17.
Harry.
A dix sept heures pile, je descends de l'appartement et ferme derrière moi. Je garde les clefs dans ma poche et un sac avec un moule que j'ai préparé dans l'autre. Louis est revenu Lundi pour me dire qu'il voulait faire des muffins myrtilles vanille, il m'a simplement demandé de ramener les ustensiles particuliers dont on aurait besoin et qu'il se chargerait des ingrédients à acheter.
Lili est en cuisine quand j'y arrive, elle me regarde puis m'adresse un sourire.
– Tu sors ?
– Je vais chez Louis.
Ma réponse semble la combler de joie, elle se redresse pour mieux me faire face et son sourire s'étend davantage.
– C'est génial ! Profite bien, d'accord ?
J'acquiesce, elle m'embrasse la joue et je passe à côté d'elle pour aller prendre deux gobelets de chocolat chaud à la cannelle que j'ai préparé et gardé de côté dans l'après-midi. Ce matin, j'ai prévenu Olivia que je rentrerai certainement pour l'heure du dîner, elle m'a souri sans poser de questions.
Le temps d'enfiler mon manteau, puis je sors devant le salon de thé. La saison des fêtes de fin d'année approche, il y a un peu plus de monde dans les rues que d'habitude et les façades commencent petit à petit à être décorées pour Noël.
Nous sommes bientôt à la fin du mois de Novembre, Olivia devrait les lumières et décorations dans les prochains jours. L'an dernier, Lili avait dessiné au feutre à peinture blanc sur toute la devanture et le rendu avec les guirlandes lumineuses était vraiment magnifique.
Tandis que le froid commence doucement à glacer le bout de mes doigts, je vois Louis arriver au bout de la rue. Les mains dans les poches, il marche rapidement jusqu'à moi, emmitouflé dans une gros pull et une veste en jean par dessus.
Son sourire s'agrandit quand il arrive devant moi, je le salue, il fait de même puis je lui tends son gobelet.
– Oh, merci, combien je te dois ?
– C'est cadeau.
Olivia n'en tiendra pas rigueur, je le sais. Surtout pas pour un chocolat chaud que j'offre à un ami. Il me remercie encore et commence à marcher. Je le suis, en buvant quelques gorgées encore chaudes pendant qu'il me parle de sa journée.
Il me montre sur son téléphone une photo d'un sapin de Noël fait entièrement de livres qu'ils prévoient de construire à son travail pour les fêtes. Perdu dans ses pensées, il manque, en plein milieu de son explication, de rentrer dans une autre personne et par la même occasion de renverser le contenu de son gobelet. Je lui attrape doucement le coude pour l'attirer vers moi et lui éviter cet incident.
Suite à mon geste, il lève les yeux vers mon visage avant de regarder autour de lui, et remarquer la femme qu'il a failli bousculer. Je lâche son bras, soudainement, parce que mon coeur bat un peu trop vite et fort à mon goût.
Il me sourit et me remercie, avant de ranger son téléphone dans sa poche. Durant le reste de la route, il prête plus attention à ce qui se passe autour de lui, mais continue de me parler.
Et j'aime ça.
Qu'il comble le silence et le vide.
Qu'il comble ce gouffre en moi.
Cette fois, je manque de le bousculer quand il s'arrête devant un bâtiment. Il sort des clefs de sa poche et me taquine en me faisant remarquer que moi aussi je suis maladroit. Je ris légèrement, puis enfoui le bas de mon visage dans mon écharpe.
Il ouvre la porte d'entrée du bâtiment, et la tient ouverte pour moi. Je passe devant lui, il prend le courrier dans la boîte aux lettres et appelle l'ascenseur. C'est un endroit qui me semble assez récent et bien entretenu.
Nous arrivons au deuxième étage, je suis Louis dans le couloir jusqu'à ce qu'il s'arrête devant une porte et ouvre celle de son appartement. Une odeur boisé et légèrement épicée me caresse les narines tandis qu'il me laisse passer en premier. Je le remercie puis reste de l'entrée le temps qu'il ferme la porte et se libère de ses affaires.
Le gobelet coincé entre ses dents, il retire sa veste qu'il accroche au portemanteau, pose son sac contre le mur et ôte ses baskets dans un coin, éparpillées à côtés des autres paires. Il reprend sa boisson en main puis se tourne vers moi.
– Bienvenue dans notre humble demeure ! Je t'en prie fais comme chez toi, je peux te débarrasser de ton manteau ?
J'acquiesce, il pose son gobelet sur le bord du meuble d'entrée où s'empile du courrier, des clefs, des casquettes et une affiche encadrée de l'album The Wall des Pink Floyd. Une fois que j'ai retiré mon manteau et mon écharpe, il les accroche à côté de sa veste et me fait signe de le suivre en souriant.
Pendant qu'il allume les lumières et tire les rideaux, étant donné qu'il fait déjà presque noir dehors, j'observe autour de moi. Une guitare posée contre le mur, un petit synthétiseur près de la fenêtre, les meubles basiques d'un salon et d'une cuisine mais dans un style assez vintage. Des chaises qui ne se ressemblent pas, des couleurs différentes, je ne peux pas m'empêcher d'y trouver un certain réconfort.
Les deux personnalités de Louis et Zayn se mêlent parfaitement dans cet espace de vie qu'ils partagent. Quelques affiches d'albums cultes au mur, un meuble avec une platine et une collection de vinyles à côté de la télévision, puis de l'autre une grande bibliothèque débordante de livres.
– Je m'excuse pour le désordre, je n'ai pas eu le temps de ranger ce matin. Faut dire que ni Zayn ni moi sommes très organisés et soignés.
Un léger rire sort de sa bouche, je tourne mon visage vers lui pendant qu'il prend un cendrier sur la table basse et va le vider dans la poubelle de la cuisine. Je pose mon sac sur le plan de travail puis hausse les épaules.
– C'est chaleureux.
Il tourne la tête vers moi et le sourire qu'il m'adresse me fait mal au ventre tant il est lumineux. Je termine ma boisson alors qu'il reprend la parole.
– Merci, je suis plutôt content du résultat. On a encore quelques petites touches de décorations à ajouter, mais ça prend forme. Ce qui est génial, c'est qu'on peut chacun avoir notre espace et nos goûts se rejoignent assez bien.
Je hoche la tête en regardant à nouveau le décor autour de nous, Louis me sourit, va jeter son gobelet vide à la poubelle et passe un coup d'éponge sur la table de la cuisine avant de me regarder.
– Bon alors, on commence par quoi ?
– Déjà, sortir tous les ingrédients.
– Je m'en charge !
Sa bonne humeur m'apaise, et il faut avouer qu'elle est plutôt communicative. Pendant qu'il sort ce qu'il faut, je jette mon gobelet aussi puis prends le moule à muffins que j'ai ramené.
Louis étale tout ce dont on aura besoin sur la table, il manque de renverser la boîte de myrtilles qu'il rattrape de justesse au dernier moment. Je lui souris, il hausse un sourcil dans ma direction, comme pour me défier à dire quelque chose, mais étant donné que je reste silencieux, il sort son téléphone sa poche.
– Ça te dérange si on met un fond de musique ?
Je secoue la tête, parce que je n'aime pas tellement cuisiner dans le silence. Concentré sur son écran, Louis met plusieurs secondes à choisir, puis finalement le début d'une chanson, qui m'est inconnue, résonne agréablement dans la pièce.
De mon côté, j'attache les quelques mèches de cheveux qui tombent sur mon front, en un petit chignon au-dessus de ma tête, afin de dégager mon visage. Louis suit mes mouvements du regard avec un air doux sur son visage, il attend mes instructions. J'observe le plan de travail une seconde avant de lui demander :
– Je me charge des mesures. Est-ce que tu veux lancer le four à 180 degrés puis rincer les myrtilles pendant ce temps ?
– Tout de suite.
Il me lance un de ses sourires qui me réchauffe le ventre, peut-être même l'entièreté du corps. Je regarde les bonne mesures sur mon téléphone, tandis que Louis derrière moi fait couler l'eau dans l'évier et mets les myrtilles dans un petit bol.
Louis attend sagement à mes côtés pendant que je termine de doser les derniers ingrédients et verse tout petit à petit dans un saladier. Je lève les yeux vers lui, son regard est très attentif et concentré sur chacun de mes gestes. C'est assez amusant de le voir aussi attentif et sérieux d'un coup.
– Ça te va si tu tournes la pâte pendant que j'ajoute le reste petit à petit ?
– Oui chef, c'est parfait pour moi !
– Tourne toujours dans le même sens de façon à ce que la pâte soit homogène et qu'il n'y ait pas de grumeaux.
Sans attendre, il prend la spatule en bois et s'attelle au mélange en me jetant des regards entre deux, pour s'assurer qu'il fait tout comme il faut. Je rajoute l'huile et lait au fur et à mesure, voir même un peu plus que conseillé sur la recette jusqu'à obtenir une consistance de pâte à pancakes.
Je lui indique qu'il peut arrêter de tourner parce que ça me semble parfait. Il lâche la spatule et observe le contenu du saladier en souriant.
– Et maintenant ?
– Il nous reste juste à ajouter délicatement les myrtilles, verser dans les moules et mettre au four.
– C'est tout ? C'était plutôt simple en fait. Il y a rien à couper ça me rassure, on va éviter un autre accident.
Louis soupire, je ris légèrement. Il donne un petit coup d'épaule contre la mienne tandis que j'ouvre une plaquette de beurre. Je tourne la tête vers lui et lui demande finalement :
– Elle va bien ta main ?
– Oui, elle est soignée je crois. Regarde.
Il tend sa paume vers moi, je tends instinctivement mes doigts afin de tenir sa main. Par réflexe, je passe mes doigts autour de la légère cicatrice, qui n'est plus qu'une petite ligne blanche. C'est quand ma peau se met à frisonner et chauffer que je me rends compte de mon geste et la lâche subitement.
--C'est bon, tu es saint et sauf.
Je n'ai pas l'occasion de voir la réaction de Louis, si lui aussi rougit jusqu'aux oreilles, j'entends seulement son rire un peu trop près de mon oreille, parce que je baisse les yeux vers le beurre que je coupe un petit morceau. Sans oser le regarder, je propose à Louis de beurrer les moules, afin que la pâte ne reste pas collée à la fin de la cuisson.
Pendant qu'il s'occupe de ça, je verse la pâte dedans au fur et à mesure. Une fois que tout est prêt, je les mets sur une plaque au four pour une quinzaine de minutes. Louis lance un chronomètre sur son téléphone, puis je l'aide à laver la vaisselle.
– Maintenant, il faut attendre que ça cuise.
– Tu veux boire quelque chose pendant ce temps ? J'ai de la bière, sinon du café ou du thé ou ce qui te ferait plaisir.
– Juste de l'eau, s'il te plaît.
Louis acquiesce et nous sert un verre d'eau à tous les deux, il les emmène au salon de façon à ce qu'on puisse patienter dans le canapé. J'observe sa bibliothèque de plus près, il y a des titres qui me sont familiers, des ouvrages en français, en anglais, plus ou moins récents, neufs ou d'occasions. C'est un magnifique désordre littéraire.
– Tu as vraiment une belle collection de livres.
Après avoir posé les verres sur la table basse, Louis me rejoint, son épaule frôle presque la mienne. Et je devine son sourire dans sa voix, sans avoir besoin de le regarder, mais je le fais quand même, parce que je ne peux pas m'en lasser.
– Merci ! Je ne te dis pas l'enfer que c'était à transporter, heureusement qu'on a l'ascenseur. J'ai cru que Zayn allait me tuer quand un des cartons a craqué en-dessous alors qu'on le transportait dans le hall du bâtiment.
Il rit en posant les yeux sur moi, et je détourne les miens. Je me demande si un jour je serais capable de lui dire à quel point sa beauté me fascine et me coupe le souffle à la fois. Pour le moment, je me contente d'essayer de respirer normalement quand il est trop proche de moi.
Sa bibliothèque est décorée de quelques plantes, une tasse avec une citation de Jane Austen, et plusieurs cadres photos. Je m'arrête sur l'une d'entre elle, je reconnais Louis au milieu, il avait des cheveux plus courts sur les côtés, entouré d'autres personnes, dont un petit garçon qu'il tient sur ses genoux. Ils sourient tous et toutes à l'objectif.
– C'est ma famille. Ma mère, mon beau père, mes grands parents et ça ce sont mes quatre sœurs et mon frère. La plus grande, Charlotte, les jumelles Phoebe et Daisy puis les jumeaux Ernest et Doris.
Le sourire sur ses lèvres s'étire davantage, et c'est flagrant à quel point il aime ses proches plus que tout au monde. Un sentiment qui m'est étranger. Je ne sais pas ce que c'est, la vie de famille, les repas joyeux à Noël, l'amour maternel ou la fierté dans le regard de mon père. Je n'ai jamais eu le droit à ça.
Et rien qu'en regardant Louis détailler la photo avec cet air attendri, je peux confirmer qu'il a grandi dans un tout autre environnement que le mien. Nous n'avons pas eu le droit à la même enfance. Ma gorge se noue tellement, je l'envie tellement j'aurais aimé faire partie d'une grande et belle famille comme la sienne. Me sentir aimé et en sécurité.
– La vie à la maison était assez bruyante, il y avait souvent des disputes entre nous, des petites crises de nerfs, mais c'était presque toujours joyeux. Ça m'a fait tout drôle de prendre mon indépendance, je ne suis pas habitué au calme.
J'écoute Louis, mais je ne sais sincèrement pas quoi lui répondre. Parce que ce n'est pas mon monde, ça ne l'a jamais été. Nous sommes foncièrement différents sur ce point. Il a vécu une vie chargée en souvenirs précieux avec le reste de ses proches, il doit sans aucun doute se les remémorer chaque jour, tandis que moi je me bats pour oublier les images et les mots qui me hantent.
Ce passé qui me colle à la peau et m'empêche d'avancer.
– Tu as des frères et sœurs toi ?
Sa question me sort de mes pensées, je secoue la tête en reposant les yeux sur le cadre. Je crois que d'un côté, même si j'ai eu du mal à m'habituer à la solitude, je suis soulagé de ne pas en avoir. Je ne souhaite ce que j'ai vécu à personne d'autre.
Ne préférant pas m'étendre sur le sujet, je laisse mon regard dériver jusqu'à un autre cliché. Cette fois, c'est une femme, jolie et rayonnante, qui serre un petit garçon contre elle sur ses genoux. Et je n'ai pas besoin de poser la question pour savoir que c'est Louis. Il a le même sourire, le même regard doux et malicieux à la fois, tandis qu'il fait signe à la caméra.
– Ma mère et moi, j'avais six ou sept ans, je ne sais plus trop, mais j'adore cette photo.
– Tu n'as pas changé.
Louis rit doucement puis hausse un sourcil, l'air de me demander si je suis en train de me moquer de lui. Je lui souris, il me donne un petit coup de coude dans la hanche puis ajoute :
– Ouais je sais je suis toujours aussi mignon hein ?
Cette fois, je lève les yeux au ciel, même si mes joues se mettent à chauffer malgré moi. Son rire me caresse une nouvelle fois les oreilles, je me pince les lèvres et me décide à contourner subtilement sa question. J'ai trop peur de lui avouer la vérité, de lui répondre que je n'ai jamais rencontré une personne aussi vivante que lui.
– Tu lui ressembles beaucoup.
– C'est ce qu'on m'a toujours dit, oui. Et c'est aussi ma plus grande fierté.
Je remarque la manière dont ses yeux brillent quand il regarde la photo, l'atmosphère a légèrement changé. Il se met à parler plus bas, presque comme un secret qu'il veut simplement partager avec moi.
– Elle était tellement altruiste, généreuse et aimante. J'espère réussir autant qu'elle dans sa vie, répandre autant d'amour quand elle nous a donné à moi et le reste de ma famille.
Ma gorge se serre quand je comprends le sens de ses mots, la façon dont il parle d'elle au passé et je baisse les yeux parce que je me sens bête. Louis ne me confit pas un secret, il est triste. Triste parce qu'il a perdu sa mère.
– Toutes mes condoléances.
Je lève les yeux et me surprend à le voir me sourire, il hoche la tête dans ma direction puis passe le bout de ses doigts contre le cadre de la photographie.
– C'est étrange... ça fait un peu plus de trois ans maintenant qu'elle nous a quitté, mais j'ai l'impression que c'était hier qu'on fêtait Noël tous ensemble à la maison.... C'est bizarre de ne plus l'avoir avec nous autour de la table. Je ne pense pas qu'on puisse s'habituer à cette absence un jour...
Sa voix s'affaiblit sur la fin de sa phrase, tremble même peut-être un peu. Il me jette un regard, puis secoue doucement la tête.
– Désolé, je ne veux pas casser l'ambiance avec mes histoires.
– Non, pas du tout. Tu peux me parler d'elle autant que tu veux, si ça te fait du bien. Je... je suis content de t'écouter.
Ma réponse le surprend, je crois, et moi même aussi. J'ai répondu vite et en toute sincérité. Louis n'a pas à s'excuser, il n'a pas non plus à avoir honte de partager des souvenirs si ça le soulage.
Il quitte la bibliothèque pour aller s'asseoir dans le canapé, et je le suis. Je laisse une certaine distance entre nos corps, il boit une gorgée d'eau avant de poser le verre sur la table basse à côté du mien et me dire :
– Tu n'es pas venu pour ça.
– Je suis venu pour être avec toi.
Ça aussi, c'est la vérité. Une vérité qui me fait un drôle d'effet à l'intérieur de la poitrine, mais c'est agréable, parce que ce n'est pas douloureux. Au contraire, ça m'apaise.
Je me sens plus léger quand Louis est là, dans la même pièce que moi ou juste dans mon champ de vision, je ne saurais pas l'expliquer. C'est juste comme ça. Presque évident.
Louis appuie son bras sur le dossier du canapé, son corps tourné vers moi, puis il maintient sa tête avec sa main. Je laisse mon regard couler un instant sur ses bras, ses tatouages qui ne sont pas cachés par les manches de son tee-shirt, sa barbe de quelques jours et ses cheveux qui m'ont l'air aussi doux que de la soie.
Je serre les doigts en poing sur ma cuisse, parce que j'ai vraiment, vraiment envie de le toucher.
Il me sourit, puis hausse les épaules. Tout bas, il commence à me raconter.
– C'est elle qui a réveillé en moi la passion pour la lecture. Quand j'étais petit, elle me lisait tous les soirs des histoires avant d'aller dormir et je ne pouvais pas trouver le sommeil si elles n'étaient pas terminées. Ça aurait pu durer des heures, mais elle ne rouspétait jamais. Elle avait un don pour raconter des histoires, elle était faite pour ça.
Je sens déjà l'émotion dans sa voix éraillée, il garde cependant son sourire parce que ce sont des souvenirs heureux qu'il évoque.
– Plus tard quand j'ai grandi et que je savais lire tout seul, elle me prêtait des livres qu'elle adorait lire enfant, elle les avait gardé pour moi. Puis elle m'en ramenait parfois en revenant du travail, une cadeau pour me rendre heureux et je m'empressais de le lire pendant qu'elle me préparait mes tartines à la confiture.
Ses derniers mots me font rire tendrement, moi aussi. Je me perds dans la douceur de son récit, il sourit à tel point que le coin de ses yeux se plisse en petite pattes-d'oie.
– Une fois... je me souviens, j'étais en seconde, je voulais absolument allait acheter un livre dès sa sortie en librairie parce que l'auteur venait signer des exemplaires. Je ne pouvais pas sécher les cours, elle m'aurait tué sur place de toute façon, mais... elle est allée acheter le livre et le faire signer, pour moi. Elle a attendu presque deux heures et a sacrifié sa pause du midi afin de me faire plaisir... ça peut paraître anodin mais ça ne l'a jamais été à mes yeux. Elle... elle s'est tellement sacrifié pour nous... pour notre bonheur.
Cette fois, sa voix tremble réellement à la fin de sa phrase. Il baisse les yeux et se pince les lèvres, son sourire s'est assombri, et bientôt il s'efface presque totalement. La lumière dans son regard s'est éteinte et je n'ai encore jamais vu Louis sous un jour aussi sombre.
Mais je suppose qu'il peut toujours pleuvoir même durant une journée de plein soleil.
Je me redresse légèrement dans le canapé, parce que je ne vois plus vraiment son visage baissé vers le sol. Ses mots me nouent l'estomac. Lui aussi affronte ses propres batailles, elles sont simplement différentes des miennes.
– Et ça me tue parce que... je me dis que les jumeaux vont grandir sans avoir sa présence à leur côté, sans créer tous ces souvenirs avec elle comme moi ou mes sœurs ont pu le faire... la vie est tellement... tellement injuste parfois...
Louis inspire, ses épaules tremblent, sa voix se brise à la fin, en même temps que mon coeur. Et c'est seulement quand il relève la tête que je remarque les larmes timides qui ont roulées sur ses joues. Il s'empresse de s'essuyer les joues du revers de la main, en riant faiblement. C'est un faux rire, qui fait tout aussi mal à entendre que ses pleurs étouffés.
Sans vraiment me regarder, il frotte ses joues et me dit :
– Désolé... désolé je...
– Ne t'excuses pas de pleurer. Pas pour ça, jamais.
Ma réponse est immédiate, et sa réaction aussi. Il tourne la tête vers moi, son regard est un océan de tristesse, d'un bleu gris sombre, celui d'une nuit de tempête. Je tente de lui sourire, pour lui assurer qu'il n'a pas besoin de s'excuser devant moi. Je sais, moi aussi, à quel point il est important de laisser les barrières tomber à certains moments, pour éviter d'exploser.
Louis me sourit, derrière les larmes qui nagent dans ses yeux, il prend la boîte de mouchoirs que je lui tends en me remerciant. Après s'être séché les joues proprement, il me regarde à nouveau. Plus timidement.
Au bout d'un petit moment de silence, sa voix frêle résonne à nouveau pour me poser une question.
– Je peux te dire un secret ?
J'acquiesce sans hésiter, il passe sa langue entre ses lèvres et inspire lentement.
– Zayn me tuerait s'il entendait ça mais... le jour où elle est morte, j'aurais préféré que ce soit moi à sa place.
Mes sourcils se froncent, je n'aurais jamais pensé entendre ces mots dans sa bouche. Il joue avec ses doigts, et je ravale ma salive avant de lui demander :
– Pourquoi tu dis ça ?
– Parce qu'elle ne méritait pas de disparaître comme ça... aussi subitement en laissant une famille derrière elle et... et...
A nouveau, la tristesse prend le dessus sur lui, il ne termine pas sa phrase, il renifle et baisse la tête. Je me sens affreusement impuissant, je ne peux rien faire pour apaiser sa douleur. Elle ne disparaîtra certainement jamais, il apprendra à vivre avec son absence. Mais c'est certain qu'il était proche de sa mère, qu'ils avaient une relation fusionnelle. Je ne peux pas dire que je comprends, parce que je n'ai jamais connu ce sentiment, cependant ça me serre le coeur de le voir craquer.
J'avais l'impression que Louis était une personne solaire, constamment heureuse et de bonne humeur, mais il a ses heures sombres lui aussi, ces moments où il a besoin de laisser les larmes couler et son coeur saigner.
Et je trouve que ça le rend encore plus attachant.
– Elle n'a pas disparu Louis, je réponds d'une voix calme, elle vit encore d'une façon différente. En toi, en tes proches, en ces souvenirs que tu chéris. Elle continue d'exister dans ton esprit et ton coeur. Je ne peux pas parler à sa place, mais ça m'étonnerait qu'elle aurait souhaité ça pour son fils, ou aucun autre de ses enfants. Tu as encore toute ta vie devant toi.
Mes mots le prennent de court, parce qu'il relève de grands yeux bleu nuit vers moi. Et c'est son regard qui me pousse à dire les premiers mots qui me viennent à la bouche.
– Elle m'a l'air d'être une personne extraordinaire. Et on ne se connaît pas depuis longtemps, mais je peux déjà te dire que tu l'es, toi aussi.
Je n'ai jamais été aussi sincère, aussi franc. Louis se redresse légèrement, et je remarque une émotion différente qui naît dans ses pupilles. Je retiens mon souffle, il m'observe un moment, un moment où aucun de nous deux ne semble respirer, puis il me répond :
– Merci, merci Harry.
Un court silence s'installe. Louis ouvre la bouche comme pour ajouter autre chose, mais le minuteur sur son téléphone se met à sonner et nous interrompt. Il se lève du canapé et retrouve son sourire d'avant. Celui qui déclenche des petites secousses dans mon ventre.
– Oh, c'est prêt !
Je me mets debout à mon tour afin de le suivre dans la cuisine, il me donne le gant pour sortir le plat du four. Il n'a visiblement pas envie de risquer de le faire tomber. Je lui souris et ouvre le four, je plante le bout du couteau dans un muffin et, comme il est sec, je tourne le bouton et sors la plaque.
Louis vient à côté de moi les sentir, il relève la tête et me sourit. Nous les décorons d'un glaçage que je prépare avec son aide, les mettons au réfrigérateur puis je lui donne un coup de main pour tout ranger.
Il n'est pas tard quand nous terminons, environ dix neuf heures, il me propose de rester pour dîner avec eux, comme Zayn ne devrait plus tarder, mais je ne souhaite pas m'imposer. Il n'insiste pas et me raccompagne à la porte en me remerciant. Pas seulement pour les pâtisseries, aussi pour notre conversation de tout à l'heure.
Une fois que je suis habillé, je prends mon sachet avec le moule à muffins propre et il m'ouvre la porte. Nous nous saluons comme d'habitude, en s'échangeant un signe de la main et un sourire. Je sors dans le couloir puis commence à me diriger vers l'ascenseur quand il appelle mon prénom.
Je me retourne, il appuie sa tempe contre la porte et me regarde en souriant. Sans me lâcher des yeux, il me dit :
– Je suis content qu'on soit amis.
Mes doigts se serrent autour du sachet, tandis que je sens une chaleur agréable remplir mon corps. D'abord mon estomac, mon visage, puis ma poitrine. Je ne peux pas m'empêcher de sourire, moi aussi, aussi sincèrement que je sais le faire.
– Moi aussi, Louis.
Son sourire s'étire davantage, il me souhaite une bonne soirée, je lui fais un dernier signe et les portes d'ascenseur se ferment sur son visage lumineux. J'appuie mon dos contre la paroi, et fixe les portes en souriant. C'est plus fort que moi. Et ça me fait du bien. Un bien fou.
J'ai une boule d'émotion coincée en travers de la gorge pendant tout le trajet jusqu'au salon de thé. Mais ce n'est pas de l'angoisse, de la tristesse ou de la peur.
Au contraire. Je sais ce que c'est. Mais ce sentiment est tellement rare que je l'oublie trop souvent.
Le bonheur.
Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas senti aussi heureux.
Quand je rentre à l'appartement, je pose mon manteau sur le bord d'une chaise. Olivia est déjà là, elle cuisine et lève les yeux vers moi lorsque j'arrive. Elle me demande si ça a été, je hoche la tête et lui raconte même ce que nous avons préparé Louis et moi.
– C'est bien le jeune homme qui était ici la dernière fois, celui qui s'était blessé et avec qui je te vois parler des fois en bas ?
Rien n'échappe aux yeux d'Olivia. Aucun détail. C'est pour cette raison que sa cuisine est aussi précise et minutieuse. Et aussi pourquoi c'est elle qui me connaît le mieux et qui en sait le plus sur ma vie.
– Oui. C'est... c'est mon ami.
– Je suis vraiment contente pour toi Harry, il m'a l'air d'être quelqu'un de très bien.
C'est la première fois que je le dis à voix haute. Je ne sais pas si c'est normal, mais ça me fait sourire. Olivia prend ma main dans la sienne et la serre affectueusement. Elle ne ment pas, elle est vraiment heureuse pour moi. Elle sait que j'ai du mal à me faire des amis et que je ne me suis rapproché de quasiment personne depuis Lili et Noé.
Puis j'ai rencontré Louis. Et je crois que c'est une personne dont j'ai besoin dans ma vie. Une personne qui sait écouter et comprendre, une personne qui éloigne l'ombre au dessus de ma tête, même pour un certain temps.
Une personne qui apaise le poids sur ma poitrine, et me fait sentir vivant.
– Il l'est, oui.
Mais Louis est aussi plus que ça.
Il est trop bien pour moi.
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