Chapitre 54
54.
Parfois, le temps passe si vite que certaines phrases, d'apparence anodines, sonnent finalement comme l'avancée d'un nouveau chapitre. Mais parfois, je ne me souviens même pas avoir entamé le livre.
— Ça suffit Reino, ce n'est pas parce que tu as enfin dix-huit ans que tu peux n'en faire qu'à ta tête.
Des phrases comme celles-ci, où je me retrouve dans l'entrebâillement de la porte face à mon père après un léger accrochage sur mon départ avec Haru pour la Californie. Evidemment, convaincre mes parents de me laisser partir à l'autre bout du pays accompagné de mon petit ami n'est pas une mince affaire. Mais sur le moment, c'est cette information sur mon âge qui me cloue le bec, comme si j'avais laissé une partie de ma propre existence en dormance.
— Pardon ?
Mon père lève les yeux de son livre, il intercepte mon regard depuis la table de chevet sur laquelle il était censé le déposer depuis une dizaine de minutes – soit l'instant où j'ai commencé à lui parler de mes plans.
— Je te dis que je ne suis pas à l'aise avec l'idée que tu passes le prochain long week-end aussi loin et que tu ne nous préviennes qu'au dernier moment. En plus ta mère n'est même pas là, je ne peux pas te donner mon accord sans voir avec e-
Je ne l'écoute pas plus que ça, j'aurais de toute évidence dû anticiper une discussion avec ma famille au complet. Quand il termine sa tirade de bon papa poule, enchaînant je ne sais comment sur ses propres expériences débridées liées à sa jeunesse « folle », je me contente d'hocher passivement la tête avant de lui donner raison.
— On en reparlera quand maman rentrera alors, lui dis-je avant de disposer.
Il m'observe un instant, l'air de comprendre que j'ai absorbé son discours sans complètement l'assimiler. C'est son soupir vaincu qui me suit quand je descends des escaliers, mon sac sous le bras, pour finalement partir en cours.
J'ai dix-huit ans.
Ça ne me traverse qu'à cet instant, véritablement. Je suis un adulte.
La vie m'attend.
Et c'est la boule au ventre que je me rends au bahut, armée de cette même routine. Les mots de mon père altèrent mon chemin, car je n'ai plus l'impression d'avoir le droit d'être le même.
Dans mon groupe d'amis, tous à part Jade et Matthew ont passé ce cap, celui de la majorité. Aujourd'hui, c'est mon tour et je l'ai oublié.
— Coucou Rei !
Faisal me fait une tape dans le dos quand je rejoins la classe, je réciproque et prends tranquillement place à côté d'Haru. Il me lance un regard curieux, et quelque chose au fond de moi crève d'envie qu'il soit le premier à me souhaiter joyeux anniversaire, même si je n'ai jamais eu pour coutume de porter grande importance à ses choses-là.
— Alors, t'as pu en parler à tes parents ?
Malgré moi, son approche me refroidit.
— Pas encore.
Je ne décèle rien d'amer dans mon ton, pourtant, une partie de son visage s'affaisse. Mais comme moi, il laisse cet instant de côté.
Les autres nous rejoignent ensuite, la classe se remplit. Mme Jefferson commence la séance comme elle le fait toujours, et les minutes passent. Et je grandis.
— Cette fois, pas de mauvaise influence s'il vous plaît, nous confie Jade en s'étirant pendant la pause méridienne. Ce week-end je reste chez moi à réviser et vous ne pourrez rien y faire !
— À d'autres, tu pourrais croiser une plante que tu verrais ça comme un signe pour sortir.
Nous rions à la remarque de Matthew, soulignant le fait qu'il a été plutôt rapide à la cerner sous ses premiers faux airs de petite casanière. Elle lève les yeux au ciel pendant que nous mangeons notre repas du midi, comme d'habitude. Et je grandis.
Haru ne me parle pas beaucoup pendant ces heures, elles passent encore et encore. Je trouve aussi Blanca plus retenue, et les autres.
À partir d'un moment, l'envie de me prendre un jus de fruit fait obstacle à mes pensées et je me lève avec la tête plus légère, enfin capable de me focaliser sur autre chose. Je préviens les autres que je reviens et me dirige vers le distributeur de boissons au coin d'un de nos bâtiments.
Elias y est déjà, contemplant les articles colorés.
L'idée de le croiser ne m'enchante pas plus qu'elle me révulse. Il a un léger sursaut quand il comprend que je l'ai salué.
— Oh, salut Rei.
Nous échangeons les plus banales des banalités ; le beau temps, les cours, l'herbe verte sous nos pieds. Juste le temps d'entendre ma brique de jus de pomme tomber dans le compartiment.
— Ça va avec lui ? me demande-t-il alors.
— Il a un nom.
— Je sais.
Je fronce les sourcils sans le regarder. Elias n'a jamais été du genre prétentieux, ni aigri. Je trouve vraiment que les gens sont bizarres, aujourd'hui. Peut-être parce que je grandis. Je lui souhaite une bonne journée et entame de tourner les talons quand sa voix, pas très sûre, me retient.
— Joyeux anniversaire.
Je me fige un instant. Je n'ai jamais considéré ces modalités comme ayant de l'importance.
Mais je ne voulais pas que ce soit lui, qui me le souhaite parmi tous les autres.
Non, je ne voulais que ce soit personne d'autre.
— Merci, Elias.
Quand je reviens sur mes pas avec une lourdeur inconnue, il y a quelque chose que je ne remarque pas tout de suite.
Ce n'est qu'une fois sur place face à ma bande qu'un autre élément me trouble.
Haru est debout, les yeux grand-ouverts. Il se tient quelques pas en avant comme s'il s'était préparé à me courir après, mais que c'était trop tard.
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