Chapitre 3*
Jehanne est très bavarde, elle vient de passer une demi-heure à me raconter son parcours jusqu'ici. Contrairement à moi, son essence a rapidement mûri et elle na donc pas eu à subir longtemps lisolement, à peine deux mois. Elle ma parlé de sa famille, de son petit frère quelle ne reverrait plus pendant longtemps, ainsi que de ses parents. Ils ont peur delle mais laiment quand même. Je vois quelle le dit avec détachement mais que ça la touche, une petite ride sest creusée entre ses sourcils noirs. Pour elle, le déclenchement de son essence a été entraîné par les moqueries de ses camarades de classe. Elle subissait un harcèlement permanent. Tous les jours, ils se moquaient delle, de son physique un peu trop garçonne pour eux, de son attitude trop studieuse Et puis arriva la fois de trop, elle sest mise à pleurer des heures, elle se sentait entièrement vide. Cest là que tout sest enclenché.
La facilité de ma colocataire à parler me surprend, elle a lair de me faire confiance alors quelle ne me connaît pas. Cependant, sans me connaître, elle a mis le doigt sur quelque chose qui mest si familier : le vide. Je ne le connais que trop bien ce vide, depuis six ans maintenant. Ce trou béant qui ne saurait être comblé par quoi que ce soit. Cette ventouse collée sur mon cur qui en aspire chaque portion, doucement, lentement, pour faire durer la torture qui moppresse. Voilà pourquoi je naime pas discuter avec les autres, tout mévoque des souvenirs, des sensations auxquels je ne veux pas penser. Jehanne doit juger quaprès mavoir parlé sans sarrêter, même pour respirer, cest à mon tour de me livrer, car elle commence à me questionner. Je lui raconte peu de choses, quelques grandes lignes sans importance. Elle a lair très gentille avec son grand sourire creusant deux fossettes dans ses joues, mais la confiance chez moi se gagne. Je mentionne à peine ce qui a déclenché ça, un accident. Cest en partie vrai. A mon grand étonnement, Jehanne doit comprendre que je ne lui en dirais pas plus, elle arrête dinsister assez vite. Le plus sidérant dans tout ça, cest quelle ne semble même pas vexée. Elle continue de me parler de toutes sortes de sujets anodins, sans se soucier de mon quasi mutisme. Je me surprends toute seule, en lui répondant de temps en temps par des phrases, elle réussit même à marracher un rire.
Laprès-midi est vite passé grâce aux discussions menées par ma camarade de chambre et quand Ryan vient me chercher, je suis déjà moins perdue que toute à lheure. Enfin, je suis toujours aussi confuse, je nai pas plus dinformations concernant ce lieu, mais au moins je suis partiellement détendue. Jai également un peu mal à la tête davoir écouté si longtemps quelquun, nétant plus habituée ni au bruit, ni à tant me concentrer sur une conversation. Jai des progrès à faire de ce côté- là et je sens que Jehanne va être plus que ravie de maider. Mon mentor nest pas seul, une fille est avec lui, la mentore de Jehanne daprès ce que jai cru comprendre. Elle est assez grande, rousse elle aussi et a des yeux noisette rieurs. Mais quelque chose me perturbe chez elle, son apparente sympathie me paraît feinte. Je ne dis rien bien sûr, je ne la connais pas je ne devrais pas la juger hâtivement. Si les autres faisaient pareil avec moi, je serais très certainement homologuée comme la fille aux réponses de deux mots et à lamabilité dune porte de prison.
Jehanne et sa mentore, sortent donc de la chambre pour aller découvrir cette ville plus en détail, car Jehanne a déjà visité une partie . Ryan et moi sommes donc seuls dans la pièce. Du coin de lil je l'aperçois sapprocher de moi, puis, sans que je ne vois rien venir il me pousse brutalement. Je suis si surprise que je tombe sur le lit derrière moi les yeux écarquillés et la bouche fermée, totalement en apnée. Il savance à nouveau et je me dépêche de le contourner et de me placer à lopposé de lui.
Quest ce qui lui prend?
Il me fait un des sourire les plus narquois quil mait été donné de voir avant de me dévisager de haut en bas.
-Allons Opale, tu pensais vraiment que jallais taccepter ? Tu es folle ! Même ici tu nas pas ta place.
Je le regarde avec incompréhension. Je sens les larmes perler au bord de mes yeux et je dois faire un effort surhumain pour ne pas les laisser couler. Tout cela nétait-il quune illusion ? Tout semblait si réel pourtant ! Jehanne fait-elle aussi partie du complot ? Me détendre pour mieux me détruire ? Dans quel but ? Nexiste-t-il donc aucune place pour moi dans aucun endroit que ce soit ? Le jeune homme fait un pas vers moi, mais cette sensation si étrange apparaît à nouveau. Ce flux invisible à lintérieur de mon corps, qui grandit encore et encore jusquà ce que je le sente sortir de mon enveloppe charnelle, si bien que quand il avance encore dun pas, il se cogne contre le mur qui fait rempart devant moi et tombe sur le sol. Comment peut-il ne pas lavoir remarqué ? Mais il se contente de sourire. Pas un sourire moqueur comme tout à lheure, non, un sourire franc et joyeux. Ca ne tourne pas rond dans sa tête.
-Bien, désolé pour cette attaque mais les pouvoirs spontanés apparaissent généralement plus vite quand on secoue un peu les gens
Il ma juste provoquée ? Je ne suis définitivement pas folle. Ou alors nous le sommes tous ici. Cette pensée me détend tellement, que jéclate de rire. Lafflux démotions si diverses sûrement. Je ris tant que je peine à reprendre mon souffle. Je crois que ça faisait des années que je navais pas ri. Ryan me dévisage stupéfait, mais je nen ai rien à faire, cétait le fou rire ou lavalanche de larmes. Et je me suis faite une promesse, plus jamais on ne me fera pleurer. Plus jamais.
-Bon maintenant que je sais quel est ton pouvoir spontané, Opale et que tu as bien ri, je te propose quon commence à le travailler.
-Pourquoi ne tes-tu pas arrêté devant mon mur ?
-Ton mur ? Je nai rien vu, je pensais que cétait une onde de choc.
Je passe quelques minutes à lui expliquer comment le flux à lintérieur de moi se matérialise en un mur protecteur. Jessaie dêtre la plus précise possible et une fois quil estime avoir compris, nous commençons lentraînement. Je dois me concentrer, je ne veux plus avoir peur de mon pouvoir et pour cela il va falloir que japprenne à le contrôler. Il me donne quelques indications, je dois visualiser les sensations qui apparaissent lorsque mon pouvoir spontané se manifeste. Il me met en garde de ne pas me laisser emporter par les émotions que jai pu ressentir pendant ces moments, pour ne pas être totalement emportée par ce flux négatif. Jessaie pendant une bonne heure sans que rien ne se produise, puis, dun coup, je le sens en moi. Il est là. Et il ne demande quà sortir. Je projette toute cette force intérieure qui mhabite et le mur que je ne comprends que si peu sort de moi.
Je le contemple, puis mavance, le frôle du bout des doigts. La matière qui le compose est assez souple tout en étant très solide. Je ferme les yeux et inspire fortement et comme par magie, le mur rentre en moi. Il prend place dans le vide présent dans ma poitrine, sans le remplir dans sa totalité. Ma stupéfaction doit se lire sur mon visage car mon mentor me fixe avec amusement. Je me concentre tandis que des gouttes de sueur roulent le long de mon cou.
Jexpire lentement la boule qui prend place à lintérieur de ma poitrine et cette fois, faire sortir cette étrange force me paraît bien plus simple. Une onde sort de moi, je ferme les yeux pour la ressentir, elles semble mindiquer la direction. Mes paupières se soulèvent pour me laisser entrevoir mon pouvoir spontané qui serpente sur le sol en direction de la porte. Plus rien na dimportance autour de moi, lappel de Ryan pour me dire de revenir me parvient de loin. Je suis le flux qui séchappe de mon torse, je dévale les marches qui grincent sous mes pas précipités et manque de me prendre les pieds dans le tapis aux quatre couleurs, pour maintenir le rythme de la vague translucide qui me force à presser le pas. Nous passons la porte de la maison de poupée géante. Il accélère. Je cours.
Un hennissement sur le côté me stoppe dans ma course et me fait plonger dans le passé. Mes mains se crispent automatiquement. Mon pouvoir arrête de me tirer et se projette avec force devant moi. Tout à coup ce monde si grand métouffe. Je tire sans vraiment savoir comment mon mur autour de mon corps. Cette enveloppe a quelque chose de réconfortant, pour quelques secondes en tout cas, mais je suffoque à nouveau. Le monde tourne autour de moi, je chancelle et le flux rentre en moi juste avant que je tombe sur la terre humide. Le choc a lavantage de me ramener dans la réalité de ce monde parallèle, que javais quittée depuis bien trop longtemps. Je regarde autour de moi pour me rappeler où je suis. Je me trouve dans le grand parc qui sépare ma maison - enfin, ma maison alternative- du bâtiment ressemblant à une maison de poupée. Je reprends ma respiration et mappuie sur un arbre pour ne pas tomber alors que ma tête me lance affreusement. Les battements de mon cur se calment peu à peu.
Les chevaux. Mon père les avait bannis des alentours de la maison car ils déclenchaient à chaque fois la même panique. Le temps na visiblement pas calmé la peur. Japerçois George au loin et le prends comme garde-fou. Penser à autre chose. Mes pieds avancent automatiquement vers le vieil homme. Ryan arrive lui aussi essoufflé. Il na sûrement rien dû comprendre à cette disparition, nayant aucune raison apparente. Il madresse un regard noir alors que George fronce ses sourcils argentés, créant une petite ride entre ses yeux verts. Je prends la parole avant que les questions affluent.
-Javais juste besoin de prendre lair, désolée
Les yeux plissés dénervement de Ryan me sondent de haut en bas. Sa colère senvole dun coup quand son regard arrive vers mes mains, il relève le nez vers mon visage, lair inquiet. Je ne comprends pas ce qui la fait changer dexpression en quelques secondes. Je regarde à mon tour mes mains, elles tremblent comme des feuilles secouées par le vent, mais ce nest pas le pire. Mes poings étaient tellement serrés que mes ongles se sont enfoncés dans mes paumes, laissant dix empreintes identifiables aux demi-cercles rouges desquels quelques gouttes de sang perlent encore. Je mets mes mains derrière mon dos en moins dune seconde. Je sais que Ryan a vu, quil est trop tard pour lui dissimulé, mais George na pas besoin dêtre au courant lui aussi. Il faut que je réfléchisse à une excuse assez crédible pour mon mentor. Il nest pas question que je lui parle de mes crises de panique.
-Il me semble que vous avez encore du travail les enfants, à moins que tu aies déjà terminé la formation dOpale ?
-Non George, on y retourne justement, tu viens lapprentie ?
Je hoche la tête, les mauvaises habitudes ont la vie dure, plaque un sourire que je tente de faire le plus convaincant possible et suis le rouquin en silence. A mon grand étonnement, il ne me pose aucune question et se contente de me lancer des regards de côté, je ne saurais dire sils sont remplis dinquiétude ou de dégoût.
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