1.

Harry.

Juillet.

Concentré dans la préparation de mes cupcakes, je ne remarque pas tout de suite la présence derrière moi. C'est seulement quand son index s'enfonce rapidement dans le glaçage d'un des gâteaux que je me redresse brusquement et foudroie Noé du regard. Appuyé contre la table, toujours vêtu de son tablier sale, il porte son doigt à sa bouche et me sourit, visiblement très fier de son coup.

– C'est vraiment délicieux Harry !

– Je vais te tuer.

Je pose la pochette à douille sur le plan de travail et me précipite vers lui, il s'écarte à l'autre bout de la pièce en riant, son index toujours entre ses lèvres. Au moins, il s'est éloigné de ma préparation, c'est tout ce que je voulais. Je saisis un torchon trempé sur la table et n'hésite pas une seconde à lui lancer, mais ses réflexes ont raison de moi, il l'attrape avant qu'il n'atterrisse sur lui et lève les yeux au ciel.

Lili entre à ce moment dans la pièce, elle porte un plateau vide et couvert de miettes qu'elle dépose dans l'évier. Un léger sourire amusé déguise le coin de ses lèvres quand elle nous voit. Même si elle a deux ans de moins que nous, elle agit presque comme notre grande sœur.

Elle pose une main sur sa hanche et souffle sur une mèche bouclée brune qui tombe devant ses yeux en amande. Aujourd'hui, le bleu de son regard tire plus vers le gris, accentué par le trait noir parfait de son eyeliner.

– Qu'est-ce que vous fabriquez encore ?

– Demande ça à Noé qui aime fourrer ses doigts dans toutes les pâtisseries que je prépare.

Ma réflexion déclenche le rire de Noé, je lui lance un regard noir. Il se contente de me faire un clin d'oeil, amusé par ma réaction. Lili soupire, ouvre le réfrigérateur pour prendre trois nouveaux gobelets de thés glacés et se tourne vers nous.

– T'exagères No, tu fais tout le temps ça.

– Mais je ne rigole pas Harry, tu es réellement doué. On a de la chance de t'avoir ici. Tu crois que les clients reviennent aussi souvent seulement pour voir mon beau sourire ? Non non, il secoue la tête en souriant, ils adorent tous ce que tu mijotes derrière ces fourneaux.

– C'est ça, essaie de te racheter.

Malgré tout, je ne peux pas m'empêcher de sourire quand il s'approche de moi et pose un baiser sur mon front. Je prends le cupcake qu'il a goûté et le pousse vers lui, il me sourit avec toutes ses dents et me dit que je suis le meilleur en l'attrapant. Il suit Lili en dehors de la cuisine, mais avant de disparaître, il s'appuie contre la porte et me regarde. Son expression est un peu plus sérieuse, cette fois. Il sait l'être, quand il veut.

– Sérieusement, tu te rends compte du talent que tu as ?

Je souris, en levant les yeux au ciel. Noé me sourit en retour puis s'éclipse dans la salle pour aller servir les clients. De mon côté, je termine les dernières viennoiseries et prépare à l'avance ce qui peut être conservé pour demain matin. Quand ils en ont besoin, je viens aider au service à table ou à la caisse. Nous formons une vraie équipe, soudée et solidaire, mais nous nourrissons aussi une belle amitié.

Dans l'après-midi, Olivia, la patronne du café, descend depuis son petit appartement au-dessus et enfile elle aussi son tablier. Le matin, ou entre deux dès qu'elle en a le temps et que le café n'est pas trop plein, elle monte faire ses comptes et le côté administratif du travail. Mais elle aime aussi mettre les mains à la pâte, elle m'a appris beaucoup de choses depuis que j'ai eu la chance de décrocher mon poste ici.

La pâtisserie était déjà ma passion à l'époque, j'adorais regarder ma mère cuisiner ou lui donner un coup de main, puis un jour j'ai voulu lui faire un gâteau au chocolat avant qu'elle ne rentre du travail. Ensuite, c'est venu naturellement.

J'empruntais les livres de recette de ma mère ou ceux de la bibliothèque de la ville, je m'entraînais chez moi, devant des émissions culinaires et pouvais aussi bien suivre des recettes à la lettre ou en créer des nouvelles selon mon inspiration. Je crois que c'est ce qu'Olivia apprécie le plus dans mon travail, ma créativité. Et c'est par le biais de la cuisine que j'ai décidé de l'exprimer.

Au fil des trois années passées ici, Olivia est devenue comme une seconde figure maternelle pour moi. On a passé beaucoup de temps à concevoir et peaufiner des recettes, à s'entraîner, à discuter devant des vidéos de pâtissiers, à apprendre à se connaître. C'est une femme exigeante, sûre d'elle et déterminée, mais elle sait aussi être extrêmement douce et à l'écoute. Je lui ai raconté des choses dont je n'ai jamais osé parler à personne avant elle.

Olivia m'a prise sous son aile dès que je suis arrivé, ayant remarqué mon attrait pour la cuisine. C'est elle qui me pousse à toujours aller plus loin dans mes recettes, elle me répète sans cesse que j'ai du talent et que je vais aller loin. Ça, je n'en suis pas certain, mais je me sens à ma place ici.

Elle enfile son tablier, noue ses cheveux grisonnants au-dessus de sa tête et me rejoint derrière le comptoir. Lili prend sa pause, Noé lave les tables et range un minimum la salle. Olivia pose sa main sur mon épaule alors que je suis en train de rincer le blender. Son sourire est toujours communicatif.

– Tout se passe bien ?

– Oui ! J'ai terminé le cheesecake pour demain matin et le sirop à la violette est au réfrigérateur.

– Parfait, merci Harry. Continue comme ça et tu pourras bientôt me remplacer.

Je ris, même si mes joues se mettent à rougir. Ce serait mon rêve de tenir un salon de thé comme celui-ci. Aussi convivial et accueillant. Les premiers jours où j'ai travaillé ici, j'ai tout de suite trouvé mes marques et je crois que c'est parce qu'il ressemble à celui que je m'imagine gérer dans ma tête, parce qu'il me correspond.

En trois ans, il a eu le temps de changer, grandir, évoluer, s'améliorer et moi avec. Je n'ai jamais été aussi épanoui que ces dernières années, entre ces murs, entouré de ces trois personnes et de ces chats. Je n'échangerais ma place pour rien au monde.

– Personne ne peut prendre ta place Olivia.

– Peut-être pas tout de suite, mais tu es sur la bonne voie.

La sonnerie d'entrée retentit. Elle presse affectueusement mon épaule et laisse sa main retomber pour aller s'occuper du client qui s'avance à la caisse. Mon sourire reste collé sur mon visage alors que je termine de nettoyer l'intérieur du blender. Je fixe le mur en face de moi, plongé dans mes pensées et mes rêveries.

Quand l'heure de fermeture approche, je vais nourrir les chats et prends le temps de tous les caresser. Moka, la petite dernière qu'on a recueilli il y a trois semaines, tend ses pattes et grimpe à moitié sur mes genoux. Attendri, je souris et la lève doucement du sol pour le câliner contre mon torse. C'est Lili qui l'a trouvé, abandonné derrière une poubelle, son poil blanc couvert de tâches de terre, de boue et de sang, tremblant et la peau sur les os.

Je me suis occupé d'elle, même si Olivia s'est inquiétée de me voir fondre en larmes quand Lili est arrivée avec cette petite boule de poils terrorisée et tremblante dans ses bras. Noé a choisi son nom, parce que son pelage blanc et marron lui fait penser à un café moka. Et je crois qu'elle se sent chez elle ici, malgré sa crainte d'approcher les autres chats au début ou d'aller explorer le salon.

J'embrasse le dessus de son crâne, elle miaule et sort sa minuscule langue rosée afin de lécher mon menton. Caramel, s'approche aussi pour réclamer ses caresses, son poil roux brille sous la lumière de la salle. Lui, c'est le plus vieux et aussi celui qui veille le plus sur Moka. Je ne serais pas expliquer comment ça fonctionne entre les animaux, les liens se tissent naturellement. Un instinct.

Après ces embrassades, je repose Moka au sol et lui donne son repas. Olivia habite juste au-dessus et m'a dit plusieurs fois qu'elle pourrait le faire, mais j'ai toujours aimé m'occuper d'eux. Personne n'y a jamais posé d'objection, c'est un peu mon moment de détente après le travail. Parce que même si j'adore cuisiner, parfois c'est intense et épuisant.

Olivia ferme la porte d'entrée à clef et baisse les volets, je vérifie que tout est bien éteint, Lili passe un dernier coup de chiffon sur le comptoir et Noé met les restes au frais. Mes deux collègues sortent en premier, par l'arrière. Je prends mon sac et mon téléphone dans la cuisine, Olivia me rejoint et sort un tupperware qu'elle me tend.

– Tiens Harry, c'est un reste du carrot cake de ce matin. Je n'aime pas trop ça, mais je sais que toi tu en raffole.

Elle voit que je tique un peu, je n'ai jamais été très à l'aise avec le fait qu'elle nous donne, à tous les trois, des restes. On ne sert pas aux clients des bouts de gâteaux de la veille et je déteste le gâchis, mais je n'arrive toujours pas à m'y faire après tout ce temps. Olivia le sait bien, alors elle saisit doucement mon poignet et pose la boite dans ma paume. Son regard est doux et déterminé à la fois.

– Il faut éviter le gaspillage alimentaire, n'est-ce pas ? C'est ce que tu dis tout le temps.

– Oui...

– Et tu as totalement raison, donc ne me contredis pas jeune homme.

Un sourire en coin apparaît sur mon visage, je la remercie, elle caresse furtivement le dos de ma main avec son pouce et pose ensuite ses poings sur ses hanches. Je fais deux têtes de plus qu'elle, mais du haut de ses quarante six ans et dotée d'une telle autorité, je n'oserais même pas essayer de la froisser. Elle peut être totalement impressionnante quand elle le veut.

– Allez, file et tu me diras si la nouvelle recette du cake te convient !

– Je n'y manquerais pas, à demain.

– Bonne soirée Harry, à demain.

Je sors rejoindre mes collègues qui m'attendent, mon sac sur mon épaule et le tupperware dans la main. Olivia nous fait signe et ferme la porte derrière nous. Noé coince sa cigarette entre ses lèvres puis souffle la fumée de l'autre côté, il se redresse du mur contre lequel il était appuyé. Lili me sourit et passe son bras sous le mien tandis que nous commençons à avancer.

– Tu as quelque chose de prévu ce soir ?

Sa question me prend un peu au dépourvu, je tourne les yeux vers elle. Ses cheveux sont maintenant détachée, ils tombent en cascade sur ses épaules et le soleil de début de soirée embrasse sa peau légèrement bronzée. Je hausse les épaules puis détourne le regard.

En réalité, je n'ai pas envie de leur dire que ce qui m'attend chez moi n'est que le silence et la peur. Je pourrais cuisiner, m'entraîner à de nouvelles recettes comme je le fais souvent après le travail, mais je suis assez fatigué de ma journée et je à jour dans les émissions culinaires que je regarde. C'est idiot de penser ça, mais je me sens honteux de ne pas avoir une vie aussi excitante qu'eux.

Noé et Lili sortent souvent, ils ont beaucoup d'amis, ils postent régulièremenrt des photos sur les réseaux sociaux en soirée ou à faire n'importe quelle activité amusante. Et moi... moi je passe la plupart de mon temps chez moi, derrière les fourneaux, devant la télévision ou chez Olivia. Je sais qu'ils ne me feront aucune remarque déplacée si je leur dis la vérité, seulement je n'ai pas envie de leur parler de ça. Je n'ai pas envie qu'ils le sachent et me regardent autrement ensuite.

Lili serre son bras doucement autour du mien et pose sa main sur mon biceps, le sourire qu'elle m'adresse me rassure et libère le nœud qui commençait à se serrer au fond de ma gorge.

– Si tu veux, tu peux passer à l'appart. Noé vient aussi, on va regarder la télévision et manger ensemble.

Il ne me faut pas longtemps pour prendre ma décision. Je n'ai pas besoin de réfléchir à deux fois si je préfère passer une soirée seul devant ma télévision, dans une maison vide que je déteste, ou partager un moment d'évasion avec eux.

– D'accord, j'apporte le dessert.

Je soulève la main avec laquelle je tiens le tupperware en souriant, moi aussi. Noé, piqué par sa curiosité naturelle, lève le couvercle et regarde à l'intérieur. Il hausse un sourcil puis hoche la tête en me disant que je suis l'homme parfait. Le rire de Lili chante à mes oreilles, elle pose sa tête contre mon épaule et ajoute :

– Tu dis ça parce que tu ne sais pas te faire autre chose que des pâtes et tu aimerais qu'il te prépare à manger tout le temps.

– Si j'ai la chance d'un jour me trouver un homme qui est aussi doué en cuisine, crois moi que je l'épouse sur le champs, dit-il très sérieusement avant de tourner son regard vers moi. Harry, tu es certain que tu ne veux pas tenter ta chance ?

– Non, c'est très flatteur, mais merci.

Nos rires se mêlent dans l'air chaud de l'été, Noé écrase la fin de sa cigarette en marmonnant que je passe à côté de quelque chose. Je lève les yeux au ciel en riant et il passe ses doigts entre mes boucles pour les ébouriffer.

Depuis que nous avons commencé à travailler ensemble, nous nous sommes tout de suite rapprochés et les liens de collègues se sont renforcés pour devenir de l'amitié. Noé nous a rejoint seulement sept mois après l'ouverture du salon de thé, lorsque nous avons eu besoin d'une personne en plus parce qu'une jeune étudiante n'avait pas pu garder son poste.

Au fil des mois, nous avons passé tellement de temps ensemble que nous avons appris à nous connaître et à s'apprécier rapidement. Aujourd'hui, et depuis un moment déjà, nous agissons comme frères et sœur. Noé a vingt trois ans lui aussi et Lili vingt et un, je les considère comme la famille que je n'ai jamais eu.

Comme il est déjà presque vingt heures, nous allons directement chez Lili. Elle habite dans un joli appartement avec sa petite amie, Yanel que j'ai déjà pu rencontrer à plusieurs occasions. Elle est en première année de master de science politique et travaille à côté comme serveuse dans un fast food, c'est ainsi qu'elles ont pu emménager ensemble il y a un an.

Lili nous ouvre la porte, je retire mes chaussures et vais dire bonjour à Yanel puis ranger le reste du carrot cake au frais. Les filles entrent en cuisine tout en discutant, je leur souris et rejoins le salon. Noé est déjà affalé dans le canapé, ses pieds sur la table et son téléphone en main. Je m'installe à côté de lui, il me donne la télécommande de la télévision déjà allumée. Seulement avant de me la laisser, il me jette un regard amusé et me dit :

– Je t'adore mais pas une émission de cuisine, s'il te plaît.

Je pouffe doucement, il trouve alors plus drôle de me prendre pour son coussin et de s'affaler contre moi tandis que je choisis parmi les programmes et les titres de séries ou de films. Je m'arrête sur une comédie quand les filles reviennent avec un plateau où elles ont préparé toutes sortes de biscuits apéritifs et un verre pour chacun de nous.

Lili prend place à ma gauche, non sans jeter un coussin sur Noé qui lâche son téléphone pour lui râler dessus. Yanel s'assoit au bout, étend ses jambes sur les genoux de sa copine et je ne sais pas comment on a fait pour tous rentrer à quatre sur ce canapé mais je me sens plutôt à l'aise.

Nous passons une bonne partie de la soirée devant la télévision, les assiettes passent entre nous, je bois deux verres de thé glacé et un fond de vodka avec du sirop de violette. Nos rires résonnent dans la pièce, et ça continue même après les deux pizzas qu'on a commandé pour le dîner.

Yanel a proposé un jeu de monopoly, on s'est tous installés autour de la table et on a joué deux parties. Noé n'est pas un bon perdant et il a définitivement triché pendant les deux minutes où je suis parti aux toilettes.

Après ça, on discute un peu sur leur petit balcon, un fond de musique nous accompagne depuis le salon. Les fenêtres sont grandes ouvertes pour faire circuler l'air étouffant de l'été. On entendant le bruit de la nuit, le murmure bas du monde.

Je penche la tête pour observer les étoiles dissipées dans le ciel, le léger vent du soir me caresse le visage et j'écoute Noé parler d'un garçon qu'il essaie de draguer en ce moment. Il me tapote gentiment le genou, je sens la chaleur de ses doigts ou de la cigarette à travers mon jean.

Je baisse la tête vers lui, le fantôme de mon fin sourire encore visible sur mes lèvres. Il me montre l'écran de son téléphone, je plisse un peu les yeux face à la lumière blanche et il me demande :

– T'en penses quoi, toi ? Tu tenterais quelque chose avec lui ?

Mon regard reste fixé un instant sur le profil d'un garçon d'environ notre âge dont Noé fait défiler quelques photos à la suite. Je hausse les épaules en me pinçant les lèvres.

– Pas mon genre.

Il lève les yeux au ciel de façon exagéré. Les filles, enlacées sur une chaise, rient de bon coeur. Je n'ai pas attendu longtemps avant de leur parler ma sexualité. Noé n'a jamais caché son attirance irrévocable pour les garçons et j'ai rapidement été informé pour Lili quand elle nous a présenté Yanel lorsqu'elle est venue la chercher un soir après le travail.

Deux jours après, je leur avouais que j'étais pansexuel et ils n'ont pas hésité une seconde à me serrer fort dans leurs bras. Ils ont compris, sans que je ne leur dise quoi que ce soit, que j'avais besoin de ce genre d'attention. Ça n'a pas changé aujourd'hui.

– Alors, ce serait plus quoi ton genre ?

– Je ne sais pas.

Et c'est la vérité. Je n'en ai pas, je n'ai pas de critère de recherche. Je ne suis pas attiré par un trait physique en particulier, par un type prédéfini, mais par une personnalité, un caractère. Un regard qui me transperce la peau, un sourire qui me fait battre le coeur plus vite et me coupe le souffle.

C'est compliqué, je n'ai pas été en couple depuis longtemps, ça doit remonter à trois ans et demi et je n'ai pas vraiment envie de chercher. Je n'ai jamais eu de relation de plus de cinq mois et je ne les ai pas collectionné non plus. Je suis sorti avec quatre personnes ces vingt trois dernières années.

Pourtant, ce n'est pas une compétition, et je le sais parfaitement. Je suis même capable d'exister sans relation, je n'ai pas vécu ces derniers mois comme une torture. Mais je ne peux pas m'empêcher de me dire que c'est de ma faute si j'ai si peu de contact avec les autres.

Ma vie est déjà assez difficile comme ça, je ne peux pas mêler une relation amoureuse à ce capharnaüm sans nom qu'est mon existence. Je sais qu'au fond je me construis moi-même des barrières pour empêcher quiconque de passer, il n'y a que peu de personnes à qui j'y autorise l'accès. Et c'est franchement épuisant. Toutes ces limites. Tous ces efforts.

Alors, je m'accroche de toutes mes forces à ce qu'il me reste de meilleur et de vrai dans ce monde. La pâtisserie, le salon de thé et les chats qu'on y recueille, mes quelques ami.e.s et Olivia.

Je regarde Noé qui tire sur sa cigarette et ajoute avec un sourire en coin :

– Pas un gars qui rentre son ventre pour mettre en avant ses faux muscles en tout cas.

Noé me donne un coup de coude en riant, il passe un bras autour de mes épaules pour me coller à lui et se met à caresser affectueusement ma nuque. Je pose ma tête contre la sienne, il sent la cigarette et le déodorant.

Après quelques minutes, je rentre me servir un verre d'eau. La voix de Lili est lointaine, étouffée. Je range l'eau au réfrigérateur puis sors mon téléphone. L'écran s'allume quand je le déverrouille et mon corps se fige instantanément.

Une goutte de sueur coule sur ma nuque. Une sueur froide. J'ai la vive impression que le sol s'ouvre et se dérobe sous mes pieds. Pourtant, je ne bouge pas. Je sens mon rythme cardiaque s'accélérer sous ma peau, pulser dans mes veines.

Et je crois que je reste un long moment comme ça, à fixer écran, parce que la voix de Yanel me ramène sur Terre et me fait presque sursauter. Je me tourne vers elle tandis qu'elle dépose les bouteilles vides sur la table et me demande, les sourcils froncés :

– Ça va Harry ?

– Oui oui, désolé je répondais à ma mère. J'avais oublié de la prévenir que j'étais ici, elle s'inquiétait.

Je ravale la boule au creux de ma gorge, elle descend au fond de mon ventre et elle restera là. Pendant des heures, des jours certainement. Je le sais. J'ai l'habitude de vivre avec l'angoisse et la peur. Je tente de lui offrir mon sourire le plus sincère afin de la rassurer. A mes yeux, il est tellement faux que ça me fait grincer des dents.

Mais, elle ne voit rien, personne ne remarque. Parce que j'ai appris à porter et garder le masque que je m'impose. C'est plus facile ainsi, même si ça me demande des efforts considérables.

Il n'y a aucune fissure. C'est devenu ma deuxième peau depuis longtemps déjà.

Yanel me sourit en hochant la tête. Je range mon téléphone, ma main ne tremble pas. Mais tout l'intérieur de mon corps hurle.

Je rejoins les autres au salon et essaie de ne pas penser au numéro qui vient de m'appeler. Un chiffre que j'ai fini par connaître par coeur. Que je redoute tout autant que je le hais.

Mais pour ce soir, pour quelques petites heures encore, je l'ignore. Je peux m'accorder ça, ce moment de paix.

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