Chapitre 19
19.
Du coup, les journées ont continué comme ça.
Je me lève et me prépare pour aller en cours, prends le bus ou mon vélo, vais en classe, passe la pause méridienne dans la cafétéria du bahut, et je rentre directement chez moi.
Je suppose que je n'échappe pas à cet « âge ingrat » dont toutes mes tantes ont parlé quand je n'étais encore qu'un gamin, lorsqu'elles faisaient référence à leurs propres enfants. Ma mère leur avait juré que je sauterais cette étape, sûrement parce que j'ai toujours été un garçon très calme. Mais malheureusement pour elle, mon calme ne m'empêchait pas de faire des bêtises de mon âge.
Généralement, je joue les bambins exemplaires pendant une semaine ou deux, histoire qu'ils oublient un peu. Pendant cette période, mon mental devient insécable, rien ne peut me détourner de ma mission première qui est d'empêcher mes vieux de me déshériter.
— On pourrait se faire un ciné après les cours ?
Alors quand Blanca énonce l'idée et que notre groupe paraît d'attaque, je secoue vivement la tête.
— Négatif soldat Álvarez !
— Il recommence, soupire Jade. Rei, jouer les anges ça les a jamais dupés, ils lèveront ta punition quand ils auront bouffé un taco.
— Tu sais où y'a des tacos ? m'appâte Faisal. Au fast-food juste à côté du ciné.
— Vous ne me détournerez pas de la lumière, plébéiens.
— Oh il devient chiant !
Ils continuent de me charrier tout en m'accompagnant jusqu'à mon vélo. Jade traîne un peu moins avec nous d'habitude, mais aujourd'hui elle et Blanca n'ont pas arrêté d'éplucher les nouveaux films qui passaient à l'affiche. En soi, il n'y a pas de groupe établi dans cette classe, on traîne tous les uns avec les autres. Il n'empêche que certaines configurations sont un peu plus courantes, et depuis peu, Matthew et Haru agrandissent mon cercle d'amis proches.
Ils me jettent un coup d'œil quand je retire la sécurité de mon vélo.
— T'es pas puni aussi, d'ailleurs ? je lui fais remarquer.
Haru a un sourire en coin.
— C'est ma sœur l'enfant à problèmes, c'est à moi d'aller la chercher à la fac aujourd'hui et elle termine tard.
Parfois, je me demande ce que ça fait d'avoir des frères et sœurs. Si j'en avais un, admettons, qui serait le plus difficile à vivre ?
— Pire que toi, vraiment, c'est possible ? je le nargue.
Il observe mon vélo d'un air pincé, mais une lueur dans ses yeux trahit son amusement.
— Il faut pas des genouillères pour les moins de dix ans ?
— T'en as besoin ? Je peux demander à mon petit cousin de te prêter les siennes.
Je pose le pied à plat et me prépare à détaler en cas de danger.
— Tu vas essayer de me semer avec ce truc qui roule à deux à l'heure ?
Alors que j'ai la bonne réplique sur le bout de la langue, Matthew, entre nous deux, se manifeste d'un air las :
— Vous pouvez aller vous draguer plus loin ?
Ma bouche se ferme et je me retiens de tousser. Un silence prend alors place, puis je remarque que notre petit jeu n'a pas juste fait tilter Matthew, mais tout notre groupe s'est tourné vers nous pour suivre cette boutade enfantine.
Je reprends, plus précipitamment que je ne l'aurais cru :
— Qui drague quoi ?
— C'est qui le quoi ? s'offusque Haru.
— C'est toi, je dis par automatisme, avant de comprendre ma bourde.
— Donc tu me dragues ?
Je sens la panique monter, et pourtant, je réponds d'un ton tout à fait détaché.
— T'aimerais bien, hein ?
Je m'enfuis sur mon vélo et Haru a raison : il roule à deux à l'heure, j'ai l'air bien con
Je passe le début de soirée à rouler comme un boudin sur le sol de ma chambre. S'il y avait un record du monde à battre sur la plus grande distance parcourue de cette façon, je suis sûr que je suis un concurrent de taille.
Je n'ai pas juste été privé de mon portable, je n'ai plus ma play, ma télévision et mon ordinateur portable. J'ai terminé mes devoirs, que j'ai certainement bâclé pour certains, n'ayant pas le net pour vérifier certaines sources que j'ai oublié de noter en cours.
Alors non, je compte bien me tenir à carreau jusqu'à avoir de nouveau droit à un contact avec le monde extérieur. Sinon, je vais devenir dingue.
Mon père monte ensuite pour que je descende dîner. Le truc, c'est que je sais toujours vers quelle heure il compte venir me prévenir, et depuis dix jours, il ouvre la porte sur son fils plongé dans ses bouquins avec un sérieux inébranlable. J'enchaîne avec un grand sourire et un numéro théâtral sur comment la vie dans les livres sur le développement personnel semble palpitante.
Depuis que, petit, après avoir regardé un dessin-animé, j'ai prétendu vouloir devenir moine bouddhiste et que rien ni personne ne pourrait jamais me détourner de mon rêve, mon père a peur que je disparaisse un beau jour en formation d'ermitage sans prévenir personne.
Lui rappeler cette peur de temps à autre m'aide bien à avoir ce que je veux.
— Je lève ta punition, maintenant viens manger, me fait-il, pâle comme un linge.
— Hum, j'suis pas sûr, tu sais avec la lune gibbeuse décroissante de ce soir, un jeûne de trois jours pourrait m'aider à ouvrir mon chakra du plex-
— Viens manger !
Je promets que je ne suis pas toujours comme ça.
Après le dîner, je ne suis officiellement plus privé de sortie, mon père me supplie de voir des êtres humains en dehors du lycée. Malheureusement, je ne récupèrerai mon vrai téléphone qu'en fin de semaine.
Aux coups de vingt-deux heures, alors que je songe à m'endormir pour le lendemain, je reçois un message d'Haru.
Haru à 22h07 :
T'as envie de venir au skate-park ?
Moi à 22h08 :
sui puni pa cmpri ou koi?
Haru à 22h08 :
Si j'avais su qu'une manière d'écrire me donnerait un jour envie de me jeter d'une falaise.
Je ris parce qu'il me sort la même rengaine depuis des jours. Au début je faisais l'effort d'écrire correctement, mais avec ce portable ça prend dix ans.
Haru à 22h09 :
Je te dois toujours une démonstration de skate, promis cette fois j'suis totalement sobre.
Moi à 22h10 :
pouV pa attndr?
Haru à 22h10 :
Que tu t'achètes un Bescherelle ?
Moi à 22h11 :
Je sais écrire ! J'ai juste la flemme là.
Moi à 22h12 :
mdi pa ke t la ba ?
Haru à 22h12 :
Je te jure dans ma tête y'a deux voix différentes qui lisent tes messages.
Haru à 22h12 :
Et d'accord, je te le dis pas alors 😊
Il me soule.
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