Chapitre 17 - Les avantages du télétravail

10 décembre

— Mademoiselle Leroi ?

La voix sombre et grave de Connor se promène sous la porte et fait remonter quelques frissons au creux de mes reins. Je saute sur la porte, passe une main rapide dans mes cheveux emmêlés, gobe la papillote en chocolat que je tiens entre mes doigts et ouvre ma petite veste blanche pour laisser entrevoir ma nuisette rouge en dentelles.

J'ouvre le battant et positionne mon bras sur le chambranle afin d'être un peu plus sexy.
Je lui offre mon plus magnifique sourire, mais déchante lorsque je réalise que son regard n'est pas rempli de luxure, mais de glaçons.

— Vous n'êtes pas habillée ? me sermonne-t-il

Raison n° 1 : Flexibilité et liberté.

Travailler d'où l'on souhaite et comme on le veut. Vous pouvez même partir au bord de la mer ou à la montagne (il faut juste avoir une bonne couverture réseau internet). Œuvrer en slip ou en pyjama fait faire de sacrées économies aussi.

Je me redresse et remonte la fermeture de mon gilet pour cacher mon atout charme, gênée de sa réaction.

Mais...

— Parlez moins fort, j'ai terriblement mal au crâne... Vous connaissez le côté positif du travail à distance ? C'est que je peux bosser toute nue si je le désire, affirmé-je en fronçant les sourcils.

En fait je ne suis pas en colère parce qu'il parle un peu fort pour un matin, non, je rage car ce qui s'est passé hier soir entre lui et moi ressemble de plus en plus à un rêve qu'à une réalité. Connor me toise de haut en bas, pince l'arête de son nez et marmonne quelque chose d'incompréhensible avant de se reprendre.

— Je vous ai demandé de venir chez moi pour huit heures, grogne-t-il.

— Quoi ? Non, je ne crois pas, quand avez-vous dit ça ?

Je fouille dans ma mémoire, réfléchis, gratte mon front à la recherche de l'élément manquant. Comment est-ce que j'ai pu louper une telle information ? Me l'a-t-il dit avant le placage contre la porte ? Pendant qu'il remontait sa main entre mes seins, ou après, quand j'étais perdue dans mon euphorie du baiser ?

— Hier, en partant ! souffle-t-il. Mais bien sûr vous étiez trop bourrée pour vous en souvenir.
Moi aussi d'ailleurs, et même si je n'arrive pas à me rappeler de tout, je suis certain de vous avoir quittée avec cet ordre.

Il est en colère, vraiment en colère. Moi aussi, car je réalise avec effroi qu'il n'a peut-être aucun souvenir du moment intime que nous avons partagé ensemble dans cette entrée. Ou bien, il feint de l'oublier pour me faire comprendre que ce n'était pas terrible et qu'il préfère zapper ce passage-là de notre soirée. Mais c'est lui qui m'a sauté dessus, c'est lui qui s'est serré contre mon corps. Je n'ai pas imaginé son désir, je l'ai senti.

— Dépêchez-vous Castielle ! m'ordonne-t-il dans un élan de colère.

Je sursaute ; j'ai qu'une envie, c'est de lui balancer mon poing dans la figure. Il a complètement occulté notre rapprochement ; il est redevenu le Connard que je déteste tant. C'était une belle erreur. Mon prénom échappe encore à ses lèvres. Je suis blessée.

— Laissez-moi dix minutes, j'arrive, monsieur, balbutié-je en tête baissée, honteuse.

Je claque violemment la porte avant de filer dans ma salle de bain pour me changer et me refaire une rapide beauté. De toute façon, je ne compte pas me grimer le visage pour mon chef.

Raison n° 2 : Gain de temps et stress en moins.

Normalement pas de tension due aux transports ou aux bouchons (sauf si votre patron est en réalité votre voisin et qu'il vous ordonne de venir bosser chez lui !). Du coup, vous pouvez débuter votre journée plus tôt sans courir dans tous les sens ou dépendre des transports qui sont toujours en grève ou en retard.

Lorsque j'entre dans son appartement, il a l'oreille collée à son téléphone. D'un signe de la main, il me montre un ordinateur trônant sur sa table de salon. Je m'installe devant et commence par ouvrir son agenda de la journée. Il ne pourra malheureusement pas tenir tous ses engagements du jour et je vais devoir tout déplacer.

Quand enfin il raccroche, son ordinateur se met à sonner avec le nom de Mathilde, la demoiselle de l'accueil.

Pourquoi elle l'appelle en FaceTime?

Je me renfrogne et tends l'oreille pour écouter ce qu'il a à lui dire.

— Mademoiselle Gilmore, je vous laisse déplacer mes rendez-vous de cet après-midi. Voyez avec chacun si c'est possible de faire la réunion à distance ou si ça mérite d'être présent physiquement. Sinon, voyez mes disponibilités pour demain. Vous allez bosser en équipe avec mademoiselle Leroi.

Il se tourne vers moi et commence à m'adresser la parole, me demandant de venir à côté de lui. Je me lève, quitte la chaise du salon et me place aux côtés de Connor. J'adresse un signe de la main à ma collègue, un sourire embarrassé greffé sur ma tronche.

— Euh, bonjour Mathilde.

Je vois à sa tête rouge tomate qu'elle ne s'attendait pas à me voir chez notre patron. Je n'ai dit à personne que je vivais dans l'appartement voisin, pour éviter ce genre de regard rempli de surprise. Ses pupilles brillent, mises en avant par un maquillage bien trop marqué à mon goût. La jeune femme contracte sa mâchoire, me dévisage, fronce rapidement les sourcils avant de retrouver sa face de poupée de porcelaine. Je crois déceler un brin de haine. De la jalousie peut-être ? Agathe a évoqué le fait que Mathilde était raide dingue de notre patron. Je viens de me faire une ennemie.

Raison n° 3 : Paix et tranquillité sont les maîtres mots d'un travail à la maison. Au bureau, les gens discutent, les téléphones sonnent et le brouhaha prend vite place dans les couloirs.

J'adopte un air sérieux : travailleuse, je lui indique le programme.

— De mon côté, je vais déplacer les rendez-vous de ce matin. Il faudrait que l'on soit bien sur le même drive pour voir les modifications. Si vous avez besoin de quoi que ce soit vous pouvez m'appeler, mais ne dérangez pas monsieur Anderson, ordonné-je plus sûre de moi.

Elle grince des dents et hoche la tête à contrecœur avant de raccrocher. Je m'installe à mon poste tandis que Connor enchaîne les appels et tente de faire bouger les choses alors que tout est au ralenti.

— Qui peut couvrir cet événement ? s'énerve-t-il au téléphone.

— Je crois que Marc habite à deux cents mètres. S'il est chez lui, ça se tente, chuchoté-je.

Il traite l'employé d'incapable, me gratifie d'un merci, puis me demande de lancer un appel à ce fameux Marc.

— Monsieur, j'ai reçu un mail d'Esperanza, elle veut que vous validiez la couverture du prochain « Fashion&Cie ».

— Occupez-vous de ça, Carlota.

J'ai vais le ...

Ma langue brûle d'envie de lui avouer qu'hier il m'a roulé la plus belle pelle de ma vie. Je souhaite qu'il se retrouve aussi gêné que moi par cette situation grotesque. Il ne se souvient de rien, c'est évident. Je reste silencieuse, râle dans un coin de ma tête. J'effectue mes tâches une par une avec une colère monstre.

Je suis rassurée d'apprendre que demain tout sera à nouveau normal. Nous aurons le plaisir de rejoindre nos locaux. Les rues sont dégagées.

Midi. Je rentre chez moi me morfondre dans mon canapé. Un bout de pain couvert de charcuterie entre mes doigts, je rumine, les yeux fixés sur la porte du paradis. J'expire l'air contenu dans mes poumons, heureuse de n'avoir pas succombé à la tentation du diable, hier soir. Je sais qu'il serait parti au beau milieu de la nuit, marchant sur la pointe des pieds, et il aurait ensuite fait abstraction de tout ce qui se serait passé. Ou alors, il m'aurait envoyé bouler méchamment me disant que c'était une belle connerie et me virant.

Mon réveil sonne, il est l'heure de rejoindre monsieur-connard-qui-m'a-embrassée. J'ai un pincement au cœur. Je suis mal à l'aise. J'entre sans m'annoncer et avance vers lui.

— Je vous ai préparé un chocolat chaud, mademoiselle Leroi.

Il a quoi ?

Je cligne des yeux plusieurs fois de suite, m'ébroue.

— Mais c'est quoi votre problème ! m'emporté-je, vexée qu'il change de comportement comme de dosettes de café.

— Je peux savoir ce qui vous prend ? rétorque Connor.

— C'est vous !

Je frotte mon visage, excédée par son comportement.

— Quoi encore ... Dépêchez-vous de faire la morale qu'on en finisse, je n'ai pas que ça à faire,

râle l'homme en costard.

D'ailleurs, il n'a pas trouvé quelque chose de plus large afin d'être à l'aise chez lui ?

— Vous ! Vous me parlez mal, puis tout d'un coup vous devenez aussi doux que les poils de la moumoute blanche accrochée aux vêtements du Père Noël ! Je ne sais plus comment agir avec vous ! me lâché-je en le pointant de mon doigt.

— C'est bon, vous avez fini ?

— Non, vous n'êtes qu'un « Connard » !

— Qui va vous virer si vous continuez votre crise d'hystérie, ajoute-t-il calmement tout en serrant ses dents.

— Faites-le ! Mais je n'hésiterai pas à téléphoner à Jack ! Je suis encore son employée à ce que je sache, le menacé-je en bombant ma poitrine afin de donner l'illusion que je suis en confiance avec moi-même, alors qu'au fond je suis tellement en colère, triste et apeurée.

J'étais à deux doigts de tomber sous le charme d'un pauvre lutin qui me considère comme un petit jouet à emballer parmi tous les autres de son atelier. Je déteste ça : je ne veux pas être insignifiante à ses yeux, mais je regrette d'avoir pensé un seul instant qu'il pouvait ressentir du désir pour moi. Mes yeux commencent à briller et je me retiens de pleurer. Il ne comprendrait pas de toute façon. Il ne connaît même pas la souffrance qui est en train de se loger dans ma cage thoracique.

Je veux le détester au plus profond de mon être, mais c'est plus fort que moi. Depuis qu'il a posé ses lèvres sur les miennes, je suis comme une junkie et j'ai besoin de ma dose de sucre. Il n'aurait pas dû me toucher. Jamais.

À cause de lui, je suis comme piégée au milieu de l'Antarctique sur mon petit îlot de glace. Celui-ci ne doit pas fondre, sinon je vais me retrouver gelée en compagnie des pingouins piranhas. Ça n'existe pas, mais je suis sûre qu'ils seront capables de manger ma chair glacée.

— Vous pleurez ?

— Non, m'énervé-je en essuyant mes larmes.

— Si, mademoiselle Leroi.

— C'est une poussière !

Il approche d'un pas ; je me replie aussitôt en arrière. Il avance sa main, je recule mon visage.

Ne. Me. Touchez. Pas !

Je ferme les yeux, prends une grande bouffé d'air et ouvre mes paupières en le fixant avec furie.

— Je rentre ! Si vous avez besoin de moi, vous prenez votre téléphone ou vous sonnez à côté.

Raison n° 4 : Santé et bonheur. Vous ne croisez pas vos collègues que vous détestez tant et vous préservez votre corps des maladies du monde extérieur.

Recroquevillée dans ma douche, je laisse l'eau chaude tremper mes cheveux et ma dépouille,
honteuse de m'être laissée emporter. C'est bien connu, je suis une rêveuse et quand on est ainsi, lorsque la dure réalité nous rattrape, on se retrouve encore plus blessé que les autres.
Les autres... Ils se protègent, érigent des murs et des armures pour ne pas être déçus. C'est ce que je devrais faire. J'aurais dû mieux me préparer à le repousser, mais je ne m'attendais pas du tout à ce que mon cœur et mon corps le réclament. Hier soir, après son départ, je me suis enfermée dans ma chambre et j'ai allumé mon stimulpower en pensant à lui, à ses mains venues caresser ma dentelle, à son corps chaud contre ma poitrine, mais aussi à ses lèvres que je veux sentir partout. Autant dire que j'ai sorti mon gémissement en moins de dix minutes.

Mais ce soir je pleure et je déprime. Je dois pourtant rapidement me remettre à bosser sur mon article, car je dois le rendre dans moins de deux jours. Les questions se bousculent dans mon esprit. Est-ce que j'ai réussi à insuffler un peu de magie de Noël à Connor ? Est-ce qu'il aime un peu plus cette fête grâce à moi ?

Je pianote les yeux fixés sur mon écran en essayant de rassembler toutes les données que je possède. Le programme n'a pas pu se concrétiser jusqu'au bout, mais notre soirée d'hier peut très bien entrer dans la magie de Noël. Un repas en « amoureux » à la lueur des bougies.

— Amoureux.

Ce mot me fait grimacer et mon cœur se serre encore un peu plus.

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