Chapitre 4 - Lucie
Je me demande encore pourquoi je le suis partout, tout le temps.
Peut-être que j'ai vu quelque chose chez lui qu'il ne sait pas lui-même.
Peut-être que je me sens un peu moins paumée à côté de lui.
Pourtant il est chiant.
J'ai cru qu'il laisserait tomber les questions mais de une par jour, on est passés à deux.
Comment il a réussi à faire ça ? Aucune idée.
Mes réponses sont toujours ultra succinctes mais il ne relève jamais.
C'est lui qui a les cartes en main de toute façon.
Et puis, il est parfois trop sérieux. Ce qui ne colle pas du tout avec son look. À part en anglais où il s'en contrefiche, il écoute, prend ses notes comme personne.
Il écrit bien ce con pour un mec.
En fait, il n'a pas la tête du bon élève et je crois que ça me fait chier qu'il le soit.
Pourtant je suis quasi sûre qu'il n'a pas besoin de faire tout ça pour réussir.
Enfin, il fait ce qu'il veut.
Comme je ne pose aucune question en retour, je ne sais presque rien de lui.
J'ai entendu quelques bruits de couloir. Qu'il a une copine qui s'appelle Marie, qu'elle est dans un autre lycée, qu'il est bien anglais. Il est arrivé en France en seconde apparemment.
J'ai rendez-vous avec ma psy mais je ne sais toujours pas si je vais y aller.
Mes parents enragent quand je n'y vais pas et je crois que ça me fait plaisir de les voir s'énerver dans le vide.
Pourtant, je sens qu'aujourd'hui, j'en ai besoin. Même si je ne lui dirai probablement rien.
Juste la voir, savoir qu'elle ne me jugera pas et savoir qu'avec elle, je peux être moi-même si je le veux, ça me soulage pour un temps.
Je ressors de chez Sophie en pleurs. Je n'aurais pas dû y aller.
J'ai beau savoir que ces larmes sont salvatrices, je m'en veux.
Je me bouffe les ongles jusqu'au sang sur le trajet pour rentrer chez moi.
Sauf que je ne veux pas rentrer.
Ma mère sera là. Et je n'ai pas envie de la croiser maintenant.
Du coup, je laisse mes pas me porter, je ne sais pas trop où je vais et je me retrouve devant la cité des arts sans vraiment m'en apercevoir.
Je me pose sur un banc et je regarde les gens passer, toujours en pleurs.
Des têtes se tournent vers moi mais leurs regards se détournent. Je dérange leur petit confort. Je bouscule quelque chose en eux. Ou alors ils se disent qu'une ado qui pleure, c'est un truc banal.
Je me roule une clope. Et je la fume. Lentement.
Petit à petit, je me détend et les larmes cessent de couler.
J'écrase mon mégot et je me lève. Je marche dans le parc, je fais glisser mes mains sur l'écorce des arbres et je m'arrête pour admirer le bâtiment du conservatoire.
Je l'ai toujours trouvé beau. Cette modernité à côté de la vieille école. Ce béton, ces vitres. Le bruit des instruments que l'on entend de dehors. Les fausses notes.
J'ai l'impression que je pourrais presque entendre le battement du tempo du cours de danse.
Je venais là avant.
Avant.
Perdue dans mes pensées, je ne remarque même pas qu'il fait nuit noire.
Et que quelqu'un me tape sur l'épaule.
- Lucie ? Qu'est-ce que tu fais là ?
Je reconnais instantanément la voix de Matthew, son accent.
- Hein ? Euh... Rien. Je crois que j'ai pas vu le temps passer.
- Ça n'a pas l'air d'aller. Tu veux que je te raccompagne chez toi ?
- Non, c'est bon. Mais merci.
- Wow. J'aurais jamais cru entendre un mot pareil dans ta bouche.
Putain, il a raison. Qu'est-ce qui me prend ?
Il faut que je me ressaisisse. Que je remette ma carapace.
Je ne peux pas être faible. Je ne peux pas les laisser gagner. Je dois faire comme si de rien n'était.
Je pars sans même lui dire au revoir.
Une fois, chez moi, je vais direct dans ma chambre.
Je sens ma mère s'arrêter devant ma porte. Je l'imagine le poing fermé, prête à frapper et finalement, à renoncer.
Je sais que bientôt, elle va m'envoyer mon petit frère.
Mais ce soir, ça ne marchera pas mieux.
Je tourne en rond dans ma chambre et je m'arrête devant la grande malle en bois que j'aime tant. D'un revers de la main, j'enlève les affaires qui sont dessus et je l'ouvre.
Toutes mes affaires sont là. Je les touche du bout des doigts.
Ça me fait mal.
Je n'aurais pas dû.
Je referme le coffre précipitamment.
Je tremble de tous mes membres.
Je me jette sur mon lit. Et à force de sanglots, je m'endors.
Je me réveille en pleine nuit.
J'ai faim.
Je file dans la cuisine, je prends un paquet de gâteaux et je retourne dans ma chambre.
Je sors mon carnet et je me mets à écrire.
C'est tout ce que j'arrive encore à faire.
Évidemment, les mots que je couche sur le papier sont tristes à pleurer. Mais tant pis.
Il paraît que tous les plus beaux trucs qui ont été écrits, avaient été écrits par des personnes qui n'allaient pas bien.
Peut-être que ce que j'écris est pas mal alors.
Peut-être qu'un jour, je ferai lire mes textes à quelqu'un.
Je ne pense pas que ça soit près d'arriver. Mais bon, il paraît qu'il faut jamais dire jamais.
Mes paupières commencent à se fermer toutes seules alors j'éteins ma lumière. Le sommeil ne revient pas tout de suite malgré les signes avant-coureurs.
Mes démons sont toujours plus présents dans le noir.
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