Chapitre 62



62.




Quand nous tournons à droite sur Main St, les embruns se font encore plus présents. Une première bourrasque d'air me fouette le visage et emporte avec elle l'odeur de l'océan Pacifique dans sa teneur la plus pure. Haru me voit prendre une grande inspiration, s'attendant sûrement à ce que j'aille jusqu'à lui lister les différences physico-chimiques entre l'air marin de Californie et de la Floride. Plot twist, je me contente simplement de sourire.

La plage est enfin visible. Quelque chose fourmille en moi, entre l'appréhension et la hâte. L'amie de maman, Mégane, est propriétaire d'une résidence huppée de Venice Beach, dans de hauts quartiers de l'Avenue Rose. Elle nous prête sa maison pour notre séjour et j'ai encore du mal à me rendre compte de ce traitement de faveur. Les choses se sont faites de manière si spontanée que je n'ai pas eu le temps de me dire que c'était quand même dingue, de nous retrouver ici. C'est comme si j'avais changé de corps avec Blanca, car la baraque à deux étages qui s'ouvre à nous quand nous descendons de la voiture, impossible de passer à côté.

— Vous... vous êtes rencontrées comment, toi et ton amie ? demande la mère d'Haru à la mienne, clairement intimidée par la bâtisse qui s'érige sous nos yeux.

— Cours de pilates, dit-elle du tac au tac en ouvrant la marche, pas plus troublée que ça.

Je vois Hyerin murmurer que sa nouvelle résolution est de s'inscrire dans les mêmes clubs que ma mère, même si l'un d'entre eux nécessite de plonger dans les égouts. Et je peux la comprendre car je considère la chose, moi aussi. Nous avons la chance d'avoir un garage dans lequel les deux véhicules de transport peuvent être laissés à l'abri, et dès lors, quand nous nous engageons à l'avant de l'habitacle, nous restons un peu sur le cul.

Les murs, couleur crème, s'élèvent plus haut que la cime du plus grand arbre de la cour avant, me faisant tordre le cou pour avoir une vue en détails de ce dans quoi je m'apprête à passer les trois prochains jours. J'ai eu l'occasion de voir quelques photos avant de monter dans l'avion, mais l'impression que les clichés m'ont donnée ne vaut même pas un dixième de la réalité. Il y a une piscine immense, donnant par la suite sur une terrasse qui de long en large ferait presque la taille de ma maison. Les couleurs prédominantes sont le brun, le blanc et des dérivés de chair. Des fauteuils et canapés sont agencés en extérieur comme le serait une salle de conférence. Tout cet espace est impressionnant, mais pas tant chaleureux. Des cadres photos sont placardés aux murs qui entourent le porche, mais je devine que ce n'est que de la déco sans vraie valeur, pour qu'elle se trouve ainsi exposée en extérieur.

Vient l'instant crucial où nous entrons comme des élèves bien sages dans le ventre de la bâtisse. Et... l'intérieur est une extension sans surprise de l'idée que renvoyait la devanture de la maison. Des meubles couleur chêne, des murs pales dépourvus de toute fioriture, énormément de place, pas beaucoup de présence. Sauf dans la cuisine, ou plutôt au niveau du bar, sur lequel je ne parviens pas à compter les bouteilles de liqueur semblant provenir des quatre coins du monde. En dehors de cette partie, c'est à croire que personne n'a jamais vécu ici. Ma mère semble ressentir la même chose, une sensation de vide que notre arrivée est la seule susceptible d'un peu remplir.

— Mégane est toujours en voyage, nous partage-t-elle. Elle a longtemps hésité à devenir propriétaire car elle savait qu'elle ne resterait jamais au même endroit bien longtemps. Je ne crois pas qu'elle voie cette maison beaucoup plus souvent que nous-mêmes.

Bizarrement, sa remarque fait rire les adultes. Hyerin, Haru et moi nous tenons debout avec nos sacs de voyage, une infinité de carrelage et de parquet nous entourant. Puis nous nous regardons. Soudain, Hyerin s'écrie :

— Je vais choisir ma chambre !

J'ai tendance à penser que Hyerin parle avant d'agir, comme toute personne normale. Mais j'ai aussi la preuve que Haru agit avant de parler, voire avant de penser par moment. Car il nous a déjà distancé avant même que le plan de sa sœur n'ait convenablement été formulé. Le voilà à nous lever son pouce dans les escaliers. Hyerin et moi écarquillons les yeux devant son affront. Dans notre dos, nos parents rigolent.

— Hé ! C'est de la triche ! nous nous exclamons de concert.

Haru nous sème en quelques mouvements. Hyerin aussi me passe devant, et j'entends ma mère s'étrangler en nous disant de ne pas nous pousser sur les grandes marches de l'escalier. À partir de cet instant, je ne porte plus grande attention au décor. Je sais juste que les couloirs ont aussi peu de vie que le reste de cette maison. Hyerin disparaît dans une des chambres de l'étage en me tirant la langue. Ça m'arrache un premier rire et je tourne au hasard jusqu'à me tenir face à la porte tout au fond, à gauche. Même si je n'avais pas de préférence particulière, je sais que celle-ci donne vue sur le reste du quartier. En l'ouvrant, les rideaux sont ouverts et la brise iodée souffle avec douceur dans la pièce. Ici, les murs sont d'un bleu pâle qui rappelle les matins printaniers. Ça a déjà un peu plus de personnalité.

Quand je ferme la porte derrière moi, une silhouette se détache du chambranle.

— BOUH !

— AH !

Ma main se plaque à ma bouche et mes yeux s'ouvrent très grand au moment où Haru me prend dans ses bras pour un câlin digne d'un épisode des Pet Shop – exagérément niais et mielleux. Ma surprise passée, son geste me fait tout à coup éclater de rire. Il nous fait nous balancer d'un pied à l'autre. Et je me fais la conclusion qu'il voie que je repars trop dans mes propres pensées.

— Je suis pas sûr de trop aimer cet endroit, je lui avoue.

— Je vois ça, il me dit avec une moue.

— Mais si t'es là, ça me va.

Il sourit.

— T'as pas besoin de te mettre une villa à cinq millions à dos pour me dire que je t'ai charmé, Reino Laine.

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