11. Le club Oppenheimer




Georges nous fait asseoir et entreprend de nous expliquer :

– Ben voilà, depuis la bombe atomique, on a créé le club des physiciens aux aguets, le club Oppenheimer on l'appelle. La bombe H nous a servi de leçon. Pas question de rejouer Hiroshima, parfaitement évitable, et encore moins Nagazaki, totalement inutile. On sait que nos recherches fabriquent des monstres, en même temps qu'elles servent à beaucoup d'autres choses. Alors on a décidé de placer les soi-disant décideurs sous surveillance. Pas question de les laisser s'amuser avec des joujoux qui font de gros boums. On livre donc nos secrets en les répartissant au compte-gouttes, avec des mécanismes de surveillance et, si besoin, on conçoit des mesures de rétorsion. C'est précisément ce qu'on vient de faire.


Comme pour moi, c'était pas vraiment clair, j'en ai redemandé une couche, et Georges a repris, mode pédagogique.

Les trucs vraiment dangereux, genre bombes atomiques, la seule façon de les rendre moins périlleux, sinon inoffensifs, c'est de les répartir un peu. On peut appeler ça l'équilibre de la terreur si on veut, mais justement, ça crée un équilibre, et c'est déjà ça. Et comme on ne peut pas empêcher les découvertes d'émerger, la répartition contrôlée est finalement la seule solution qui vaille.

Là, le machin quantique, le superordinateur, tout à la fois indécryptable, imparable et inarrêtable qui est en train de se mettre au point, mine de rien, c'est une nouvelle bombe H qui se profile, et le club Oppenheimer a sorti le grand jeu. Ils se sont arrangés pour que Russes, Chinois et Américains, plus quelques autres dans la foulée, se les répartissent et se neutralisent, contre l'engagement formel et définitif d'en maîtriser la diffusion et d'en faire un usage strictement pacifique.

Sinon...


Il y a quelques mois, et avec l'accord de ses copains du club, Vitaly a donc livré tout cuits quelques qbits au FSB, mais seulement pour contrebalancer CIA, NSA, Mossad, Guoanbu & alii*, qui s'en était déjà procuré auprès de quelques brebis galeuses.

Mais Vitaly, au nom du club Oppeheimer, a posé ses conditions : engagement formel, écrit et contresigné par le Kremlin, d'en faire une utilisation strictement pacifique. Qu'ils fassent la guéguerre post silicium, qu'ils s'amusent à faire la coucourse aux secrets du cryptage et du décodage, qu'ils se découvrent tous autant qu'ils sont leurs minables petits secrets... Allez-y, foncez, laissez-vous aller, ça soulage... Mais pas de sang, pas une seule goutte !


Et voilà que les Russes ont laissé fuiter, sans doute parce que Poutine, qui n'a plus un rond, s'est fait doubler. Au lieu d'utiliser l'ordinateur quantique pour mettre au pas les dérives de la finance mondiale et employer les sous ainsi récoltés pour soulager ceux qui crèvent de faim, de soif, de bombes et de maladies, on se retrouve avec un hurluberlu – le Kazardimov par exemple – qui prétend se faire un prénom – Goursoultanbek en l'occurrence – en rajoutant des pelletées de cadavres à la liste.

Alors là, dans les sous-sols du château de la Mange, ils viennent tout simplement de mettre au point ladite mesure de rétorsion, à savoir l'implosion des quelques qbits actuellement en circulation de par le monde, histoire de bien faire  passer le message. Parce que le club Oppenheimer a pour règle de ne pas faire de différence : si on châtre les Russes, on ampute les autres de la même manière, et réciproquement.

S@P leur a mis la puce à l'oreille. Ils ont donc décidé de nous annexer. On va leur servir de fer de lance. Nora a donné son accord. Ils ne doutent pas du mien. Vu son regard aussi noir que perçant, j'ai l'impression que je n'ai pas intérêt à manifester un avis divergeant...


Pour l'instant, avec leurs équations de quelques mètres linéaires, ils ont l'intention d'innover. Parce que l'implosion d'un qbit, c'est du tout nouveau, jamais fait, jamais testé, jamais publié, nulle part, personne, nobody, nada, nietchevo, que dalle, etc.

Tout nouveau, tout beau – ou tout laid – selon le point de vue, parce que, finalement, c'est une nouvelle bombe d'un nouveau genre, des kilos de kilotonnes non radioactifs susceptibles de se balader dans le vaste monde.


Ça sera un premier avertissement sans frais. Leçon Oppenheimer qu'ils appelleront ça, envoyée par le club du même nom.

S@P les intéresse, comme bras armé. Ils nous sentent bien. On est fait du même bois qu'ils disent, la même engeance : pas aveugles ni tristounets, mais un mélange ; volontiers blagueurs, sérieux de rigueur ; on assure, gaudriole et rigolade dès qu'on peut, les mains dans le cambouis dès qu'il faut.

Les Russes, certes, on va se les exploser, mais Amerloques et Chinetoques également, sans oublier les Israéliens, dont les intentions purement pacifiques sont sujettes à caution.

Et pour faire bonne mesure, on va faire le même coup à Booble et Facefood. Parce que désormais il n'y a pas que les états qui donnent dans le néfaste et le crime de masse. Il y a aussi les seigneurs technologiques, avec leurs paquets de pognon, qui tentent d'utiliser les qbits pour transformer l'humanité en produit, bébés, vieillards et cul de jatte compris.


Auparavant, c'est-à-dire le lendemain, petit essai en perspective, pour vérifier les calculs avant de lancer le bal. Le Léman, en plein milieu et en pleine nuit, c'est parfait. D'où le bateau dont Tomy a été chargé de s'occuper.

Pas nocif pour deux sous, notre qbit qui implose, sauf pour les féras du lac, malheureusement pour eux. On s'occupera de la réintroduction d'alevins, si nécessaire.

Ils sont donc en train de construire des arches de Toffoli pour entrer-sortir dans deux qbits qu'ils vont laisser s'intriquer. Et ils vont tester quelques algorithmes d'intrusion de leur invention, version efficacité subreptice, juste le temps de saturer suffisamment d'états en même temps pour que... Boum !

On enfermera le qbit cible dans une petite cage de Faraday, qu'on truffera de capteurs pour mesurer la puissance de l'implosion, et on assistera au spectacle depuis la terrasse du château. Si l'essai est concluant, et Vitaly n'en doute pas, on passe à l'action en prévenant les cibles, juste le temps de vider les lieux, afin d'éviter un carnage.


Et ensuite ? Ben ensuite, il n'y aura plus que S@P qui disposera de qbits, tout simplement ! Et on aura carte blanche pour faire le ménage, avec les encouragements du club Oppenheimer en prime...



* CIA, Mossad & Guoanbu sont les services secrets américains, israéliens et chinois. La NSA (National Security Agency) est l'organisme américain chargé de surveiller, d'intercepter et de décrypter les communications électromagnétiques et numériques.

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