33.
Louis
Mars.
C'est le beau milieu de la nuit et je suis réveillé parce que Harry s'agite dans mes bras. D'abord, ce sont simplement des tremblements, comme des spasmes, j'ouvre les yeux difficilement. Puis il se met à marmonner, à respirer plus fort et je me rends compte qu'il est sous l'emprise d'un cauchemar. Je me redresse sur le coude, la lampe de chevet est allumée, c'est une habitude à chaque fois qu'il vient passer la nuit à l'appartement.
La lumière me permet de voir ses sourcils froncés, et la panique qui le submerge, même si ses paupières sont fermées. Je me place sans attendre au-dessus de lui puis glisse mes doigts contre sa joue, sa peau est chaude, son front légèrement humide de sueur.
– Harry... Harry réveille toi, c'est moi... C'est Louis.
Ma voix est encore rocailleuse à cause du sommeil, et peut-être aussi un peu d'inquiétude. J'essaie de lui parler, mais il semble plongé dans un cauchemar si profond qu'il ne m'entend pas et ne sait pas revenir à lui.
Je me mets à secouer doucement son épaule. Il se réveille d'un coup, en reprenant un souffle qu'il semblait avoir retenu pendant des années. Tous les muscles de son corps sont tendus et je n'ai jamais vu son regard aussi paniqué. J'ai le coeur qui se serre quand je remarque les larmes au bord de ses yeux. Il respire vite, il tente encore de se calmer et retrouver ses esprits. Je passe mes doigts contre sa joue et cherche à l'apaiser, parce qu'il m'a l'air totalement perdu, comme s'il ne savait plus où il était.
– Ça va aller, tu es en sécurité. Tout va bien je te le promets. Regarde moi...
Il lui faut plusieurs secondes, et deux tentatives de reprendre son souffle, avant qu'il ne pose ses yeux sur mon visage. Ma gorge est encore nouée de le voir dans un tel état et je me sens impuissant car je ne sais pas de quelle manière le rassurer. Ses doigts s'accrochent au tissu de mon tee-shirt, fortement, je sens qu'il tire dessus, peut-être un moyen pour lui de se ramener à la réalité.
Son regard est envahi par la panique et je ne parviens même pas à lire toutes les émotions qui le traversent. Une mèche bouclée lui tombe sur le haut du front, sa poitrine se soulève sous sa respiration active et je sens, contre mon corps, le sien continuer de trembler. Agité par des spasmes qu'il ne peut contrôler, c'est plus fort que lui. Ce qu'il a pu voir dans son sommeil l'habite encore.
– Je suis là, je suis avec toi. C'était simplement un cauchemar d'accord ?
Harry murmure mon prénom d'une voix brisée, faible. J'ai le coeur qui se comprime, je passe mon pouce sous sa paupière et c'est comme ça que je sens la première larme froide sur mon doigt. Il pleure, d'abord en silence, doucement, puis il se met à renifler et je n'hésite pas une seconde à le prendre dans mes bras.
C'est la première fois que je le vois dans un tel état, mais j'ai l'habitude au vue des nombreuses fois où les jumeaux ont fait des cauchemars, j'ai toujours été le premier à accourir vers eux pour sécher leurs larmes et les bercer jusqu'à ce qu'ils s'endorment à nouveau. Je me sentais aussi impuissant à l'époque. Cependant, avec un adulte, c'est différent. Il n'a pas la même sensibilité qu'un enfant.
Pour les quelques fois où nous avons passé la nuit ensemble, Harry n'a jamais eu de nuits perturbées. Il a, certes, un sommeil léger, et dès que je me tourne dans ses bras ou que je me lève avant lui pour une quelconque raison, il se réveille lui aussi, et bien souvent le moindre bruit le tire de ses rêveries. Et me voir confronté à sa peur après un cauchemar me tord l'estomac.
– Respire calmement. En même temps que moi ok ? Inspire et expire....
Harry suit mes instructions, sa poitrine se gonfle en même temps que la mienne et nos souffles se relâchent harmonieusement, le sien est encore un peu tremblant. Nous répétons l'exercice plusieurs fois, jusqu'à ce qu'il soit calmé. Jusqu'à ce que je sente les battements de son coeur retrouver un rythme normal sous mes doigts.
Mes doigts caressent ses cheveux, il reprend sa respiration, même si des larmes tarissent encore ses joues. Il lâche mon tee-shirt pour passer le dos de sa main contre ses yeux humides et les essuyer, je pose un baiser contre son front.
– Je... je suis désolé Louis...
Sa voix est encore fébrile, brisée. Je fronce les sourcils en le regardant, toujours appuyé sur mon coude, penché au-dessus de lui.
– Harry, tu n'as pas à t'excuser, surtout pas pour ça.
Il regarde le plafond puis ferme les yeux, il m'a l'air tellement épuisé et torturé d'un coup. Abattu par la vie. Un souffle, qu'il semblait retenir depuis des années, lui échappe et je commence à comprendre que ce n'était pas un simple cauchemar qui survient deux ou trois fois par un, mais plutôt celui qui hante ses nuits assez régulièrement.
– Est-ce que tu as besoin de quelque chose ? Un verre d'eau ? Des mouchoirs ?
Harry secoue la tête, sans ouvrir les yeux, puis se tourne sur le côté, dos à moi. J'hésite à le toucher, je me demande si c'est une bonne idée, s'il en a envie, si ça ne va pas le brusquer plus qu'autre chose.
Ça me rappelle le début, avant que nous ne devenions amis, quand il était encore assez distant et réservé. Mais je pense que le cauchemar qu'il vient de vivre l'a juste énormément bousculé.
Un léger silence passe, j'écoute sa respiration, je ne bouge pas, je reste appuyé sur mon coude et je regarde sa nuque, son épaule. Puis, au bout de plusieurs minutes, il me demande, presque dans un murmure :
– Tu peux simplement me serrer dans tes bras... s'il te plaît ?
Je n'attends pas une seconde de plus, je me couche sur le côté et l'enlace, mon ventre contre son dos, mes jambes à moitié entremêlées aux siennes. Un léger sourire apparaît sur mes lèvres, Harry soupire, je me mets à caresser son ventre au-dessus de son pull. Il vient chercher une de mes mains et lie nos doigts ensemble, s'y accroche, comme pour se rappeler que c'est ça, la réalité.
Nous restons un long moment dans cette position, sans dire un mot, sans se détacher l'un de l'autre. Je ramène la couverture jusqu'à nos épaules, ma tête est presque nichée dans ses cheveux, à quelques centimètres de la peau de sa nuque. Un moment, je crois même qu'il s'est endormi, sa respiration est plus lente. Mes lèvres frôlent sa nuque, je pose un baiser sur sa peau toujours aussi chaude et ses doigts serrent les miens.
– Si tu essayais de te rendormir ?
Ma voix, bien qu'elle ne soit encore qu'un murmure, brise le silence. Je caresse le dos de sa main avec mon pouce, il secoue lentement la tête.
– Non, je ne vais pas savoir... je ne sais jamais retrouver le sommeil après.
Et il a raison, c'est plus facile à dire qu'à faire. J'ai eu moi même de nombreuses fois du mal à faire rendormir les jumeaux, un adulte a tendance à réfléchir davantage.
Mais surtout, Harry me confirme par ses paroles qu'il a déjà vécu ce genre de cauchemars avant, je ne sais pas s'ils étaient pires, s'il s'est déjà réveillé dans cet état, tremblant, apeuré, en sueur, les larmes aux yeux et j'ai le ventre qui se serre à la seule pensée qu'il ait dû affronter ça par lui même. Abandonné au milieu de ses propres inquiétudes.
Je ne lui pose pas plus de questions, je ne pense pas que ce soit le bon moment. Il souhaite, sans aucun doute, penser à tout sauf à ce qui a perturbé son sommeil. Je le tiens toujours contre moi, quand il se redresse sur son coude afin d'attraper son téléphone. En même temps que lui, je vois l'écran de verrouillage s'afficher.
– Il est presque cinq heures trente du matin... je m'excuse de t'avoir réveillé.
– Ce n'est rien, je souffle près de sa peau, tu veux en parler ?
Il secoue la tête en reposant son portable sur la table de chevet, près de sa lampe allumée. S'il fait régulièrement ce genre de cauchemars, je comprends mieux pourquoi il redoute tant de dormir dans le noir, de se retrouver plonger au milieu d'un endroit sans lumière.
Après avoir poussé un soupir, Harry se détache de moi afin de s'asseoir dans le lit. Je le regarde, encore allongé sur le côté, les sourcils froncés.
– Je suis couvert de sueur... je vais aller prendre une douche, j'en ai besoin. Rendors toi en attendant.
– Tu as besoin d'aide ?
Je m'assois à mon tour, à côté de lui et glisse ma main lentement sur sa cuisse. Harry a le regard fixé sur le sol, il secoue à nouveau la tête. Son visage est à moitié éclairé par la lumière tamisée de la lampe, mais je lis sans difficulté la crispation de ses traits.
– Ça ira, merci.
– Je vais aller préparer du thé, tu en veux ?
Un autre geste de la tête pour refuser, et alors que j'allais poser un baiser sur sa joue, Harry se lève et cherche de nouveaux vêtements dans son armoire, avant de se réfugier dans la salle de bains. J'entends la porte se fermer, depuis le couloir, et je soupire.
Mais je me décide à me lever, je vais au salon et commence par allumer une lumière. J'attrape mon paquet de cigarettes ainsi que mon briquet dans la poche de ma veste en jean. Olivia n'est pas là ce week-end et Harry m'a invité à le passer chez elle, il m'a montré et parlé de l'appartement où il va emménager d'ici le début du mois d'Avril, dans deux ou trois semaines, le temps de tout mettre en ordre, laisser le temps à l'ancien locataire de déménager entièrement ses affaires et rendre les clefs. Harry est impatient d'avoir son indépendance, et je suis vraiment heureux pour lui. Nous avons passé la soirée à regarder des idées de décorations ensemble et des magasins où il pourrait les trouver.
Je baille derrière ma main, coince la cigarette entre mes lèvres et allume le bout avec la flamme du briquet. J'entends l'eau couler depuis la salle de bains. Tout en fumant, je fais chauffer de l'eau dans la bouilloire et sors une tasse pour moi. J'ouvre une fenêtre de la cuisine afin que la fumée de la cigarette se dissipe. Dehors, le ciel est encore noir, le jour ne va pas se lever avant trois bonnes heures, et je sais que nous n'allons pas retourner au lit.
Quand l'eau bouille, je la verse au-dessus d'un petit sachet de thé dans ma tasse. Je le laisse infuser et me penche vers Hadès qui arrive en miaulant entre mes jambes. Mes caresses le font ronronner, je souris et lui sers un fond de lait dans un bol, car Harry m'a dit l'autre jour qu'il adorait ça. Je le regarde laper la surface de sa petite langue rosée, et après m'être lavé les mains au savon, je m'assois dans le canapé avec ma tasse fumante, ma cigarette et un magazine sur Virginia Woolf que Harry m'a prêté hier soir pendant qu'il regardait une émission de cuisine.
J'ai le temps de terminer ma cigarette, que j'ai écrasé dans un cendrier sur la table basse, et mon thé, et j'entends toujours l'eau couler. Hadès a trouvé une place à côté de moi dans le fauteuil, roulé en boule et repu après son bol de lait.
Au bout de vingt minutes, après avoir lavé ma tasse et vidé le cendrier, je commence vraiment à me poser des questions, même si j'essaie de laisser à Harry son espace pour souffler. Je me dirige vers la salle de bains et m'arrête devant la porte fermée. L'eau s'est arrêtée de couler depuis un peu plus de cinq minutes, mais je n'entends aucun bruit de l'autre côté. Je me pince les lèvres et toque doucement à la porte.
– Harry, tout va bien ?
Ma voix est basse, douce, je ne souhaite pas le brusquer. Mais c'est toujours ce silence qui me répond. J'ai la gorge qui se noue d'appréhension, parce que je commence vraiment à avoir un mauvais pressentiment. Le genre d'angoisse qui me fait imaginer le pire de n'importe quelle situation.
Puis, ce sont des bruits discrets, presque étouffés, qui me parviennent aux oreilles. Il ne m'en faut pas plus pour comprendre ce qui se passe, j'ai le sensation que l'on m'arrache une partie de mon coeur.
– Est-ce que tu pleures ?
Je distingue des reniflements, j'appuie ma tempe contre le mur, près de la porte. Ma main tremblante frôle la poignée, mais je sais que c'est inutile, car il a verrouillée la porte derrière lui. Je n'aime pas ça. Je n'aime pas du tout ça. Ce silence. Ces larmes. Cette souffrance qu'il s'efforce de me cacher.
Et surtout, je n'aime pas le savoir de l'autre côté de cette porte, en pleurs et que je ne puisse pas le prendre dans mes bras. Je me sens encore plus inutile et impuissant que dans le lit tout à l'heure, quand j'ai essayé de le rassurer après son cauchemar. C'est sans aucun doute cela qui est à l'origine de ses nouvelles larmes. Parce que je n'ai pas su soulager assez ses peurs.
Lorsque j'ouvre la bouche pour prendre à nouveau la parole et m'excuser, sa voix me coupe. Elle est lointaine, humide, brisée. Dans un souffle presque inaudible, il me demande :
– Laisse-moi Louis...
– Quoi ?
Je lui pose la question, mais j'ai parfaitement entendu et compris ses mots. Seulement, je suis incapable de l'abandonner à sa douleur, sa tristesse et faire comme si je n'avais rien entendu. Je ne suis pas comme ça. Ce n'est pas dans mon tempérament. Et qui laisserait la personne qu'il aime souffrir de son côté ?
– Laisse-moi s'il te plaît...
Sa réponse me serre la coeur, j'ai la sensation de suffoquer. Il me supplie de l'ignorer, de la même voix fébrile, au bord du sanglot, mais je ne peux pas faire ça. Je serre mes doigts autour de la poignée, ils tremblent encore. J'avale ma salive de travers, j'ai la gorge sèche et nouée d'une angoisse intense.
– Je veux juste savoir si tu vas bien, ça fait un moment que tu es dans la salle de bain et...
– Est-ce que tu peux partir ?
– Partir ?
Il m'interrompt et je suis totalement perdu, mon rythme cardiaque s'accélère, j'ai l'impression que mes jambes sont sur le point de lâcher et que je ne respire plus. Je retiens mon souffle pour entendre le moindre de ses mots, le moindre de ses gestes derrière cette simple porte en bois qui nous sépare. Un obstacle entre nous.
Je ne sens plus rien d'autre que ma poitrine qui se serre et la peur qui me broie l'estomac. La peur de ne rien pouvoir faire, de devoir supporter de l'entendre pleurer sans pouvoir l'aider un minimum.
– Je... j'ai besoin que tu me laisses tranquille, que... que tu rentres chez toi.
La détresse dans sa voix m'amène les larmes aux yeux. Je secoue la tête, même s'il ne peut pas me voir, parce que je refuse de l'abandonner, je refuse d'être cette personne là. Je veux être présent pour lui, je veux sécher ses larmes quand il pleure, lui montrer à quel point il est fort, courageux, beau, drôle et merveilleux. Je veux lui montrer que c'est normal de pleurer, d'avoir des bas, de se sentir de trop ou pas assez, de ne pas trouver l'envie de se lever le matin, de vouloir rester toute la journée dans le lit, enfermé, de se sentir à bout de force, épuisé, vidé.
Mais j'ai aussi envie d'être celui qui va lui apporter la lumière dont il a besoin pour avancer dans le noir. J'ai envie qu'il me fasse assez confiance pour me laisser voir ses failles et ses parts d'ombres, parce que moi je suis prêt à lui montrer toutes les miennes, à lui ouvrir mon coeur entier et le poser entre ses mains. Je sais qu'il en prendra soin, qu'il ne le déchirera pas sous mes yeux. Si pour moi c'est aussi évident, je pense que Harry a encore besoin de temps.
Et je suis capable d'attendre encore une éternité pour lui, pour qu'il m'accorde ce degré de confiance. Parce que je l'aime à ce point là.
– Harry ?
Son prénom est un souffle étranglé sur ma langue.
J'attends.
Un silence.
Puis le bruit douloureux de ses pleurs qui vient nourrir l'angoisse à l'intérieur de ma poitrine.
J'inspire, difficilement, parce que j'ai juste envie de le prendre dans mes bras, le serrer jusqu'à sentir la chaleur de sa peau contre la mienne, jusqu'à ce qu'il aille mieux, ne plus jamais le lâcher, lui prouver que je ne vais pas le laisser.
– Qu'est-ce qui se passe Harry... ? Pourquoi veux-tu que je m'en aille ?
Ma phrase se brise à la fin, parce que je suis à deux doigts de céder aux sanglots, à la panique. J'essaie de rester calme, de gérer la situation le plus docilement possible, mais tout ce que je veux faire c'est enfoncer cette porte et l'atteindre.
Les mots me font mal, presque autant que de l'entendre pleurer sans pouvoir le toucher. Il me demande de partir, de l'abandonner à son sort, comme si c'était normal, comme si c'était la seule solution, comme si j'allais m'y résigner sans rien dire.
Il ne répond pas à ma question, à la place je l'entends pleurer davantage. Plus fort qu'avant encore. Mes doigts autour de la poignée sont tellement serrés que mes phalanges sont blanches.
– Je suis désolé si j'ai fait ou dit quelque chose de déplacé, mais je souhaite simplement t'aider et... et ça ne me rassure pas du tout de te savoir enfermé derrière cette porte. Tu y es depuis presque une demi heure et je... je voudrais te...
– Louis, il m'interrompt d'une voix enrouée, juste... je t'en prie, va t'en.
C'est à peine un murmure, désespéré, qui me donne simplement envie de m'écrouler à genoux et pleurer toutes les larmes de mon corps. Mais ce n'est pas moi qui souffre le plus de nous deux et je lui réponds presque immédiatement, le souffle court et la gorge de plus en plus nouée :
– Mais, je ne peux pas te laisser dans cet état là... !
Je ne sais pas s'il se rend compte de ce qu'il me demande, c'est comme une tempête qui s'abat sur moi, qui bouleverse tout sur son passage, un ouragan qui me passe dessus, qui reste là et essaie de m'emporter avec lui, loin de Harry, loin de la personne qui apporte du soleil dans ma vie depuis des semaines déjà.
Mes doigts lâchent la poignée parce que j'ai l'impression de tout perdre, que tout s'effondre entre mes doigts, que Harry est en train de m'échapper et moi, perdu au milieu de tout ça, je suis incapable de le rattraper, de le sauver.
– Je te le demande... s'il te plaît... j'ai envie d'être seul d'accord ? J'ai besoin d'être seul...
Ce n'est plus une simple demande, il me supplie de le laisser. Les larmes commencent à me brouiller la vue, je fais vraiment tout pour les retenir, mais je suis à deux doigts de craquer. Ma voix n'est plus qu'un murmure faible, apeuré de ce qui pourrait se passer si je quitte l'appartement.
– Harry...
– Pars ! S'écrit-il d'un coup, la voix cassée. Pars Louis ! Pourquoi tu es là pourquoi tu restes ?
Je ne sais pas ce qui me brise le plus, le fait qu'il me repousse ou toute la peine que je sens dans chacun de ses mots. Cette fois, je ne peux pas retenir les larmes qui coulent sur mes joues, elles débordent, elles me piquent, me brûlent les yeux, j'étouffe un sanglot.
De l'autre côté de la porte, je l'entends pleurer lui aussi. Et je réalise alors que j'ai échoué. Je ne l'ai pas rassuré, je ne l'ai pas aidé, je n'ai pas apaisé son coeur, j'ai même aggravé la situation.
Mais Harry m'a supplié à plusieurs reprises, en larmes, de le laisser. Alors, je me dois de respecter son choix, même si ça me brise, même si je suis mort de peur, même si j'ai juste envie de résister.
Il a besoin d'être seul. Et, au fond de moi, j'ai envie de croire qu'il ne se fera aucun mal, parce que j'ai confiance en lui. Mes doigts tremblent, je les pose à plat contre la porte, comme si je pouvais le toucher à travers, comme s'il pouvait me sentir.
– Ok, j'inspire en essayant de contrôler la panique qui me monte en travers de la gorge, ok je... je m'en vais Harry... je claque la porte derrière moi.
J'ai envie de lui dire tellement de choses.
J'ai envie de lui dire ces mots qui sont sur le bout de ma langue depuis des jours, voir des semaines déjà, ces mots qui sont une évidence, qui pour moi signifient plus que n'importe quelle parole.
J'ai envie de lui dire
je t'aime
J'ai envie de lui avouer l'ampleur de mes sentiments à son égard. Mais ce n'est pas le bon moment, ce n'est pas de cette manière que je veux les dévoiler. Pas aussi brusquement, pas aussi précipitamment.
Une larme tombe sur mes lèvres, j'ai un goût salé, amer à l'arrière de la bouche. Je ferme les paupières et pose mon front contre la porte, près de mes doigts. Je ne sais pas s'il m'entend, mais je l'espère, j'espère qu'il entend ces deux mots murmurés tout bas, dans une moitié de sanglot refoulé :
– Pardonne moi...
Ses reniflements me répondent, je comprends que c'est peine perdue. Je me recule, regarde une dernière fois la porte et, la vue brouillée par les larmes qui dévalent sur mes joues, j'attrape mes affaires, mon sac que j'avais pris pour passer la nuit, et ma veste sur le dossier de la chaise. Je mets mes chaussures.
Devant les escaliers, je me tourne avec l'espoir que la porte s'ouvre et que Harry soit là, qu'il me retienne, qu'il me demande de rester. Mais il n'en est rien. Le salon est vide. Hadès est toujours endormi dans le fauteuil, ignorant de tout ce qui vient de se passer, et je crois que j'aurais aimé être à sa place. Ne pas penser à l'ampleur de ce moment, la douleur qu'a provoqué cette altercation.
Un souffle tremblant m'échappe, je passe le dos de ma main contre ma joue mouillée, et descends les escaliers. Je lui ai laissé le pull que je portais hier, je ne sais pas si ça servira à grand-chose, s'il s'en rendra compte, mais j'ose espérer que ce geste suffira à le rassurer. A lui montrer que je pars peut-être ce soir, parce qu'il le veut, mais que je reviendrai.
Je reste derrière la porte de l'appartement d'Olivia, j'écoute le silence mortel. Terrifiant. Angoissant. Aucun bruit de pas, ni de porte qui s'ouvre. Je commence à étouffer, je quitte le salon de thé, plongé dans le noir. Ma voiture est garée juste devant. Je m'assois derrière le volant mais je suis incapable de lancer le moteur et encore moins de conduire.
C'est à ce moment là que je sens que tout se déchire en moi. Que tout éclate. Que toutes les barrières cèdent. Je me laisse emporter par les sanglots qui me trouent la poitrine et les larmes qui semblent venir du fin fond de mon être.
La dernière fois que j'ai autant pleuré, que je me suis retrouvé dans un état pareil, c'était il y a plus de trois ans maintenant, au décès de ma mère. J'ai eu la vive impression que l'on m'arrachait une partie de moi pour toujours.
Harry n'est pas mort, mais j'ai la sensation de l'avoir perdu.
Et je ne peux pas vivre ça une seconde fois.
Mes doigts tremblent quand je sors mon téléphone de ma poche, je cherche notre conversation, j'écris un premier message, la vue brouillée par les larmes qui ne s'arrêtent pas.
📩 Est-ce que tu pourras juste m'envoyer un message pour me dire si ça va
Je n'essaie pas de l'appeler, je sais que c'est inutile.
Je reste dans la voiture jusqu'à ce que les sanglots passent, il me faut un moment. Il fait encore noir dehors, mais le jour ne devrait plus tarder à se lever. Et pour combler le tout, il pleut averse.
Peut-être que je devrais rentrer chez moi, mais j'en suis incapable. Ca m'angoisserait davantage. Là, je me sens proche de lui.
Et je déverrouille à nouveau mon téléphone pour lui envoyer un autre message. J'ai l'estomac noué.
📩 J'ai besoin de savoir qu'il ne va rien t'arriver de mal...
Je fixe l'écran, j'inspire, ma poitrine tremble, et j'en écris un troisième.
📩 Je m'inquiète réellement Harry toi tu m'as demandé de le faire mais moi je te supplie de ne pas me laisser d'accord ??
Je me ronge les ongles d'angoisse, je me ronge la peau jusqu'au sang, jusqu'à ce que ça pique, parce que c'est la seule chose que je peux ressentir maintenant.
Et je fume une autre cigarette, je tire tellement fort dessus que j'ai la cage thoracique en feu. Mais ce n'est rien, c'est éphémère. Par contre, la douleur de savoir Harry en train de souffrir tout seul ne partira pas au réveil.
Vers sept heures du matin, je me décide de rentrer à mon appartement, car je n'ai toujours aucune nouvelle de la part de Harry. Quand je suis garé devant moi, je me sens vide, épuisé et perdu. Je me retrouve dans l'état dans lequel j'étais il y a trois ans, quand ma vie a basculé.
Ce n'est pas pareil.
Harry n'est pas mort.
Ce n'est pas pareil.
Harry est toujours vivant.
C'est ce que je me répète.
Et pourtant, je ressens la même chose.
Je monte à l'appartement, Zayn n'est pas là, et c'est un soulagement. Je n'avais pas envie d'affronter ses questions et son regard quand il aurait remarqué ma mine fatiguée et rougie de larmes. Sincèrement, si elles ne coulent plus, c'est parce que j'ai épuisé tout mon stock.
Mon portable en main, je m'assois dans mon lit, sans allumer aucune lumière et j'attends en fixant l'écran.
J'attends.
J'attends de longues minutes.
J'attends d'interminables heures.
J'attends toute la journée.
Mais je n'ai aucune réponse.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top