Chapitre 5 - Le devoir
On a un devoir à faire à deux pour la semaine prochaine.
Personne n'a voulu se mettre avec Lucie.
Alors on doit le faire ensemble.
Les autres élèves m'évitent depuis qu'elle est là.
Ça me saoule. Parce que je me rends compte que la plupart était des gros hypocrites en se disant être mes potes et ensuite parce que dès que tu es différent, tu es rejeté.
C'est clair que Lucie n'est pas la personnification de la joie de vivre, qu'elle est étrange.
Mais je sais pas, moi, elle me semble pas anormale.
Abîmée par la vie, à l'ouest, carrément flippante par moments, différente mais pas anormale.
Et puis, c'est pas parce qu'elle me suit tout le temps que je devais devenir un pestiféré...
Bref, il faut qu'on fasse ce devoir et elle ne veut pas, dit qu'on peut très bien s'en sortir chacun de notre côté, que de toute manière, on s'en cogne, que le prof n'y verrait que du feu. C'est sûr que ça marcherait si on le faisait chacun de notre côté.
Sauf que je crois que j'ai pas envie. Ça fait deux jours qu'elle m'oppose un refus catégorique.
- Pour la énième fois, je te repose la même question du jour... Notre devoir, on le fait chez toi ou chez moi ?
- Chacun de notre côté.
- Mauvaise réponse. Même joueur joue encore... Notre devoir, on le fait chez toi ou chez moi ?
Je vois qu'elle réfléchit. Elle doit en avoir ras le bol que je me répète. Je sens qu'elle hésite entre l'envie de m'envoyer balader encore une fois et me donner une des réponses que j'attends.
- Putain, tu m'fais chier. Chez toi.
Pendant une seconde, j'en crois pas mes oreilles.
Elle vient d'accepter.
- Super ! Bon, on se fait ça quand ?
- Ton enthousiasme est à vomir.
- Allez, détends-toi, ça va bien se passer.
- Le plus tôt sera le mieux. Comme ça, tu arrêtes de me prendre la tête.
- OK. Ce soir, après les cours. Ça te va ?
- D'accord.
J'envoie un sms à Marie pour lui dire que je pourrais pas passer la voir.
Et voilà qu'elle le prend mal.
Elle commence à me saouler. Elle est jalouse. Elle me flique. Pourtant y'a pas de raison.
Je laisse couler pour cette fois.
La journée passe.
Contrairement aux autres jours, Lucie continue à me suivre. Jusque chez moi cette fois.
On s'installe dans le salon.
Je lui propose à boire. Elle refuse.
- Un verre d'eau ne va pas te tuer.
- On ne sait jamais.
- Pfff, t'es conne.
- Je sais. On me le dit souvent. C'est sympa ici.
- Merci.
- Il est à toi le piano ?
- Oui.
- C'est ça alors ton instrument ?
- Oui. Je joue de la guitare aussi.
- Mr « j'me la pète », ça va les chevilles ?
- Oh ça va. C'était histoire de parler... Tu te rends compte que c'est notre plus longue conversation depuis qu'on se connaît ?
- Et alors ?
- Tu me gonfles. Allez, on va bosser.
Pendant une bonne heure, on travaille sans relâche.
C'est marrant. Je n'ai jamais eu cette impression d'être sur la même longueur d'onde avec aucun de mes camarades de classe.
On a fait plus de la moitié du boulot. Peut-être même les trois quart.
Je regarde Lucie en douce. Elle sourit.
C'est la première fois que je la vois sourire.
Et je la trouve belle.
- Tes vieux ne rentrent jamais ?
- Pas avant 20h30. Et encore quand tout va bien. C'est plutôt pas mal je dois dire.
- Grave. Tu joues quoi à la gratte ? Au piano ?
- De tout à la guitare. J'ai pas de préférence. Au piano, essentiellement du classique. Tu veux que je te joue un truc ?
- Pourquoi pas...
- Guitare ou piano ?
- Piano.
Je me pose devant mon instrument. Et comme à chaque fois, je prend quelques secondes pour le regarder. Je frôle la laque noire du bout des doigts, je regarde le blanc immaculé des touches. J'admire la pureté des lignes.
Je pose mes doigts sur mes touches et je joue le premier morceau qui me passe par la tête.
Du Chopin.
Je la sens derrière moi. Immobile. Retenant son souffle.
Elle se lève. J'entends ses pas sur le parquet.
Elle vient s'asseoir à côté de moi.
Elle ne dit rien. Elle ne bouge pas. Mais je sens sa chaleur.
Je finis mon morceau tout en douceur. Je caresse les touches.
- Un autre, s'il te plait.
- Ok.
Elle a l'air de s'y connaître. Elle a l'air d'apprécier. Alors je tente une de mes compositions.
C'est triste, très triste. Je ne sais pas comment elle va réagir.
Mes doigts volent sur les touches.
Je le finis en apnée.
Elle ne dit rien. Rien du tout. Je n'ose pas la regarder.
Et puis, sans prévenir, elle pose sa main sur la mienne.
- Merci Matth.
Quand je la regarde enfin, je vois que ses yeux sont plein de larmes.
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