Chapitre 4 - Petites notes à moi-même

[👌🏻] 

Hey girl, quelqu'un tente de te joindre, m'informe Agathe en soulevant la rondelle d'un concombre qui a élu domicile sur ma paupière.

Elle secoue mon téléphone devant mon visage, me laissant à peine le temps d'apercevoir le nom affiché sur l'écran. Je passe de la position couchée à assise en une fraction de seconde, retire le second morceau de concombre qui cache encore ma vue et saisis le smartphone tendu par ma colocataire. Mon coeur tressaute et le stress commence à gonfler dans mon estomac. Mon interlocuteur n'est autre que Jack Anderson, mon patron : le vrai. Celui qui m'a fait signer mon contrat et surtout celui qui me verse tous les mois mon salaire.
Alors quelle surprise de réaliser qu'il tente de me joindre quand il est censé être en arrêt maladie et, en plus, un dimanche soir.

Est-ce que j'ai fait une bourde ? Est-ce que son fils m'a dénoncée comme étant la pire des assistantes qui soit ?

Avant de décrocher, j'inspire profondément sous le regard inquiet d'Agathe, puis, le cœur affolé d'anticipation, je me force à décrocher. Je passe immédiatement l'appel en haut-parleur : je ne voudrais pas souiller le téléphone avec mon masque maison au cacao. J'ai très franchement envie de me lancer dans la liste des vertus qu'il offre à ma peau, mais j'ai un appel urgent à prendre.

— Bonsoir mademoiselle Leroi, tonne la voix grave à l'autre bout du fil.

— Bonsoir, Jack. Comment all...

— Toutes mes excuses pour le dérangement, mais je pense que vous serez ravie d'entendre ce que j'ai à vous dire, me coupe-t-il enjoué.

Ok, je ne vais donc pas être virée ce soir. C'est une bonne chose.

— Je sais que ça fait quatre ans que vous cherchez à évoluer au sein de l'entreprise. Votre rêve est de devenir journaliste alors je pense qu'il est temps de vous accorder une chance, ma petite.

Je saute d'un bond hors du canapé.

Quoi ? Je ne suis pas encore en train de rêver, mes deux concombres sur les yeux, et un filet de bave sur le menton ? C'est...réel ?


Je mords ma lèvre inférieure, prise d'une joie énorme que je tente d'étouffer. Il est inconcevable d'exploser les tympans de monsieur Anderson au point de le rendre sourd et de risquer du même coup de laisser passer ma chance.

— Vous avez jusqu'au douze décembre pour me pondre un article sur Noël et j'ai déjà ma petite idée.

— Jack c'est ...

— Super oui ! Vous avez une bonne étoile. Rejoignez-moi donc après votre travail demain, à la maison. On pourra discuter des détails, achève-t-il.

Je valide notre rendez-vous dans un calme qui me surprend moi-même, puis raccroche.

La seconde d'après, j'explose, crie de joie, danse jusqu'à épuisement total - ce qui veut dire, pas longtemps - puis me love dans le canapé en soupirant de béatitude. J'ai enfin une chance de réaliser mon rêve, ce pour quoi j'ai quitté la France pour Boston.

« Note n° 1 — Faire plus de soin du visage. Ça a l'air d'apporter de bonnes opportunités. »

Agathe s'empare de deux flûtes et débouche une petite bouteille de champagne malgré mon véto : on ne trinque pas tant que je n'ai pas mon foutu nom notifié sur un article !
Peu importe, elle porte un toast toute seule, boit cul-sec les deux verres et lâche un rot d'une intensité et d'une impolitesse déconcertante. Mais soit, c'est Agathe, je suis habituée.


***

J'ai très mal dormi suite à l'annonce de Jack : il va me laisser une chance. Mon cerveau a donc conclu que la priorité n'était pas de me reposer, mais bien de débuter mes recherches. J'ai pianoté une bonne partie de la nuit sur mon PC. J'ai fait des « To do list » à gogo, façonné des tableaux avec différentes photos et images que je pourrais utiliser jusqu'à ce que mes yeux louchent tellement qu'ils n'aient plus la capacité de suivre mes doigts. Je me suis donc assoupie pour les trois dernières heures avant que le réveil ne pousse son hurlement de la mort.

— Quand vous aurez fini de faire la sieste Clarisse, vous m'apporterez un expresso. Je vous attends pour la réunion qui va débuter dans vingt minutes, gronde Connor en croisant ses bras sur son torse bandé.

Je sursaute, lève mon museau qui était en train de se taper une royale sieste sur mon clavier d'ordinateur, confirme d'un hochement de tête, puis grogne un « Humfff ok » pas très poli.

— Et la moindre des choses est de s'excuser, ajoute-t-il en me fixant.

Et puis quoi encore ? « Connard » n'est pas capable de se souvenir de mon prénom alors mes excuses, il peut se les enfoncer bien profond dans son adorable popotin.

C'est vrai qu'il a l'air d'avoir de jolies fesses ... Oh mais ferme-là conscience.

Je frotte mon visage, pousse la chaise à roulettes en arrière pour me lever et rejoindre les toilettes en passant devant mon boss sans rien ajouter de plus. Face au miroir, je découvre avec stupeur les marques qu'ont laissées les touches du clavier de mon ordinateur sur mon visage. Si j'étais branchée en Bluetooth, je suis certaine que l'on pourrait se servir de ma tronche pour écrire un mail. Je jette un regard à ma montre, cours dans les couloirs afin d'aller chercher le café de mon patron et me présente, essoufflée, dans la salle de réunion, le cœur battant et le mot AZERTY encore collé sur ma face. Je prends place à côté de la porte et commence à noter précisément chaque information importante que donne monsieur Anderson à toute l'équipe.

— Il faut donc appeler l'imprimeur et me faire changer cette page douze. Je ne comprends pas que l'on puisse laisser une telle faute sur un papier qui est censé avoir été relu une bonne dizaine de fois.

— Oui, vous avez raison. Mais...

— Pas de mais, ce mot me donne de violents maux de crâne. D'ailleurs Joe, je refuse votre demande de congé pour le vingt-quatre décembre, balance Connor en se massant les tempes.

— Mais votre père a dit que...

— Mon père n'est pas là, c'est moi qui gère mon équipe comme je l'entends. Vous allez couvrir l'événement de mademoiselle Karington. Ça se passe le vingt-quatre décembre au White Palace. Mademoiselle Leroi, faites-lui passer les infos sur ce dossier, continue-t-il impassible.

— Mais je..., tente Joe penaud.

— Soit c'est ça, soit vous posez votre démission sur mon bureau avant la fin de la semaine.

Le blond se tourne vers moi d'un air de dire « Cassie, dis quelque chose », mais je ne lui rends qu'un regard impuissant. Oui, Jack a accepté toutes les demandes de congés pour cette date, oui, Jack Anderson a le cœur sur la main et non, je ne peux rien faire. Il ne vaudrait mieux pas que je l'ouvre alors que je suis sur le point de devenir journaliste. Pas maintenant.
Je me penche vers lui et chuchote un « Essaie d'envoyer un mail à Jack directement, Joe ». C'est tout ce que je peux faire : le conseiller tant bien que mal sur cette situation.

Nous faisons ensuite le point sur tous les chiffres de la semaine, les comparons, essayons de comprendre ce qui a fonctionné ou pas dans les magazines précédents et préparons les prochains sujets. Je note, efface, recommence et me penche sur le compte rendu final de la réunion que je devrai envoyer à tout le monde. Mes collègues rangent leurs affaires en soufflant et sortent de la pièce. Je leur emboîte le pas.

— Attendez Casablanca, j'ai besoin de vos services, s'empresse-t-il de dire avant que mon pied ne passe le seuil de la porte.

— Cassie, je m'appelle Cassie, monsieur, grincé-je.

— J'ai besoin que vous vous rendiez au restaurant pour annuler mon rendez-vous d'affaires. Il faudrait le repousser de quelques jours, ordonne Connor sans accorder d'importance à la correction de mon prénom.

— Là, tout de suite ? Mais c'est à vingt minutes d'ici ! m'exclamé-je.

— Et donc, quel est le problème ?

— Quel est le... Quoi ? Ça empiète sur ma pause déjeuner et nous avons une réunion dans un peu plus d'une heure, m'énervé-je.

— Jeûner ne fait de mal à personne, ajoute-t-il en me toisant de haut en bas.

Est-ce que monsieur-sexy-pdg-mais-gros-connard vient de me faire comprendre que je suis grosse ?

« Note n° 2 — perdre 5 kg. C'est vrai que je me suis un peu laissé aller. Mais Agathe mange n'importe quoi aussi ! »

Je me recule, baisse la tête et descend mon pull de Noël afin de cacher mes poignées d'amour. Mon patron passe sa main dans ses cheveux châtains en soufflant bruyamment.

— Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, je parle en général. Vous prendrez un truc en chemin et vous n'aurez qu'à payer avec la carte de l'entreprise.

— Très bien, mais sachez que je n'irai pas dans le foodtruck le moins cher de la ville.

S'il veut la jouer comme ça, pas de soucis, mais qui s'y frotte, s'y pique. Je bombe ma poitrine et me retourne afin de récupérer mon sac. Une fois dehors, je hèle un taxi et m'engouffre dedans en lui balançant directement l'adresse de mon point d'arrivée. Le chauffeur opine du chef avant de s'insérer sur la route. Une fois la destination atteinte, je sors du véhicule, fixe le GPS de mon téléphone et m'engage dans une rue piétonne. Parapluie à la main, je m'enfonce dans l'étroit chemin pavé à ma droite et entame une côte qui ne tarde pas à m'essouffler.

« Note n°3 : Reprendre le sport. »

Le drapeau américain, surplombant la ruelle mouillée par les averses automnales, me rappelle très clairement que la France est à plusieurs milliers de kilomètres. Me voilà à présent dans la partie vivante du petit quartier. Les devantures des magasins ont allumé leurs lumières afin d'éclairer leur vitrine de Noël. À ma gauche, j'admire enfin la magnifique entrée du restaurant dans lequel doit déjà se trouver le rendez-vous que je dois annuler.

Cernée par la gêne, je passe la porte rouge, frotte mes pieds sur le paillasson à 400 dollars et enfonce mon parapluie dans le bac qui lui est destiné.

L'intérieur est très classe et décoré avec des meubles laqués noirs et blancs. Le bois fait également partie du décor, ajoutant un peu de caractère à tout ce luxe. Mon look « fan de téléfilm de Noël » détonne vachement dans cet endroit rempli d'hommes et de femmes d'affaires en costumes. Je retrousse les manches de mon pull blanc à l'effigie de Rudolph et traverse le restaurant pour rejoindre la serveuse qui me toise en grimaçant.

Mon ventre gargouille, se plaint de n'avoir ni le temps, ni les moyens de s'installer à une table pour déguster une bonne plâtrée de pâtes à l'italienne.

Devant le comptoir, je demande à la jeune femme blonde où se trouve le client de monsieur Anderson. Elle fait glisser son index sur un cahier, trouve la personne, puis déplace son doigt afin de dévoiler le numéro de table. Elle m'accompagne, recule ma chaise mais se stoppe lorsque je l'informe que je ne suis là que de passage. L'homme aux cheveux mi-longs poivre et sel me dévisage à son tour, surpris, avant de lâcher un rire sarcastique :

— Vous n'êtes pas monsieur Anderson, vous !

« Note n°4 : Toujours prendre des vêtements de rechange en cas d'annulation de rendez-vous dans un restaurant de luxe. »

— Bonne déduction monsieur Juda. Je suis son assistante, Cassie Leroi. Il ne peut malheureusement pas être présent mais souhaite décaler votre entrevue dans les jours à venir.

Gregory pose son téléphone sur la table avec une violence inouïe, je suis même surprise que l'objet ne se soit pas cassé en deux, puis me scrute avec froideur. Rien que ses pupilles armées me donnent des frissons : il va me tuer, là, en plein milieu du restaurant gastronomique, avec son couteau à huîtres.

« Note n°5 : Toujours avoir une bombe lacrymo dans mon sac. »

— Est-ce trop demander à Connor de m'envoyer un texto ou de m'appeler ?

— Je...

— Dites-moi, pourquoi Connor m'envoie sa boniche au juste ?

Est-ce que je dois lui rentrer dedans pour le surnom ? D'ailleurs, pourquoi m'envoie-t-il ? Pour me faire rager, m'embêter, me faire saliver devant des plats que je ne peux pas manger parce que je n'ai pas le temps d'avoir ma pause. Alors oui, j'en veux à mon patron, mais aussi à cet être irrespectueux qui se croit supérieur à moi. Je souffle un bon coup et garde mon calme. Hors de question de perdre encore quelques précieuses minutes à tergiverser avec cette andouille de première classe - seconde plutôt, Connor reste très clairement en haut du podium.

— Son assistante, reprends-je avec douceur.

— Oh! ça va, on ne va pas chipoter, c'est la même chose. Comprenez, mademoiselle Leroi, que si vous étiez un minimum jolie, la pilule serait un peu mieux passée. Regardez-moi cette dégaine, pardonnez-moi mais ce n'est pas possible, se moque-t-il en buvant une gorgée de son vin hors de prix.

Je reste muette, accusant le coup des insultes qu'il vient de me balancer au visage sans aucune once d'humanité et de respect. Tous mes principes du genre « soit douce et souriante en toute circonstances » me pètent à la figure. C'est impossible de garder une certaine contenance avec ce genre de personnalité exécrable.

— Attendez ! Je loupe ma pause déjeuner pour me faire insulter ? Je rêve là, espèce de...

Je me stoppe avant de regretter les mots qui pourraient jaillir de ma bouche, sors du restaurant à toute vitesse sans laisser le temps à l'autre idiot d'ajouter quelque ce soit d'autre. Je suis en plein délire. Je comprends néanmoins la colère de monsieur Juda. Il cale un rendez-vous, se déplace et se retrouve nez à nez avec une jeune femme sortie de nulle part qui lui annonce qu'il a fait tout ce chemin pour rien. Mon boss est le mec le plus malpoli que je connaisse.

Une fois ma rage évacuée, je réalise que je suis trempée : j'ai oublié de récupérer mon parapluie. Je pénètre dans un magasin spécialisé dans les produits français, flâne dans les rayons en quête d'un repas équilibré et repars avec, sous le bras, une baguette de pain, un fromage à la truffe, une bouteille de champagne et un petit pot d'œufs de caviar. Un festin de roi entièrement payé par la carte de l'entreprise.

Je rentre en taxi, remonte dans mon bureau, ébouriffe mes cheveux dont les pointes gouttent dans ma nuque, puis ouvre le sac rempli de gourmandises. Je bois directement l'alcool au goulot, étale maladroitement le fromage dans le pain et croque à pleines dents en fermant les yeux pour me délecter du goût du champignon. Ma mastication terminée, j'ouvre mes paupières et surprend Connor en train de me fixer.

— Sandwich de fromage à la truffe et champagne, vous voulez goûter  ? D'ailleurs, je suis déçue, on ne sent pas beaucoup le goût. C'est censé avoir quelle saveur la truffe ? continué-je en me parlant à moi-même.

— Dans mon bureau, immédiatement.

Je pose mon repas sur une serviette sur mon espace de travail et ramasse les quelques miettes qui traînent avant de suivre mon patron à grandes enjambées. Je pénètre dans son bureau et sursaute quand il ferme la porte avec violence.

— Vous ne pouvez pas manger de la truffe dans du pain comme vous le faites, quant au champagne, il se déguste dans une flûte et en dehors du lieu de travail... s'indigne-t-il.

— Vous me devez des excuses, balancé-je.

Ses yeux bleus viennent alors s'ancrer dans les miens. C'est profond, intense, sexy mais flippant à la fois.

— Et pour quelle raison ?

Voilà qu'il replonge son regard dans le mien. Je crois qu'il cherche à me déstabiliser. Puis, il hausse les sourcils et tend sa main pour m'inviter à continuer de parler.

— Vous m'avez envoyée, sous la pluie, le ventre vide, sur mon temps de pause, dans un restaurant, tout ça pour annuler un rendez-vous avec un idiot qui m'a insultée publiquement.

— Très bien, je lui en toucherai un mot et lui demanderai d'avoir du respect pour les employés de mon père, conclut-il.

Le silence règne encore ici quelques secondes. Lui espère que je déserte la pièce, quant à moi, je reste bouche-bée de ne pas avoir dû défendre mon cas plus ardemment. Tant mieux, de quoi est-ce que je me plains ?

— Qu'attendez-vous pour quitter mon bureau et retourner à votre poste ?

Je fouille dans la poche de mon short et en ressors le mini pot de caviar. Je lui dépose sur son bureau en grimaçant.

— Ce n'est pas très bon. Je vous l'offre.

Je jette un œil à Connor qui dévisage le pot déposé juste devant lui et disparaît pour reprendre ma place, derrière mon ordinateur.

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