Chapitre 6 - Pourquoi ?
Écouter jouer Matth remue plein de choses en moi.
J'aurais dû lui demander de jouer de la guitare. Peut-être, je dis bien peut-être que je n'aurais pas réagi comme je suis en train de le faire.
Il joue vraiment bien.
Mais bon, il faut que je sois réaliste, en étant dans cette putain de classe, il était forcément doué. À quoi je m'attendais sérieusement ?
Je ne sais pas trop comment je me suis retrouvée assise à côté de lui.
Et je ne sais pas trop comment ma main vient de finir sur la sienne.
Ce que je sais, c'est que le morceau qu'il vient de jouer m'a retourné les tripes.
Tellement que j'en ai les larmes aux yeux.
J'espère qu'il ne va pas me regarder.
Sauf qu'il le fait.
Ce mec-là, il fait toujours ce qu'il ne faut pas qu'il fasse. Il me voit fragile.
Et je n'aime pas ça.
Ses yeux s'attardent sur les larmes qui coulent sur mon visage.
Il s'apprête à dire quelque chose mais je ne le laisse pas faire.
- Bon, c'était bien sympa mais j'ai autre chose à faire maintenant. Allez, à plus.
Je ramasse mes affaires en moins de temps qu'il ne faut pour le dire et je quitte l'appartement en courant.
Au moment où la porte se referme, je l'entends m'appeler.
Je ne me retourne pas.
Je descends les escaliers à toute vitesse.
J'espère qu'il ne me suit pas.
Je ne veux même pas me retourner pour vérifier.
J'arrive dans la rue et le froid me saisit mais je ne prends même pas le temps de refermer ma veste.
Je cours jusqu'à chez moi.
Ma mère est là à m'attendre.
Sauf que je n'ai pas envie de la voir, que je n'ai pas envie de lui parler.
Alors je me rend dans ma chambre.
J'ai juste envie de m'enterrer dans un trou. Ou de m'endormir pour toujours.
La vie est trop dure. Je ne la supporte plus.
J'ai l'impression de n'avoir jamais été à la hauteur pour vivre correctement.
Jusqu'à ces dernières semaines, je m'étais toujours sentie tellement en décalage avec tout le monde. Tellement différente.
J'ai fait des tas de conneries pour essayer de me mettre au niveau des autres, pour qu'ils m'acceptent, pour être une fille normale.
Mais je ne suis pas normale.
Je ne l'ai jamais été.
Et voilà que je change de lycée. Encore une fois.
Tout ça parce que... Parce que...
Ma mère est arrivée à me faire accepter je ne sais pas comment dans cette classe.
Elle a certainement dû montrer mes tests de QI, mes anciens bulletins scolaires et demander des certificats qui prouvent que j'ai été sportive de haut niveau pour arriver à les convaincre.
Je sais qu'elle a dû se dire qu'être avec d'autres athlètes m'aideraient.
Mais ça n'est pas le cas.
Tous les jours, ils me rappellent que moi, j'ai échoué.
Tous les jours, je les entends parler de leurs dernières compétitions, de leurs derniers exploits, de leurs entraîneurs, de leur parents qui les saoulent à trop les pousser.
Et je les envie.
Je les envie parce que je ne vois plus de fierté dans les yeux de ma mère. Je ne vois que de la douleur.
J'aimerais changer ça mais je n'y arrive pas.
Je n'y arrive plus.
Et je me déteste encore plus si cela est encore possible.
Il y a tous ces gens-là.
Et puis il y a Matth.
Matth qui, malgré mon étrangeté, malgré le fait que je ne suis pas vraiment sympa avec lui ne m'a pas envoyée bouler.
Il aurait pu au moins une bonne dizaine de fois.
Mais il ne l'a pas fait.
Pourquoi ?
Toutes ces questions me torturent.
Et je ne dors pas.
Au bout d'un très long moment, je finis par sombrer quand même.
Mon sommeil est hanté par des cauchemars. Toujours les mêmes.
Quand mon réveil sonne, je n'arrive même pas à l'éteindre.
J'entends ma mère entrer dans ma chambre et arrêter la sonnerie.
Elle s'assoit à côté de moi et me caresse les cheveux.
Je m'agrippe à elle comme si elle était mon seul repère.
C'est mon seul repère.
Et je lui en fais tellement voir.
Elle me murmure à l'oreille qu'elle va appeler le lycée pour dire que je suis malade et que je n'irais pas en cours.
Avant de se lever, elle me chante cette comptine que j'aime tant...
« Une petite main qui dans ma main
Donnera un sens à mes lendemains
Une petite main qui dans ma main
Change l'horizon en un tour de main
Change l'horizon en un tour de main »
Ça m'apaise.
Elle le sent. Elle me connaît si bien.
En sortant de la pièce, elle me dit qu'elle m'aime.
Je l'entends préparer mon petit frère. Je les entends sortir de l'appartement.
Et puis, c'est le silence total.
Alors je me remémore le morceau de Matth.
Pendant qu'il le jouait, il y avait des mots, des bouts de phrases qui me traversaient l'esprit.
Je suis sûre tout à coup que je peux en faire une chanson.
Je sors mon carnet, je prends un stylo et je commence à laisser les mots parler à ma place.
Marguerite Duras a dit « Écrire, c'est aussi ne pas parler. C'est se taire. C'est hurler sans bruit. »
Je suis d'accord avec elle.
Je hurle ma douleur sur le papier.
Je crache ma peine sur une feuille blanche.
Je pleure de l'encre noire.
Comme je le dis tout le temps, je n'ai plus que ça.
Il n'y a plus que comme ça que j'arrive à m'exprimer.
Les mots peinent à venir.
C'est difficile de se livrer.
Quand je mets le point final, je tremble de tous mes membres.
J'ai la nausée, je pleure.
Mais je me sens bien aussi.
Je n'aurai pas le courage de le montrer à qui que ce soit. Je le sais.
Mais j'ai des mots et la musique que Matth m'a donnée sans le savoir.
Ils vont parfaitement bien ensemble.
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