors que je soupire. Je lisais discrètement sur mon téléphone.
─ J'aurai des censeurs par classe, qui n'enlèveront que les messages haineux, ils auront le rôle de modérateur internet et cela pourra entrainer des débats en classe. Le but, c'est de répondre si vous le voulez, aux Post-its des autres, en collant un message par-dessus.
Je vous donne une astuce, vous pouvez aussi faire disparaitre un texte en y mettant une réponse, mais les modérateurs enlèveront les Post-its vides ! Vous avez de quoi faire ! Enfin ! N'oubliez pas : L'anonymat au panneau est garanti, puisque celui-ci est accessible tout le temps d'ouverture du lycée.
Des sifflements interrompent son discours. Il lève la main, imposant le retour au calme.
─ Silence ! J'ai encore des choses à vous expliquer sur ce formidable outil pédagogique et cela va vous intéressez ! Pour pimenter un peu les choses l'administration, les professeurs, nous y mettrons des informations et des bonus. Voilà j'ai hâte de vous voir faire vivre ce panneau et donc s'il vous plait ne me dites pas que à Bordeaux et ici à Saint Saëns, nous ne sommes pas MODERNES ! Moi je dis que nous sommes hyper-tendaaaances !
Les professeurs applaudissent leur proviseur, l'accueil est plus mitigé pour les élèves qui tapent des pieds et sifflent plutôt.
Je secoue la tête devant son idée saugrenue. Je prends le pari, qu'il y aura une profusion de bites sur son panneau avant la fin de la semaine.
Les trois quarts des terminales « espoir », ma classe ont séché la présentation et la rentrée, pour faire bonne mesure et j'ai déjà un texto de mon prof principal pour faire un point sur la situation des élèves. Je soupire excédé, car je ne suis pas assistant social et moi aussi, je me débats avec mes galères.
Celle que l'on repère tout de suite et qui fait partie de ma classe, c'est Vanessa, dans une tenue sexy qui ne cache pas grand-chose. Elle est brune avec de longs cheveux noirs. Je connais sa mère, une poivrote épouvantable et elles vivent dans le quartier délabré près de ma cité.
Je la regarde inquiet malgré moi ! Cette fille traine avec la bande des relou de service de ce lycée élitiste. Mon instinct ne m'a pas trompé, car alors qu'elle est assise sur les genoux d'un gars, celui-ci fait un clin d'œil à une autre fille.
Que fait-elle avec cette bande de rapaces qui eux sont pétés d'argent et n'en ont surement qu'après son cul.
Je déteste les riches et mon radar me dit que cela ne sent pas bon ! C'est trop beau son histoire. Trop soudain aussi. Ces mecs restent entre eux, avec leurs vies cools et tout à coup ils se seraient découvert une passion pour cette cruche ? Je la connais bien, au niveau conversation, ce n'est pas ça et elle n'est pas spécialement sympa, mais je ne veux pas qu'on lui fasse du mal !
***
On m'a élu d'office, délégué de notre classe, comme ils ont insisté, j'ai cédé sans faire ma star. Ça me donne le droit à pleins de corvées supplémentaires, comme préparer les comptes rendus des conseils de discipline et des conseils de classes, responsable de la sécurité incendie, porte-parole pour les problèmes médicaux-sociaux de la classe (et il y en a beaucoup !) et je suis donc aussi modérateur sur le panneau, l'idée lumineuse de notre proviseur.
Depuis deux mois que le tableau a été mis en place, il est rempli de messages colorés, certains rigolos avec des blagues et des dessins, beaucoup de bites et de culs. Il y a aussi des propositions de ventes et d'échanges divers. L'administration joue le jeu, car il y a parfois des Post-its cadeaux.
Le panneau croule aussi sous les déclarations d'amour, de crushs et les ragots divers.
Marine a coucher avec Oliver
Seum Sophia a piqué le sac de Rosenn
Vu Marine et Lise sorte ensamble.
Je ne sais pas si c'est la même Marine, mais quelle santé !
Les profs de français doivent s'arracher les cheveux, car on constate que le niveau de l'orthographe a vachement baissé ou alors ils le font exprès. Pour les déclarations d'amour, il y en a quelques-unes avec mon nom :
Dylani je t'aime.
C'est bizarre ! Et inutile ! ...mais ça, c'est une autre histoire.
Et malheureusement des messages de désespoir !
Les messages racistes et haineux, nous devons les enlever sans forme de procès et les remettre à l'administration. Le proviseur les garde pour des statistiques à publier dans le journal du lycée.
Nous avons tous collé un message en septembre, c'était obligatoire ! Il fallait mettre ce que l'on voulait ...alors j'ai écrit :
Je n'aime pas les cafards !
J'aurais pu mettre beaucoup de choses, mais cela ne servait à rien. Les cafards, qui envahissent toutes les canalisations de mon immeuble, sont un vrai problème, assez révélateur de ce que je suis. Depuis je n'ai rien écrit, alors que d'autres s'en donnent à cœur joie, pour écrire des bêtises sur tous les thèmes de la politique à la société, les évènements à venir et les probables sujets d'examens.
Je regarde dépité, les messages qui m'inquiètent, des appels au secours qui viennent d'élèves déprimés. Je ne suis pas le seul modérateur, nous sommes une petite centaine autant que de délégués de classe. Personne ne s'y colle cependant.
Il y en a un, avec une écriture patte de mouche (un garçon) il me semble, qui a l'air de dire qu'il veut en finir :
A quoi bon tout ça ?
Un autre, qui n'est pas plus joyeux :
Je suis laide, je me déteste je veux disparaitre
L'écriture est ronde et belle, le message est là depuis longtemps, sans réponse ! Bienvenu dans notre univers impitoyable ! Je l'ai remarqué le jour où j'ai posé le mien. J'espère toujours que quelqu'un va lui répondre pour la consoler, mais non ! Tout le monde s'en fout !
Je me demande qui ils sont ? Je dirais qu'aucune fille de notre lycée n'est moche, si seulement je pouvais les aider. Enfin, un dernier post plus récent m'a alerté, c'est une écriture neutre, il est impossible de savoir si c'est un garçon ou une fille :
Si je ne suis pas là demain qui le remarquera ?
On sent leur désespoir dans leurs quelques mots. Donc trois personnes sont très malheureuses dans ce lycée ou peut être qu'elles vont mieux ? Qu'elles sont passées à autre chose ? Comment savoir ? Je ne comprends pas pourquoi personne ne leur répond.
Les ignorer ainsi, c'est ignoble, c'est presque les pousser au suicide et enlever le message, ce serait comme leur ôter le droit d'exister.
Ce panneau d'affichage n'est vraiment pas une bonne idée !
Je me suis décidé sur un coup de tête, alors que les messages sont là depuis plus d'un mois, j'ai préparé des réponses personnalisées à chacun.
Au premier message je réponds :
Tant qu'il y a de la vie il y a de l'espoir va marcher en forêt une heure et dis-moi ce que tu en as pensé.
Au second, à la petite nana malheureuse : : tu es belle pour quelqu'un !
Au troisième :
Je suis là moi et je le remarquerai ! Quels sont tes sports préférés ?
Les trois inconnus évoquaient à mi-mot le suicide et je préfère ne pas faire le père moralisateur. J'ai prévu des stylos et des Post-its différents, histoire qu'on ne devine pas qu'il n'y a qu'une seule et même personne qui a répondu.
Je me demande si ce que je fais n'est pas une erreur, seulement je n'ai pas d'autres idées.
Clairement, je passe beaucoup trop de temps sur ce panneau !
Je ne peux m'empêcher de vérifier les messages, car les textes haineux fleurissent. Quand des personnes sont citées, c'est un véritable lynchage, aussi violent que sur les réseaux. Pour lutter contre le fléau, nous pouvons retirer les papillons autocollants, mais parfois il suffit de mettre simplement un message de soutien, par-dessus une critique pour compenser.
Depuis quelques jours, Vanessa, la starlette de notre classe, subit une attaque en règle. J'ai retiré encore des post-its aujourd'hui, mentionnant qu'elle est une putain ou d'autres insultes imagées. Comme je le craignais, ses « nouveaux amis » l'ont jetée.
Un peu plus tard, l'idée me trottait en tête depuis un moment, j'ai décidé de me faire plaisir et je lâche un autre post sur le mur de notre lycée plan-plan. J'ai un stylo à paillettes violettes, un cadeau d'Amal, une de mes petites cousines, qui tombe à pic pour mon plan. Je le colle en plein milieu du panneau :
Je suis gay et je cherche un petit copain pour des gros câlins et des délires sans prise de tête. Trouve-moi et je suis à toi !
Je suis gay et j'aime les mecs. Je le sais, car on m'a conseillé de faire un book de photo, j'ai parait-il toutes mes chances pour être mannequin. Je suis monté à Paris, pour faire un book par un photographe spécialisé, mais il n'a pas fait que des photos. Je n'étais pas contre et pas pour... je me suis laissé faire, pour voir et cela m'a plu.
Mes rares expériences avec des filles ne m'ont pas donné envie de recommencer, donc voilà, je suis gay.
Pour les photos de mode, c'était trop de contraintes et cela revenait à renoncer à ma scolarité et à ma fierté alors j'ai dit Haa-haj*.
Quelques photographes me proposent quelquefois des contrats, mais je ne compte pas vivre de mon physique, c'est trop chiant et en plus ce serait un miroir aux alouettes ! J'adore les vieilles expressions françaises. Je suis aussi très à cheval sur la grammaire et la bonne orthographe des mots, c'est mon côté fier, limite pervers : Comme je suis immigré, je veux parler la langue la plus pure qui soit.
« Miroir aux alouettes » : L'expression dit bien ce qu'elle veut dire, ce serait une vie de stress à s'inquiéter d'être choisi, se désespérer de chaque ride, de chaque marque sur son corps. Très peu pour moi, si on devait me décrire en quelques mots : le premier se serait orgueilleux et le deuxième libre !
Mes potes ne savent pas que je suis mannequin et encore moins gay, car je n'en parle pas et ne compte pas avoir d'aventures. Pour le découvrir, il faudrait qu'ils tombent sur des photos dans des magazines. Je suis tranquille, ce n'est pas leur genre de lecture.
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* non en tchétchéne
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