10. Qbits
Ils n'ont pas l'intention de venir déjeuner. Ils préfèrent continuer leurs cogitations. D'accord, mais le mou de cervelle, ça ne nourrit guère. Alors je leur apporte quand même des sandwiches et du café. Et puis je leur fiche la paix. De toutes façons, je n'ai pas eu droit à un seul regard. Même Nora.
Medhi et Dominique, qui n'ont pas l'habitude d'être tenus à l'écart, sont sur les charbons ardents. Qu'est-ce qu'ils sont en train de préparer ? Quel sera le menu ? A quelle sauce seront-ils accommodés ?
Vers 15h, Albert passe demander à sa femme de lui amener une de ses valoches, la plus lourde. Ça pèse bézef. Jeff, notre armoire à glace californienne, s'est proposé pour aider. Il n'arrive même pas à la soulever d'une seule main, et on a dû s'y mettre à deux.
16h, Georges rapplique : les théoriciens ont besoin des simulateurs expérimentateurs. Medhi, Dominique et leurs équipes sont requis. Pas la peine de vous dire qu'ils se précipitent, sans demander leur reste.
On est tous là, dans l'attente. Qu'est-ce qu'ils vont nous sortir ? Qu'allons-nous donc faire ? Dans quelle histoire vont-ils nous fourrer ?
Pour le soir, Aïcha et Bubu sont passés au taboulé poulet froid, avec des cornichons aigre-doux. « A la Russe » dit Aïcha, rien que pour faire plaisir à notre colosse proéminent. On pensait que l'attente serait encore longue et la soirée interminable, avec une heure de dîner reculante qui fluctue.
Mais pas du tout : sur le coup de 19h on les voit réapparaitre, mines réjouies. Les yeux de Medhi, ébaubis de partout, semblent dire « ben ça alors ! ben alors ça! alors ben ça ! » Ceux de Nora hurlent victoire. Vitaly a la barbe triomphante. Seuls Georges et Albert, le front traversé par de lourdes rides, demeurent soucieux.
L'hypothèse Vitaly est simple, affirme-t-il, et ça fait des mois qu'il y réfléchit : implosion d'un qbit, par saturation instantanée de son infini d'états.
Conséquence, assure-t-il : réchauffement brutal et explosif de l'ordre de 0,1 kilotonnes par qbit, de quoi pulvériser quand même une centaine de mètres cubes de bâtiments confinés.
Les qbits en question sont ainsi réduits à néant, tout comme leur environnement immédiat, humains compris.*
J'en reste pantois. Quelque chose comme une mini bombe nucléaire nouvelle formule ! « Moins les radiations, m'explique Nora, quelque chose comme un super ordinateur qui nous explose à la figure et à distance tellement qu'il est puissant ».
En théorie, c'est du tout cuit, affirme Vitaly.
Moi je veux bien, mais la garantie de formules de plusieurs mètres linéaires, certifiées conformes par une équipe de génies cinglés, ça me rassure moyen.
D'autant qu'en pratique, paraît qu'il y a des kyrielles de difficultés en pagaille : de la pénétration douce dans un système hyperchatouilleux à la saturation instantanée d'un minuscule infini, en passant par la gestion d'un parc de qbits, ces petites bêtes ayant de fâcheuses tendances grégaires.
Entre autre enjeu : ne pas se retrouver avec une bombe de dix kilotonnes, rien que parce qu'on a une petite centaine de qbits qui jouent à la baballe dans un espace restreint.
Et quand on parle d'espace restreint, c'est plus petit que le nano, ça descend en-dessous du pico, sans atteindre le femto, en attendant de plonger prochainement vers l'atto, voire le zepto... La poésie de l'infiniment petit, ça donne le vertige, même si c'est pas le même que du haut des Drus.
Impossible de se lancer dans le vide pour se scratcher en bas, bien sanglant, en morceaux, parce que ces abysses-là, on se les trimballe au dedans, avalé qu'on est par notre propre vide.
Après le dîner, conférence au sommet. Nos trois cocos, Medhi, Nora et moi, plus Alban et Amédée, indiscutables garanties morales.
– OpéRation Cactus... en Route ! beugle Vitaly, dans un gros éclat de rire, en me refaisant le coup de la tape dans le dos.
Comme j'ai vu le coup venir, je parviens à rester debout. Mais je ne suis pas contre une explication de texte.
* Non, l'explosion d'un qbit par saturation instantanée de son infini d'états produisant un réchauffement brutal et explosif de l'ordre de 0,1 kilotonnes par qbit, c'est de la science fiction, au sens propre du terme. Mais aussi une parabole de l'effet des nouvelles technologies, présentes ou à venir, sur notre quotidien comme sur la marche du monde.
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