23. Épilogue


Pardon pour ceux qui n'auraient pas lu l'ensemble de la saga, ou bien qui ne l'auraient plus à l'esprit. Cet épilogue en forme de parade fait remonter tous les personnages à la surface...


Stockholm, les lumières de la ville miroitent sur la Baltique, les bateaux clapotent. Fin août, l'Archipelago résiste encore à la nuit. Nora, longue robe rouge flamboyante, me donne le bras. Elle m'effleure l'épaule de sa joue. Je frémis sous mon smoking.

Vague de champagne dans les coupes. Les plateaux voguent dans les salons, au-dessus des robes longues qui faseyent.

Le prix Nobel de la paix, ça ne se refuse pas. En couple, à la Curie, en plus ! Surtout qu'à défaut, on ne serait vraisemblablement plus de ce monde. Ni l'un ni l'autre.


Ils sont tous là, qui causent, qui causent. Les souvenirs affluent. Les stigmates affleurent. Les remords, comme des coquillages vides, s'éparpillent sur l'estran, avant que la marée ne les emporte.

Le juge Ji Ten Jsie, revêtu de sa robe de soie et d'apparat, auprès duquel nous venons de passer un mois de vacances bien méritées dans sa demeure de Hanyuan, entre tai-chi, kalaripayat et physique quantique, devise avec Aristide, tenue ndop de roi Bamiléké.

La fine fleur du club Oppenheimer est venue : Vitaly, toujours proéminent, avec Joan, talons hauts, pour tenter de le rejoindre. Albert est caché derrière la poitrine de son épouse. Georges, sans la sienne, évidemment.

Caroline et Dominique ne se lâchent pas d'une semelle, comme d'habitude. Fethi et Rosalind non plus, sous le regard attendri d'Aïcha. Ahmed et Jamal, nos jumeaux de barbouzes, se distinguent aujourd'hui : l'un barbu et l'autre glabre.

Le général Ozgur, tout chamarré dans son bel uniforme de la garde présidentielle, parle services secrets avec Edouard de Beauchêne, indéfectible patron de la DGSE, non loin du Ministre des affaires étrangères, en frac, sourire imperturbable, qui écoute Ambroise Cordier, cinquième du nom.

Martin, Philippe et Sophie ont encore refusé de quitter leurs sandales et leur chemise à carreaux. Et ils arborent fièrement leur pantalon bouffant, tout en regardant éberlués Alban et Amédée, en toge, qui causent latin.

Jeff, Harold, Gerhart et Giovanni, leurs dents de sagesse désormais définitivement débarrassées de leur électronique, parlent maintenant cuisine, pendant que Bébert, Bubu et l'adjudant Lemaître, enfin déterminé à faire valoir ses droits à la retraite, tentent de dérider Vivi, toujours plongé dans son édition graisseuse des Misérables qui l'attend à l'hôtel sous sa lampe de chevet. Sûr qu'il y a noirci le portrait de Gavroche à l'encre de Chine, en souvenir de Madou.

Madou, notre Bolivar africain, qu'on aurait tellement voulu voir à notre place, plutôt qu'étendu sous son linceul, sur une table de jeu d'un casino de Macao. Personne n'a prononcé son nom. On l'a tous incrusté en mémoire.


La cérémonie va commencer. Vaguement manchot, un tantinet empereur, je me hisse sur l'estrade qui me fait l'effet d'une banquise. Si j'avais pu, je crois que je serais resté à l'hôtel.

Pour le discours, heureusement qu'Amédée nous a troussé quelque chose de grand. Dire que c'est vrai. Vrai de vrai. De A jusqu'à Z. Plausible, je ne sais pas, mais bien présenté, avec neuf chapitres, bien dans l'ordre, en trois parties, bien équilibrées : opérations Chiendent, Nabab, Criquets, côté services secrets ; Cactus, Éradication, Mirage, côté S@P ; grosse plongée, dure remontée, petites vengeries, en sandwich, entre les deux.

C'est un sacré beau discours, avec phrases balancées, syntaxe chevillée, mots choisis, inflexions rythmées, images à foison. Suggestif, émouvant, palpitant, selon les plats.

Ça fait circuler de par le monde. On vole au secours des malheureux. Retournements de situation. Luttes incertaines. Intimité des puissants. Périls, intrigues, soubresauts. Dur aux forts et doux aux faibles, conseil de d'Artagnan. Et tant pis pour les salauds !

Avec ça, il nous a tissé une philosophie, en filigrane, à coups de paradoxes : vrai ou faux, bien et mal, réel contre virtuel, l'être avec le néant, triste parfois, drôle à défaut...

Fortiche, Amédée : nos batailles deviennent apories, nos sauvetages rédemptions, le rodéo Ben Asteck apologue, nos aventures épopée, et nous des paladins. Il fait de Nora une Bradamante ressuscitée, de moi son copain Roger, au demeurant prince Sarazin, avec plein de blé quand même.

L'Arioste, qu'il parait. Je n'ai pas lu. Pas grave. Ça sonne bien et ça fait toujours plaisir à entendre...


Heureusement qu'il a laissé des zones d'ombre, le bougre. Laetitia Paoli, merci ! Les vulgarités, poubelle. Latin, au placard. Rien sur les dessous de l'opération Chiendent, heureusement. Rien non plus sur le sort de quelques-uns, du général de Liévy aux Calabrais, en passant par Chamsedine ou Jun Lu.

Certaines méthodes d'interrogatoires, de l'épine-vinette du berger de Bastelica à la méthode osseuse assaisonnée morphine de Nora : à la trappe.

Pudeur aussi sur le sort de Goursoultanbek Kazardimov et de sa famille, prudence oblige...

L'épisode Mtsamboro enfin, traitrises et geckos, qui pourrait froisser quelques susceptibilités : en pointillé seulement.

Bien mieux comme ça.


Planté à côté de Nora, qui déclame notre discours urbi et orbi, j'ai la tête qui vogue ailleurs.

Peu de chance que l'opération Éradication soit réellement terminée, tant les qbits sont appelés à se propager, qu'on le veuille ou non.

Pas de risque que les fadas cessent de proliférer et qu'avec l'opération Mirage on ait réellement fait le ménage. Truands et financiers, Tycoons et nababs, découvriront de nouvelles combines, si c'est pas déjà fait.

Quant aux mabouls au pouvoir, ça pousse et ça repousse comme des ronces dans un taillis. Sans parler des cinglés, du foot et d'ailleurs, qui prolifèrent comme des polypes dans l'estomac d'un poivrot.


Nora est donc décidée à laisser la médecine pour se consacrer à sa nouvelle thèse. Putain de physique quantique !

J'aurais peut-être droit à des bribes de son temps libre, tête ailleurs, quelques granules, à l'occasion.

Mais moi, maintenant, qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ? Demeurer peinard au château de la Mange ? Engranger les milliards ? Rejoindre un club d'investisseurs, démultipliés par les miroiteries des palaces ? Créer une fondation ? Me soucier d'optimisation fiscale ? Elever des alevins, pour renouveler les féras du lac ? Mettre la clé sous la porte ? Me casser sur une île déserte ? Continuer à désherber ? Passer un peu de temps avec Sophie ? M'occuper de Nora ? Voire d'un nouveau petit Dumonchelle qui pleurniche et gambade ?

Allez, on est là, tous les deux, côte à côte, toujours vaillants. C'est déjà pas si mal. Une belle chambre d'hôtel nous attend, baignoire genre piscine à bulles, lit taille Vikings. On verra bien. Les nuits portent conseil...

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