18.
trigger warnings : mention de drogue, de violence et d'abus sexuels.
Olivia
Quand nous avons terminé le repas, Harry débarrasse la table pendant que je nous prépare du thé. Il me semble plus détendu d'avoir passé la fin d'après-midi en compagnie de Louis, mais je vois bien que quelque chose le tracasse. Plus que d'habitude du moins.
Et ce depuis la visite du notaire il y a presque une semaine à laquelle je n'ai pas pu assister parce que j'avais trop de travail à terminer avant la soirée scène ouverte au salon. Nous n'avons pas reparlé de ce moment où je l'ai retrouvé en pleurs dans l'appartement, complètement secoué par les tremblements. Je m'inquiète depuis ce jour là, mais j'ai préféré attendre que ce soit lui qui vienne m'en parler.
Je sais qu'il ne dort pas beaucoup, qu'il a le sommeil agité et fait souvent des cauchemars. Il m'arrive de l'entendre bouger dans sa chambre, de voir sa lumière depuis mon lit. Et la plupart du temps, il est debout avant moi. Mais en ce moment, il me paraît plus fatigué qu'avant.
Il s'installe à table, à côté de moi, et ouvre son livre à coté de la tasse de thé que je viens de lui servir. Ça fait plusieurs fois déjà que je le vois recommencer ce roman, le lire du début à la fin et reprendre à la première page. Il peut y passer des heures, et il le garde toujours près de lui dans l'appartement, sur le bord du canapé, à table, ou sur la table de chevet de sa chambre.
– Harry... je ne t'ai pas demandé, mais.... Que t'as dit le notaire la semaine dernière ?
Mon approche n'est pas la plus fine, mais je n'ai pas non plus envie de tourner autour du pot. Harry a besoin de parler, même s'il évite le plus possible la conversation.
Je remarque ses épaules qui se tendent et il referme son livre lentement, son regard reste fixé sur la couverture.
Un silence passe, il inspire, je le regarde. Je lui laisse le temps de se décider à m'en parler, de trouver ses mots. Je sais qu'Harry est une personne qui réfléchit beaucoup avant ses actes, tellement que l'anxiété prend souvent le dessus sur lui.
– Il y a de fortes chances que je puisse vendre la maison, comme ma mère n'est plus en état actuellement de vivre seule.
– Oh, mais c'est une bonne nouvelle Harry, non ?
Le sourire qui apparaît sur mes lèvres s'efface rapidement, parce que ça n'a pas l'air de réjouir Harry à ce point. Il doit être soulagé de l'apprendre, mais il y a autre chose qui se cache derrière cette annonce.
Quelque chose qui le ronge de l'intérieur depuis presque une semaine.
– Avant d'entamer les procédures, je... je dois aller voir mon père. Il m'a dit que c'était obligatoire, que j'avais besoin de sa signature et son accord pour... pour commencer.
Je me redresse dans ma chaise en fronçant les sourcils. La voix d'Harry est plus lente, plus basse, comme s'il craignait de prononcer ces mots. Qu'ils allaient le brûler de l'intérieur.
– Ton père, mais je croyais qu'il était parti ?
Ses épaules se tendent davantage, il n'a toujours pas relevé la tête vers moi, ses doigts sont serrés entre eux sur la table. Il joue avec ses bagues, signe d'une vague de stress qui déferle sur lui.
– Non... Il est en prison.
Mes yeux s'ouvrent plus grand, j'essaie de ne pas trop faire paraître ma surprise, mais je ne m'attendais certainement pas à une telle réponse. Harry n'a jamais mentionné son père en trois ans, il m'a simplement dit une fois qu'il n'était plus dans sa vie, à sa mère et lui. J'ai toujours assumé qu'il les avait laissé, que ses parents étaient divorcés ou séparés.
Je tends une main vers lui, mais il se renferme davantage et laisse ses mains glisser sous la table, sur ses genoux. La conversation ne va pas être facile.
– Pourquoi tu ne m'en as jamais parlé avant ? Tu sais que tu n'as pas à avoir honte de quoi que ce soit avec moi... et ce que ton père fait n'a rien à voir avec toi, ça ne te définie pas.
Harry lève les yeux vers moi, ils sont vides, un néant de tristesse et de peur. Je comprends, sans qu'il n'ait besoin de me le dire, qu'il y a bien plus que je ne le pense derrière l'histoire de son père.
Je m'installe mieux contre le dossier de la chaise, Harry tend une main et joue avec un bout du livre, il n'a pas touché à son thé.
– L'année de mes quinze ans, la police a débarqué à la maison et ils l'ont arrêté, il... il vendait de la drogue, à des adultes mais des mineurs aussi, il... ils avaient tout un réseau avec des amis à lui, et ils en donnaient à des enfants de mon âge à cette époque, voir plus jeunes que moi.
Il commence son explication et je l'écoute attentivement. Même s'il ne le dit pas, je sens dans sa voix qu'il a besoin d'en parler à quelqu'un, de faire disparaître ce poids sur sa poitrine, au moins le temps d'une petite soirée.
– Il a... il était violent, pas forcément à la maison, pas tout le temps du moins, il levait parfois la main sur ma mère ou sur moi mais je... il tabassait des personnes qui essayaient de l'arnaquer pour la drogue. C'était important pour lui, il n'avait qu'un petit poste d'agent dans une banque, ça ne rapportait pas beaucoup et ma mère était femme de ménage. Il en consommait aussi, il en cachait plein dans le garage. Et on avait pas le droit d'y aller sans son accord ou sa surveillance.
J'acquiesce en inspirant doucement, Harry semble à peine respirer, il fixe le livre sous ses yeux et ravale difficilement sa salive. Ce n'est pas facile pour lui de raconter cette partie de son passé, de la partager avec quelqu'un, et je suppose que je dois être une des rares personnes à qui il en a parlé.
Harry préfère généralement garder sa vie et surtout ses problèmes secrets, il pense être un poids pour les autres, même si nous ne cessons de lui répéter que ce n'est pas le cas.
– Ma mère en prenait aussi, beaucoup, les médecins ont dit que c'est sûrement ça qui lui a bousillé le cerveau. Elle a arrêté de travailler quelques mois après sa première dose, elle n'était plus capable de rien... Même de se lever ou de faire à manger et... Elle... elle l'aidait à cacher les sachets, mais elle s'est jamais impliquée dans son business. De toute façon, il n'y avait que lui qui commandait à la maison.
L'émotion est palpable dans sa voix, il n'ose pas me regarder parce que je crois qu'il est au bord des larmes et qu'il ne veut pas craquer devant moi, même si ça lui est déjà arrivé avant.
– Tu sais, elle l'aimait, elle l'aime encore, c'était fort et destructeur. Parce qu'elle avait peur de lui aussi. Il aurait pu la tuer si elle allait le dénoncer. Ou moi. Mais... mais la police a su remonter à lui. Ils l'ont menotté et mis dans la voiture sous nos yeux. Et je... je ne me suis jamais senti aussi libre et heureux que ce jour là.
Il prend enfin une inspiration, son corps entier tremble d'émoi. Je sens ma gorge se nouer, l'enfance compliquée et angoissante qu'il a dû supporter. Toute cette peur, ce danger permanent qui l'a hanté pendant des années, et continue de le ronger encore à ce jour.
Je pense que c'est un souvenir qui lui collera toujours à la peau, et c'est certainement la raison pour laquelle il souhaite se débarrasser aussi vite de tout ce qui peut le relier à cette famille, dont il n'a jamais fait partie. Vendre la maison serait une grande chance pour lui de se libérer davantage.
– Seulement, il n'a pas fait que ça... il...
Sa voix se brise, il baisse la tête et je vois ses doigts qui se mettent à trembler. Il les cache sous la table mais j'ai le temps de le remarquer. Tout comme les larmes qui s'accumulent dans ses yeux, il les a retenu trop longtemps déjà. Il a besoin de vider toutes les émotions qui débordent et se bousculent à l'intérieur de son être.
Je m'apprête à entendre le pire.
– Il ne vendait pas que de la drogue, ça ne lui suffisait pas. Il était après l'argent et il... il faisait... il faisait du trafic d'enfant. Il les... il a abusé d'eux aussi, parfois... il y a une petite fille qui est morte, un peu avant son arrestation, c'est comme ça qui l'ont retrouvé, il y avait ses empreintes sur son corps. Il l'a... il a abusé d'elle et il l'a étouffé parce qu'elle arrêtait pas de crier et... et elle...
Harry ne termine pas sa phrase, il s'étouffe dans des sanglots silencieux, les larmes en travers de sa gorge. Mon coeur se serre douloureusement et je n'hésite pas une seconde de plus à le prendre dans mes bras. Il ne résiste pas, ça aussi il en a besoin, d'être écouté et soutenu. D'être rassuré.
Il s'accroche à moi, je caresse affectueusement son dos, au-dessus de son pull et murmure à son oreille :
– Eh, c'est fini Harry... c'est horrible, c'est vraiment ignoble mais il est sous les barreaux à présent...
Je lui répète ces mots, pour qu'il se calme. Il respire fortement contre mon cou, sa tête sur mon épaule. Ses larmes mouillent ma peau, je le laisse vider toute la tristesse de son corps.
Nous restons un long moment ainsi, Harry serré dans mes bras, je tente de le protéger du monde entier. Ce n'est pas possible, mais je lui en donne l'illusion. Il a besoin de sentir qu'il n'est pas seul.
Au bout d'un moment, la gorge aussi serrée que mon estomac, je lui demande tout bas, sur un ton prudent, parce que moi même j'ai peur de lui poser cette question :
– Est-ce qu'il t'a déjà touché, toi aussi.... ? Fait du mal ou abusé de toi ?
C'est le silence qui me répond. Harry s'étrangle dans un nouveau sanglot et s'accroche à moi, ses doigts se serrent autour de mon pull. Et je n'ai pas besoin qu'il me dise quoi que ce soit. J'ai compris.
Et la vérité me troue le coeur. Je ne peux pas contrôler les larmes qui roulent mes joues, à moi aussi. Harry est vraiment brisé. Physiquement et mentalement. Je n'en ai jamais douté, mais aujourd'hui j'en ai la preuve concrète.
– Il ne te fera plus jamais aucun mal, tu m'entends ? Il ne t'approchera plus, c'est terminé... D'accord ?
Harry le sait, mais parfois ça ne suffit pas. Il a été détruit petit à petit, abusé, traumatisé. Ce n'est pas une vie qu'on fait mener à un enfant, ce n'est pas une vie dont il veut se souvenir. Elle est encore ancré sous sa peau et il veut à tout prix s'en détacher. Oublier ce Harry brisé par la vie et des gens qui étaient censé l'aimer et lui vouloir du bien.
Je crois que je comprends mieux maintenant. Pourquoi il est si distant, si discret et solitaire. Il a peur de souffrir davantage, il peur de s'ouvrir aux autres et montrer ses failles.
Ses poings sont encore serrés autour de mon pull, je continue de caresser son dos, sa nuque, il me dit entre deux souffles :
– Je... je ne sais pas si je suis capable d'aller le voir...
Se retrouver face à son père va raviver en lui des souvenirs qu'il aurait préféré ne jamais déterrer, garder secrets au fond de lui. Il est à bout et c'est normal d'être perdu, effrayé et angoissé.
– Le notaire a dit que je pouvais emmener quelqu'un avec moi mais... mais même si tu es là je... je ne pense pas en avoir la force Olivia...
Je me recule afin de le regarder, il renifle, le visage baissé vers ses genoux. Il s'essuie les joues du revers de la main, en tirant sur le tissu de sa manche. Je prends ses doigts doucement entre les miens afin d'avoir son attention.
– Écoute moi, je serais avec toi, du début à la fin. Je pourrais même parler à ta place si tu le souhaites ? Il ne posera pas un seul doigt sur toi, tu n'as rien à craindre. La seule arme qu'il peut utiliser, ce sont les mots, et il essaiera certainement de t'atteindre parce qu'il a tout perdu. Il sait qu'il ne peut plus rien avoir. Mais toi, Harry, tu as encore tout à gagner.
Il ne répond pas, il fixe nos doigts enlacés entre nous, je les serre davantage et il prend une longue inspiration. Elle lui demande tout son énergie, il est à bout depuis des semaines et cette nouvelle ajoute un poids sur ses épaules déjà frêles.
– Je sais que c'est dur, que tu as peur, que tu es épuisé, mais il faut que tu le fasses pour avancer et te débarrasser de toutes ces choses qui te hantent.
Harry renifle, il ne lâche pas mes mains.
Quand il relève la tête, je lis toute la tristesse dans ses yeux rougies de larmes. Je n'ai jamais eu d'enfant, je n'en aurais jamais, mais je considère Harry comme mon fils. Ça ne fait que trois ans que nous nous connaissons, mais il y a tout de suite eu cette connexion entre nous.
Je lui ai appris la pâtisserie, il m'a communiqué sa créativité et son amour - encore plus débordant que le mien - pour cet art culinaire. Aux yeux d'Harry, ce n'est pas seulement une passion, mais sa raison de vivre. Tout ce qu'il ne partage pas avec nous, il l'exprime dans ses gâteaux, ses viennoiseries ou ses boissons sucrées.
Une larme s'échappe du coin de son œil, je lâche une de ses mains pour passer le dos de mes doits contre sa joue humide. Il ferme un instant les yeux puis souffle tout bas, à peine un murmure tremblant au milieu du silence :
– J'ai tellement peur...
– Oui, oui je sais... c'est normal. Seulement, la peur n'est pas une faiblesse. Tu as vécu dans la peur toutes ces années et regarde où tu en es aujourd'hui. Tu vis de ta passion, tu fais de belles rencontres, tu es entouré de personnes qui t'aiment. Même si tu essaie de t'en persuader, tu n'es pas seul Harry. Et au fond de toi, tu le sais. Je suis là, Noé et Lili sont là, même ton nouvel ami Louis. Et d'autres personnes vont certainement encore entrer dans ta vie et la rendre meilleure. Tu as accomplis tellement plus que tu ne le penses, et moi je suis fière de toi.
Je caresse sa joue, il l'appuie légèrement contre ma peau en laissant échapper un faible soupir qu'il devait retenir depuis de nombreuses minutes.
Pour une fois, il me regarde sans baisser les yeux.
– Dans quelques années, je sais que tu seras un grand pâtissier et que tu auras certainement pris ma place, ou même ouvert ta propre enseigne. Tout le monde s'arrachera tes créations. Parce que tu es un garçon passionné, intelligent et aimant, Harry. Tu es brillant et personne ne pourra t'enlever ça, tu comprends ? Pas même les gens qui t'ont fait ou te font encore du mal. Tu es fort, bien plus que tu ne le crois. Et je sais que tu peux le faire, pour enfin avoir le droit au bonheur toi aussi. C'est tout ce que je souhaite pour toi.
De nouvelles larmes, discrètes, roulent sur ses joues. C'est Harry qui vient chercher mes bras maintenant, il me tient contre lui, on s'enlace tous les deux, fort, aussi fort que nos corps nous le permettent.
Cette étreinte dure un moment, peut-être de longues minutes, je ne fais pas attention à l'heure. Harry a besoin de moi et je tiens à lui comme jamais personne avant. Je crois fermement que durant notre existence, nous vivons des relations amicales plus fortes et plus intenses que des relations amoureuses.
Aujourd'hui, je sais que je peux accorder une confiance aveugle à mes ami.es au contraire du peu d'amants qui ont partagé quelques mois de ma vie. Je n'ai pas besoin d'homme pour exister, mais des ami.es c'est toujours indispensable. Et Harry est une de ces personnes là.
– Quand dois-tu aller le voir ?
Harry se détache de moi après ma question, il s'essuie définitivement les joues et attrape un mouchoir dans la boîte sur le bord de la table basse.
– Demain, à quinze heures.
- Pourquoi ne pas m'en avoir parlé avant ? Tu sais que je suis là pour toi.
- Oui mais, il renifle, je ne voulais pas t'embêter davantage... tu m'héberges déjà et...
- Et ça ne me dérange pas du tout, je le coupe gentiment, je fais ça parce que je tiens à toi d'accord ?
Je prends ses mains dans les miennes et le regarde dans les yeux afin d'appuyer mes propos. Il me remercie d'une petite voix brisée.
– Si tu engages un avocat, il pourra y aller à ta place ?
– Je... j'ai pas... j'ai pas les moyens d'en avoir un et... c'est trop tard de toute façon, j'ai confirmé au notaire que je serais là.
Comme s'il lisait dans mes pensées, il me coupe avant que je ne puisse poser la question. Son regard débordant de tristesse.
– Je n'ai pas non plus envie que tu m'en paies un... Tu en fais déjà énormément pour moi.
– Alors, on ira ensemble, d'accord ?
Je serre encore mes doigts autour des siens, Harry me sourit comme il le peut, avec autant de force qu'il reste en lui. Puis, il me répond d'une voix rauque et brisée :
– Merci Olivia... merci beaucoup... je te dois tellement.
– Tu ne me dois rien du tout. Je te demande seulement de penser à ton bonheur, c'est tout ce qui compte.
Après un hochement de tête de sa part, je me redresse et pose un baiser sur son front. Il se détend légèrement, puis nous terminons la soirée avec une autre tasse de thé devant une émission de pâtisserie qu'Harry a choisi.
Il n'a pas lâché son livre, il le garde à portée de main même s'il ne le lit pas. Et, à ma plus grande surprise, il s'endort d'épuisement avant moi, sa tête près de mon épaule.
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