Chapitre 9
Nous passons l'heure suivante à discuter. Même si nous ne pouvons pas rattraper toutes ces années perdues, nous nous racontons une multitude de choses, afin d'en savoir le plus possible sur l'autre. Ça me fait du bien, de parler avec lui. Il est celui qui me comprend. Je suis heureuse de l'avoir retrouvé.
Puis je m'arrache à contrecœur des bras réconfortants d'Émilien.
- Tu as des invités. Je ne voudrais pas qu'on m'accuse de t'accaparer...
J'essaie de plaisanter, même si ce n'est pas une chose facile.
Il soupire, puis se lève. Il remet sa veste, et tends une main, paume ouverte, vers moi.
- Tu te souviens de ce que je t'ai dit quand tu m'as appelé ?
Je reste immobile. Il secoue la tête avec un petit sourire au coin des lèvres.
- Je t'ai dit que je te présenterai.
Je recule.
- Ce n'est pas nécessaire...
- Si, ça l'est.
- Émilien.
- Ophélia. Tu ne peux pas fuir les gens toute ta vie.
Je déglutis. Émilien se radoucit.
- Je serai avec toi, Lia. Je te promets que je ne te laisserai pas seule au milieu de tous ces gens. Et puis, il y a quelqu'un que je veux absolument te présenter.
Curieuse, je relève la tête.
- Qui ça ?
- Mon meilleur ami. Il m'a beaucoup aidé. Je lui dois toute ma réussite, tu sais.
- Il sait... que je suis ta sœur ?
Émilien part d'un grand rire.
- Je lui ai parlé au moins un million de fois de toi. Il a hâte de te rencontrer.
J'inspire, puis attrape la main tendue de mon frère. Il la serre dans la sienne, beaucoup plus grande.
- Allons-y.
Nous redescendons les marches comme nous les avons montées : côte à côte.
Lorsque nous arrivons devant les portes de cette grande salle, je me fige, nerveuse, et Émilien, sans un mot, resserre sa prise autour de ma main, et m'entraîne avec lui.
Quand nous pénétrons à l'intérieur, je fixe le sol tandis que nous marchons dans la salle.
Puis Émilien s'arrête, et je risque un coup d'œil aux alentours. Les gens discutent entre eux, parfois avec animation, une coupe de champagne à la main. Ils ne se préoccupent pas du tout de nous, et ça me rassure.
Émilien me tire légèrement par le bras. Je tourne la tête vers lui. Il discute avec un couple d'un quarantaine d'années.
- Et voici ma sœur Ophélia, dit-il. Ophélia, voici Olivier et Léontine Durant.
Je me racle la gorge et leur tends ma main droite.
- Enchantée.
- De même, répond Olivier Durant en me serrant la main.
Sa femme Léontine fait de même, et je leur souris poliment.
- Et vous, Ophélia, que faites-vous dans la vie ?
Je jette un coup d'œil vers Émilien. Il incline la tête.
- Je suis... Je suis libraire.
Ils éclatent de rire, et j'avale ma salive, mal à l'aise.
- Exceptionnel, dit Olivier Durant.
Léontine Durant me détaille de la tête aux pieds.
- Vous avez choisi une robe bien sombre, pour une soirée.
- Oui, je... Je n'aime pas trop les couleurs, improvisé-je.
- Vous n'avez surtout pas les moyens, rétorque Léontine Durant, sans méchanceté. Le salaire d'un libraire est si peu élevé !
Son mari n'est pas aussi poli dans ses propos.
- Vous auriez pu vous épargnez cette visite, avec cette robe affreuse. Choisissez mieux vos vêtements la prochaine fois, ou ne venez pas.
Je serre les dents pour m'empêcher de pleurer.
- Vous pouvez être sûrs de ne pas être invités la prochaine fois. Par contre, ma sœur le sera, intervient froidement Émilien.
Je frissonne. Je ne savais pas que sa voix pouvait devenir aussi glaciale.
- Mais je... Quoi ? s'offusque Olivier Durant.
- Partez dès que possible, ajoute Émilien. Vous n'êtes plus les bienvenus ici. Personne, je dis bien personne, ne s'en prend à ma sœur sans me passer sur le corps.
Il y a un blanc, puis Émilien me tire vers le fond de la salle.
- Ça va ? demande-t-il.
J'acquiesce, avec un sourire forcé. Il attrape mon menton et me force à le regarder dans les yeux, qui sont toujours sombres de colère.
- Je suis désolé, dit-il. J'aurais voulu pouvoir empêcher ça.
- Ce n'est pas si grave, Émilien. J'ai l'habitude.
Il me lâche, et serre les poings.
- Ce n'est pas une raison.
Je ne sais pas quoi dire. Alors je regarde la salle et les gens. Tout le monde semble à l'aise, ici. Ils font tous partie du même environnement. Tous riches. Même mon frère fait partie de leur monde. Je me sens décalée. Je n'ai pas ma place ici, avec ma robe d'enterrement.
Soudain, j'ai le tournis. Si Olivier et Léontine Durant ne m'ont pas appréciée, pourquoi est-ce que les autres m'aimeraient ? Je ne suis pas comme eux. Je ne suis pas assez bien pour eux.
Il y a trop de monde, trop de bruit. Je n'ai pas l'habitude. J'ai peur. La crise de panique arrive, et j'essaie désespérément de me souvenir de ses conseils... Mais trop tard.
Je me sens angoissée, oppressée, je ne peux plus respirer correctement...
Deux mains me tirent dans un coin plus sombre.
- Respire. Doucement. Voilà, continue. Encore.
La voix rassurante d'Émilien m'apaise. Une fois calmée, je me cache le visage entre mes mains.
- Je suis tellement désolée...
- Stop.
Mon frère écarte mes mains et j'inspecte son visage. Il est inquiet.
Émilien regarde autour de lui puis il m'attrape à nouveau par le bras. Il me pousse derrière les rideaux rouge sombre, m'entraînant dans une petite alcôve. Il y a tout de suite moins de bruit.
- C'est comme ça depuis longtemps ? s'enquiert-il doucement.
Honteuse, je ferme les yeux.
- Ça a empiré depuis que tu es parti.
- Ophélia.
- Oui ?
- Ça va aller. Je suis là pour toi.
Je secoue la tête.
- Je vais y aller.
- S'il te plaît...
- Je suis désolée mais je...je ne peux pas.
Émilien m'attrape par les épaules et me force à croiser son regard.
- Tu en es capable, Lia. Tout va bien. Il n'y a aucun danger...
Je recule brusquement, m'arrachant de son étreinte.
- Tu ne comprends pas, Émilien. Il y a du danger partout dans cette salle, car j'ai peur des gens. J'ai peur de ce qu'ils peuvent faire, de ce qu'ils peuvent dire, de ce qu'ils peuvent penser. Alors, si, pour moi, il y a du danger.
Il tend une main vers moi, mais je me dérobe.
- Lia...
- En plus, je ne devrais pas être ici, et tu le sais aussi bien que moi.
Mon frère fronce les sourcils.
- Qu'est-ce que tu racontes ?
Je plante mon regard dans le sien.
- Je ne fais pas partie de ce monde, Émilien.
Je souris tristement et ajoute :
- Les Durant me l'ont bien fait remarquer.
- Ils ne te connaissent pas...
- Ça ne change rien. Ils m'ont jugée sur mon travail, mes vêtements... Je ne suis pas à la hauteur.
- Je...
Je le coupe :
- Je n'ai rien à faire ici.
Émilien saisit mon poignet pour m'empêcher de sortir de derrière les rideaux.
- Tu es ici, Ophélia, parce que je t'ai demandé de venir. Je me fiche de ce que les gens peuvent penser. Je suis désolé pour ce qui s'est passé tout à l'heure. J'aurais dû faire plus attention.
Je lui effleure doucement la joue.
- Tu n'y es pour rien. Et, la différence entre toi et moi, c'est que je me soucie du regard des autres, contrairement à toi.
- Ophélia...
- Je dois partir.
Il détourne le regard et pince les lèvres.
- Laisse-moi au moins te présenter mon ami.
Je soupire.
- Il va me juger aussi ?
Mon frère fronce les sourcils.
- Sûrement pas. Ce n'est pas son genre, tu sais.
Je hausse les épaules, hésitante. D'un côté, j'aimerais bien rencontrer ce mystérieux ami, mais de l'autre...j'ai envie de sortir d'ici au plus vite.
Mais Émilien choisit pour moi.
- Reste ici, Lia. Je reviens avec lui !
Avant que j'ai eu le temps de protester, Émilien me fait un clin d'œil et sort de derrière les rideaux rouges. Je me retrouve seule dans cette petite pièce plongée dans la pénombre.
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