Chapitre 43
43.
Je ne comprends pas comment Matthew arrive à faire comme si de rien n'était.
J'ai attendu une petite dizaine de minutes dans la voiture d'Haru, mais je me sentais agité. J'avais sans cesse envie de me relever et retourner les voir et m'assurer que tout allait bien.
Je me rassure en me disant que j'étais simplement arrivé à un mauvais instant. Peut-être que la mère de Matthew a voulu lâcher du lest et que son état était exceptionnel ; n'arrive-t-il pas pour un adulte de se laisser aller une fois de temps en temps ? Je n'ai jamais été soûl, mais beaucoup de mes amis se sont déjà pris au moins une cuite. Le père d'un camarade collectionne les marques de bouteilles de vin, et il m'arrive de croiser la mère de Blanca avec un whiskey à la main quand je lui rends visite. Ce sont des situations ponctuelles.
Le problème, c'est que tout dans cette situation me faisait comprendre que ce n'était pas l'histoire d'une fois de temps en temps.
Haru revient seul dans la voiture et je ne dis rien. J'observe le porche en espérant voir Matthew rappliquer à son tour, mais la porte reste immobile.
Mon cœur tombe dans mon estomac lorsque Haru met le contact et que le moteur tourne. Instinctivement, ma main se rabat sur la sienne au niveau du levier de vitesse, à croire que je peux l'empêcher de partir par la pensée.
Son regard croise le mien, et ses traits, jusque-là tendus, se défroissent.
— Matthew nous rejoindra un peu plus tard, il attend que son père rentre du travail.
Il me le dit d'une voix douce.
— Et on va le laisser comme ça ?
La mienne n'est qu'un couinement mais en même temps, je vois en quoi nous faire partir est l'unique solution. Nous nous montrerions plus intrusifs qu'autre chose alors que la seule chose qu'il reste à faire, c'est attendre. C'est juste l'automatisme avec lequel Haru le fait, comme si c'était une routine, qui me reste en travers de la gorge.
— Y'a rien qu'on puisse faire de plus Rei, me confie-t-il à demi-mots. Elle est ivre, elle dort et il faut faire gaffe à ce qu'elle dégueule pas dans son lit.
Je sens qu'il ne veut pas en dire plus. Ce n'est pas son histoire et encore moins la mienne.
— Ça fait longtemps que c'est comme ça ? demandé-je.
— Je peux pas te le dire, Reino.
Mais l'allure de son corps, ses yeux fuyards, ses lèvres pincées, tout me dit que ça ne date pas de maintenant. Des milliers de scénarios vont et viennent dans mon esprit. Une mère alcoolique et un père que le travail rend absent. Matthew qui rentre des cours, seul, et qui fait face à du vide dans le chaos de ses murs.
Sur la route, mon silence alerte Haru.
— N'y pense pas trop.
— J'essaye.
Nous roulons une quinzaine de minutes et rejoignons la grande bâtisse lumineuse d'un cinéma du centre-ville. Dans le parking, notre groupe est déjà visible malgré la nuit qui tombe. Les reflets rosés du crépuscule filent encore légèrement dans la ligne d'horizon, invisible derrière les gratte-ciels. Jade accourt à la fenêtre d'Haru :
— Vous deviez pas prendre Matthew sur le chemin ?
Et Haru lui ment.
— Impossible de le décoller de sa console de jeu, rigole-t-il avec un naturel qui me prend aux tripes. J'en avais marre de l'attendre alors il a dit qu'il se débrouillerait pour rappliquer.
Elle ne le remet pas en question sur cette excuse. Et en réalité, personne ne se douterait de ce bobard, car il est tout à fait crédible. Depuis combien de temps Haru ment pour camoufler la situation familiale de Matthew ?
Ment-t-il pour d'autres choses, également ?
— Ça va Riri ?
Je voulais croire que oui, mais je sors de la voiture et ignore la question de Blanca. Je dépasse tout le monde, incapable d'aligner un mot à qui que ce soit.
Je suis le premier à payer mon ticket à l'entrée du building, et je m'adosse au mur intérieur. Je me répète que tout ça, ce n'est pas mon problème.
J'attends une minute, puis deux. Faisal arrive au bout d'un moment pour me prévenir qu'ils attendent Matthew à l'extérieur et si je veux les rejoindre. Je prétexte que non. Il paraît troublé par ma réponse, mais sans insister, il me laisse dans mon coin.
Trois minutes, cinq minutes. C'est au bout d'un peu moins de dix minutes que leurs silhouettes se dressent les unes derrière les autres pour venir à ma rencontre. Matthew, je le vois, vif et décontracté. Ses discussions vont de bon train avec qui l'écoute.
Ces deux-là, ils mentent comme des virtuoses.
***
Double update ou on attend demain ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top