Chapitre 1 *
Un homme entre dans ma chambre suivi par mon père. Je me recule instinctivement. Personne ne me rend jamais visite.
Je me demande si cest mon père qui lui a demandé de venir. Depuis la mort de maman, il cherche des solutions à mon problème.
Enfin, il me cherche une solution, je suis le problème. Je change le cours des choses sans le vouloir quand je suis triste, en colère ou en danger. Je ne sais par quel mystère. Comme si un souffle gonflait dans ma poitrine et me remuait les entrailles pour me mettre hors de portée de tout ce qui me tracasse. Cest comme si joccultais la souffrance par une protection extracorporelle. Les souvenirs de cette soirée remontent et je les cache derrière dautres pour ne pas y penser. Cette protection, cest ce que jai nommé mon mur. Il apparaît devant moi, faisant barrière contre le monde extérieur. Mon père ma interdit de lutiliser devant lui, même si je ne peux pas vraiment le contrôler, cette masse bleue informe qui leffraie au plus haut point. A moins que ce soit moi qui leffraie.
Je devrais sûrement être internée pour commettre des choses si étranges, heureusement pour moi, mon père est un homme de pouvoir et il me garde bien gentiment enfermée dans cette maison depuis maintenant six ans. Depuis lapparition du problème, à la mort de maman. Lui non plus dailleurs ne sort pas souvent, il veut rester le plus possible auprès de moi pour ne pas que je me sente seule mais je sais bien que ce sont surtout les remarques quon lui adresse dehors sur ma mère et sur moi qui le rendent triste.
Il me faut revenir au présent et à cet inconnu qui me fait face. Il est vieux, peut être soixante-cinq ans et ne ressemble pas aux autres médecins que mon père a fait venir avant lui, dans la plus grande discrétion bien évidemment. Ses cheveux grisonnants frôlent ses épaules et son regard argent lui donne une apparence de savant fou. Avec son gilet vert émeraude et sa cravate jaune, il ressemble à un farfadet géant. Maman me lisait beaucoup ce genre dhistoires fantastiques avant, je nai toujours pas osé ouvrir le gros livre posé sur mon armoire depuis cette nuit. Les contes vivent en moi et les personnages mhabitent, mais le temps a rendu imprécis les mots et flous les visages. Louvrage semble toujours me regarder dun air bienveillant, lamas de poussières le couvrant dun petit chapeau gris.
-Ainsi tu es Opale?
Je hoche la tête, sil est venu pour me rappeler mon prénom, je ne suis pas folle au point de lavoir oublié. Mon regard séloigne du livre de contes posé sur ma vieille commode en bois pour passer au miroir accroché sur mon mur. Il me renvoie un visage terne, décoloré par le manque de soleil. Avant je sortais dans limmense jardin de la propriété, mais jai toujours limpression dêtre épiée, alors je reste dans ma chambre, mon refuge et ma prison. Les yeux qui me fixent sont cernés de ne plus dormir, hantés par les images de cette nuit. Un visage que jaimerais ne pas connaître si bien. Je me rends compte que cela fait un moment que lhomme farfadet ma posé sa question et que je ne lui ai toujours pas répondu. Ne pas parler pendant si longtemps interroge les gens dhabitude, les effraie parfois, mais il reprend; sans se soucier de mon mutisme. Mon père a dû le prévenir que je nétais pas spécialement loquace.
-Je suis monsieur Roger, mais tu peux mappeler George. Je vais temmener avec moi quelque part, accepterais-tu de me suivre ?
Je lève les yeux vers mon père, incrédule. Il hoche la tête- je dois tenir cette vilaine manie de lui- et madresse un sourire dencouragement. Il ma cloîtrée dans cette maison pendant six ans et il est prêt à me laisser partir avec un inconnu ? Je ne bouge pas. Je me contente de questionner mon père du regard, de sonder ses yeux dun bleu délavé qui sont entourés du même cercle sombre que les miens. Il ne me dit rien. Il ny a donc pas de discussion qui tienne.
Monsieur Roger toussote pour me signaler quil attend ma réponse. Jai toujours obéi à mon père et je sais pertinemment que je nai pas vraiment le choix. Je me lève, embrasse le dernier parent quil me reste sur sa joue rugueuse à cause de la petite barbe quil oublie souvent de raser. Je mempare de la photographie de famille que jaime tant, celle où nous sommes tous les trois réunis et je sors de la chambre. Maman a un sourire étincelant sur limage, elle me sert dans ses bras tandis que je maccroche au tissu pourpre de sa longue robe à froufrous. Je range précautionneusement la photo dans la poche de mon gilet et poursuis ma marche.
Je sais aux pas légers qui me suivent que seul George est derrière moi. Mon père est un homme imposant et ses pas résonnent dans toute la demeure quand il marche. Au moment de pousser la porte dentrée - ou de sortie pour moi- un doute prend possession de mon esprit. Et si tout cela était faux et que je devenais réellement folle ? Je jette un coup dil derrière moi et aperçois la silhouette de George, je souffle rassurée. Rassurée dêtre suivie par un inconnu, il est peut-être déjà trop tard pour la folie. Je me demande si je dois prendre des affaires, mais il semble peu probable que mon père ait accepté de mavoir hors de sa vue pendant longtemps. Je range donc ma question - de toute façon je noserai pas la poser quoi quil advienne, je préfère observer- et continue mon chemin vers la nouveauté.
La porte est plus légère que ce que javais imaginé et je manque de tomber à la renverse en la poussant. Cette petite honte est cependant vite oubliée lorsque je sens le soleil sur ma peau. La lumière me brûle la rétine et je ferme les yeux pour mimprégner des rayons. Dès lors que je les ouvre à nouveau, tout paraît plus beau, plus vrai sous le soleil. Les couleurs sont plus vives, les odeurs plus fortes, le vent caresse ma peau comme la main de ma mère le faisait autrefois. Un frisson me parcourt léchine alors que je refoule encore son souvenir.
Mes cheveux blonds cendrés dhabitude si tristes, brillent et ma peau est encore plus blanche que la porcelaine. Jessaie de ne pas mattarder sur les veines disgracieuses qui sillonnent sous la peau de mes avant-bras, accentuant encore mon apparence cadavérique. George arrive derrière moi et me sourit. Sourire que je me garde de lui-rendre pour le moment. Il a beau avoir lair inoffensif, on ne sait jamais qui sont ses ennemis avant quils ne commettent le premier affront. Au moment où je vais pour lui demander où nous allons et surtout comment nous nous y rendons, car je ne vois aucun véhicule aux alentours, une lumière verte séchappe de sa poitrine. Je me recule de stupéfaction, est-il réellement un farfadet ? Lui continue de sourire, comme si tout était normal. Il mattrape la main droite et me tire vers lui pour attraper la gauche. Je suis bien trop effarée pour résister.
Un tourbillon vert nous entoure et jai limpression de tomber en tournant, puis tout sinverse, le tourbillon maspire vers le haut. Je crie fort pour évacuer la terreur qui prend place à lintérieur de moi et finalement, je me cogne la tête contre une surface dure. La tempête cesse et je retrouve lentement mes esprits. Je suis totalement désorientée car cette surface dure est en fait le sol, jai dû me retourner pendant le trajet, si on peut appeler ça un trajet. Que. Se. Passe-t-il?
George attend à côté de moi, une lueur amusée brillant dans ses yeux. Si je minterrogeais sur ma folie, je nai aucun doute sur la sienne. Il se tient debout, na sûrement pas la tête qui tourne, lestomac sur le point de rendre son contenu et tout cela doit être la normalité pour lui. Je ferme les yeux très fort et secoue la tête, mais quand mes paupières se soulèvent, le vieil homme est toujours devant moi. Je refuse la main quil me tend. Qui est-il ? Que me veut cet homme si étrange ? Dun geste théâtral, il me désigne ce qui est autour de moi.
-Bienvenue à Forlow Opale!
Je prends alors conscience que nous ne sommes plus dans la cour devant ma maison. Enfin si, mais tout semble différent, la maison est plus grande et dautres sont à côté. Des gens vont et viennent librement autour de nous, ce qui est tout simplement inenvisageable chez moi.
Nous navons pas bougé et pourtant, nous sommes dans un autre monde.
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Note:
Un dessin en média de comment je me représente Opale, il allait très bien avec l'idée que je me faisais de mon personnage :)
A bientôt!
Leyna
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