Chapitre 31
31.
— J'ai déjà un copain.
Je lui dépose un billet dans la main et l'observe soupirer lorsqu'il le glisse dans sa poche. Sans prolonger la discussion, je me remets à marcher dans les mêmes pas qui m'ont conduits jusqu'ici.
L'espoir qu'il ne soit pas aussi lourd que ses potes veille sur moi comme un ange gardien, mais s'évapore aussitôt lorsque j'entends à nouveau sa voix et le bruit de sa marche effrénée derrière moi. C'est pas vrai !
Je me retourne, et je suis clairement dérangé.
Il se tient à moins d'un mètre, me faisant froncer le nez. Je n'ai pas l'habitude de me faire aussi ouvertement draguer, et encore moins quand quelques minutes plus tôt un gros panneau « stop » lui a déjà été balancé à la tronche à lui et son groupe.
— C'est pas cool que ton mec te laisse avec tous ces couples autour de toi, me fait-il savoir.
Je retiens un rire, cette fois nerveux. Passé l'agacement de ses premières approches, mon corps se met maintenant en mode de défense.
— J'lui passerai le message.
— Après, je vois aucun copain là tout de suite.
Je rêverais d'avoir un Code Civil sous la main. Premièrement pour lui lire tous les articles qui démontrent que son comportement n'est pas correct, deuxièmement pour l'assommer avec et plaider la légitime défense.
— Bonne journée, je lâche.
— Je t'offre un truc à boire, y'a un chouette bar dans le coin.
L'air guilleret dans sa voix contraste avec la dureté de sa poigne lorsqu'il me chope le bras. Je me tends et mes yeux s'écarquillent.
— Si tu veux pas qu'on se contacte plus tard, insiste-t-il, autant s'amuser là tout de suite.
J'ai un haut le cœur en sentant qu'il essaye de me traîner à sa suite, me faisant même déraper. Je perds tout à coup mon calme.
— Hé, connard !
J'entends la voix d'Haru au loin, mais avant même qu'il ne puisse se rapprocher, je me penche, remontant le sachet de glaces à hauteur de mon coude.
J'attrape une poignée de sable que je lui balance au visage.
Il me lâche et tourne la tête pour cracher et tousser. Je profite de cette ouverture pour détaler. Une vingtaine de mètres plus loin, Haru apparaît parmi des passants. L'altercation n'a même pas duré trente secondes, personne que je ne connaisse pas aurait compris que je me faisais plus que salement aborder.
Haru m'appelle, mais poussé par l'adrénaline, je n'arrive qu'à lui passer devant pour totalement sortir de la ligne de mire de ce tordu. Il croyait quoi ? Que me payer un verre de force me ferait lui tailler une pipe dans les chiottes ?
Je jette un dernier coup d'œil derrière mon épaule, le mec a tenté de me poursuivre, mais j'ai le temps de voir Haru lui faire un croche-patte quand il essaye de le contourner. Il s'étale à ses pieds et je n'arrive pas à déterminer si Haru est plutôt furieux, ou dépassé par une telle connerie humaine.
— Reino, dépêche-toi viens.
Matthew pose sa main sur mon épaule et je sursaute violemment. Il se retire aussitôt en s'excusant. Le type commence à se relever et sans s'emmerder Haru pose un pied sur son dos pour le clouer à terre. Il siffle ensuite un vigile un peu plus loin.
Il revient vers nous au bout d'une minute, le vigile conduit le gars hors de notre vue après avoir découvert qu'il est en état d'ébriété – ce qui est interdit sur les plages de Miami.
— Tu vas bien ? me demande-t-il, soucieux.
Je baisse le regard vers mon sac en plastique qui ballotte.
— Désolé, je commence, je crois que les glaces ont fondu.
Ce n'était pas la journée la plus palpitante de ma vie.
Heureusement, on a pu mutuellement se changer les idées avec les autres. Une amertume persiste sur ma langue mais malgré tout, j'ai pu m'amuser le reste de la journée.
Le soleil se couche le long de la route, sur le chemin du retour. J'observe les lueurs orangées baigner le ciel de quelques derniers éclats de lumière. Hyerin a tout donné aujourd'hui, et la voilà en train de dormir sur la banquette arrière.
Je suis fatigué, moi aussi. Et j'entends Haru bailler depuis son siège conducteur. Il baisse sa vitre pour que l'air du crépuscule maintienne ses sens en éveil.
— Pour ma défense, vos mouettes sont trois fois plus grosses que celles que j'ai l'habitude de voir.
Je tourne la tête vers Haru, et le souvenir de ce dernier détalant en criant comme un dératé, poursuivi par une volée de mouettes me revient et me fait éclater de rire.
— On t'avait dit de pas te balader avec ton paquet de chips.
Je me souviens ensuite de nos batailles dans la mer et des colliers de coquillages que les filles ont commencé à confectionner pendant que nous mangions nos sandwichs, sous les coups de quatorze heures.
La marchande de glaces est passée à nos côtés et nous en a offert. Elle m'a soufflé qu'elle avait vu ce qu'il s'était passé et s'est excusée de ne pas avoir pu intervenir à temps. Je me suis senti à la fois gêné et reconnaissant.
Pendant le reste de la journée, j'ai senti la présence d'Haru à proximité, ou son regard. Il ne s'éloignait jamais longtemps de moi. Je ne sais pas ce qu'il a pensé après tout ça car il n'en a pas vraiment parlé. Je sais que ses mots ont tendance à résonner fort, mais en général, il est plus dans l'action.
Donc oui, à la fin de la journée, les bons moments ont repoussé les plus lourds.
J'ai encore l'impression d'avoir la caresse du soleil sur la peau. Nous entrons dans mon quartier et les environs s'assombrissent arrivés devant ma maison. Hyerin est totalement partie dans les bras de Morphée, même la légère secousse de la voiture sur le dos d'âne traitre ne la fait pas ciller du tout.
— C'est super sombre chez toi, remarque Haru.
— Mes parents sont chez des amis pour un dîner, ça leur arrive de temps en temps.
Il descend de la voiture et s'adosse à la carrosserie. Bras croisés sur son torse, il détaille la vigne vierge qui prolifère sur les cloisons externes. Je ne vois pas trop ce qu'il y a d'intéressant à admirer à part ça, mais ça doit être parce que je me réveille sur ce paysage tous les jours. Ma maison, au-delà de sa grandeur, semble juste être une extension matérielle de moi. Les gens voient ses détails et ce qui la rend singulière, et moi, je vois des murs, un peu de déco, et un toit.
— Merci pour aujourd'hui.
Je suis devant lui, et quand je prononce cette phrase, ses yeux passent du porche à mon visage.
— Pourquoi ?
— Pour tout ça, ces imprévus. Pour avoir aidé les copines, et moi, même si j'ai déguerpi.
Il ne rebondit pas tout de suite, j'ai l'impression qu'il pense. Quand il ouvre la bouche, je le sens si sérieux que ça me fait frissonner :
— Je laisserai personne te manquer de respect comme ça.
Et en même temps, il y a quelque chose de moins dur, dans sa voix. Une part de lui expose une certaine fragilité. Il s'impose dans son serment, mais paraît minuscule dans ses aveux.
— Tu mérites quelqu'un qui se démène pour toi, et pas juste pour t'avoir un instant pour satisfaire un putain d'égo.
Un léger vent se lève et siffle entre les arbres, secouant le feuillage.
Il tend la main vers mon visage, mais s'arrête à mi-chemin, la laissant retomber le long de son corps. Il sourit comme si de rien n'était, le genre de sourire d'un ami cher, superposé à ces mots, révélateurs, qui font brûler en moi tellement de phrases. Les mêmes phrases qui s'éteignent avant de franchir la barrière de mes lèvres.
Ses mots se battent mais parfois les miens suffoquent.
Il me souhaite bonne nuit d'un ton plus léger, comme pour faire oublier cette tension.
Mais avant qu'il ne se redresse, je m'avance et le prends dans mes bras. Il retombe lentement contre la portière avec moi, j'ai juste eu le temps de voir son regard s'agrandir.
Il s'immobilise et je n'arrive qu'à le serrer fort contre moi, mon visage dans son cou, mes mains dans son dos.
Et aussi simplement, il me rend mon étreinte en prenant une grande inspiration. Il y a un mélange de puissance et de douceur dans son toucher.
— Merde, Rei...
Il me serre encore plus fort, mon nez contre sa peau respire son parfum. Il murmure, rendant les armes :
— Toi aussi tu me rends dingue.
Je le comprends, mes actions n'ont pas de sens. Je l'ai éconduit mais je continue d'agir comme si je nous donnais une chance. Je continue de lui dire qu'on est amis, puis je l'enlace sans crier gare, je m'embrouille avec mon ex en son nom, et quand j'ai prétendu avoir un copain, tout à l'heure, il est la première personne qui m'est venu à l'esprit.
Je suis cruel, de le laisser dans ce flou.
— Tu peux m'attendre encore un peu, s'il te plaît ?
J'entends à peine mes mots, j'ai tellement l'impression de ne pas avoir le droit de lui demander ça. Ma voix s'éteint dans ses bras. Il ne bouge plus, peut-être qu'il analyse ce que je viens de dire.
— J'attendrai le temps qu'il faudra, il me confie, son souffle près de mon oreille.
Il le sait.
Il sait qu'il me plaît aussi.
Ce qu'il ne sait pas, c'est que je le sens prendre plus de place à chaque instant. Jour après jour, nuit après nuit, semaine après semaine.
À chaque nouvelle aurore, son nom fait écho dans mon esprit et résonne un peu plus fort.
***
Don't ever lower your standards, ladies, gens & jewels ❤️
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