17. Goursoultanbek Kazardimov
Au château, en revanche, tout baigne dans le beurre blanc, rehaussé échalotes et vinaigre balsamique. Il y a le brochet au gros sel, cuit à cœur, qui scintille sous son manteau cristallin et qui luit dans l'assiette, avec Bubu aux fourneaux, et Aïcha qui marmitone, ravie de découvrir les secrets de la cuisine en croûte de sel.
Il y a également le regard de Medhi, qui papillote menu dès que Rosalind pointe son museau, ou bien celui de Vitaly, sa grosse paluche bien serrée autour de la petite menotte de Joan qui ne rechigne plus que pour la forme.
Au moment du café, Nora, d'un ton péremptoire, s'empresse d'y mettre bon ordre :
– Vitaly, Georges, Albert, Medhi, Dominique : au rapport !
– Quel RapoRt ?
– Rapport à notre visite à Genève.
Ils nous suivent au bunker :
– Opération Éradication, c'est parti.
– Opération Éradication, demandent nos physiciens ébahis ?
On la leur explique donc, principes et détails. Pour une fois qu'on en a les moyens, et qu'on est pour un temps les seuls à les avoir, on a décidé d'un commun accord unanime que S@P allait en profiter pour passer la planète financière à la Javel. Au lieu de la laisser infuser son venin, crise après crise, on va une bonne fois pour toutes attaquer au sérum de vérité l'ensemble des paradis fiscaux.
Georges et Albert sont un peu réticents. Ils ne sont pas banquiers, certes, mais ils vivent en Suisse. Le ramdam, c'est pas trop leur truc, et là on peut prévoir un sacré remue-ménage.
Vitaly, en revanche, est franchement rentre dedans.
– Depuis un an... pResque... seRvissses secRets... CIA, NSA, FSB, Guoanbu... tout sssavoiR... Rien faiRe... coup de balai nécesssaiRe !
Medhi et Dominique, de leur côté, ont déjà reçu des instructions et le bal est déjà lancé. Les données sont en cours de collecte dans une grosse matrice, et un beau site Internet est en préparation, qui s'appellera Moneyleaks.com, sur la suggestion de Joan et Rosalind, qui nous apporteront leur concours avisé.
Avec les qbits, craquer les codes et pénétrer dans le coffre-fort des données bancaires, sans être un jeu d'enfant, est devenu relativement facile, surtout pour des petits malins comme eux. Mais les qbits, une fois lâchés, sont extraordinaires pour faire le tri dans ces océans de données. Rechercher, croiser, tracer, dater, classer, inférer, reprendre, identifier, pointer, évaluer, ordonner... avec les qbits, il n'y a qu'à laisser faire, défaire et refaire pour que la vérité fleurisse.
Ils vont engrosser leur énorme matrice. Ils vont la faire ruminer. Ils l'engrosseront à nouveau. Et ça ruminera encore, jusqu'à l'accouchement du beau site Internet, accessible par tous, dont on pourra reparler sous peu. Et grâce à Moneyleaks.com, on va tranquillement éradiquer...
En attendant, Vitaly a fait vœu de causettes : major Igor et colonel Sergueï Ivanovitch Ogoltsov, en l'occurrence, nos officiers du FSB préposés à sa surveillance rapprochée.
Après les lui avoir conservés quelques jours au frais, on les lui a fait servir, sous camisole, chacun dans son cachot, bien planqué sous les douves. Première visite, infructueuse : ils auraient des exigences, en euro-dollars et en francs suisses à ce qu'il paraît !
Enfin, ils ne connaissent pas Nora. Parce qu'avec elle, ce type d'exigence diminue rapidement, avant d'être directement ramené à zéro, même en roubles... Et elle s'en est mêlé, effectivement. Technique « osseuse », vous vous souvenez, expérimentée avec le général de Liévy, sur le principe :
– Si tu veux ta morphine, mec, va falloir causer bavard, sinon... à t'ta l'heure...
Et après une de nuit de réflexions extrêmement pénibles, ils sont passés à table, avec abondance de détails, sur le menu et les ingrédients de l'Opération Cactus.
Comme ça se passe en russe, au début, on voit seulement le résultat : Vitaly qui se tient le ventre, de rire, tellement fort qu'il en ferait presque trembler les murs, pourtant passablement épais, qui soutiennent les douves.
En résumé, nous explique-t-il, son excellence Goursoultanbek Kazardimov, la soixante-dix-huitaine gaillarde et jouvencelle, pas une ride ni le moindre cheveu blanc, fraichement réélu pour la énième fois Empereur-Président du Tazakurzbekstan avec 98,77% des suffrages, tous clairement exprimés, Goursoultanbek Kazardimov donc, qui aligne les milliards par centaines, est à la manœuvre. Il les a tellement arrosés, le major Igor et le colonel Ogoltsov, qu'ils ont fini par céder les qbits de Vitaly à ses avances, à l'insu de Poutine, à ce qu'il paraît.
Attentats, carnages, panique, insurrection... il s'en fout. Tout ce qu'il veut, c'est piquer à l'Europe et à la face du monde son foot chéri, pour l'importer chez lui, customisé, dans une bonne cinquantaine de stades flambants neufs, qu'il vient d'ériger à sa gloire mais qui sont temporairement dépourvus de joueurs à mettre dedans et qui se retrouvent momentanément reconvertis en caravansérails et en pré à 4x4, depuis que l'autoroute de la soie, tout juste construite par les Chinois, a mis les chameaux au rencart.
La coupe du monde au Qatar, qui fait crever de jalousie tous ses voisins, ça lui a donné des idées. Maintenant qu'il est devenu normal d'organiser des matches climatisés en plein désert, public importé par charters, cinquante degrés en-dessous ou au-dessus de zéro, il veut sa part, celle du tigre blanc des steppes, son totem.
Son objectif : la création d'un championnat d'Europe des top clubs, à domicile, sur fond de championnats nationaux à l'arrêt, pour cause d'effondrement des stades. Quelques centaines de milliers de morts, finalement, pour lui, c'est pas cher payé, et presque sans danger : entre Al Qaeda, Daesh & Cie, on ne risque pas de manquer de candidats pour revendiquer les attentats. Au besoin, on peut même réactiver les fameux Castreurs Islamiques du Désert...
On s'est tous regardés dans le blanc des yeux, le regard glauque, consternés. On sait que le foot, ça rend fou, mais à ce point-là !
Tous ce qu'il veut, notre Goursoultanbek, c'est que les exploits grandioses, commis par ces héros intergalactiques, se déroulent chez lui, grâce à lui, devant lui, pour lui, avec lui, à travers lui...
Il veut s'approprier le génie de Messi et celui de Ronaldo. Il veut devenir beau comme Chebery, séduisant comme Drogbo, têtu comme Ibrack, inflexible comme Fermach, énergique comme Benzimane, affectueux comme Van Mercie, intraitable comme Stopkiewitz, astucieux comme Malinovitch, mordant comme Souaresse, rapide comme Turbol, géant comme Pogho, subtil, vicieux, altier, débauché, fair-play... com com com...
Et à l'international, il est persuadé que ça fonctionne aussi. Le foot au service de la diplomatie, c'est comme d'imparables penaltys dans de béantes lucarnes...
Russes et Chinois, sans parler des Iraniens ou des Turcs, lui font des misères, à coups de taxes sur ses oléoducs, gazoducs, aqueducs, etc. Désormais, ils vont se prendre des tôlées à la volée, des débâcles à la pelle, des kyrielles de Berezina, s'ils ne rabaissent pas leurs prétentions.
Il sera le maitre incontesté des ballons, cages, lignes, maillots, arbitres, caméras, retransmissions. Rien qu'à imaginer tout ça truffé d'électronique, il est pris de vertige...
Il mettra la FIFA à plat ventre, déjà qu'elle est à genoux. Une place en quart-de-finale, ça vaut bien quelques zéros de plus sur un contrat, ou une bombe nucléaire en moins dans un placard. Pour la finale ou les demi-finales, on peut imaginer les prix...
Il est persuadé de gagner ainsi la liesse de son peuple. En plus, il a un truc caché dans sa manche pour élever à coup sûr son pays vers les sommets : les entraineurs. Ces meneurs d'homme, ces stratèges roublards, ces as de la conférence de presse permanente, qui savent si bien maintenir en haleine sans jamais rien dire : au gouvernement !
Ministère de l'intérieur et du terrain, de l'extérieur et du banc de touche, de l'attaque et de la défense, des buts, des patates, des brancards et du dopage, du silence et du baratin, c'est plus clair et plus sexy que la sempiternelle litanie des maroquins ministériels.
On retrouve de tout derrière une baballe. Pif, Pouf, Plaf, Holà ! Désespoir, nirvana, hystérie, angoisse, à mort l'arbitre, cartons jaunes et rouges, tacles vengeurs, dribbles au scalpel, talonnades retournées, bicyclettes et coups de ciseaux, gooooooooooooooal !
Dominique, qui a l'esprit aussi agile que fécond, a rapidement retrouvé ses esprits :
– Maintenant qu'on a retiré ses piquants au Cactus et qu'on est prêts, avec Moneyleaks.com dans le viseur, pour une opération « Éradication », je ne pourrais pas, de mon côté, tenter une opération « Mirage » ?
Il a un penchant réalité virtuelle, avec hologrammes à n dimensions et démultiplication des lasers. Et il a envie de s'amuser en compagnie du camarade Goursoultanbek. Avec la puissance de calcul qu'il a désormais dans ses papattes et la masse de milliards qui s'accumulent chez Cordier, il a dans l'idée de convaincre le Kazardimov que sa combine a marché, que ses stades sont pleins, ses héros à domicile, qu'il est ovationné à leurs côtés, même s'il est tout seul dans sa tribune, perdu dans un stade entièrement vide.
On en profiterait pour lui suçoter ses pétrodollars, comme de la vodka, et on pourrait, propose-t-il, finir par révéler la combine, histoire de rendre le monde un peu plus méfiant vis-à-vis des présidents mabouls, adeptes des faits alternatifs.
Pendant que les autres ont tendance à faire la grimace, Vitaly hoquète de rire : « Da... da...ouiii... siiii... yesss... moi te faiRe équations... pouR foRmule tRajectoiRes faux ballons... optimum peRfection... ».
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