Chapitre 15 - S'occuper pendant une panne de courant.
9 décembre
Comme hier et avant-hier, Connor tambourine à ma porte à six heures trente précises afin que je me lève. Si j'avais su qu'en venant vivre à côté de chez lui, il allait me servir de réveil, je crois que j'aurai directement dit non pour m'installer ici. Ce n'est pas comme s'il se contentait de taper contre le bois, non, il crie aussi des « Debout Carole », « On se lève Constantine » ou encore « Tic tac Carmella » - celui-là je ne sais pas où il est allé le chercher.
J'ai répliqué à plusieurs reprises des : « Yes connard, I'm here ! ». Ce à quoi il a répondu le plus simplement du monde : « Mister Anderson ! ». Non, il n'a pas saisi le sens de mon insulte à la française. Il a juste déduit que je me risquais à quelques familiarités en l'appelant directement par son prénom : je n'oserais pas, tout de même.
Je brosse mes dents en quatrième vitesse, colore mes cils en noir et peins ma bouche en rouge, revêts un collant, un short en dentelle et un gros pull jaune moutarde. Je croque dans le dernier pain au chocolat acheté très cher dans une supérette française, puis enfile mes rangers noirs, mon manteau gris, mon bonnet doré et sors en claquant la porte.
— Je suis prête !
Monsieur Anderson tourne la clé dans sa serrure et me toise avant de reprendre son habituel air renfrogné.
— Première-fois depuis que je vous connais. Bravo, vous méritez une médaille.
Il fixe sa montre deux secondes, puis se pointe devant l'ascenseur qu'il appelle. De mon côté, j'en profite pour fermer ma porte à clé. Lorsque je me retourne, Connor est déjà au centre des miroirs de notre moyen de transport. Les portes commencent à coulisser devant mon nez.
— Retenez les portes ! crié-je.
Mais mon connard de voisin esquisse un sourire et disparaît immédiatement me forçant à emprunter les escaliers. Je les dévale à toute vitesse, manque de tomber une ou deux fois mais me rattrape. Hors de question que mon patron arrive avant moi au boulot. Lancée à vive allure dans une course effrénée contre Connor, je rejoins ma voiture dans le parking souterrain et croise mon boss qui me fait un signe de la main devant la portière ouverte, à quelques mètres de moi. Je monte dans mon bolide et fonce dans les rues de la ville tentant de prendre des raccourcis. Je sors le badge qui me donne accès au parking de l'immeuble et me gare sans mal à la dernière place disponible. Arrivée en haut, je suis essoufflée d'avoir autant galopé. Je file dans le bureau de Connor qui me dévisage.
— Expliquez-moi comment vous pouvez avoir vingt minutes de retard alors que nous sommes partis du même endroit, en même temps ? me nargue-t-il.
— J'ai voulu prendre un raccourci...
— Ne le conseillez pas à vos collègues !
***
Les réunions, les appels téléphoniques mais également les retrouvailles à la machine à café avec mon amie Agathe, toutes ces choses ont rythmé ma journée de travail. Je termine mon verre d'eau et jette un œil à l'horloge de la salle de pause. Le PDG a convoqué tout le monde pour nous informer de la météo de demain et nous faire part de sa décision.
Nous nous entassons dans la grande salle de réunion pour écouter attentivement ses directives.
— La tempête qui est prévue ce soir sera malheureusement assez violente. Je veux que vous rentriez tous chez vous de bonne heure avec vos ordinateurs portables pour travailler chez vous demain. Les routes seront très probablement fermées. Kaleb et Jessie, je compte sur vous pour préparer un article que l'on publiera demain sur notre site internet. Les gens voudront connaître l'avancée de la tempête de neige.
Nous hochons la tête tous ensemble et préparons ce qu'il nous faut pour notre journée de demain. Je récupère mon paquet de papillotes planqué dans le tiroir de mon bureau, mes affaires et je file à l'appartement. Je suis plutôt déçue, j'avais prévu une petite soirée patinoire avec mon nouveau pote Grinch. Ce sera pour une prochaine fois.
***
Je quitte mes vêtements un à un, allume l'eau de la douche et la laisse couler quelques secondes pour qu'elle se réchauffe. Il est à peine dix-neuf heures et pourtant j'ai déjà envie de m'écrouler dans mon lit. Dommage, je n'ai pas de baignoire car même si la douche détend mes muscles congelés par cette journée affreusement glaciale, ce n'est pas pareil que de se prélasser des heures dans un bain fumant dont les odeurs de savon pétillent dans la pièce.
Je glisse sous le jet et prélève une noix de shampoing que je fais mousser pour frotter mon corps ainsi que mes cheveux. C'est avec énergie que je frictionne ma tignasse brune quand un claquement éclate ma bulle de silence. J'ouvre les yeux, je ne vois rien.
Merde...
J'entends une musique au loin, celle du vent qui malmène les volets de mon appartement. La tempête est en avance - au moins l'une de nous deux n'est pas en retard - et fait rage dehors. La neige doit tomber en rafales et tous les gens encore dehors sont sûrement en train de courir à la recherche d'un abri. Je tâtonne devant moi, cherche le mitigeur pour fermer l'eau, mais glisse, dans un brouhaha fracassant, contre la paroi vitrée de la cabine de douche.
Je crie plusieurs injures en français et tente de regagner mon calme, mais je sens les pulsations valser dans mon nez qui me fait un mal de chien. La mousse maintenue jusqu'à présent sur mes cheveux, dégouline le long de mon visage pour atteindre mes yeux. Je frotte ma figure, toujours dans le noir et tente de m'extirper de ma cabine quand j'entends une voix familière résonner à proximité.
— Mademoiselle Leroi, vous allez bien ? J'ai entendu crier.
Connor, inquiet - ou juste moqueur - s'informe de mon état.
— Yes, perfect ! lui réponds-je tout en me relevant.
— Nous avons une coupure de courant dans tout l'arrondissement. Je vous apporte des bougies. Vous m'ouvrez ?
— Non, je ne vois rien. Revenez plus tard s'il vous plaît, hurlé-je déboussolée.
Je veux qu'il parte loin d'ici. Nue dans ma salle de bain, je cherche à chasser tant bien que mal le shampoing qui s'est logé dans mes yeux. Mais je ne peux éviter d'extirper un grognement quand celle-ci commence à me piquer violemment.
— Ne bougez pas, j'arrive ! insiste mon voisin.
Je m'affole, place mes mains en avant pour tâter l'espace aveuglement afin de dénicher un linge pour m'entourer dedans. Je crois que Connor glisse une clé dans la serrure, puis, l'instant d'après, j'entends ses pas lourds se diriger vers ma chambre. J'attrape enfin une serviette éponge et la passe en quatrième vitesse sur moi juste à temps.
— Dites-moi que je suis complètement couverte, lui demandé-je gênée, les yeux légèrement fermés à cause de la mousse.
— C'est le cas.
Je sens une chaleur arriver vers ma figure. La bougie illumine mes paupières de rouge et d'orange.
— J'ai du shampooing partout dans les yeux, et ça pique, soufflé-je.
— Laissez-moi faire.
Il saisit une seconde serviette qu'il vient plaquer contre mon front. Il frotte délicatement ma peau pour retirer le savon de mon visage en insistant sur mes yeux. J'ouvre enfin mes paupières quand il m'assure qu'il a retiré le produit et c'est là que je découvre le visage si masculin de Connor, éclairé par le feu qu'il tient fermement dans sa main gauche. Sa bouche est fermée, concentrée à la tâche, sa mâchoire carrée est contractée et sa barbe de quelques jours est parfaitement taillée, comme chaque jour, ou presque, depuis que je le connais. Je ne distingue pas vraiment ses yeux, mais je sais qu'il me scrute avec attention. Je crois même qu'il fixe ma bouche humide que je viens d'entrouvrir.
Est-ce qu'il va poser ses lèvres sur les miennes ?
Je ferme à nouveau les yeux pour me rapprocher de lui. Je veux le sentir un peu plus près encore. Il serre mon menton entre son pouce et son index et relève légèrement mon visage.
Il va vraiment le faire...
Mon cœur bat à tout rompre, ma respiration se saccade, j'ai chaud.
— Vous ne vous êtes pas loupée. Vous avez une trousse de secours quelque part ? me coupe-t-il dans mon élan.
— Quoi ? paniqué-je.
— Votre nez.
Alors ce n'est pas ma bouche qu'il admire avec ardeur depuis cinq minutes ?
Ma main droite passe immédiatement sous mes narines, tout en serrant le pan de serviette avec l'autre et je découvre avec stupéfaction du sang sur mes doigts. J'écarquille les yeux, puis perds légèrement l'équilibre. Je tremble, panique, ne respire plus.
— Non... attendez je... la vue du sang... je crains... bégayé-je en vacillant.
— Restez avec moi miss Leroi. Si vous perdez connaissance, je risque de vous voir complètement nue, me dit-il en maintenant mes épaules.
Je hoche la tête tout en essayant de m'asseoir au sol, aidée par mon patron. C'est ainsi que je tente de virer les petits papillons qui gravitent autour de ma tête. Mais mes yeux reviennent sur ma main ensanglantée. Grossière erreur.
— Connor, je... me sens partir.
Zut, je viens de l'appeler par son prénom. Pourvu qu'il ne relève pas ce détail. Mes jambes me lâchent, j'entends un : Shit et je m'écroule.
***
J'ouvre lentement mes paupières, le mal de crâne est encore présent. Je m'assieds, sens mes cheveux mouillés goutter dans mon dos et découvre avec surprise les bougies disposées sur le sol, formant un chemin en direction du salon.
Occupation n°1 : Allumer des bougies vous prendra déjà au moins une bonne vingtaine de minutes.
J'expire, souris niaisement à cette vue romantique : belle attention, qui a bien pu faire ...
OH MERDE !
Je hoquette de surprise, me rappelant soudain tout ce qui s'est passé et soulève immédiatement ma couverture : je suis dévêtue. Complètement.
Oh non ! J'aurais préféré me faire fesser par le Père Fouettard plutôt que mon patron me voit à poil !
Je souffle, désespérée, et vérifie l'état de mon nez : plus de sang. Puis j'entends Connor revenir dans ma chambre, le téléphone vissé à son oreille.
— Très bien, vous savez quand l'électricité devrait revenir ? Hum, je comprends. La tempête a fait de sacrés dégâts. Merci à vous. Bonne soirée.
Il raccroche et s'arrête net lorsqu'il découvre que je suis réveillée.
— Vous m'avez vue toute nue ! affirmé-je.
Je fronce les sourcils et remonte le drap sur moi pour cacher le peu de peau qui dépasse.
Ne sommes-nous pas censés montrer nos poils de jambes, genre, après au moins un an de vie commune avec le gars en question ?
Je grimace face à son sourire narquois.
Je rêve ou il rigole ce ...
— Retirez rapidement ce sourire salace, monsieur Anderson ou je vous jure que...
Il fait un pas en avant et bute contre mon lit. Il place ses mains sur ma couverture et continue de sourire.
— Je vous promets que je n'ai pas regardé et puis il n'y avait sûrement rien d'intéressant, ajoute-t-il.
— Connard, grincé-je en français.
— Ne croyez pas que c'est parce que vous m'insultez dans votre langue maternelle que je n'en comprends pas le sens. Vous l'avez assez dit cette semaine et même si je n'ai pas compris tout de suite, j'ai eu l'honneur de faire une recherche Google. Imaginez ma surprise en découvrant que vous m'insultiez. Bien tenté.
Je remonte mes épaules et cache ma tête sous le drap, honteuse de m'être fait attraper.
— Enfilez quelque chose de correct et venez dans la cuisine. J'ai fait chauffer un peu d'eau. Vos cheveux sont encore imbibés de shampoing, lâche-t-il sereinement en quittant la pièce.
Je me lève, attrape un body, le « baise moi ce soir bébé » gracieusement offert par Phoebe et enfile une robe en faisant attention à ce que les cheveux ne mouillent pas le vêtement.
J'avance entre le chemin de bougies et découvre Connor qui me fait un signe de la main.
Derrière le plan de travail de ma cuisine américaine, devant l'évier, se trouve une chaise. Je m'installe dessus et laisse Connor passer l'eau chaude sur ma chevelure courte.
Ses longs doigts glissent entre mes mèches silencieusement.
Occupation n°2 : Se faire chouchouter ou prendre soin de soi. Un masque sur le visage, un massage de pieds ou encore des papouilles seul ou en amoureux.
Je ferme les yeux pour profiter de ce moment de détente. La serviette que me lance monsieur Anderson m'arrive en pleine tête et me sort de mon état de bien-être. J'entoure mes mèches et me sèche les cheveux avant de rejoindre Connor près de la fenêtre qui donne sur la ville ensevelie sous la neige. Le vent secoue les quelques arbres qui bordent la rue.
Il est presque vingt heures et tout est désert dehors.
— Nous devons trouver le moyen de nous occuper, souffle-t-il les yeux dans le vide.
Il veut rester ici ? Pourquoi donc ne voudrait-il pas retourner dans son appartement ?
Il se tourne vers moi et baisse son regard sur mon décolleté légèrement mouillé par les gouttes qui tombent encore de mes cheveux.
— N'imaginez même pas une seconde que ça pourrait arriver ! le menacé-je en dirigeant mon doigt contre son torse pour le pousser doucement.
Option n°3 : Pour les couples ou les colocataires, faire des cochonneries en mode romantique ou sauvage à la lueur des bougies. Et pour ceux qui se retrouvent seuls, je vous propose un bon plaisir en solo. Ça fait du bien et le temps passe plus vite.
Je suis rouge écarlate, mais j'espère sincèrement que les bougies cachent assez bien mon visage.
— Je n'ai rien dit.
— Votre regard était assez explicite.
— Vous trouvez ?
— Vous avez regardé lorsque j'étais nue.
— Vous voulez vraiment savoir ?
— Je... Oui !
— Je ne me suis pas attardé sur votre nudité, mademoiselle Leroi. La serviette vous couvrait assez et je me suis surtout empressé de vous déposer au chaud dans votre lit. Vous étiez glacée. J'ai détourné les yeux quand j'ai retiré la serviette pour jeter la couverture sur vous. Je ne suis pas un goujat. Je sais respecter les femmes. Je verrai votre corps nu quand vous l'aurez décidé et non contre votre gré.
— Vous semblez bien sûr de vous, ajouté-je, abasourdie par sa franchise.
— Bon, on fait quoi ? Nous devions aller à la patinoire, mais c'est raté. Je doute que le dîner avec mes parents soit également maintenu demain soir.
— Vous prenez goût à mes challenges de Noël?
— Non, je veux juste que vous réussissiez votre article pour que je puisse embaucher quelqu'un d'autre à votre place.
— Arrêtez d'être aussi franc, c'est blessant.
Connor s'éloigne de la fenêtre et s'installe sur le canapé. Il saisit un livre posé sur ma table basse, le retourne et reste stoïque quelques secondes avant de relever la tête vers moi.
— Vous me surprenez beaucoup, mademoiselle Leroi.
Option n°4 : Lire un bon livre dans son sofa, emmitouflé dans un plaid de Noël.
— Pourquoi ?
— C'est le genre de livre avec des détails très explicites, non ? Moi qui vous pensais prude...
— Je ne suis pas... prude, dis-je en lui ôtant le livre.
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