Partie Une



Aimer est une aventure sans carte et sans compas où seule la prudence égare.

Romain Gary
____________________________

Le soleil tape fort contre la vitre, qui donne juste sur son petit bureau.

Ce mois de septembre, qui commence à peine, est encore plutôt chaud. Les rayons l'obligent à baisser le store autant que possible, pour espérer garder son esprit rivé sur sa machine à écrire, ainsi que son poste de travail.

Il a déjà accumulé suffisamment de retard comme ça, à papillonner et se laisser entraîner dans ses pensées. Ou simplement à griffonner dans un vieux carnet quelques phrases sans réel sens, qu'il s'amusera sans doute à développer plus tard dans un poème.

En attendant, s'il ne veut pas se faire rappeler à l'ordre par son patron, qui reste bien assez compréhensif comme ça avec lui, il est urgemment temps de se reprendre. À sa gauche, une pile de papiers patiente tranquillement d'être traitée, rangée ou juste classée. Et puis, au centre, quelques stylos se battent en duel, gisant sur le plateau de sa table, plutôt que d'être gentiment à leur place dans le pot à crayon.

Sur la droite se trouve sa tasse, déjà vidée pour la sixième fois de la journée. Il hésite grandement à aller rechercher un café, histoire de tenir durant sa dernière heure, tant ses paupières se font lourdes sur ses yeux. Il pourrait sans doute s'endormir juste là, sous le regard d'absolument tous ses collègues tellement la fatigue pèse sur ses épaules.

Ce n'est certainement pas raisonnable, et pour se remettre d'aplomb, le jeune homme se colle une claque ou deux sur les joues, afin de ne pas se laisser aller davantage à la procrastination. Des deadlines l'attendent, et il ne peut pas se permettre de jouer avec le feu à ce point.

« - Tiens, Izuku, Aïzawa m'a dit de te donner ça. »

Juste devant son regard dépité, à cette pile déjà monstrueusement immense à son goût, s'ajoutent une dizaine de documents imprévus, sans doute en vue de quelques articles supplémentaires à rédiger pour sa rubrique. Il relève les yeux en direction de son compagnon de travail, dont le visage est traversé par une expression mi-amusée, mi-compatissante.

« - Je crois qu'il va me falloir une autre tasse de café.

- Dire que tu refusais d'en boire lorsque je t'ai rencontré.

- C'est vrai... Et maintenant, je me demande sérieusement comment je ferais sans ça, Hanta. »

Le garçon d'environ vingt-cinq ans, soit à peu près l'âge d'Izuku, répond d'un hochement de tête en souriant de toutes ses dents. Son expression sympathique et sa gentillesse débordante, en fait l'un de ceux que le journaliste apprécie le plus.

Et pourtant, son inclusion dans cette entreprise n'a pas toujours été des plus simples lorsqu'il y repense.

Izuku Midoriya, jeune homme qui a grandi dans un minuscule village de campagne avec sa mère, sait que son poste ici dans ce journal local n'a rien d'un hasard. Aïzawa Shota, le grand patron de cette petite usine qui tourne à plein régime, possède d'étroits liens avec sa famille ainsi que son père, Hizashi Midoriya, décédé au front en 1937. Lorsque celui-ci a appris que le fils de son vieil ami disparu tragiquement venait s'installer en ville afin de poursuivre ses études, il s'est assuré de le prendre sous son aile pour lui permettre d'avoir le meilleur avenir possible.

Alors, peu après l'obtention de son diplôme, ce jeune reporter a immédiatement trouvé un poste dans cet endroit, où peu ont vu d'un bon œil sa proximité avec le chef.

Izuku a conscience de tous les efforts qui lui ont été nécessaires afin de prouver sa valeur, et démontrer que cette opportunité, cette chance n'avait pas été accordée à un tire-au-flanc. Et à force d'acharnement et de travail, il commence peu à peu à se faire sa place dans ce lieu qu'il affectionne, malgré les difficultés rencontrées entre ces murs.

D'ailleurs, certainement grâce à cette expérience professionnelle, le journaliste s'est forgé un caractère plus dur qu'autrefois et a appris comment manier subtilement son répondant, pour ne pas se faire envahir par autrui. Cela n'enlève en rien à ce jeune homme son extrême gentillesse, son altruisme, mais également sa bienveillance. Seulement, le temps lui a appris à faire la part des choses, et à veiller à ne pas accorder sa confiance à n'importe qui. À cela, s'ajoute un physique qui a lui aussi bien évolué en quelques années.

Passant d'un garçon à la carrure tout de même déjà belle, en raison de ces multiples heures consacrées à aider sa mère dans leur petit corps de ferme, mais aux détails encore enfantin, à un homme qui en impose et doté d'une certaine prestance.

Il porte à la perfection ces costumes qu'il revêt chaque jour ou presque, ainsi que ces chemises blanches cintrées qui se fondent à merveille sur sa musculature. La rondeur de ses pommettes et les traits fins de sa mâchoire ont laissé place à des lignes plus marquées, tout comme l'apparition d'une fossette tout à fait adorable, qui fait son effet auprès de ces dames. Elles apprécient aussi fortement ses taches de rousseur, qui recouvrent une grande partie de son visage de manière délicate, s'étendant jusque le long de sa gorge, se diffusant en une douce nuée sous le col de son haut.

Sa chevelure est assez particulière également. Des mèches ondulantes, qui s'avèrent parfois juste impossibles à coiffer, dont le coloris foncé, voire presque noir, s'accompagne de nuances d'un vert très profond.

Mais ce qui lui vaut sans nul doute son succès, c'est cette paire de prunelles incroyable qui lui vient de ses parents. D'une beauté magistrale, et d'une teinte à couper le souffle, se rapportant à une émeraude, qui n'a sa place que dans un musée.

À plusieurs reprises, lorsqu'Izuku se faisait inviter par ses collègues à boire un verre, il a pu constater de lui-même sa « popularité ». Il est rare qu'il reparte de ces soirées sans une proposition ou deux, que ce soit d'ordre très sérieux, ou régulièrement d'un aspect plus intime.

Cependant, le garçon n'a jamais cédé ni même ressenti le besoin d'accepter l'une de ces demandes. Romantique dans l'âme, il est de ceux qui croient à l'amour fort et vrai, comme ont pu le connaître ses parents.

En effet, le reporter ne peut comptabiliser le nombre de fois où il a assisté aux effusions d'affection d'Hizashi et Inko, qui vivaient pleinement heureux comme s'ils étaient encore tous jeunes mariés.

Son père revenait régulièrement de ses journées de travail, un bouquet de fleurs fraîches à la main, et occasionnellement avec un livre ou deux. Tout ça afin de pouvoir lui faire la lecture au coin du feu de leur cheminée, ou assit sur une couverture au pied de l'immense chêne qui prospérait dans leur jardin. Ce couple était l'exemple ultime et indubitable de l'amour pur et sincère. Celui dont pratiquement tout le monde rêve.

Izuku, a grandi dans un foyer aimant, heureux et débordant de ce petit quelque chose qu'il aspirait déjà de trouver lorsqu'il était plus jeune, afin de pouvoir vibrer au rythme de cette étincelle tout le long de sa vie.

Entendre les mêmes rires dans son propre salon, que ceux de sa mère qui était entraînée dans une valse imprévue entre les murs de cette vieille maison. Se réveiller avec l'élu de son cœur au creux de ses bras, et lui susurrer quelques paroles douces tandis que l'aube s'empare de la ville. Apprécier une balade, un petit moment, tels deux jeunes amoureux, pendant que le soleil se faufile entre les immeubles et que la vie poursuit son cours autour d'eux. Et finir par poser un genou à terre, officialisant ceci par la présence d'un anneau symbolique.

Oui, il est indéniable qu'Izuku Midoriya se raccroche corps et âme à ses convictions, et que cet aspect passionné fait indubitablement partie de son caractère.

« - Izuku, tu comptes rester planté devant cette cafetière combien de temps ?

- Mmh ? Quoi ? Pardon, désolé... »

Brusquement sorti de ses pensées, le journaliste se sert une tasse du breuvage qui est désormais froid, et en boit instinctivement une gorgée, tout en grimaçant. Ce n'est définitivement pas une bonne journée, et il a hâte de pouvoir rejoindre son domicile.

Les tensions qui s'accumulent, la charge de travail omniprésente, ainsi que son moral qui s'amuse à lui jouer des tours. Cela commence à faire un peu trop pour lui.

À ses côtés, se contentant de se servir de l'eau, son patron, Aïzawa Shota, fronce doucement les sourcils. Il vide d'un trait son verre, avant de prendre le temps de s'adresser à son employé, qui paraît réellement usé et au bout du rouleau.

« - Tu es sûr que tout va bien ?

- Bien évidemment. Pourquoi ça n'irait pas ? Si c'est à cause de mes retards, j'ai bouclé les trois documents dont vous aviez besoin aujourd'hui, et l'article...

- Arrête, tu sais très bien que je ne parle pas de ça. Je te connais depuis que t'es tout gamin. Je le vois quand tu es préoccupé par quelque chose. »

Le quarantenaire prend le temps de rattacher ses cheveux longs en un vague chignon, de manière à ne pas être agacé par quelques mèches rebelles. Son expression neutre laissant apercevoir son flegmatisme en a déjà dérouté plus d'un. Beaucoup possèdent la sensation que cet homme ne s'encombre pas d'émotions futiles, et n'en a strictement rien à faire du monde qui l'entoure. Impression sans doute renforcée par ce cache-œil, qui lui mange une partie du visage, en raison d'une blessure dont il a écopé quelques années auparavant.

Mais contrairement aux apparences, il sait être à l'écoute lorsque cela s'avère nécessaire et s'attarde tout particulièrement sur les ressentis du jeune garçon, qu'il a fini par considérer un peu comme son propre fils avec le temps.

« - Je vais bien. Juste un peu fatigué, j'imagine. »

Shota souffle légèrement, tout en se massant les paupières. Il connaît cette manie que possède Izuku de se renfermer sur lui, et de ne jamais réellement se confier quant à ce qui peut le tracasser. Cependant, il ne peut pas insister auprès de lui, et se contente de se mordre partiellement la lèvre, en lui adressant une œillade soucieuse.

« - Très bien. Je choisis de te croire pour cette fois. Mais n'oublie pas que je suis là si tu as besoin. Maintenant, rentre chez toi, c'est l'heure et tu en as assez fait. »

Sur ces mots, le directeur le plante là après l'avoir gratifié d'une petite tape affectueuse sur l'épaule, lui laissant le loisir de quitter les lieux. Il est vrai que l'horloge affiche déjà une heure tardive, et qu'il est largement temps pour lui de prendre le chemin de son minuscule appartement.

Ainsi, Izuku rassemble les quelques affaires dans sa sacoche de travail, et sort du bâtiment sans réellement saluer ses collègues, à part un signe tout juste perceptible pour Hanta.

Il sait que s'il avait laissé une ouverture, Monoma et Denki l'auraient alpagué pour une énième invitation, histoire de boire un coup ou deux, se terminant par une cuite monumentale. Et, sincèrement, cela ne fait pas du tout partie de ses activités favorites pour occuper ses fins de journée. De plus, il aspire ce soir à d'autres choses, l'incitant à presser le pas en réprimant difficilement son sourire.

Son anxiété et ce fâcheux bourdonnement qui commencent à l'user profondément pourraient presque être relégués au second plan, alors qu'une dose de joie s'empare de lui. Un crépitement agréable naît au creux de sa cage thoracique, et l'impatience le gagne tandis qu'il ouvre la grande porte de son immeuble, afin d'accéder à ses escaliers.

Moins d'un petit kilomètre sépare son appartement et la rédaction, rendant tout de même son quotidien plutôt pratique. Bien qu'il possède son permis de conduire, l'achat d'une voiture représente un luxe qu'il ne peut pas réellement se permettre.

Son salaire lui offre la possibilité de couvrir ses propres frais, de mettre un peu d'argent de côté au cas où une situation difficile verrait le jour, ainsi qu'en envoyer un peu à sa mère tous les mois afin de lui faciliter les choses.

Alors, quand Izuku est tombé sur cette annonce, parlant de quelques appartements de libre dans cet immeuble un peu après avoir débuté son contrat chez Aïzawa, et ça juste à côté de son lieu de travail, il n'a pas hésité une seule seconde.

Le propriétaire, un cinquantenaire blond au regard légèrement éteint se prénommant Yagi Toshinori, l'a sincèrement impressionné au premier abord, le dissuadant presque que c'était une bonne idée. Et pourtant, au bout de quelques échanges, les deux hommes ont finalement trouvé terrain d'entente, permettant au garçon d'emménager dans des conditions très sereines quelques semaines plus tard.

Une vague de soulagement le traverse, quand son ascension finit par le mener au troisième étage, juste devant sa porte d'entrée qu'il ouvre sans attendre une seule seconde. Izuku la referme tout aussi rapidement, avant de s'avachir contre elle tout en soupirant bruyamment.

Il a bien cru que cette harassante journée ne prendrait jamais fin, et qu'il était condamné à rester entre les murs de la rédaction, à errer durant l'éternité. C'est à peine exagéré, mais c'est le ressenti qu'il en a, tandis que le ciel au-dehors commence progressivement à perdre en intensité, pour se parer de sa robe si sombre et étoilée.

Le reporter se damnerait pour une douche, là tout de suite. Cependant, il se laisse d'abord séduire par la tentation de se poster à la fenêtre de son salon, afin de profiter du petit vent frais qui s'amuse à circuler entre les bâtiments, tel un bambin en train de jouer dans les plaines.

Accoudé à la rambarde en fer forgé, après s'être délesté de sa veste, ouvert les premiers boutons de sa chemise et remonté ses manches, il inspire une grande bolée de cet air qui est le bienvenu. Emplissant ses poumons, lui permettant vaguement de se débarrasser de ce ressenti parasite, qui tâche par tous les moyens d'attaquer les quelques brins de bonne humeur qui essayent désespérément de l'atteindre.

Izuku a pourtant toujours été quelqu'un de très joyeux, avec une énergie débordante et qu'on apprécie côtoyer. Sa mère aime d'ailleurs profondément ce trait de caractère chez son fils, qui en fait une personne solaire, à qui l'on peut aisément se confier.

Mais la vie n'est pas forcément belle et souriante. Parfois, il y a ces quelques émotions plus délicates à appréhender, qui semblent se mêler à la partie. Comme ce soir, où malgré cette bonne humeur qui l'accompagnait durant son trajet de retour, le jeune homme se sent maintenant pratiquement vide.

Totalement dénué de toute énergie, de volonté, ou quoi que ce soit de positif. Il n'y a que ce creux qui se répercute dans tout son être, le rendant profondément neurasthénique. Tel un trou béant, qui continuerait de grossir un peu plus à mesure que le temps passe, et qui n'est comblé que par une seule chose.

Ou plutôt, par une personne.

Et il en a encore la confirmation ce soir, quand les crochets de ce fichu monstre atroce qui se plantaient dans sa chaire se défont peu à peu, alors qu'une paire de bras se glisse autour de sa taille. Izuku sent immédiatement sa chaleur l'envelopper, et son souffle frôler sa joue, tandis que cette personne pose sa tête sur son épaule.

Il n'y a pas de solution plus efficace que cette présence, à laquelle le jeune homme se raccroche corps et âme.

« - On va nous voir, tu sais, rappelle Izuku, toujours accoudé à la fenêtre.

- Je sais qu'on doit faire attention. Mais tu m'as tellement manqué. »

Cette voix, mélange d'un ton si rauque et doux à la fois, vient provoquer un cyclone dans tout son être. Il sent la totalité de son corps trembler, et cette chaleur dévastatrice irradier sa poitrine.

Il aimerait sincèrement pouvoir rester là, et le serrer dans ses bras aux yeux de tous sans même se poser une quelconque question.

Mais voilà, le monde ne paraît pas prêt à accepter que son cœur se soit épris d'un homme.

Le journaliste s'empresse de se redresser et d'au moins fermer le volet, afin d'éviter d'attirer l'attention sur eux. Bien que la rue semble calme, il préfère ne pas tenter le diable. Les relations homosexuelles ne sont pas vues d'un bon œil dans cette vie, et Izuku ne tient pas à se confronter à une situation catastrophique. Perdre son amant, ou même se retrouver embarqué dans l'une de ces « thérapies » qui visent à soigner cet amour, que tout le monde ne perçoit que comme une effroyable maladie. Non, vraiment il ne le souhaite pas. Et s'il est réellement souffrant, alors Izuku préfère rester atrocement atteint.

N'est-ce pas le plus doux des maux que cette terre ait pu connaître, que de sentir ces mains fermes qui se glissent sur ses hanches, l'incitant à se retourner afin d'échanger un baiser d'une délicatesse sans pareille ?

Le jeune homme le sait pertinemment, depuis la toute première fois que ses lèvres se sont posées sur celles d'Eijiro Kirishima. Il a compris qu'il venait de trouver l'amour de sa vie. Il n'y avait pas une ombre sur le tableau, pouvant gâcher quoi que ce soit, et l'empêcher d'être comblé.

Instinctivement, alors qu'il est désormais face à lui, les pupilles d'Izuku se portent sur cet Apollon qui partage ses nuits. Tout chez Eijiro est absolument parfait à ses yeux.

Il se rappelle avoir été tout d'abord transcendé par ces prunelles d'un rouge si profond, une couleur que l'on aperçoit rarement dans le regard de quelqu'un. Ses iris témoignaient de tant de choses. De sa passion entre autres, ainsi que de sa gentillesse. À travers ceux-ci ressortaient ses attitudes mutines et ses manies de vouloir rire de pratiquement tout.

Il y a également cette chevelure, aux nuances si étonnantes, et accordée aux pigments de ses yeux. Ce même rouge intense, qui semble être son coloris de prédilection, son totem en quelques sortes. À tout ceci, s'ajoute une musculature plus développée que la sienne et qu'il ne se lasse absolument jamais d'observer.

Izuku se remémore la toute première nuit où ils se sont découverts plus intimement, lorsqu'Eijiro a retiré sa chemise qui lui allait déjà si bien. Il a bien cru ne jamais se remettre de ce jour, se sentant devenir totalement cramoisi devant ce spectacle des plus plaisants. Son conjoint s'est amusé de sa réaction quelques secondes, le trouvant tout simplement adorable de se comporter de la sorte.

« - À quoi tu penses, mon amour ? Lance le garçon, avec un sourire vissé sur les lèvres.

- Juste... à toi. »

Izuku répond sur le même ton taquin, pour ensuite se laisser aller à la perspective d'un baiser. Son compagnon le dépasse seulement de trois ou quatre centimètres. Le jeune homme peut donc aisément passer ses bras autour de lui, et glisser une de ses mains dans cette longue chevelure lisse et douce, avant d'enfin savourer ce qu'il a tant attendu.

Eijiro se prête volontiers au jeu, bien heureux de retrouver celui qu'il aime après plus d'une semaine à devoir s'ignorer, et rester trop loin l'un de l'autre à leur goût.

C'est toujours ainsi que les choses se déroulent. Ils doivent accepter de vivre des périodes plus ou moins prolongées, avant de pouvoir se rejoindre à l'abri des regards, pour s'adorer de la manière dont ils le voudraient. Peut-être qu'un jour, ils y parviendront, à partager plus que quelques instants volés à la vie. À savourer le confort d'un quotidien à deux, et l'euphorie d'une multitude de nuits à s'endormir pelotonnés tous les deux, comme ils ont pu le faire à quelques reprises, tout le long de cette année de relation qui vient de s'écouler.

Ce n'est pas chose aisée, de se contenter de si peu, surtout lorsque l'affection est si puissante. Cela s'apparente pratiquement un déchirement, de se rassasier avec de simples miettes, pendant que d'autres s'exposent aux yeux de tous pour clamer leurs sentiments à la terre entière.

Parfois, comme ce soir, Izuku rêverait de tout envoyer balader, pour ne plus s'arrêter à cette pierre lourde et amère, qui se plaît à lui coller une mélancolie persistante à la peau. C'est peut-être pour cette raison qu'il s'accroche encore plus à son amant, redécouvrant sans relâche le goût de ses lippes, de la même manière que s'il s'agissait de la toute première fois.

Il agrippe désespérément à Eijiro, qui semble partager son désarroi, continuant lui aussi de l'embrasser comme si leur existence en dépendait. Ils ignorent combien de temps s'est écoulé, depuis que le jeune homme a rejoint Midoriya entre ces murs, mais peu leur importe. La vie leur prend tellement, qu'ils peuvent bien en réclamer un peu, quand l'occasion se présente à eux.

Après quelques minutes, ils s'éloignent à contrecœur, posant tout de même leurs fronts l'un contre l'autre, se délectant de la sensation de leurs souffles qui s'entremêlent. Leurs palpitants battent légèrement trop fort, martelant leurs cages thoraciques, sans doute dans l'optique de s'accrocher ensemble afin de n'en former plus qu'un.

Qui serait indestructible et dans l'incapacité de se dissocier. De cette manière, l'existence leur accorderait l'éternité pour s'aimer, sans qu'ils aient besoin de rendre de compte à qui que ce soit. Mais rien n'est facile, et le couple doit évoluer en se rappelant que la réalité continue de s'opérer à leurs côtés, les entraînant inlassablement avec elle, pour leur plus grand désespoir.

« - Le temps me paraît de plus en plus long, loin de toi.

- Si ça ne tenait qu'à moi, tu serais toujours auprès de moi, Izuku. Tu le sais, n'est-ce pas ? »

Bien sûr qu'il en a conscience, et le reporter n'en a jamais douté. Pas une seule fois depuis qu'ils se fréquentent. Cependant, il ne peut réprimer ce sentiment sourd et désagréable qui l'agace, lui rappelant qu'ils n'auront jamais rien de plus. Lui et Eijiro devront sans cesse être vigilants, pour partager quelques instants charnels et romantiques, sans pour autant espérer en récolter davantage. Et qui sait jusqu'à quand ceci pourra durer. Depuis quelques semaines, la sensation d'avoir une épée de Damoclès au-dessus d'eux persiste, le prenant complètement à la gorge. Il prend tout de même garde à taire cette négativité, de peur de briser les bribes de moment qui leur appartiennent encore.

« - Je sais...

- Est-ce que tu vas bien ? »

Le ton d'Eijiro se présente soucieux et porteur de toute son inquiétude. Izuku connaît sur le bout des doigts toutes ses intonations, ainsi que ses manières de communiquer. Son compagnon est un exemple de gentillesse et de prévenance, s'assurant constamment de son bien-être. Il n'hésite absolument pas à se mettre de côté, pour privilégier son amant.

Comme d'ordinaire, le jeune homme n'attend pas avant de prendre la main du journaliste, et l'entraîne dans son sillage, pour l'asseoir sur ses genoux, après avoir pris place sur la petite banquette présente dans le minuscule salon. D'un geste délicat, Kirishima vient lui caresser la joue, et passe ensuite ses doigts dans sa folle chevelure verdoyante, dont il apprécie grandement la douceur.

Ce contact, aussi simple soit-il, provoque un léger soupir chez le garçon aux taches de rousseur, qui finit par appuyer sa tête contre celle de son conjoint. Il se permet de fermer les yeux quelques instants, profitant de cette sensation salvatrice qui s'empare de lui, se ressourçant dans cette parenthèse qui est à l'origine de ce torrent d'émotions.

« - Je m'inquiète, murmure Eijiro.

- Ce n'est pas nécessaire. Je suis juste épuisé. Beaucoup de travail à la rédaction... J'imagine que c'est pareil pour toi, à l'usine ? »

L'homme hoche la tête positivement, en soupirant gravement. Izuku entreprend de glisser une main sur sa nuque, et effectue quelques gestes le long de sa colonne vertébrale et de ses épaules, mimant un léger massage visant à le soulager.

Il a conscience de la pression qui pèse sur celui qu'il aime, et tout ce qui peut constituer son quotidien. La lignée des Kirishima est l'une des plus riches et prospères du continent, détenant une entreprise de textile et de confection de vêtements, qui ne cesse de voir son activité croître au vu de la période économique florissante que le monde connaît.

C'est d'ailleurs ainsi qu'ils se sont tous les deux rencontrés, il y a de cela presque deux ans. Le chef de famille Takao Kirishima, le père d'Eijiro, a annoncé lors d'une conférence de presse, le commencement de travaux importants, visant à permettre d'accroître la capacité de production de leur usine. C'était une avancée notable à cette période, apportant de nombreux aspects non négligeables à cette ville, qui était déjà en plein essor. La création de nouveaux emplois, et de plusieurs arrangements intercontinentaux, afin de multiplier leurs références par deux.

Les journalistes locaux, ainsi que de plus gros médias, étaient alors chargés de couvrir l'événement. Izuku travaillait depuis peu pour Shota, qui l'avait pris sous son aile pour le former au mieux. C'est donc tout naturellement que le reporter avait amené avec lui son apprenti, afin de lui montrer l'un des aspects les plus intéressants de son métier.

Seulement, voilà, perdu dans ce dédale de couloirs infernal, à la recherche de la salle prévue pour la réception qui annonçait la grande nouvelle, le jeune homme a fait une rencontre inattendue. En trébuchant maladroitement, Midoriya n'avait pas imaginé être rattrapé de justesse par une paire de bras musclés, mais surtout inconnus.

Il s'en rappelle à chaque fois avec honte, de sa manière d'avoir géré les choses à cet instant. Son regard s'était porté sur Eijiro, qui venait de l'empêcher de chuter sur le sol carrelé. Il lui a vaguement marmonné quelques excuses, tout en s'affublant mentalement d'innombrables insultes dénonçant son comportement, tout en rejoignant la salle où il était attendu. Quelle ne fut pas sa surprise, quand il a fini par se rendre compte que celui qui lui avait apporté son aide n'était autre que le fils de cette illustre famille ?

« - C'est compliqué... Mon père me met beaucoup de pression ces dernières semaines. Il commence à me passer le flambeau, et il a peur que je ne sois pas à la hauteur. Je ne sais pas tellement quoi lui dire. Je fais de mon mieux, mais j'ai la sensation que ce ne sera jamais suffisant. »

Izuku recueille ses angoisses patiemment, comprenant son désarroi. Il entend toutes ses frayeurs, et tente à son échelle de l'apaiser au moins partiellement. Peu importe son propre degré de fatigue, il porte son attention pleine et entière sur Eijiro, et attrape sa main pour entrelacer leurs doigts en continuant de glisser la seconde dans sa chevelure.

« - J'ai totalement confiance en toi, et je sais que tu vas y arriver.

- J'ai du mal à réaliser que j'ai un tel ange dans ma vie. »

Kirishima murmure, tout en levant son regard de braise pour happer le sien, avant de sceller ses dires avec un énième baiser. Un bien différent des autres, qui semble porteur d'émotions que le journaliste ne pourrait vraiment identifier. Mais c'est bien plus fort et intense, assez pour le transcender également, tandis que les lèvres d'Eijiro s'écrasent durement contre les siennes.

Lorsqu'ils se séparent, son amant l'observe avec cette petite étincelle brillant au fond de ses pupilles, et prend la parole avec un tremblement bien trop palpable dans sa voix.

« - Je ne veux plus... J'en peux plus de tout ça, Izuku.

- Eijiro ? »

Le jeune homme se retrouve désarmé. Lui qui était déjà bien attaqué, et sérieusement attristé par tant de choses, ne s'imaginait pas qu'il en serait de même chez son conjoint, qui commence à s'effondrer devant son regard impuissant. Encore assis sur ses genoux, il essaye de faire de son mieux pour apaiser cette tension évidente, et saisir la raison de sa souffrance.

Mais l'homme d'affaires ne répond rien de plus, se taisant sans ajouter aucune phrase supplémentaire. Il se contente d'agripper le reporter de toutes ses forces, au creux d'une étreinte impossible à briser, se reposant contre son épaule. Il se réfugie dans son cou, humant son parfum, tout ceci sous l'expression désabusée d'Izuku, qui ne sait pas comment interpréter ce qui se produit.

« - Il s'est passé quelque chose ? C'est ton père? »

Eijiro hoche la tête, dans un geste à peine perceptible, sans pour autant se redresser. Il garde les lèvres closes, n'expliquant pas ce qui cause sa peine à son compagnon, qui doit se montrer patient. Il n'exige d'ailleurs absolument rien de lui, le laissant décider.

Mais son attente ne s'éternise pas, puisqu'au bout de quelques instants, Kirishima l'observe de nouveau. Midoriya la perçoit, la puissance de ces prunelles, qui parviennent à le traverser de part en part, atteignant une part de lui qui n'est accessible qu'à son amant, et pour personne d'autre. Il sent presque sa respiration se stopper momentanément, se demandant même s'il pourrait le reprendre.

« - Il m'a convoqué dans son bureau tout à l'heure. Peut-être une heure avant qu'il parte de l'usine. »

Le souffle de son compagnon est erratique, presque trop saccadé, amenant avec lui son lot de questionnements. Mais Izuku essaye de ne pas céder à la panique, devant son air angoissé au possible. Cela ne servirait absolument à rien, si ce n'est aggraver la situation, dont il ne connaît encore rien. Cependant, la poigne d'Eijiro qui s'accentue sur sa main lui laisse penser qu'il est tout de même nécessaire de s'alarmer.

« - On a eu une très longue conversation tous les deux. Sur mon avenir dans l'entreprise, et ce qu'il devait advenir de tout ça...

- Je ne suis pas sûr de comprendre ce que tu sous-entends, quand tu dis « tout ça », Eiji.

- Il a parlé de son héritage, mais aussi du mien. »

Izuku se raidit, encaissant ce premier choc comme une baffe en plein visage. Il a toujours été certain que cette question se présenterait à eux, un jour ou l'autre. Seulement, le jeune homme s'imaginait naïvement que leur sursis serait plus important, et qu'il aurait un peu plus d'Eijiro, avant qu'on ne le pousse à engendrer un successeur pour reprendre la tête de l'entreprise Kirishima. Mais du haut de ses vingt-trois ans, le garçon a déjà éconduit plusieurs prétendantes, parvenant ainsi à se soustraire à ce fardeau qui accompagne une telle place, même si cela ne pouvait durer.

« - Alors...

- Il m'a trouvé une fiancée... Je vais me marier Izuku... »

Ces mots terminent de le percuter violemment, l'incitant à se redresser rapidement. Toute sa cage thoracique implose rudement, tandis que ses poumons se rétractent soudainement. Le souffle lui manque indubitablement, pendant que cette réplique se répète en boucle dans son esprit, lui imposant de mesurer l'impact qui va se produire sur leurs vies.

Il est vrai qu'il ne connaît pas lui-même cette pression, puisque sa mère se contente de lui poser vaguement la question lors de leurs échanges ou de ses visites, sans pour autant énoncer une insistance notable à ce sujet. Mais les responsabilités d'Eijiro, ainsi que son rang, l'obligent à appréhender les choses différemment.

« - Izu, je suis terriblement désolé, tu sais... J'ai essayé de le dissuader. »

Le reporter tourne en rond dans la pièce, devant le regard toujours inquiet de son conjoint, qui visiblement ne le sera plus d'ici peu. Ses prunelles se voilent d'une pellicule d'eau salée, accompagnant cette avalanche de tristesse qui s'abat rudement sur lui, alors que ses cordes vocales paraissent désormais incapables de fonctionner.

Lui qui ne rêvait que de passer du temps avec son amant, et s'était raccroché à la perspective d'une nuit entière entre ses bras, se retrouve avec l'idée qu'il s'agira peut-être de la dernière. Izuku sent les larmes qui inondent ses joues, noyant ses iris autrefois si brillants, pour ne laisser qu'une expression qui s'éteint graduellement. Jamais il ne pourrait s'imaginer vivre auprès de quelqu'un d'autre, ou se séparer de celui à qui appartient son cœur, depuis déjà plusieurs mois.

Son esprit vagabonde bien loin de là, dans un monde parallèle, se dévoilant si fade et terne. À ce point, que plusieurs minutes sont vitales à Eijiro, pour faire revenir sa conscience auprès de lui. Le jeune homme perçoit difficilement ces paumes chaudes, pourtant si réconfortantes, se presser sur ses joues afin de l'obliger à cesser ses mouvements.

« - Izuku, parle-moi. »

Mais tout ceci le fait suffoquer, et seuls quelques sanglots douloureux sont désormais audibles. Il lui faut rassembler un immense courage, afin de pouvoir au moins inspirer de manière convenable, pour ne pas s'évanouir sur le parquet.

« - Izuku...

- Tu es en train de me quitter ? C'est ça ? »

Le simple fait de poser des termes sur ses pensées suffit à le menacer de s'écrouler de nouveau. Il refuse qu'une telle perspective voie le jour, et veut bien se battre contre la terre entière, si cela peut lui permettre de sauvegarder son couple. Parce qu'Eijiro est l'amour de sa vie, et qu'il ne survivrait pas à leur séparation.

Il le sait, il le sent.

C'est gravé dans toutes les parcelles de son corps et de son cœur. C'est inscrit, à l'encre noire et indélébile, dans tous ses souvenirs. Ceux qui sont passés, mais également ceux qui restent encore à venir. Tout son être vibre, par sa simple présence. Il est animé par la force de leurs sentiments mutuels, et ne s'est jamais senti aussi vivant que depuis qu'il est aimé par Eijiro.

Rien ne saurait remplacer cette sensation indescriptible, celle qui se dessine en son âme, quand ses mains douces s'appliquent à palper son épiderme. Lorsqu'elles se glissent le long de ses reins, ou encore dans son dos, afin de lui apporter quelques frissons. Et puis, il y a ce souffle, parfois si brûlant, qui vient s'échouer sur toutes les parcelles de son corps. Ces murmures rauques et délicats, prononcés de la même manière que les plus purs des secrets, lui provoquant ces tempêtes inarrêtables, juste au creux du sternum.

Devant lui, l'expression d'Eijiro se décompose soudainement, s'accompagnant d'une peur indescriptible et si profonde dans le regard. Ses mains descendant sur les épaules de son compagnon, il s'assure de garder une prise ferme, pour le maintenir près de lui.

« - Qu'est-ce que...

- J'ai cru naïvement que ça n'arriverait pas, ou qu'on aurait encore un peu de temps... »

Izuku se détache de lui de force, reprenant ses déambulations dans la pièce, sans parvenir à calmer ses sanglots. Kirishima se mord la lèvre de frustration et d'inquiétude, ignorant comment gérer cette situation soudaine. Ils avaient tous les deux conscience que leur relation ne saurait survivre des décennies ainsi, surtout au vu de son propre statut, l'obligeant à se marier tôt ou tard.

Mais l'espoir s'est immiscé en eux, de la même manière que leur amour a grandi, se déployant telle une plante majestueuse pourvue de fleurs incroyables, que l'on souhaiterait voir immortelles. Elles ont poussé, habillant cette plantation magnifique, digne des plus beaux jardins que ce monde puisse connaître.

Seulement, la morosité se joint à la partie, se diffusant dans les fibres comme un poison destructeur. Et les pétales commencent à faner, un peu trop rapidement à leurs yeux, tombant sur le sol afin de l'orner de leurs souvenirs, autrefois si heureux.

« - Mais, on va avoir du temps Izu, je te promets ! On va...

- On va quoi ? Trouver une solution ? Tu sais très bien que c'est pas aussi facile ! »

L'angoisse se présente rarement seule. Et, dans ses bagages, celle-ci s'est permis de glisser un soupçon de colère, qui parviendra aisément à se transformer pour en devenir une cargaison complète. C'est d'ailleurs ce qui est en train de se passer, alors qu'Eijiro tente vainement de rassurer son compagnon, qui est trop ébranlé par l'enchaînement d'événements.

Le journaliste perçoit cet agacement, grossir dans sa cage thoracique, et l'aveugler petit à petit. Il en veut au monde entier, qui est responsable de son chagrin.

Tout ça parce qu'il s'est épris d'un homme, et que personne ne pourrait comprendre ce sentiment qui s'est imposé à lui.

« - J'en ai conscience. Mais je n'ai pas l'intention de te quitter pour autant, tu sais que je t'aime plus que tout.

- L'amour n'est pas toujours la solution à tout. Ici, c'est même le problème principal !

- Tu n'as pas le droit... Izu, tu ne peux pas dire que c'est un problème. Pas après tout ce qu'on a vécu, commence à s'emporter Eijiro.

- Mais à quoi bon ?! La terre entière s'y oppose ! Alors pourquoi on s'acharne, toi et moi ? On ferait peut-être mieux d'abandonner. »

Sa voix témoigne de son aigreur ainsi que de sa souffrance. Les dernières paroles sont tout juste chuchotées, achevant tout de même Kirishima.

Celui-ci a baissé le regard, fixant désespérément le sol, les poings serrés dans un geste de pure haine, racontant aisément toute cette effervescence qui sévit à l'intérieur de son âme meurtrie. Il entend cette rage qui anime son compagnon, et ne remet pas en doute sa légitimité. Mais les mots crachés les heurtent, abîmant ce qui tente de subsister.

« - Abandonner ? »

Il répond gravement, en relevant ses prunelles rougeâtres sur Izuku, qui a fini par s'immobiliser. Planté au centre de la pièce, il reste muet, ne laissant que sa respiration encore chaotique prouver sa présence. Rien d'autre ne se fait entendre, cédant la place à un silence bien trop pesant pour être supportable.

« - Tu crois réellement que je serais capable d'abandonner, Izuku ? »

Midoriya continue de le regarder, sans pour autant réussir à faire entendre sa voix. Il est trop détraqué et usé en cet instant, pour pouvoir exprimer quoi que ce soit. Un rouage vient de se briser dans son esprit, menaçant le fonctionnement de tout le reste.

Il n'ose même pas faire un pas, ignorant s'il a encore le droit de se réfugier dans une étreinte prodiguée par Eijiro, qui est pourtant celui qui parvient à apaiser ses maux, d'ordinaire.

« - C'est ce que tu penses de moi ?

- Ce que je pense n'a pas d'importance, finit par répondre le jeune homme, durement.

- Au contraire... ça en a pour moi. Ça en a à mes yeux. J'ai justement besoin de savoir ce que toi tu peux en dire. »

Le journaliste écoute, laborieusement, et se sent touché quelque part par cette sollicitude. Cependant, son désarroi reste bien trop grand pour être supportable, l'entraînant inlassablement vers le bas. Si bien, qu'il finit par reculer, jusqu'à prendre appui sur l'un des murs, afin de se laisser glisser contre pour choir sur le sol. Izuku a tout juste la force de relever le visage, assez pour apercevoir celui presque larmoyant de son conjoint, qui quémande visiblement après son soutien.

« - Je pense surtout que...je ne suis pas prêt à te perdre. Je ne suis pas prêt à te dire adieu, et je ne pourrais pas accepter une séparation, peu importe la raison. Je crois que je t'aime au-delà du supportable... »

Ses paroles sont si douloureuses à prononcer. Tellement, qu'elles lui lacèrent les lèvres, à mesure qu'elles se faufilent entre elles, percutant de plein fouet son conjoint. Celui-ci s'avance jusqu'à lui, avant de simplement se baisser à sa hauteur, attrapant une nouvelle fois son visage entre ses larges paumes, pour l'encercler de cette chaleur si bienveillante.

Eijiro l'oblige à se concentrer sur lui, et lui seul, avant de déposer sa bouche sur la sienne dans un geste porteur de tous ses sentiments. Ou peut-être d'une bribe minime, tant ils sont nombreux et puissants à son égard. Ils s'embrassent encore, sans jamais chercher à briser cet instant, se contentant d'apprécier à sa juste valeur ces contacts charnels, qui semblent n'avoir aucune finalité.

« - Tu ignores à quel point je peux t'aimer, Izuku... »

Kirishima répond dans un souffle, le corps appuyé contre celui de son compagnon, dont les pleurs se sont progressivement amenuisés, jusqu'à pratiquement cesser.

« - Jamais je ne serais assez fou pour t'abandonner. Jamais je ne serais capable de te laisser là, et de partir vivre ma vie, sans aucune trace de toi.

- Personne n'acceptera de te voir aimer un homme... Et tu ne pourras pas me cacher éternellement. Moi non plus d'ailleurs.

- Je le sais. »

Il inspire gravement, devant les iris marqués d'Izuku, qui continue de l'écouter attentivement. Celui-ci s'imprègne de sa présence, emmagasinant tout, comme s'il s'agissait de la dernière fois. Ils sont visiblement sur la sellette, approchant de la date d'expiration de cette idylle merveilleuse, qui a accompagné leur quotidien durant un temps, trop court à leur goût.

« - Mais, est-ce que je suis pour autant capable d'imaginer un monde où tu n'es pas ?

- Eiji... »

Gisant encore sur ce sol, ils s'accrochent désespérément l'un à l'autre, sans se résoudre à se lâcher. Sans doute guidés par cette crainte, et cette impression lourde que s'ils cèdent, cela représentera une cassure dans leur vie. Que cela signera indubitablement leur fin.

Chose qu'ils ne sont définitivement pas prêts à accepter.

Eijiro parvient tout de même à détacher une main de son amant, pour attraper un petit boîtier, au fond de sa poche de pantalon. Ses doigts passent sur le velours rouge, sa peau appréciant le contact doux avec cette matière.

Par-dessus tout, il y a une forme d'euphorie, étrange, mais bienvenue, qui tente de voir le jour. Se glissant dans ses veines, et dans son esprit, pour lui venir en aide. Il inspire profondément, tout en se heurtant à un Izuku qui fronce férocement les sourcils, ployant sous l'incompréhension. Et cette réaction s'amplifie, lorsque Kirishima ouvre le petit étui, dévoilant ainsi son contenu à son amant, qui menace de défaillir sous la charge émotionnelle que représente cette soirée.

« - Qu'est-ce que c'est ? Lâche le journaliste, en mentionnant l'anneau argenté qui patiente son heure, dans sa boîte.

- C'est une promesse. »

Le jeune homme sort la chevalière de son écrin, et tend une main en direction de celle du reporter, dont le regard s'humidifie de nouveau. Lui-même commence à se sentir submergé, ignorant comment supporter cette montagne de sensations qui se présente à eux.

« - Dans ce monde, où je n'ai pas le droit de t'aimer au grand jour, je promets de continuer à te chérir. Je te jure de trouver un moyen, pour que ton cœur reste mien aussi longtemps qu'il pourra battre, et que mon cœur reste tien aussi. »

Izuku suffoque de plus belle, ignorant de quelle manière interpréter cette soudaine déclaration. Pas qu'il doute de cette affection grandissante qui les accompagne depuis un moment maintenant. Mais ils n'ont pas toujours été portés sur les mots, du moins, pas de cette façon. Eijiro se plaît surtout à lui démontrer son adoration à travers ses gestes, et cette écoute d'absolument tout.

Il aime entendre le reporter s'emballer, et piailler sur les sujets qui le passionnent, des heures durant. C'est continuellement avec le sourire qu'il accueille son impatience et ses crises d'euphorie, se délectant avec affection de ce genre d'attitude.

Alors, pour le journaliste, le voir devant lui a énoncer avec certitude et fermeté la puissance de ses sentiments, donne à la situation un goût bien différent. Quelque chose de précieux, qu'il conservera toute son existence, sans jamais parvenir à s'en détacher.

« - Je sais que je n'ai pas le droit de te demander en mariage, et d'aspirer à vivre une vie auprès de toi. Pas comme on me l'aurait accordé avec une femme. Mais j'aimerais que tu saches, je voulais que tu possèdes une preuve de mes sentiments pour toi.

- Une preuve ? »

Eijiro répond patiemment, tout en glissant la bague à son doigt, choisissant de surcroît son annulaire, comme pour adresser un regard de défi à cette vie. Celle qui s'oppose à leur union maritale.

« - Exactement. Ce geste c'est...l'assurance que tu seras toujours celui à qui j'appartiens. Peu importe la suite des événements, ou ce que l'existence nous jettera à la figure. Avec cet anneau, tu te rappelleras que mon amour t'est entièrement dédié. Jamais personne ne pourra te l'enlever. »

Midoriya perçoit ces trémolos dans sa voix, et la contenance dont il tente farouchement de faire preuve, afin de sauvegarder la situation. Il connaît assez son amant, pour savoir qu'il aurait souhaité que les choses se déroulent d'une manière bien différente, et qu'ils soient en mesure de se déclarer leur flamme au grand jour, au cœur d'une église comme n'importe quel autre couple.

Bien que la présence d'une chevalière ne règle en rien leur problème actuel, Izuku a conscience de la force qui émane de ce simple geste. C'est un témoignage, indestructible et inéluctable, qui ne pourra lui être arraché en aucun cas.

Il comprend qu'Eijiro ne pourrait rien lui offrir de plus que cet objet, porteur de tant de signification. Alors, il fait abstraction de cette part de lui, qui s'amuse à hurler son désespoir, se ralliant à ce vent qui se faufile entre les toitures à l'extérieur.

Il ne veut pas retenir la colère et l'amertume, ces deux venins redoutables, qui s'efforcent de contaminer ce qu'il y a pourtant de plus beau dans son quotidien. Ils savaient tous deux de quoi il en retournerait, en se risquant à s'aventurer sur ce terrain-ci.

Et ils ne connaissent aucun regret quant à cette décision délicate, mais prise selon eux de la bonne manière. Parce qu'ils se sont toujours assurés de discuter de ce genre de détail, surtout aux prémices d'une relation, après avoir échangé leur tout premier baiser.

Là encore, cela s'était déroulé ici, entre ces murs crème qui ont vu naître le début de cet amour d'une force inouïe. Un souvenir qui rejoint la cargaison de tous ceux qui ne pourront les quitter, sous aucun prétexte.

Aucune personne saine d'esprit ne serait en mesure d'oublier.

« - Alors...c'est une promesse. Réponds Izuku, en reprenant ses mots exacts.

- La plus pure de toutes les promesses que je puisse te faire.

- Je n'ai vraiment rien de tel à t'offrir Eiji. Je voudrais, mais...non, absolument rien. »

Le garçon panique, tout en jetant un œil à la volée dans l'ensemble de son petit appartement, recherchant mentalement quelque chose qui puisse également être un gage de son amour. Lui aussi, souhaite lui apporter un signe, qui soit suffisamment représentatif, ou même partiellement, de ce qu'il peut ressentir à son égard.

« - Je n'ai pas besoin de quoi que ce soit, pour en avoir la preuve. Tu me le montres bien assez à chaque fois qu'on se voit, tu sais. Juste en étant toi-même, et en continuant de m'aimer. Contente-toi de me le murmurer encore pendant nos nuits d'amour, s'il te plaît... »

Eijiro répond en souriant, et son attitude suppliante arrache un petit rire à son conjoint, qui ne peut réagir autrement face à une telle moue. Malgré son angoisse persistante, et l'eau qui n'a jamais réellement cessé de couler sur ses joues, il retrouve cette étincelle propre à ce qui les définit, lui donnant l'envie de croire que tout est possible.

« - Tu sais pertinemment que je n'attendais pas ton aval pour continuer, lâche-t-il en pouffant plus joyeusement.

- Alors ça me suffit. Je ne veux rien de plus. »

Pourtant, le journaliste ne peut se contenter d'une telle clôture de la situation. Il désire que ce moment soit mémorable, pour eux deux. Et, comme soudainement traversé par une illumination, Izuku se lève de sur le sol, sans même chercher à expliquer son comportement à Kirishima, qui l'observe curieusement.

Le jeune homme est encore à terre, à froncer les sourcils, constitués d'une expression d'interrogation omniprésente sans parvenir à comprendre quelle mouche vient de piquer son compagnon. Mais Midoriya sait avec certitude ce qu'il est en train de faire, et a trouvé l'objet parfait pour sceller cette promesse, qui a tout d'un pacte.

En quelques instants, il met la main sur ce qu'il cherche, rangé soigneusement dans la commode positionnée dans un coin de son séjour. À l'abri, dans une boîte en bois clair, construite il y a des années par son père, Izuku garde ses secrets. Toutes ces petites choses qui le subjuguent, et qui font sens à sa vie.

Tout naturellement, l'un de ses biens les plus précieux a également été conservé là, préservé de tout.

L'atmosphère, quelque peu allégée en une bribe d'instant, reprend partiellement en intensité, le tout sous l'air dubitatif d'Eijiro, qui gît encore sur le parquet. Le reporter lui attrape les mains, l'incitant ainsi à se remettre debout. Il ne l'a jamais avoué, mais il adore le voir le surplomber de ces quelques centimètres supplémentaires. L'aura que Kirishima dégage est réconfortante, et sincèrement enivrante, lui faisant perdre toute capacité de réflexion.

Il l'a aimé dès le premier instant, il en est absolument certain.

« - J'ai trouvé ce que je veux te donner, confie Izuku, traversé d'un frisson.

- Mais...

- Je sais, selon toi c'est pas nécessaire. Mais ça me tient à cœur, alors s'il te plaît, ne dit rien et contente toi de m'écouter. »

L'homme hoche la tête, comprenant la demande explicite de son amant. Le journaliste soupire une nouvelle fois, s'armant de tout son courage. Son présent à lui n'a rien de prestigieux ou d'aussi impressionnant que cette chevalière en argent, aux finitions si délicates et fines. Izuku ignore son prix, mais devine aisément qu'elle n'est pas accessible, pour une bourse moyenne telle que la sienne.

Le sien, c'est tout juste un petit bijou familial, qui subsiste à travers les générations.

Légèrement anxieux, il accepte d'enfin le dévoiler à Eijiro, en redoutant sa réaction. Il le sait pourtant, son conjoint n'est pas de ceux qui comparent la valeur des objets à leur coût financier. Mais Midoriya aimerait qu'il soit transcendé, au moins brièvement, comme lui a pu l'être avec cette bague.

À sa main pend un collier, constitué d'une chaîne argentée un peu abîmée et d'un médaillon du même coloris. Celui-ci est gravé de quelques motifs délicats, aux traits pas toujours parfaits, sans doute l'œuvre d'un artisan. Marquant le contour, de petites pierres blanches brillantes, à l'allure cristalline, sont serties.

« - Ce n'est probablement pas de ton goût, et à l'origine nous le donnons aux femmes de ma famille. Mon père l'a offert à ma mère, un peu avant leur mariage. Et avant lui, mon grand-père l'avait offert à ma grand-mère. Maman me l'a cédé, avant que j'emménage en ville. Dans l'optique que j'en fasse cadeau à la personne qui s'emparerait de mon cœur.

- Il est magnifique... »

Sincèrement étouffé par l'émotion, Eijiro ne parvient pas à articuler sa phrase en dissimulant ce soupçon de sentiment qui jaillit dans le même temps.

« - Tu trouves ? Demande Izuku avec ardeur.

- Bien sûr que oui. Et sa signification... C'est incroyable. »

Le journaliste se met à sourire de plus belle, avant de reporter son attention sur l'attache du bijou, afin de lui donner sa place qui lui revient de droit. Kirishima sent les larmes poindre, et se contente de regarder son amant s'acharner tel un bienheureux, en posant ses mains sur le bas de son dos, pour le garder contre lui.

Réussissant enfin à l'ouvrir, le jeune homme vient ensuite l'accrocher autour du cou d'Eijiro, qui n'arrive désormais plus à retenir ses pleurs. Pour autant, il essaye de ne pas ployer complètement, et laisse Izuku faire sans rien ajouter de plus.

« - Alors... commence le reporter. Voilà, je te l'offre Eiji. Je le donne à la personne qui a pris mon cœur. »

Midoriya continue de sourire, tout en essuyant patiemment l'eau qui inonde les joues de celui qu'il aime. Et puis, totalement surpris, il sent une paire de lèvres s'écraser fermement sur les siennes. Dans ce baiser, cet échange si intense et puissant à la fois, il ressent tout ce que son conjoint cherche à lui communiquer, sans pour autant réussir à poser des mots dessus.

Alors, il le laisse faire, appréciant cette proximité naissante entre eux, qui ne cesse de lui donner cette impression de chair de poule, qui court sur sa peau. Ils savourent tout ce que l'existence leur permet d'avoir cette nuit.

Et puis, ils finissent par s'abandonner dans une étreinte mutuelle, bordée d'une délicatesse sans pareille. Ils ont seulement besoin de ceci, d'être accrochés ensemble, et de sentir encore leurs cœurs battre à l'unisson, lorsqu'ils s'emballent. Ainsi que leur corps bouillonner, au contact de leur épiderme brûlant.

Allongés sur le divan, qu'ils viennent tout juste de rejoindre, Eijiro garde son amant dans ses bras fermes, souriant à la sensation de ce souffle s'échouant dans son cou. Les doigts d'Izuku s'entrelacent avec les siens, sans qu'il ne reste aucune distance entre eux.

« - Je t'aime, Eijiro.

- Je t'aime aussi. Plus que tout. »

Ils sentent tous les deux qu'ils sont réactifs à ces paroles, et que leurs esprits ne peuvent décemment ignorer la portée de cet amour intense, qui continuera sans doute de grandir avec le temps.

« - Que va-t-il se passer maintenant ? Pour... »

Izuku ne souhaite pas poser des mots à ce sujet, encore trop heurté par ce qui risque de se produire d'ici peu.

« - Je ne sais pas, mais je n'ai pas l'intention de subir sans trouver une solution pour nous. Je veux me battre pour notre relation.

- Vraiment ? »

Izuku ignore s'il peut se raccrocher à cet espoir, qui peut se montrer aussi salvateur que dévastateur, suivant s'il se comporte tel un allié ou un ennemi. Seulement, ont-ils un autre choix, que d'accorder du crédit à ce fichu brin de délivrance, qui représente apparemment leur unique salut en cet instant ?

Ils doivent lui laisser autant de place que possible, en priant de toute leur âme pour que cela suffise et qu'ils parviennent à être libérés de cet étau douloureux, qui les menace.

Le journaliste perçoit l'étreinte autour de lui se resserrer, certainement dans l'optique d'amener davantage de proximité. Il se réconforte avec cette chaleur, ainsi que cette présence, tant qu'on lui accorde encore un peu de temps auprès de lui.

Puis, il se sent frissonner une nouvelle fois, quand ces quelques mots lui sont chuchotés, avant de s'accompagner d'un autre baiser.

« - Je te le jure. »

__________________________

Bien le bonjour à vous ✨

Déjà, un excellent anniversaire à ce cher Eijiro ! Pour l'occasion voici donc mon two-shot, que j'ai adoré écrire et qui j'espère vous plaira également !

Au vu du contexte temporel assez particulier, datant des années 50, j'ai fait au mieux pour que tout coïncide. Énormément de recherches afin d'éviter les incohérences. Cela dit, il se peut que certaines aient pu m'échapper !
Si c'est le cas je m'en excuse 🥰

Onyx 🤍

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top