3. Rue du Profond Silence
Le lendemain, tenue décontractée, à bord d'une BMW aux vitres teintées, avec Ahmed et Jamal en chauffeurs & gardes du corps, direction Genève.
Nora, ensemble Chanel beige, petit rubis entre les clavicules, est à croquer. Elle m'a fait enfiler un costume avec un nœud papillon pour la décoration. Et elle prétend que, si j'avais le bon goût d'éviter de donner l'impression qu'on me serre en permanence le kiki, ça m'irait à merveille !
A l'arrivée, irisé par le jet d'eau, le lac est là qui nous attend. Ah, les eaux bleues du Léman, sous le soleil : souvenirs qui reviennent à la pelle*...
Arrivée chez Cordier Frères & Cousins, 10h tapantes. Immeuble discret, pierres de taille, 3 rue du Profond Silence, portes blindées, gardes armés, contrôles en tous genres, au pied de la vieille ville.
Les trois cent millions, virés la veille, ont fait leur effet.
Trois grooms par porte, en veine de courbettes. Pour un peu, ils se seraient allongés sur le trottoir, qu'on leur marche sur le dos plutôt que de salir nos pompes. Avec ça, discrets furtifs, absorbés par la muraille dès qu'on n'a plus besoin d'eux.
Direction bureau ovale, comme chez Drouant**, capitonné de cuir jusqu'au plafond, décoration dans les verts sombres, rideaux opaques, doubles rideaux avec embrasses à glands, tapis Gabbeh profond, table acajou empire, fauteuils rembourrés bien assortis, silence glissant de bruits feutrés.
Face à nous, l'aréopage de la banque, les quatre frères-cousins-neveux Cordier, tout sourire, mentons épais et front sérieux, barrés de lignes profondes. Le premier barbe poivre et sel, le deuxième moustache et favoris, les deux autres glabres, l'un encore vaguement chevelu, l'autre caillou luisant.
A la vue de Nora, moustachu et presque chauve ont manifestement le teint qui jaunit, avec la pomme d'Adam qui soubresaute. Relent de Laetitia**, probablement. J'aime pas trop, mais autant que ça profite : toujours délicat, pour un banquier, de négocier avec quelqu'un qui possède des infos perso, côté libido, version sado-maso.
Avant de rentrer dans le vif, ils ont fait préparer une collation, servie sur tables roulantes par deux gazelles fuselées :
– Ces ganaches, extraordinaires, ça vient de chez Marcolini...
– C'est gentil, mais on pratique un régime de combat.
– Un whisky, on a du Port Ellen 1978, une merveille ?
– Jamais d'alcool.
– Pas même ce Porto Kopke Coleitha 1940 pour Madame...
– Même pas.
– Quand même, des macarons : vous préférez Hermé ou Ladurée ?
– Non merci, sans façon...
Ils sont prêts à nous conseiller, bien entendu, tous les conseils dont on aura besoin, et à nous épauler, cela va de soi.
Mais il faut qu'on comprenne bien leur philosophie : à l'unanimité absolue, ils sont favorables au respect des lois, fiscales entre autres, et à une stricte observance déontologique. Ils ont définitivement l'argent propre, ou bien nettoyé, traçabilité sans faille, avec onction bancaire, au whisky Port Ellen 1978, au Porto Kopke Coleitha 1940 ou à l'eau bénite, à notre guise.
Ils ne traitent que des affaires honnêtes et, autant que faire se peut, néanmoins fructueuses. « Droiture, rectitude et probité », telle est leur devise, et ils mettent d'abord et avant tout ces qualités reconnues aux services de leurs clients.
S'ils ont des succursales, des correspondants, Singapour, îles Turques et Caïques, Delaware..., c'est pour avoir réponse à tout, avec des armures de principes, ourlées de bourrelets scrupuleux.
Ah ouais ! Sauf que nous aussi, on en a, des principes. Cordier & Cie fonctionne avec des si, S@P, avec des pros.
La preuve, Medhi me la glisse dans l'oreillette : « Le moustachu replet, assis à droite, là, un Cordier, branche Stanislas, il vient de recevoir un SMS, qu'il tente de consulter discrètement... sa secrétaire, qui lui annonce, comme convenu, qu'elle remplit aujourd'hui ce qu'il lui a offert hier... non, je ne peux pas vous dire de quoi il s'agit, fric dans une enveloppe ou doudous dans un sous-tif... et d'ailleurs, quelle importance ! ».
« Entendons-nous, susurre Nora, derrière son plus beau sourire, on se moque éperdument de ce que remplissent vos secrétaires, des menus que vous ont concoctés vos épouses, ou des boutons de vos bretelles... mais on n'envisage pas de travailler avec une banque dont on n'assurerait pas la sécurité... d'autant que, comme vous pouvez le constater, la vôtre est sérieusement déficiente... ».
C'est à prendre ou à laisser. Compte tenu de nos activités, on ne courra aucun risque. Nous, on donne dans la confidence confidentielle. Eux, évidemment, ils peuvent se permettre quelques faux-pas, des listes qui fuitent, des infos qui circulent, des chuchotis de doutes... pas S@P !
Cela dit, ils ont tout à y gagner : ils seront bien la première banque de la place de Genève à devenir réellement opaque... enfin... le temps qu'on soit contacté pour s'occuper des autres... parce que non, absolument, on ne signe jamais de contrat d'exclusivité... tout comme Cordier Frères & Cousins, d'ailleurs...
D'ailleurs, s'ils veulent, on peut leur donner une liste de comptes numérotés, bien de chez eux, correspondant à des clients qui se font de méchants procès entre eux et en famille, auxquels ils apportent sans vergogne une juteuse assistance juridique... pratique légitimement répudiée par les règles de déontologie bancaires, même helvétiques...
« Oh calmos, les mecs, vous ne risquez rien... on ne va pas vous dénoncer pour si peu... vous pourriez y perdre votre licence. On a besoin de vous, que diable ! »
*Allusion à Opération Nababs, dont tout le début se déroule sur les bords du Lac Léman.
** Célèbre restaurant parisien (où se réunit le jury du prix Goncourt) dans lequel se déroule un épisodes d'Opération Désherbage et où Nora, sous le pseudonyme de Laetitia, officie comme escort expérimentée et manipulatrice.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top