Chapitre 10 - Le spectacle

Pourquoi je lui ai dit que je viendrais peut-être ?
Quelle idée j'ai eue sérieux ?
Sur le coup, je voulais qu'il me lâche mais maintenant, je vois bien que je me suis piégée toute seule et que je n'ai plus trop d'options.
Il faut que j'y aille. Sauf que toute seule je n'y arriverai pas.

-    Maman ?
-    Oui ma chérie ?
-    Ça te dit qu'on aille au spectacle de noël du conservatoire ?

Ma mère me regarde complètement ahurie. Je sais bien pourquoi elle fait cette tête-là.

-    Tu es bien sûre de ce que tu me demandes ?
-    Oui, j'ai un camarade de classe qui joue et je lui ai dit que je viendrais peut-être. Sauf que toute seule, tu sais bien que je n'y arriverai pas.
-    Tu as vraiment envie d'y aller ?
-    D'un côté oui, je veux le voir jouer. Il joue vraiment bien tu sais. Mais de l'autre côté, non, c'est une torture.
-    Écoute, ça fait longtemps qu'on a rien fait tous les trois. Donc, c'est oui.

Je ne sais pas si ça me fait plaisir.
Je passe mon après-midi dans ma chambre. A regarder mes affaires dans mon coffre, à me souvenir du temps où moi aussi j'allais presque tous les jours au conservatoire. Je regrette ce temps-là. Je me mets à pleurer en pensant à tout ce que j'ai perdu il y a deux ans. Et je me ronge les ongles.
J'aimerais aller mieux. Mais je ne sais pas comment faire. Je voudrais pouvoir faire plus que regarder mes pointes et mes justaucorps. Je voudrais pouvoir les remettre, je voudrais danser à nouveau.
Mes doigts saignent mais je continue à arracher chaque petite peau qui dépasse.

Ma mère tape à ma porte.

-    Lucie ? C'est bientôt l'heure. Il faut te préparer.
-    D'accord.

Je passe ma robe noire et un gilet. Je relève mes cheveux en chignon. Je mets mes doc. Je rejoins ma mère et mon frère. Ils m'attendent dans le salon.

-    Allez, c'est parti.

Au moment de rentrer dans la cité des arts, j'ai un instant d'hésitation. Ma mère me prend la main et la serre pour me donner du courage.
On se rend dans l'auditorium et on s'assoit sur le bord de l'allée. Je veux pouvoir sortir si ça ne va pas.
Il y a un monde fou.
J'évite de regarder autour de moi pour ne croiser personne que je connais.
Un couple s'assoit à côté de mon frère. Ils sont super bien habillés.
Le noir se fait dans la salle et tout le monde se tait.
Le directeur entre sur la scène et après les salutations et remerciements de rigueur, nous présente le déroulement de la soirée.

Ce sont les petits qui commencent. Ils ne font pas de gros canards et sont attendrissants. Tout le monde les applaudit vivement.
L'âge augmente au fur et à mesure des passages.
Les morceaux choisis sont tous très classiques. Mais ça ne me dérange pas, j'ai toujours aimé ça.
Les collégiens finissent leur passage.
Encore une fois, tout le monde applaudit.

Le directeur revient sur scène pour présenter la dernière partie. Et souligne qu'une fois n'est pas coutume, il y aura de la nouveauté cette année.
Personne ne comprend dans l'assistance.
Plusieurs jeunes se succèdent, flutistes, violonistes, guitaristes. Et Matth monte sur scène.
Le couple à côté de nous se redresse immédiatement sur les fauteuils. Je comprends tout de suite qui ils sont.
Pourquoi a-t-il fallu que les parents de Matth soient assis à côté de nous ?
Je donne un coup de coude à ma mère pour qu'elle évite de me demander pour la dixième fois de la soirée qui je connais.
Elle aussi se redresse sur son siège du coup.
Les parents, j'vous jure.

Je le regarde s'installer. Il dénote après les autres, je trouve. Il a fait un effort pour s'habiller mais on voit bien que le naturel n'est pas loin.
Ses cheveux sont aussi mal coiffés que d'habitude. Son jean noir n'est pas aussi classique que les pantalons des autres. Il n'a pas de veste contrairement à ses camarades et les manches de sa chemise blanche sont relevées. Et il a ses éternelles doc Martens aux pieds.
Ce mec-là ne peut pas rentrer dans un moule. Il le porte sur lui.

Il pose ses mains sur le clavier de l'immense piano à queue. J'ai l'impression qu'il est ailleurs. Dans un monde rien qu'à lui. Il commence à jouer et je reconnais dès les premières notes ce qu'il va jouer.
Je comprends pourquoi le directeur nous a dit qu'il y aurait de la nouveauté. Je crois n'avoir jamais entendu un morceau inconnu du répertoire classique être joué ici.
Je sens que les larmes me montent aux yeux comme la première fois qu'il me l'a joué. J'hésite à sortir. Mais je me rends compte que je ne peux pas. J'ai besoin de l'entendre à nouveau. J'ai besoin d'entendre les mots que j'ai écrits passer dans ma tête au fur et à mesure que les notes s'enchainent. Il finit tout en délicatesse.
Et reprend aussitôt un autre morceau. Celui-là aussi est de lui. Pour moi, c'est évident. Il est aussi magnifique que l'autre. Peut-être même plus.
En regardant les gens autour de moi, j'ai l'impression que tout le monde retient son souffle. Et je vois la fierté dans les yeux de ses parents.
Je me replonge dans la musique et cette fois ce ne sont pas des mots qui apparaissent devant mes yeux mais une chorégraphie. Je me vois danser, là, à côté de lui.
Les larmes se mettent à couler toutes seules le long de mes joues.
Je ne m'étais plus imaginée en train de danser depuis que Chloé est morte. Et ça me fait mal. Ça me fait mal parce que ce garçon en face de moi me fait autant de bien qu'il me fait du mal. Je veux sortir mais on dirait que je suis clouée à mon siège.

Et puis, les applaudissements explosent. Tout le monde autour de moi se lève. Et sans m'en rendre compte, je suis le mouvement.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top