Chapitre 12 - Recette gingerbread

La porte s'ouvre avant même que j'ai le temps de frapper sur le bois. Deux bras viennent encercler mes hanches, une tête se pose sur mon ventre : Maxime.

Le petit blond lève son visage, m'offre un sourire angélique, puis stoppe son câlin pour attraper ma main et me guider à l'intérieur de l'appartement de son oncle.

Daddy Connor, notre invitée est là, crie le petit garçon.

Derrière le comptoir de la cuisine, l'homme au tablier carmin réunit tous les ustensiles ainsi que les ingrédients nécessaires à la préparation des biscuits de Noël.

Il m'adresse un rapide coup d'œil, garde son air sérieux : il n'a pas l'air ravi de me voir.

C'est pourtant lui qui m'a invité !

No shoes*, grince-t-il.

Je retire mes chaussures, les laisse dans le couloir et bombe le torse. Je me dirige à présent seule vers la cuisine américaine en fixant mon patron qui s'affaire.

Je pose mon sac en tissu sur un tabouret, puis extirpe un tablier encore empaqueté, offert par mon amie ce matin en guise de cadeau de crémaillère. Je déchire l'emballage, secoue le vêtement et l'enfile face à Anderson qui esquisse soudain un sourire crispé à mon attention.

Le rictus qu'il dissimule derrière sa mâchoire tendue me rend moins confiante : il se passe quelque chose.

Toujours silencieusement, il me toise de bas en haut, puis croise les bras, ses iris bleus plantés dans les miens. J'ai rarement vu monsieur-connard-arrogant dans une telle retenue. Il en vient même à mordre ses lèvres entre ses dents pour ne pas rire aux éclats.

Ne me voyant toujours pas réagir, il fait un mouvement de tête en direction de ma poitrine. Mes yeux caramel descendent lentement vers l'objet de sa moquerie et ce que je découvre me remplit de honte. Sur mes seins et mon ventre est écrit en lettres capitales « Je suis peut-être mauvaise en cuisine, mais j'assure au lit. Viens me goûter ! ».

Mes yeux s'écarquillent, j'accuse le choc de cette mauvaise blague et tousse en retirant le tablier pour le retourner, cacher l'inscription et noyer ma gêne.

— Ne dites rien ! bougonné-je en faisant le nœud derrière mon dos.

— Ce n'était pas mon attention.

— Vous...

— Je suis prêt ! tonne le neveu de Connor, dont les cheveux, bouclés et blonds, sont cachés sous une toque de cuisinier noire.

Il marche droit, m'offre un clin d'œil complice et monte sur un tabouret de bar à côté de son oncle. De sa main boudinée, il pousse le livre de recettes dans ma direction. Ouvert à la page des Gingerbread.

— Assistante ! Dites-moi ce qu'il faut, m'ordonne Maxime, le sourire pendu à ses lèvres légèrement rosées.

— Oui chef ! Nous devons avant tout mélanger les poudres.

Je passe mon index sur la page et commence à énumérer les ingrédients qu'il doit préparer.

— 40g de farine, 2 cuillères à café de levure chimique... 1 cuillère à café de bicarbonate de soude... Une pincée de sel... 1 cuillère à café de gingembre... Et une pincée de quatre épices.

Très appliqué dans sa tâche et aidé par Connor, il enchaîne les pesées, le bout de sa langue souvent sorti d'entre ses lèvres d'enfant. Le visage de mon patron s'illumine quand il observe le gamin. Doux, affectueux, loin de sa facette habituelle, il traite ce gosse comme si c'était le sien. Et pour la première fois, je le vois rire, exposant ainsi sa parfaite dentition ainsi que deux fossettes.

— Ensuite mademoiselle la cuisinière ? me coupe-t-il dans mon exploration visuelle.

— Euh, tu dois prendre un autre bol et battre 125g de beurre avec 90g de cassonade. Puis tu ajoutes un œuf.

L'homme de l'appartement récupère une éponge, dépose une noisette de liquide vaisselle, écrase l'éponge entre ses doigts pour faire mousser. Il commence à laver la vaisselle sale pendant que j'enchaîne la recette avec le chef cuisto. Je suis son commis de cuisine.
Maxime tend le fouet dans ma direction et me demande de m'occuper de l'appareil. Après plusieurs coups rapides, me voilà déjà épuisée ce qui provoque l'hilarité des deux « hommes » en face de moi. Incapable d'accepter ma défaite, je redouble d'intensité et éclabousse le petit garçon toujours en face de moi qui rit aux éclats. Connor regarde le visage de son neveu et grogne un « Va te laver le visage Max ». Nous voilà seuls. Mon ventre se noue à nouveau et mes doigts se serrent: je suis tendue. Pourquoi ? Parce qu'il me déstabilise tellement.

— Vous ne semblez pas très douée en cuisine..., affirme-t-il gravement.

— Non, effectivement, mais je suis douée pour un tas d'autres choses ! m'enjoué-je.

— C'est ce que j'ai cru comprendre, ajoute-t-il en baissant les yeux sur mon tablier retourné.

Les joues rouges de panique et de gêne je balbutie.

— Non pas ça, enfin, ce n'est pas ce que je voulais dire... Pas que je sois mauvaise au lit... Ou bonne, je ne sais pas, mais... Ne croyez pas que je vous propose de... enfin ce que je veux dire c'est que...

Je souffle, ne trouve plus les mots, m'arrête avant de m'enfoncer plus loin encore dans les abysses de la honte.

— Entre vos investigations sur des sites bizarres, votre défilé en dentelle verte et ce tablier, je vais finir par imaginer que vous cherchez à me séduire, mademoiselle Leroi !

— Quoi ? hoqueté-je, surprise. C'est vous qui m'avait offert le...

Je baisse d'un ton avant de reprendre.

— Vous êtes gonflé, on n'achète pas un jouet sexuel à son assistante. Et puis zut, je n'oserais même pas. Vous êtes...

— Je suis ? insiste Connor un sourire narquois greffé sur sa tronche de connard.

Tellement sexy avec votre tablier que j'aimerai bien que vous soyez complètement nu en dessous juste pour faire monter encore un peu plus le thermostat de la pièce et surtout pouvoir admirer ce cul qui a l'air très musclé et appétissant...

Je m'ébroue en me demandant ce à quoi je pense encore. Crotte de renne, ce mec est juste arrogant, froid, pénible, il veut tout contrôler - tout comme moi d'ailleurs - et surtout il ne sait toujours pas comment je m'appelle ! Impossible de baver sur ce Thor ambulant malgré tous ses attributs en béton.

— Mon patron, terminé-je par dire dans un râle plus dépité que prévu.

— On recommence ? lance Maxime qui me sauve de mon embarras.

Il remonte sur le tabouret avec l'aide de Connor qui garde ses yeux rivés sur moi avec une saleté de petit sourire au coin des lèvres.

— Bon, je crois que c'est daddy Connor qui va s'occuper du mélange. Tu sais, il est très doué pour fouetter et il adore ça ! On se dispute toujours pour le faire, m'avoue le bonhomme en ramenant l'ustensile vers lui.

— Oh, vraiment il aime ça, fouetter ? me moqué-je.

— Mademoiselle Leroi, n'aggravez pas votre cas... gronde-t-il.

Ses pupilles s'ancrent dans les miennes quand il récupère le fouet, puis il débute ses mouvements rapides pour faire mousser le sucre et le beurre.

Mes coudes posés sur le plan de travail, me voilà affalée, le visage entre mes mains, admirant les gestes sauvages de Connor. Son corps suit le mouvement des battements qu'il effectue. Sous son tee-shirt, je peux apercevoir ses muscles qui s'affairent au travail, les veines de son cou que j'aimerais bien sentir pour m'imprégner de son parfum et je fais un arrêt sur image sur sa bouche. Je bave devant lui comme une limace devant une feuille de salade après une pluie torrentielle. Il arrête son geste et me dévisage, comme s'il avait senti mon regard peser sur lui.

Nom d'un pain d'épice, je dois trouver quelque chose à dire.

— Vous me donnez faim...

J'écarquille les yeux, me rends compte instantanément de la énième bourde que je viens de sortir. Je ferme les yeux, fatiguée d'être moi. Mais quand mes paupières reprennent connaissance de la lumière, je suis happée par une vague bleue : Connor me fixe.

— Je parle de la préparation. J'imagine déjà les petits gâteaux sortir du four et ça me fait saliver ! me rattrapé-je in extrémis.


— Si vous faites tout tomber, on ne risque pas de les savourer !

Il fait un mouvement de tête en direction de mon bras qui vient de faire pousser le pot de farine renversant la poudre blanche un peu partout.

— Oups... Je...

— Ce n'est pas grave, on va en avoir besoin pour étaler la pâte, m'informe Maxime. Tu es maladroite, toi !

L'oncle du petit blond lui demande de verser les poudres dans le saladier pendant qu'il continue de remuer le tout. Puis les deux remontent leurs manches et m'invitent à en faire de même. Je suis le mouvement et m'empare d'une boule de pâte. J'étale un peu de farine sur le plan de travail, imite les gestes de mes deux profs de cuisine et malaxe la préparation. Maxime me fait passer le rouleau à pâtisserie en se donnant à un spectacle théâtral.

— Dame Cassie, je te laisse l'honneur d'ouvrir le bal des pains d'épices.

— Oh, c'est trop d'honneur monseigneur Maximus, dis-je émue, une main placée sur mon cœur.

Je roule sur la pâte, l'écrase et l'agrandit. Puis, Max me donne un emporte-pièce en forme de Gingerbread et m'explique que je dois appuyer dessus pour que la forme puisse découper le morceau. C'est à son tour de faire ses petits personnages. Après cette étape, nous devons patienter une heure en laissant nos petits biscuits dans le frigo.

Monsieur Anderson passe à côté de moi et caresse, de son index, le bout de mon nez. Je sursaute, ne comprenant pas ce qui me vaut ce geste un peu trop « intime ».

Mon cœur loupe un battement.

— Vous avez de la farine partout sur votre visage, souffle-t-il dans un presque murmure. Vous n'êtes vraiment qu'une enfant... continue-t-il.

Il retourne en cuisine et débute le rangement en me proposant d'aller jouer avec Maxime.

Le petit garçon prend mon bras et me demande de m'asseoir en face de lui, sur le tapis.

Il file dans une chambre et revient avec un jeu de Uno qu'il dépose sur la table basse. Il distribue les cartes : la partie est lancée... à ma manière.

— Vous êtes une mauvaise perdante, miss Leroi, affirme Connor qui se sèche les mains dans le torchon vert émeraude.

— Non, ce sont les règles. Je peux mettre un +2 sur un +2 pour le contrer et il doit piocher quatre cartes.

— Vous allez me dire aussi que l'on peut poser deux cartes de la même couleur en même temps ? grogne-t-il exaspéré.

— Oui ! En France, c'est comme ça qu'on joue !

Maxime rigole, vole mes cartes et me nargue d'avoir gagné la partie. Déconcentrée par Connor, je n'ai pas fait attention qui lui restait qu'une carte. J'aurais pu éviter la défaite, si j'avais posé mon +4 avant qu'il ne vole mon paquet.

— C'est de votre faute, râlé-je le doigt pointé vers mon ennemi.

— Vous êtes immature, Cornélia !

Je me lève et suis le petit monstre aux belles boucles jusqu'au four. Je me poste à côté de lui, me penche et regarde avec attention les biscuits prendre une couleur brunâtre et gonfler légèrement. Max est impatient d'orner son petit bonhomme et me met au défi de faire mieux que lui. Le bout de chou de huit ans s'en va ensuite feuilleter une BD devant la cheminée.

— Tenez, en attendant que les pains d'épices terminent de cuire.

Mon patron fait glisser un bol de chocolat chaud devant moi. Je me retourne, le gratifie d'un merci silencieux, repose mon regard sur celui du jeune garçon et bois une gorgée brûlante.

— Il est sympa, avoué-je en fixant le môme.

— Hum.

— Vous vous entendez bien, rajouté-je.

— Hum.

— Vous le gardez souvent non ?

— ...

— Laissez-moi deviner ... « Hum », m'agacé-je.

Bon. Il ne veut pas parler.

Je lui adresse un regard torve et découvre un Connor très concentré sur la fabrication des glaçages de différentes couleurs. Le four sonne, nous informant que les biscuits sont prêts, mais Maxime reste assis tranquillement. Je pensais qu'il allait débarquer en trombe et sauter dans les tous sens, mais ce gamin est affreusement calme. Mon patron, quant à lui, enfile une paire de gants, baisse la vitre du four et sort les grilles envahies de petits bonhommes beiges. La délicieuse odeur de gâteau embaume l'appartement. Je renifle, ferme les yeux et repense aux instants privilégiés que je passais en famille, à cuisiner.

— Vous avez une moustache de chocolat, constate Connor, les yeux braqués sur l'ourlet de ma lèvre.

Je lèche le mélange chocolaté mais garde la bouche entrouverte quand je le vois se crisper. Le poing serré, il se retourne rapidement et se brûle la main sur la grille posée à côté de lui. Il grimace, frotte sa peau à vif dans un gémissement plaintif.

— Putain !

— Mettez vite votre main sous l'eau, conseillé-je.

Mais il ne bouge pas, scrute la cloque qui commence à gonfler. Je saisis alors son bras et le tire de force vers l'évier. J'ouvre le robinet pour laisser couler un filet d'eau fraîche sur sa peau rougissante. Moi ce sont mes joues qui sont en train de cramer et de brûler à son contact. Devrais-je mettre la tête sous le robinet ? Heureusement que la tentation volcanique qui prend en otage mon corps, ne se transforme pas en une énorme cloque.

— Il faut rester une dizaine de minutes pour arrêter la brûlure.

— Je sais, confirme-t-il froidement.

Je le lâche, à contre-cœur, mais mon palpitant me remercie de le laisser un peu en paix avant qu'il ne prenne une amende pour excès de vitesse. Je m'en vais voir le garçon sur le tapis : plus sécuritaire. Celui-ci m'explique rapidement le déroulé de l'histoire qu'il est en train de découvrir. Je l'entends, mais mon attention se reporte encore une fois sur monsieur-connard.

Plusieurs minutes ont passé et la grosse voix de Connor retentit dans le salon. Il nous demande de venir décorer nos bonhommes.

Armée d'une poche à douille avec une préparation blanche, je commence à griffonner quelques éléments sur mon personnage. Des yeux, des cheveux, une bouche et des décorations aux extrémités. Je saisis ensuite le nappage rouge pour faire deux joues et une robe. Maxime a opté pour un pantalon vert.

À la fin, je croque le pied de mon bonhomme de pain d'épices, laissant la marque de ma gourmandise.

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